Hello hello !
Eh oui, j'ai pu terminer ce chapitre à temps !
et c'est sûrement l'un de mes chouchous, je sais que je le dis tout le temps mais j'ai vraiment ADORÉ l'écrire !
je n'en dis pas plus, je vous souhaite seulement une bonne lecture ;)
S'il devait être honnête avec lui-même, Peter n'avait pas réellement envie de désobéir à Tony. Il rechignait à laisser Spider-Man de côté, mais il n'était pas certain que le jeu de la rébellion en vaille la chandelle : la perspective de s'attirer les foudres de son père lui procurait un désagréable pincement au fond de la poitrine, mêlé d'une panique qui débordait de son cœur comme une casserole d'eau laissée trop longtemps à ébullition.
Il ne voulait pas prendre le risque de gâcher leur complicité naissante.
Alors Peter ravala sa frustration et, durant six jours, obéit scrupuleusement aux ordres de Tony. A la sortie du lycée, Happy l'attendait pour le ramener à la Tour ; dans la voiture, Peter babillait à propos de ses cours, du Décathlon, de Ned et de MJ, évitant soigneusement tous les sujets qui auraient pu susciter les soupçons du chauffeur. De retour dans sa chambre, il faisait ses devoirs et passait ensuite la soirée avec Natasha, Clint ou Steve, leur faisant découvrir ses films et séries préférés autour de plateaux repas qui auraient donné des vertiges à un nutritionniste. (Natasha affirma qu'elle-même avait manqué de faire une crise cardiaque, la première fois qu'elle vit Peter engloutir une pizza hawaïenne.)
La seule liberté qu'il s'octroyait était d'écouter, tous les soirs, les échanges de la police new-yorkaise à l'aide du talkie-walkie que Gwen lui avait offert, des semaines plus tôt (il avait l'impression que cela datait d'une autre vie). Constatant rapidement qu'ils ne semblaient pas avoir besoin de Spider-Man, il éteignait le petit appareil, le glissait sous son oreiller et s'endormait, s'efforçant de vider son esprit pour tenir les cauchemars à distance.
Tony lui écrivait de temps à autre, mais ne l'appelait pas — et ses messages restaient brefs, seulement quelques mots probablement tapés à la va-vite entre deux réunions. Sois sage, ne mets pas les pieds sur la banquette de la voiture de Happy, lave-toi bien les dents et ne laisse pas trop de désordre dans le laboratoire.
— Il ne doit pas avoir une seule seconde à lui, fit observer Steve.
— Mais il ne nous lâche pas d'une semelle pour qu'on lui fasse un compte-rendu de tes journées, ajouta Clint avec un clin d'œil. T'inquiète, ton vieux ne t'oublie pas !
Peter ne tarda pas à réaliser que Tony lui manquait. Ses silences maladroits, ses regards perçants, ses demi-sourires de guingois, l'attachement qu'il devinait derrière ses plaisanteries et ses non-dits… la présence de Tony était rassurante, elle lui donnait l'impression d'être en sécurité. A la maison. Malgré l'omniprésence de Natasha, Clint et Steve, la Tour paraissait étrangement vide sans lui. Peter se surprenait, parfois, à guetter sa silhouette dans la cuisine pendant que son bol de chocolat réchauffait dans le micro-ondes. Il avait envie de le voir, de sentir sa main s'abattre sur son épaule et d'entendre sa voix lui demander, l'air de rien, comment se passait le Décathlon et s'il comptait inviter un jour MJ à dîner…
Les jours s'égrenèrent ainsi, à la fois très rapides et très lents, jusqu'à ce qu'arrive le samedi soir. Steve était parti boire un verre avec l'une de ses amies, pendant que Natasha et Clint étaient restés dans le salon, jouant au poker en misant des billets de monopoly qu'ils avaient dénichés dans une commode. Après s'être assurés qu'il ne répéterait rien à Tony, ils avaient appris à Peter les règles du jeu, chacun y allant de son conseil pour l'aider à bluffer — mais malgré son enthousiasme, l'adolescent avait toutes les peines du monde à dissimuler son excitation ou sa déception face aux cartes qui lui étaient attribués.
Lorsqu'il perdit l'intégralité de sa mise pour la troisième fois consécutive, Natasha suggéra qu'il était peut-être temps qu'il aille au lit.
— Tu es encore un peu trop jeune pour devenir un joueur invétéré, Pete, dit-elle en lui adressant l'un de ses sourires qui lui faisaient presque oublier son propre prénom.
