Bonjour à tous !
Et voilà le chapitre du jour ! :)
On entre dans pas mal (bcp) de hurt/comfort à venir, mais après tout c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs confitures :')
Je n'ai pas grand-chose de plus à dire si ce n'est... Bonne lecture !
xxx
Tony poussa doucement la porte de la chambre de Peter.
Il devait être trois heures du matin. L'adolescent dormait, le nez profondément enfoui dans les replis de son oreiller.
Il s'approcha silencieusement de lui, un sourire triste s'épanouissant sur son visage.
Peter et lui n'avaient pas eu la moindre conversation depuis que Tony avait raté sa compétition inter-lycées. De cette soirée placée sous le signe de la défaite, l'homme ne gardait que des souvenirs épars : le goût écœurant du scotch, le visage inquiet de Rhodey, l'accoudoir râpeux du canapé sous sa joue… les images lui revenaient sous la forme de flash brumeux, comme arrachés d'un rêve — ou plutôt d'un cauchemar. Ils s'accompagnaient d'un profond sentiment de honte qui lui brûlait le creux du ventre.
En revanche, il se souvenait à la perfection de son réveil. Cet horrible goût de sable dans sa bouche ; sa langue plus sèche qu'un morceau de carton ; la douleur sourde qui pulsait derrière ses globes oculaires, lui donnant l'impression qu'on sciait une partie de son crâne... A cet instant, il aurait volontiers sacrifié son bras droit pour ne plus se sentir comme un ver de terre qu'on aurait écrabouillé sous la semelle d'une chaussure militaire.
C'était un miracle qu'il n'ait pas vomi. Et un miracle qu'il soit parvenu à tenir debout sous les jets glacés de sa douche, à se rhabiller et à faire mine que tout allait bien et qu'il n'était pas en proie à l'une des pires gueules de bois de son existence.
Après cela, il n'avait pas su comment se comporter avec Peter. Sa stratégie favorite était celle de l'évitement (tout, plutôt que d'affronter la honte qui fourmillait dans ses veines lorsque le regard de Peter rencontrait le sien), mais elle n'avait visiblement pas fonctionné avec l'adolescent. Celui-ci lui en voulait, ça crevait les yeux : il avait ignoré chacune de ses tentatives de rapprochement, conservant un visage impavide, plus lisse qu'une de ces crèmes au caramel dont il raffolait tant. Tout, dans sa posture, hurlait pour qu'il lui fiche la paix. Alors c'était ce que Tony avait fini par faire.
Il n'avait aucune idée de la façon dont il pouvait se racheter auprès de l'enfant dont il avait brisé le cœur.
Et l'observer dormir en se tenant silencieusement à l'orée de sa chambre n'était probablement pas la solution idéale.
Je dois ressembler à un psychopathe. Ou à un fou.
Mais c'est mon fils, songea-t-il en contemplant son visage endormi.
Peter était son fils et, sans qu'il ne puisse expliquer pourquoi, il éprouvait depuis quelques jours une conscience aiguë des implications qui s'attachaient à ces mots.
Parce que tu pourrais le perdre, et tu viens seulement de le réaliser.
Peut-être était-ce pour cela qu'il avait ressenti un besoin inexplicable de se rendre à son chevet au beau milieu de la nuit, aussi bizarre qu'un tel comportement puisse sembler.
L'adolescent remua et se mit à marmonner dans son sommeil. La sueur perlait sur son front, collaient des mèches châtain à ses tempes.
— Désolé… ma faute… murmurait-il.
Le cœur de Tony se serra lorsqu'il réalisa que deux larmes étaient apparues aux coins de ses yeux et menaçaient de s'écraser sur son oreiller.
— Pete ? dit-il doucement, posant une main hésitante sur l'épaule de l'adolescent.
— N-non, s'il vous plaît… je suis désolé…
— Pete, répéta-t-il en le secouant délicatement. Peter, réveille-toi.
— N-non… noooon…
— Peter !
L'adolescent ouvrit brusquement les yeux. Il avait l'air hagard ; son teint était très pâle, si l'on faisait abstraction de ses pommettes rose vif. A son regard déboussolé, Tony comprit qu'il n'avait aucune idée de l'endroit dans lequel il se trouvait.
— Hey, Peter, dit-il doucement, sa main quittant son épaule pour se poser délicatement sur son visage. Tu es avec moi, petit ?
— J-je… q-qui…
Ses prunelles peinaient à se focaliser sur lui. Sa respiration était précipitée.
— Shh, petit, tout va bien. C'est moi. C'est Tony, dit patiemment l'homme en plongeant ses yeux dans ceux de son enfant. Tu faisais un cauchemar…
— T-Tony ?
Il eut l'impression que quelque chose se brisa en lui lorsqu'il vit la confusion s'accroître sur le visage de Peter.
Merveilleux. Ton propre enfant ne t'associe même pas à ton prénom.
— M. Stark, précisa doucement Tony. Non, ça ne te dit toujours rien ? Iron Man ? Le propriétaire de cette Tour ?
Un éclair de compréhension traversa les yeux de Peter.
— M. Stark, répéta l'adolescent.
Il se redressa sur les coudes. Il tremblait légèrement ; pourtant, Tony avait l'impression que son visage était un peu chaud sous sa paume.
— Tu es réveillé, Peter ?
— Je… je crois, balbutia l'adolescent.
— Comment tu te sens ?
— B-bien. T-t-très bien.
— Vraiment ? J'ai connu des fantômes qui avaient meilleure mine que toi.
Peter se frotta les yeux. Il semblait lutter pour s'arracher aux dernières miettes de sommeil qui engluaient son esprit.
— Q-quelle heure est-il ? demanda-t-il finalement. C'est déjà l'heure d'aller au lycée ?
— On est samedi, petit. Et il est… euh… tard. Ou tôt. Question de point de vue.
Peter tourna son regard vers le réveil posé sur sa table de nuit. Ses yeux s'écarquillèrent à la vue des chiffres qui scintillaient dans le noir et l'homme crut déceler une pointe d'accusation au fond de ses prunelles.
— Qu… qu'est-ce que vous faîtes dans ma chambre à cette heure-ci ?
— Je vérifiais que tu étais toujours en un seul morceau, répondit Tony.
Il se força à esquisser un sourire :
— C'est mon rôle, après tout. Non ?
— De me regarder dormir ?
Peter grimaça.
— Vous savez que c'est un peu flippant, M. Stark ? Vous vous imaginez, vous réveiller et voir un homme planté à côté de votre lit, qui vous fixe sans dire un seul mot ?
— Je n'avais pas vu les choses comme ça, admit Tony. La prochaine fois, je tâcherai au moins de me cacher derrière le rideau.
Le visage de Peter frémit, comme s'il s'apprêtait à sourire, mais ses traits reprirent très rapidement une expression mi-fatiguée, mi-maussade, qui signifiait clairement à Tony qu'il voulait qu'il le laisse tranquille. D'ailleurs, l'adolescent laissa retomber son visage contre son oreiller et étouffa un bâillement derrière sa main.
— Je — aaaaahhhhh (un nouveau bâillement avait froissé son visage) — je crois qu'on est tous les deux d'accord pour dire que je suis toujours entier. Vous n'avez pas besoin de rester là.
Tony n'en était pas sûr.
— Peter…
— Je vais très bien, répéta l'adolescent plus fort. Bonne nuit, M. Stark.
Il se retourna, ne lui offrant plus que la vision de ses boucles châtain emmêlées.
— Okay, si tu le dis, répondit prudemment Tony.
Il avança de nouveau une main hésitante, frôlant les cheveux de Peter qui ne réagit pas.
— Dors bien, petit. On va avoir une journée chargée, demain.
Bien qu'il ne voyait pas son visage, il fut persuadé que Peter avait froncé les sourcils.
— Comment ça ? demanda l'adolescent sans bouger.
— Eh bien, j'ai pensé que ce week-end serait une bonne occasion pour… faire une randonnée, répondit Tony, non sans avoir subitement l'impression de danser des claquettes sur des œufs. Rhodey m'a parlé d'un parcours pas loin d'ici, dans un recoin accessible à quelques heures de voiture, et j'ai pensé que… ahem... ça pourrait nous faire du bien. Juste nous deux, un sac à dos, une tente et des sardines… ça te dit ?