— Et puis Stark Senior rentre demain, il ne faudrait pas que tes cernes lui mettent la puce à l'oreille sur la nature de nos activités nocturnes. Hop hop hop, au lit, Junior !
Peter protesta brièvement, mais consentit finalement à rejoindre sa chambre. Natasha et Clint lui adressèrent chacun un signe de la main avant de reprendre leur jeu, les yeux brillants et les sourires légèrement alanguis. Les bières qu'ils partageaient depuis le début de la soirée ne devaient pas y être étrangères.
Fidèle à ses habitudes des jours passés, Peter alluma le talkie-walkie et l'écouta distraitement en se brossant les dents. Au début, il n'y eut que les grésillements habituels et les bavardages d'usage des policiers, mais ils furent brusquement interrompus par une voix qui tonna comme un coup de tonnerre, agitée de tremblements qui trahissaient sa panique.
« Je vous dit qu'elle a été enlevée ! Elle n'est pas rentrée du lycée et j'ai reçu un e-mail bizarre, me disant de me rendre dans un entrepôt de Red Hook avec cent mille dollars en petite coupure et de ne surtout pas prévenir la police… »
Peter fronça les sourcils. Il avait l'impression d'avoir déjà entendu cette voix quelque part.
« Il faut faire quelque chose, je ne peux pas le laisser lui faire du mal ! C'est ma fille, nom de Dieu ! »
La brosse de Peter retomba bruyamment dans le lavabo, éclaboussant l'émail blanc de dentifrice mousseux.
Il venait de reconnaître le propriétaire de cette voix.
« Il faut qu'on y emmène une patrouille, mais j'entrerai seul dans le bâtiment » poursuivit George Stacy d'une voix blanche. « Vous me couvrirez. Je refuse qu'on fasse courir le moindre risque à Gwen ! »
⁂
Grâce aux indications de Georges Stacy, Peter n'eut aucun mal à repérer le hangar dans lequel se trouvait le ravisseur de Gwen. Il s'agissait d'une bâtisse en briques rouges, perchée au bord de la péninsule dont l'eau se moirait de reflets argentés sous la lumière des étoiles. La porte d'entrée était verrouillée et des planches en bois étaient clouées aux fenêtres, mais Peter repéra rapidement un système de ventilation dans lequel il pourrait aisément se faufiler.
— Ewww, pourquoi les conduits d'aération ne pas comme dans les films : immenses et super propres ? geignit-il en rampant dans un tube envahi de poussière et de toiles d'araignées qui déposaient un voile grisâtre sur son costume. Karen, est-ce que tu as repéré quelque chose ?
— Je détecte deux présences au troisième étage. D'après leurs corpulences respectives, il s'agirait d'un homme d'environ une quarantaine d'année et d'une jeune fille de ton âge.
— Gwen, murmura Peter en accélérant sa course, s'éraflant les coudes et les genoux à travers le tissu de son costume.
Il était difficile d'avancer discrètement ; des rats fuyaient sur son passage, le tube étroit grinçait de façon inquiétante sous son poids. Après plusieurs minutes à tourner en rond en jurant à voix basse, il parvint finalement à s'extraire du conduit d'aération et se retrouva à quatre pattes sur le plafond d'une pièce encombrée de cartons, quelque part au niveau du quatrième étage.
Il n'eut pas le temps de chercher l'escalier qui le mènerait au troisième étage : la porte bascula soudainement et un homme s'engouffra dans la pièce, un étrange sourire dessiné sur le visage. Ses dents blanches semblaient briller dans la pénombre.
— Spidey, Spidey, je sais que tu es ici… murmura-t-il alors que ses yeux parcouraient avidement la pièce. Où es-tu, petite araignée ? Inutile de te cacher, j'ai reconnu ta délicieuse odeur d'insecte…
Bien que son cœur tambourinait de toutes ses forces contre sa cage thoracique, Peter n'eut qu'une fraction d'hésitation avant de répondre :
— Plus haut, tête d'œuf !
L'homme sourit de plus belle et redressa le visage.
Peter fronça les sourcils sous son masque. Les traits de l'homme lui étaient inconnus, mais il y avait cette lueur familière au fond de ses yeux injectés de sang… cette lueur rougeâtre et doucereuse, qui allumait une sirène d'alarme au fond de son corps…
Il avala sa salive et rassembla tout son courage pour demander, avec toute la férocité qu'il avait en réserve :
— Où est Gwen ?