Il ne précisa pas qu'il avait déniché cette idée dans l'un des magazine de parent célibataire que lui avait offert Rhodey.
Durant une longue minute de flottement, Peter ne répondit pas. Tony commençait à craindre qu'il se soit endormi — ou qu'il n'ait définitivement décidé de jouer au roi du silence — lorsque sa voix s'éleva, légèrement étouffée par son oreiller :
— Okay, si vous voulez.
— Super, répondit aussitôt Tony, soulagé. Parfait. J-je vais… profiter du rester de la nuit pour préparer nos affaires.
Il pressa l'épaule de l'adolescent à travers la couette.
— Bonne nuit, Pete, murmura-t-il.
Et, après avoir nerveusement lissé les draps pour être certain que Peter soit correctement bordé, il repartit de la chambre, laissant toutefois la porte entrouverte. Il avait l'étrange sensation que son cœur s'était métamorphosé en une pelote de laine dans laquelle se serait voluptueusement ébroué un chaton…
Un chaton aux griffes particulièrement aiguisées.
⁂
Une randonnée.
Tout le week-end.
C'était une idée… étrange.
Avant d'être Spider-Man, c'était le genre d'exercice qui faisait courir des frissons d'horreur sur l'échine de Peter. Il était généralement essoufflé au bout de dix mètres et devait sans cesser porter son inhalateur à ses lèvres. Sans compter les allergies qui faisaient gonfler ses paupières et lui donnaient l'impression que ses conduits nasaux étaient remplis de marmelade gluante...
Grâce à ses capacités surhumaines, il n'éprouvait désormais plus aucune difficulté à avaler les kilomètres sous les semelles de ses baskets, ni à porter un sac à dos de la taille d'un bébé cachalot dont les anses lui cisaillaient les épaules.
Son problème actuel était tout autre, et marchait d'un pas anormalement allègre trois pas devant lui ; il ne voyait de lui que son blouson en cuir, ainsi que l'arrière de son crâne où se dressaient des mèches sombres qu'effleuraient quelques discrètes touches de gris.
— Alors, Pete, tu tiens le rythme ? Pas d'ampoules à déplorer ?
M. Stark était particulièrement volubile ; il ne cessait de faire des commentaires auxquels Peter ne savait pas vraiment quelle réponse apporter.
— Oh, ce chemin semble dégagé… tu as vu la taille des arbres ?… Attention à ne pas trébucher sur une racine ! Tu veux de l'eau ?… Tu as toujours ton sac ? Aucun moustique ne t'a piqué ?
Peter se contentait de hocher la tête à fréquences régulières. Derrière les mots de M. Stark, il détectait une certaine nervosité qui ne parvenait qu'à attiser la sienne et à faire s'évanouir les mots sur ses lèvres.
Il se demandait bien quelle mouche avait piqué le super-héros pour décider que se perdre au beau milieu d'une forêt pendant tout le week-end serait une bonne idée. Il en était même venu à se demander s'il n'avait pas bu avant de l'entraîner dans ces bois sombres et peu rassurants, saturés par le parfum des fleurs sauvages et des champignons — mais à son grand soulagement, il n'avait décelé aucune effluve d'alcool dans son sillage.
Le seul point positif à leur escapade champêtre était qu'il n'y avait aucun réseau, là où ils étaient. Flash n'avait aucun moyen de lui écrire, et lui-même était bien incapable de lire ce que son camarade racontait sur les réseaux sociaux.
D'une certaine façon, c'était presque… reposant. Si seulement il n'y avait pas eu cette angoisse qui fourrageait au creux de son estomac…
M. Stark s'arrêta si soudainement que Peter se cogna contre lui.
— Je ne reconnais pas ce chemin, dit-il d'un air sérieux, ses yeux exécutant des allers-retours frénétiques tout autour d'eux. On s'est peut-être perdus...
Pour Peter, l'endroit n'avait rien d'exceptionnel. Ils étaient arrivés à un embranchement entouré d'épais buissons et d'arbres dont la cime semblaient caresser la voûte céleste, tant elle était vertigineuse. C'était à peine si Peter pouvait discerner les nuages à travers l'entrelacs luxuriant des branches.