— Ne t'inquiète pas, je n'ai pas touché à la petite. Elle est saine et sauve, simplement un petit peu sonnée. Je m'excuse de m'être abaissé à de telles extrémités, mais j'ai pensé que la fille d'un capitaine de la police serait idéale pour te débusquer de ta tanière. Tu étais aux abonnés absents, ces derniers jours… je me doutais qu'une victime innocente te pousserait à enfin mettre le nez dehors.
— Qu'est-ce que vous me voulez ? Si c'était pour un autographe, vous auriez simplement pu me demander, rétorqua Peter sans ciller.
L'homme éclata de rire.
— Ce que je veux ? Mais toi, Spider-Man. Toi, tout entier. Ton corps… ton âme… tout. Tes pensées, tes désirs, ta force...
Il sembla se pourlécher les lèvres.
— Oh oui, Spidey, tu seras bien plus intéressant que tous les crétins que j'ai rencontrés jusque là.
Et sans la moindre sommation, il exécuta un formidable bond et se jeta sur Peter.
Ses sens aiguisés ne le prévinrent qu'au dernier moment et Peter eut tout juste le temps de lever les bras pour se défendre, avant que le corps de l'homme ne heurte violemment le sien. Ils atterrirent violemment par terre et roulèrent l'un sur l'autre dans un enchevêtrement confus de bras, de jambes et de toiles d'araignée qui frôlaient leur cible sans parvenir à l'arrêter. Peter se débattit, rua de toutes ses forces, mais la main de l'homme parvint à se refermer sur son crâne et le cogna brutalement contre le plancher, une fois, deux fois, trois fois.
A la quatrième fois, Peter fut persuadé de voir des étoiles danser la farandole dans l'obscurité du hangar.
« Peter, il y a une présence extra-terrestre sur cet homme qui essaie de se déposer sur toi. Je lui bloque tout accès à ton costume » dit la voix lointaine de Karen.
Schwartzy. Le sujet d'étude numéro 853 de Tony.
Il l'avait retrouvé, finalement… il n'était pas allé bien loin. Il n'avait même pas quitté la ville.
Peter en aurait presque ri, si l'homme ne s'était pas mis en tête de passer les mains autour de son cou pour l'étrangler.
Il ressembla toute ses forces pour se dégager et le repousser en arrière. L'homme atterrit de plein fouet sur une pile de cartons qui dégringola sur lui dans un fracas poussiéreux. Peter crut entendre des sirènes de police, au loin, mais il n'en était pas certain ; l'adrénaline perturbait ses sensations, les pulsations de son cœur se répercutaient en échos douloureux dans son crâne, éclipsant tout le reste.
La montagne de cartons frémit. L'instant d'après, l'homme en émergea ; de curieuses traînées noires striaient sa peau, son visage, ses cheveux.
— Tu es fort, Spidey, mais tu ne pourras pas me repousser éternellement, susurra-t-il en s'ébrouant lentement.
— Ouais, c'est ce qu'ils disent tous, répliqua Peter en pressant furieusement son poignet.
Cette fois-ci, les toiles atteignirent leurs cibles et clouèrent les bras de l'homme aux murs. Son visage se fendit d'un nouveau sourire qui fit naître un frisson d'appréhension sur la nuque de Peter.
— Je trouverai un moyen de t'atteindre… je suis si proche du but, Spider-Man… si proche… et lorsque j'aurai enfin percé tes défenses, tu n'essayeras même pas de me combattre, car je serai toi et tu seras moi… n'as-tu pas hâte de te lier à moi ? De pouvoir laisser librement éclater toute cette violence que tu réprimes en toi ?
Peter refusa d'en écouter davantage. Après avoir bâillonné l'homme d'une nouvelle toile, il se précipita hors de la pièce et se jeta dans la cage d'escalier, écoutant les instructions de Karen pour retrouver Gwen.
Son amie ne semblait pas blessée. Recroquevillée sous une fenêtre condamnée par une planche en bois, elle tremblait de tous ses membres, les poignets et les chevilles liées par des cordes, mais il n'y avait aucune trace de contusion sur son visage ou ses bras nus.
Peter s'agenouilla près d'elle et s'empressa de défaire ses liens. Elle le contempla d'un air hébété, les yeux immenses au milieu de son visage très pâle.