— Il devrait y avoir un ruisseau, pas loin. Tu entends quelque chose ?
L'adolescent dressa l'oreille. Mille bruits résonnaient dans les sous-bois : pépiements, bourdonnements, battements d'ailes, mélodie du vent qui s'engouffrait dans les feuillages… mais rien qui ne ressemblait, de près ou de loin, au tintement familier de l'eau.
— Je… je ne crois pas, M. Stark.
— Okay, dit l'homme, un pli soucieux se dessinant sur son front. Okay.
Il jeta de nouveau un regard autour de lui, tapotant nerveusement la monture de ses lunettes aux verres violet foncé.
— Je vais regarder où mène le chemin de gauche. Toi, Pete, tu m'attends ici. Tu peux grignoter, si tu veux, j'ai mis des barres protéinées dans ton sac.
— Mais…
— Je reviens dans quelques minutes, lui assura l'homme en ajustant ses lunettes sur son nez. Ne bouge surtout pas, okay ? Je n'en ai pas pour longtemps.
Et, sans attendre de réponse, il disparut sur le sentier de gauche. Sa silhouette fut rapidement engloutie par la végétation ambiante.
Essayant d'ignorer le malaise qui s'était déclaré au fond de sa poitrine, Peter avisa un rocher de la taille d'une grosse citrouille et s'y assis prudemment, retirant de ses épaules son sac à dos.
M. Stark n'avait pas menti : il avait bourré ses poches de barres de céréales, comme s'il craignait qu'il fasse une syncope au beau milieu de leur randonnée. Davantage pour s'occuper les mains que par appétit, Peter en ouvrit une et s'attela à la grignoter, promenant distraitement son regard autour de lui. La barre n'était pas mauvaise — elle avait un goût agréable de beurre de cacahuète —, et il ne s'aperçut qu'il l'avait terminée que lorsqu'il se mit à se lécher les doigts.
Il avait l'impression qu'au fil des minutes, la forêt s'était épaissie. Les feuillages dissimulaient de plus en plus le ciel, ne laissant que de minces filets de lumière strier les alentours. Les bruits des animaux devenaient de plus en plus assourdissants, il entendait distinctement un blaireau creuser un terrier à quelques mètres de là, tandis qu'un pivert entreprenait de piqueter le tronc d'un arbre juste au-dessus de sa tête.
L'odeur de l'herbe et des fleurs le prenaient à la gorge. Peter s'efforça d'inspirer et d'expirer le plus lentement possible, mais il avait l'impression d'avoir un mouchoir plaqué sur le visage, l'empêchant de respirer correctement. Il n'y avait plus aucune trace de M. Stark ; il n'entendait plus ses pas, il ne sentait plus son parfum. A croire que la forêt l'avait avalé.
Il était peut-être déjà à des kilomètres de là.
Loin. Très loin.
Trop loin.
Si ça se trouve, il est reparti à la voiture — ou il a appelé l'un de ses costumes pour venir le chercher et il t'a laissé ici, à l'attendre comme un idiot...
Son cœur s'emballa, son esprit se mit à imaginer mille scénarios qui lui donnaient l'impression d'avoir un porc-épic dans la poitrine.
Parti. M. Stark était parti, il l'avait laissé là, il ne reviendrait plus… il ne voulait plus de lui, il était vexé qu'il ne lui parle plus, qu'il l'ait fui après la compétition inter-lycées, et c'était entièrement de sa faute — il n'aurait pas dû lui en vouloir, il aurait dû être sage et obéissant et faire tout ce que M. Stark lui demandait sans broncher car sinon, qu'est-ce qui justifierait qu'il le garde ?
Peter n'était qu'un aimant à problèmes, il semait la pagaille et la désolation partout où il allait, pas étonnant qu'on veuille se débarrasser de lui…
— Peter ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Il ne voyait plus rien, il n'entendait plus rien hormis les battements erratiques de son cœur, il n'arrivait plus à respirer…
— Peter !
Il y avait un poids sur sa poitrine, il avait l'impression qu'on écrabouillait sa cage thoracique…
— Peter, regarde-moi. Regarde-moi !
Deux mains prirent son visage en coupe et le visage de M. Stark entra brusquement dans son champ de vision. Ses sourcils étaient froncés, mais Peter aurait été incapable de dire s'il était furieux ou effrayé.