— P-Peter… c'est toi ?! souffla-t-elle. Je ne suis pas en train de rêver ?
Il retira son masque. La jeune fille poussa aussitôt un profond soupir de soulagement, suivi d'un hoquet, lui-même suivi d'un nouveau hoquet qui la fit trembler de la tête aux pieds.
Il fallut plusieurs secondes à Peter pour comprendre qu'elle pleurait.
— Oh, Peter, c'est horrible… c-cet homme… mon père l'avait arrêté, il y a quelques semaines, pour conduite en état d'ivresse et outrage à agent… Il lui avait dit qu'il se vengerait, mais je ne pensais pas q-q-que… je rentrais juste du lycée, j'ai senti une piqûre dans mon cou, et ensuite… je… je… je me suis réveillée ici… je n'ai rien pu faire...
— Il ne t'a pas… frappée, ou, euh… t-touchée ? demanda Peter, essayant de combattre la terreur qui menaçait de prendre possession de son cœur à l'idée qu'il ait pu lui faire du mal.
Elle secoua vivement la tête, et une vague de soulagement se répandit dans ses veines.
— N-non… c'est à peine s'il m'a adressé la parole. Il m'a juste attachée et m'a dit de rester tranquille, que si son plan fonctionnait, il ne m'arriverait rien. Je n'avais aucune idée de ce qu'il comptait f-f-faire… j'ai eu si p-p-peur…
— T'en fais pas, je me suis chargé de lui, lui assura Peter en achevant de la libérer. Il est là-haut, ficelé comme un saucisson. Il ne peut plus te faire de mal.
Dès qu'elle fut détachée, Gwen se jeta dans ses bras, secouée de violents sanglots. Peter la serra aussitôt contre lui, soulagé d'entendre les battements de son cœur et inspirant à pleins poumons son parfum — elle sentait le vieux bois, la transpiration et l'odeur familière du shampoing qu'ils partageaient, naguère.
— T-t-t-tu m'as sauvée… hoqueta-t-elle en répandant ses larmes — et d'autres liquides d'aspect relativement gluant — sur son torse. Oh, Pete, si tu n'avais pas été là…
— C'est normal. Jamais je te laisserai tomber, répondit Peter en resserrant son étreinte. Je l'ai promis à ton père… Tu te souviens ? Tant que je serais là, personne ne te fera jamais de mal.
— Tu ne devrais pas... c'était une promesse idiote et égoïste, il n'aurait jamais dû… oh, Pete… je suis tellement désolée…
Elle semblait incapable de se calmer. Comprenant qu'elle était en état de choc, Peter remit son masque et la prit dans ses bras pour l'emmener hors du hangar.
— Merci, Peter, renifla-t-elle en nouant les bras autour de son cou. Mais… et toi ? Tu n'es pas blessé ? Excuse-moi, j'aurais dû te le demander plus tôt…
— Rien que des égratignures, lui assura-t-il.
Ce n'était pas un mensonge. Son front palpitait douloureusement, là où l'homme l'avait frappé, mais il n'avait rien qui nécessitait l'intervention de Bruce.
Après avoir déverrouillé la porte du hangar et l'avoir ouverte d'un coup de pied, Gwen et lui furent accueillis par les lumières aveuglantes du NYPD.
— Police, ne faîtes plus un geste !
— N-Non, ne tirez pas ! hurla Gwen en se débattant pour que Peter la repose par terre. C'est moi, Gwen, Gwen Stacy ! Je suis avec Spider-Man !
— Gwen ?
Une silhouette se détacha de la cohorte de voitures de police garées au bord de la péninsule. La première chose que vit Peter fut la moustache, puis les yeux bleus, fous d'inquiétude et de terreur, de George Stacy.
— Gwen, ma chérie, c'est toi ?!
— Il m'a sauvée ! s'empressa-t-elle de dire alors qu'il se précipitait vers elle, sans que son arme ne dévie d'un millimètre de la poitrine de Peter. Spider-Man m'a sauvée, Papa ! Tu ne dois pas lui faire de mal !
— Un paquet surprise vous attend au quatrième étage du hangar, ajouta Peter d'un ton léger. Emballé à votre attention. Peut-être un peu amoché, mais encore pleinement conscient.
George Stacy sembla sceptique, mais consentit à abaisser légèrement son arme. Il reporta très rapidement son attention sur Gwen, passant la main sur son visage, s'attardant sur la crasse qui maculait ses mèches blondes. Bien qu'elle ne cessait de répéter qu'elle n'avait rien, il pâlit en apercevant les marques rouge vif que les cordes avaient laissées autour de ses poignets.
— J'ai besoin de médecins, tout de suite ! Ma fille est blessée !
— Je vais bien, P'pa, protesta Gwen, mais Peter ne put qu'approuver l'arrivée de deux femmes en blouse blanche qui arrachèrent Gwen à son père pour l'envelopper dans une couverture dorée et froufroutante.
— Ne bouge pas, ma chérie, je reviens tout de suite. Harper, Cook, vous venez avec moi. D'après Spider-Man, notre ravisseur se trouve au quatrième étage. Il ne devrait pas nous opposer de résistance, mais restez sur vos gardes.
— Et surtout… de rien, murmura Peter alors que des policiers passaient devant lui sans lui adresser un regard, s'engouffrant dans le hangar à la suite de George Stacy. C'était un plaisir de vous aider.
— Tu devrais rentrer chez toi, Spider-Man, dit une policière dans son dos, le faisant sursauter. D'après la procédure, on devrait t'embarquer avec nous pour recueillir ton témoignage, et je doute que tu en aies très envie. Je serais toi, je me ferais la malle pendant qu'il en est encore temps.
— Oh… euh, oui, effet.
— Merci pour ton aide, ajouta-t-elle en esquissant un mince sourire. Ce n'est pas rien, d'avoir sauvé la fille du capitaine. Il saura s'en souvenir.
Peter chercha Gwen des yeux. Entourée de médecins, elle se laissait examiner en faisant la grimace. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle lui adressa un léger hochement de tête et leva discrètement le pouce.
Alors sans plus attendre, Peter repartit en direction de la Tour des Avengers.
⁂
Il ne souvenait pas que le trajet était si long. Son corps lui faisait mal, les dizaines de bleus qu'il avait récoltés pendant son affrontement avec le ravisseur de Gwen semblaient s'être réveillés d'un seul coup. Il croyait voir des lumières crépiter dans le ciel ; il ne savait pas si c'était la migraine qui lui jouait des tours, ou s'il y avait réellement tant d'étoiles filantes qui explosaient dans la nuit printanière.
Il était persuadé d'avoir seulement entrebâillé la fenêtre de sa chambre avant de s'enfuir de la Tour ; pourtant, lorsqu'il la rejoignit, elle était grande ouverte, les rideaux ondulant légèrement sous les assauts du vent.
Saisi d'un curieux pressentiment, Peter s'engouffra dans la pièce et retira son masque, grimaçant lorsque celui-ci s'accrocha à une mèche de cheveux près de son oreille gauche. Il le jeta sur son lit et nota que ses draps étaient défaits, comme si quelqu'un les avait secoués pour s'assurer qu'il ne s'y cachait pas.
Il n'eut pas le temps de réfléchir à la signification de cet élément.
Quelqu'un alluma la lumière et il eut brusquement l'impression qu'une salve de lave s'engouffra dans ses yeux.
— Aaaahhh !
— Bon retour parmi nous, Peter.
Il se frotta les paupières, cligna les yeux à toute vitesse pour habituer sa vision à la soudaine luminosité ambiante.
Tony Stark était là. Debout dans l'embrasure de la porte, le visage étrangement impavide, les yeux rivés sur lui. Il portait l'un des costume qu'il avait emporté au Canada et qui lui conférait une allure curieusement imposante. Ce Tony en veste, gilet et cravate noires paraissait très différent du Tony en sweat-shirt AC/DC qui prenait ses petits-déjeuners avec lui en essayant de lui expliquer les subtilités des grains de café qu'il entreposait dans d'énormes bonbonnes rangées derrière les plans de travail.
— T-Tony ? Tu n'es pas au Canada ? Je croyais que tu ne devais rentrer que demain, qu'est-ce que tu… commença Peter, mais quelque chose, dans le regard de l'homme, le poussa à se taire.
— Effectivement, j'aurais dû rentrer demain, mais notre dernière réunion s'est terminée plus tôt que prévue et j'ai pu avancer mon vol de quelques heures. Nat et Clint étaient au courant, mais ils pensaient que ça te ferait plaisir d'avoir la surprise. Merveilleuse idée, n'est-ce pas ?
Il fit un pas en avant. Par réflexe, Peter en fit un en arrière.