— Peter, tu es en train d'hyperventiler, tu vas finir par tomber dans les pommes si tu ne respires pas... Écoute ma respiration et copie-moi, d'accord ?
On prit de force sa main et on la posa contre une poitrine derrière laquelle un cœur battait à toute vitesse — mais la respiration, elle, était calme. Profonde.
Inspirer….
Expirer…
— Voilà, c'est ça. Perfetto, bambino. Continue comme ça.
Il se forçait à suivre le rythme, à avaler de grandes gorgées d'air comme lorsqu'il avait échappé à la noyade, sauvé par Steve Rogers.
Mais cette fois-ci, Steve Rogers n'était pas là et l'homme qui serrait sa main très fort dans la sienne était son père…
Peu à peu, le poids qui entravait sa poitrine s'allégea et l'oxygène se remit à circuler dans ses poumons.
— C'est très bien. Bravo, Peter, murmura M. Stark et, sans que Peter s'y attende, il le serra contre lui avec tant de vigueur que ses épaules émirent un craquement inquiétant.
Son visage fut pressé contre son torse. Il entendait le cœur de M. Stark battre la chamade contre son oreille ; il le sentit davantage qu'il ne l'entendit murmurer avec douceur, comme s'il s'adressait à un petit enfant :
— Continue de respirer, Peter. Je suis là. Tu es là. On est là. Tout va bien.
Et alors, sans que lui-même ne puisse expliquer pourquoi, quelque chose céda en lui. Les larmes s'échappèrent avant même qu'il n'ait pu songer à les retenir, dévalant ses joues en nuées brûlantes — et ô combien salvatrices —, et il se mit à balbutier, la gorge serrée :
— J-j-j-j'ai cru q-que v-vous étiez parti, q-q-que vous ne reviendriez p-p-p-pas… que v-v-vous feriez comme eux…
— Je suis là, répéta M. Stark en posant une main douce, apaisante, contre sa nuque.
— V-vous êtes là, souffla Peter.
La main de M. Stark exécuta une légère pression contre la base de ses cheveux.
— N-n-ne me laissez pas, M. Stark… j-j-je suis d-désolé, je ne f-ferai plus la tête, je s-serai sage et j-je ferai t-tout ce que vous v-voulez, mais s'il vous p-plaît, ne partez pas, n-ne m'abandonnez pas…
— Hey, hey, hey, dit gentiment M. Stark en s'écartant légèrement de lui pour mieux reprendre son visage entre ses mains calleuses. Je ne te laisserai pas, d'accord ? Jamais. Quoi que tu fasses, tu es coincé avec moi. Et c'est plutôt à moi de te devoir des excuses, tu ne crois pas ?
Peter étouffa un hoquet de surprise. Le visage de M. Stark se fit plus grave et une expression étrange, presque douloureuse, figea ses traits.
— Je suis désolé de n'avoir pas été à la hauteur, Peter, dit-il et, pour la première fois depuis des jours, ses yeux sombres affrontèrent les siens. Je suis désolé de n'être pas venu encourager ton équipe, l'autre jour. Je suis désolé de t'avoir laissé tomber, alors que tu m'attendais à ton lycée, et je… je suis désolé de ne pas avoir été le père que tu mérites.
Peter cilla, n'en croyant pas ses oreilles. Les pouces de M. Star effleuraient ses joues avec délicatesse, essuyant les larmes qui continuaient d'y ruisseler, emportant avec elles tous les doutes, les peurs et les insécurités qui nourrissaient l'esprit de l'adolescent.
— J'aurais dû te le dire plus tôt, ajouta-t-il sans cesser de le regarder dans les yeux, lui permettant de s'ancrer dans le moment présent, d'oublier les fantômes qui remuaient à la périphérie de son champ de vision. Je voulais te le dire plus tôt, mais je… j'ai encore beaucoup de choses à apprendre. Mais ce n'est pas une excuse, et j'en ai parfaitement conscience.
— J-je ne veux pas que vous partiez, fut tout ce que Peter parvint à murmurer entre deux sanglots étranglés.
— Et je ne partirai pas. Jamais, lui assura M. Stark en l'étreignant à nouveau, plus doucement.
Peter hocha la tête. On ne l'avait jamais serré dans les bras ainsi, et il réalisait à quel point la chaleur que dégageait M. Stark — ainsi que son parfum où se mêlaient des touches de café fort et d'agrumes — avaient quelque chose d'incroyablement apaisant.
— Tu veux te remettre en route ? demanda M. Stark après quelques secondes de silence, non sans le relâcher maladroitement.
Peter regretta immédiatement son étreinte mais ne dit rien. Il ne voulait pas que M. Stark le prenne pour un bébé.
— D-d'accord, M. Stark.
L'homme lui coula un étrange regard mais, après avoir brièvement pressé son épaule, sembla de nouveau s'intéresser à l'itinéraire de leur randonnée.
— A gauche, je suis tombé sur un cul-de-sac. Essayons à droite, okay ?
Peter approuva silencieusement, essuyant les dernières larmes qui sillonnaient ses joues.
⁂
Après deux nouvelles heures de marche, M. Stark décréta qu'il était temps de faire une halte pour la nuit. Ils mirent environ trente minutes à dresser le campement (vingt-cinq minutes pour déchiffrer le mode d'emploi et cinq minutes pour laisser la tente composée de nanoparticules se dresser toute seule) et vingt minutes supplémentaires pour rassembler un petit tas de bois mort ; puis M. Stark insista pour que Peter reprenne une barre protéinée en attendant que le feu prenne.
Il venait tout juste d'avaler sa dernière bouchée lorsque M. Stark s'éclaircit bruyamment la gorge, l'air légèrement gêné. Il semblait débattre intérieurement, mais il demanda finalement, ses prunelles sombres se posant sur le visage de Peter :
— Dis-moi, petit… tout à l'heure, après que tu aies eu cette sorte de, euh, crise d'angoisse…
A ces mots, Peter eut l'impression que son estomac se recroquevilla sur lui-même.
M. Stark n'aurait jamais dû découvrir que tu étais sujet aux crises d'angoisse. C'était censé être un secret...
Mais M. Stark poursuivit, sans remarquer son trouble :
— … tu as dit quelque chose qui m'intrigue. Tu croyais que j'étais parti, que j'avais fait comme « eux »... de qui parlais-tu ?
— Oh, euh, c-ce n'était rien, M-M. Stark, juste une façon de parler… bredouilla Peter, mais il était évident que M. Stark ne le croyait pas :
— Tu parlais de ton ancienne famille d'accueil, n'est-ce pas ?
Peter fut tellement pris au dépourvu qu'il fut incapable de répondre.
— C-comment… balbutia-t-il finalement. Comment savez-vous…
— J'ai lu ton dossier, Pete. En long, en large et en travers, répondit M. Stark avec une gentillesse à laquelle l'adolescent n'était pas habitué.
L'adolescent baissa les yeux, fixa les flammes qui commençaient à lécher le bois qu'ils avaient ramassé un peu plus tôt.
— Alors, vous êtes au courant…
— Je ne sais pas grand-chose, répondit doucement M. Stark. Je sais seulement qu'un couple t'a adopté quand tu avais huit ans. Et que quelques mois plus tard, tu étais de retour à l'orphelinat.
Peter noua et dénoua nerveusement ses doigts.
— Est-ce que… est-ce que tu voudrais bien me raconter ce qu'il s'est passé ?
C'était une histoire que très peu de personnes connaissaient. Il y avait eu M. Stacy, bien sûr — c'était lui qui avait été chargé de l'enquête, à l'époque. Gwen avait également entendu l'histoire ; d'ailleurs, elle avait été la première à témoigner à Peter de la compassion, à essayer de le convaincre qu'il n'y était pour rien. Ned connaissait les grandes lignes, mais Peter n'était pas parvenu à entrer dans les détails avec lui. Il avait eu trop peur que le regard de son ami change en apprenant la vérité…
— Quoi que ce soit, je ne te jugerai pas, Peter, ajouta M. Stark comme s'il lisait dans ses pensées. Je serais bien mal placé pour ça.
L'adolescent se mordit l'intérieur des joues. M. Stark semblait sincère et, il devait bien l'admettre, quelque chose en lui brûlait de lui raconter l'histoire. De se débarrasser des flash qui empoisonnaient ses rêves, de partager ce fardeau avec quelqu'un qui était censé veiller sur lui...
Alors il se lança, sans toutefois oser regarder M. Stark dans les yeux :
— Très peu de gens adoptent des enfants de huit ans, vous savez. La plupart des familles préfèrent les très jeunes enfants. Les bébés. Les enfants plus âgés se souviennent encore de leurs parents, de leur ancienne vie, alors c'est plus difficile pour eux de s'adapter…
Il ne détachait pas ses yeux du feu, envoûté par les rubans de flammes jaune, orange et rouge vif qui se dépliaient et se mêlaient presque langoureusement.
— Mais eux… M. et Mme Reilly… ils étaient ravis d'adopter un enfant de huit ans. Ils disaient que… que chacun avait droit à sa chance et qu'il aurait été injuste qu'à cause de mon âge, je passe toute mon enfance à l'orphelinat.
Il avala difficilement sa salive. Sa bouche était sèche, mais il se força à continuer :
— Ils m'ont accueilli comme leur propre enfant. Comme leur propre fils. D'ailleurs, ils en avaient eu un. Un fils, je veux dire. Il était beaucoup plus âgé que moi, ça faisait déjà quelques années qu'il ne vivait plus chez eux, mais il leur rendait très régulièrement visite. Ils l'adoraient, et... et moi aussi. Il était... incroyable. Il me parlait comme si j'étais une sorte de petit frère, ou peut-être de neveu… C'était un adulte, vous comprenez ? Un adulte à qui je pouvais tout raconter. M. et Mme Reilly étaient très gentils, mais ils gardaient un rôle de parent. Avec Benjamin — c'était le nom de leur fils — c'était comme si j'avais une sorte de mentor… je n'avais jamais connu ça, avant.
Il sentit une larme traîtresse s'échapper de son œil et dévaler son visage. Il se détourna légèrement, dans le mince espoir que M. Stark ne remarque rien.
— Tout allait bien, tout le monde était heureux. Et puis un jour, je me suis disputé avec lui. Ce n'était pas grand-chose, vraiment une dispute idiote... la télé ne marchait plus, M. et Mme Reilly n'étaient pas là alors j'avais essayé de la réparer tout seul, mais j'avais failli m'électrocuter parce que je ne l'avais pas débranchée… je crois qu'il avait surtout eu très peur pour moi, mais c'était la première fois qu'il élevait la voix contre moi. Alors j'ai crié en retour et je… je me suis enfui.
Il renifla. De nouvelles larmes ruisselaient sur ses joues, mais il réalisa qu'il aurait été vain de chercher à les dissimuler.
— Je suis allé au premier endroit qui m'est venu à l'esprit. C'était une librairie où Ben aimait bien m'emmener, parce qu'ils avaient plein de comics et les libraires nous faisaient souvent des prix. J'y suis resté toute l'après-midi, je n'osais pas rentrer à la maison, je regrettais déjà de m'être énervé et j'avais tellement peur que Ben m'en veuille... elle était sur le point de fermer quand Ben est venu m'y chercher. On… on n'a même pas eu le temps de parler. Je n'ai pas pu lui dire pardon…
Il n'avait pas réalisé qu'il avait serré les poings, que ses ongles s'enfonçaient dans sa peau pour y dessiner de petites marques rouge vif.
— Des gens sont arrivés d'un coup, ils portaient des cagoules et des armes. C'était des braqueurs… j-je, je ne sais pas pourquoi ils étaient là, ni pourquoi ils avaient ciblé cette librairie. Je sais juste que… ils nous ont menacé et je… j'ai… je leur ai répondu. J-je… je ne pensais pas que… qu'ils pouvaient tirer. M-mais ils l'ont fait, ils n'ont même pas hésité…
— Ils t'ont tiré dessus ? demanda doucement M. Stark.
Peter hocha la tête.
— O-oui… sauf que la balle m'a à peine effleuré.
Sa voix se brisa.
— C'est Ben qui l'a reçue. En pleine poitrine. Il s'était interposé entre eux et moi. Il… il s'est effondré d'un coup, ses vêtements étaient mouillés et rouges, tellement rouges... après ça, c'est c-comme si c'était u-un… un cauchemar… il y avait tellement de sang, M. Stark, et c-cette odeur… je croyais que quelqu'un allait arriver, que quelqu'un allait nous sauver, mais rien ne s'est passé, et je ne pouvais rien faire — je n'ai rien fait, j'aurais du faire quelque chose…
— Tu avais huit ans, murmura M. Stark.
Peter sursauta. Il n'avait pas réalisé que M. Stark s'était agenouillé à côté de lui et le fixait avec inquiétude.
— J'aurais dû faire quelque chose, insista Peter. C'est moi qui aurais dû m'interposer. Ben avait un avenir… des parents qui l'aimaient, une fiancée, un travail… alors que moi, je n'étais qu'un orphelin qu'un couple avait accepté de prendre sous leur toit… c'est moi qui aurais dû mourir ce jour-là, pas lui.
— Peter…
— C'est ce que M. et Mme Reilly m'ont dit, insista Peter. Ils ne sont venus me chercher que le lendemain, j'ai passé la moitié de la nuit à la police et l'autre à l'hôpital. Ils étaient effondrés… ils… ils m'ont dit que c'était de ma faute… que c'était à cause de moi q-q-que B-Ben était venu à la l-librairie, que s-sans moi il aurait été toujours e-en vie et c-c'est vrai… si je ne m'étais pas enfui…
— C'était un accident, Peter, dit doucement M. Stark en pressant sa main entre les siennes. Tu n'aurais rien pu faire. Tu n'étais qu'un enfant…
— A partir de ce jour, ils m'ont interdit de les appeler par leur prénom. Je… je n'étais plus le bienvenu chez eux. Et quelques jours plus tard, ils… ils m'ont dit de faire mes v-valises, q-qu'on partait en voyage… ils m'ont déposé sur un p-parking, ils m'ont dit qu'ils a-allaient revenir, m-m-m-mais ils ne sont j-j-j-jamais revenus…
— Oh, Peter…
M. Stark se pencha vers lui et, comme il l'avait fait quelques heures plus tôt, le serra contre lui.
Mais cette étreinte là était très différente. Elle était dépourvue de cette hésitation, cette maladresse qui semblaient s'attacher aux gestes de M. Stark. Elle était… spontanée. Naturelle.
Paternelle.
— Je suis désolé, Peter, lui murmura M. Stark en le berçant très doucement. Je suis désolé que tu aies vécu ça.
— C-ce n'est pas de v-votre faute…
— J'aurais dû… j'aurais dû savoir. Si j'avais su, Peter, je te promets — je te jure — que jamais, jamais je ne t'aurais laissé là-bas… jamais…
— V-vous ne pouviez pas… personne ne savait…
— Je suis désolé, répéta M. Stark, et Peter comprit que ses excuses allaient au-delà de son récit. Je suis désolé d'avoir été un père aussi lamentable, de t'avoir si mal accueilli chez nous, mais je te promets qu'à partir de maintenant, je ferai de mon mieux, d'accord ? Je ne te laisserai plus tomber. Plus jamais. Capisce, bambino ?
Peter laissa échapper un léger rire — ou peut-être était-ce un sanglot, lui-même n'aurait su le dire.
— D-d'accord, M. Stark…
— Tony, corrigea M. Stark.
— Que… quoi ?
— Tony. C'est mon prénom. Et à partir de maintenant, c'est le seul nom que j'accepterai de ta part. Je ne veux plus t'entendre m'appeler M. Stark ni me vouvoyer, c'est bien compris ?
— Mais… je…
— Je sais que tu préfères m'appeler Monsieur, que c'est ce dont tu as l'habitude, que tes anciennes familles te forçaient à utiliser ce terme mais je ne veux plus que tu l'utilises. C'est… euh, c'est ton père qui te le demandes.
Peter ferma de nouveau les yeux. Cette fois-ci, il fut persuadé que le frémissement qui effleura ses lèvres était un début de sourire.
— D'accord, alors, euh… T-T-Tony.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il s'aperçut que M. Stark souriait aussi — quoi que son expression se teintait d'une profonde tristesse qui lui remua le cœur.