— Je suis rentré il y a une heure. Natasha et Clint m'ont dit que tu étais déjà au lit, mais que tu n'étais peut-être pas encore endormi. Imagine ma surprise, lorsqu'en entrant dans ta chambre, j'ai pu constater qu'il n'y avait absolument aucune trace de toi… ni de ton costume. Tu sais, ce costume que je t'avais strictement interdit de mettre ?
— J-je… euh…
Tony avança de nouveau. Peter voulut reculer, mais il avait atteint le mur et ne put qu'y presser son dos en grimaçant.
— Évidemment, j'ai aussitôt demandé à Friday de localiser Karen. Et c'est là que les choses deviennent très amusantes…
Mais Tony n'avait jamais eu l'air aussi peu amusé de sa vie.
— La géolocalisation de Karen indiquait qu'elle se trouvait encore ici. Dans cette pièce. Alors j'ai voulu pousser mes investigations, lui demander davantage de précisions sur toi, ta santé, ton rythme cardiaque, n'importe quoi qui aurait pu m'aider à savoir que tu étais encore vivant. C'était très malin, de programmer Karen pour qu'elle me donne une localisation bidon, mais tu aurais peut-être dû pousser les choses un peu plus loin et la programmer également pour qu'elle me donne de fausses informations sur ta santé. J'aurais peut-être pu croire que tu étais effectivement encore quelque part dans la Tour. A la place… elle était incapable de me dire quoi que ce soit. Rien. Nada. Ni si tu allais bien, ni si tu étais en danger, encore moins si tu étais blessé… comme si tous ses protocoles de sécurité avaient été désactivés.
Peter fut saisi d'un frisson. Le visage de Tony était toujours imperturbable, mais il était impossible de passer à côté de la lueur furieuse qui flamboyait au fond de ses prunelles.
— Ce… c'était… je ne courais aucun danger, protesta l'adolescent dans un filet de voix. J-je te le promets…
Un tic nerveux agita l'œil gauche de Tony et, peu à peu, Peter vit avec horreur son masque imperturbable se fissurer. Son visage se durcissait, une colère froide et silencieuse se répandait sur chacun de ses traits.
— Non, Peter. Tu ne peux pas me regarder droit dans les yeux et me faire la moindre promesse. Pas après ce soir.
— M-Mais… je devais… il fallait que j'y aille ! Gwen était en danger, et je ne pouvais pas…
— Tu ne pouvais pas quoi, Peter ? Tu ne pouvais pas quoi ? Bon sang, tu vis dans une Tour remplie de super-héros ! Il y en avait deux dans la pièce juste à côté ! Tu ne pouvais pas ouvrir la porte et leur dire "au fait, ma copine s'est fait kidnapper, est-ce que vous pouvez la sauver" ? C'était trop te demander ?
— Je n'ai pas pensé…
— Oh non, tu n'as pas pensé. Tu t'es envolé dans la nuit, et tu n'as pas pensé qu'à cause de toi, elle aurait pu être blessée. Que tu aurais pu être blessé. Mais qu'est-ce que tu as dans la tête ?!
— Je n'aurais pas…
— Et si l'un de vous deux s'était fait tuer ? Si TOI, tu t'étais fait tuer, Peter ?
— C'était un risque à…
— Oh non. Je te DÉFENDS de terminer cette phrase. Tu ne peux pas… si tu étais mort, Peter, tu crois qu'il se serait passé quoi ? Que Nat et Clint seraient tombés dans les bras l'un de l'autre en pleurant de joie ? Qu'ils ne se seraient pas haïs chaque putain de jour du reste de leur vie en regrettant de t'avoir fait confiance, au lieu de t'enfermer dans ta chambre à double tour ? Que la petite Stacy aurait pu continuer de se regarder dans un miroir en sachant que tu te serais sacrifié pour elle ? Que je… que MOI, j'aurais pu continuer de… de…
Mais les mots semblaient lui échapper. Il inspira profondément et reprit, une octave plus bas :
— Quand je t'ai fabriqué ce costume, je ne me suis pas amusé à y mettre quatre-vingt programmes de sécurité pour le simple plaisir de réfréner tes ardeurs d'adolescent super-héros. C'était notre accord. Je te laisse être Spider-Man, je n'interfère pas dans tes petites missions, mais je supervise ce que tu fais et j'interviens si c'est nécessaire. Ta confiance contre la mienne.
Peter n'aurait su expliquer pourquoi, mais ce furent ces derniers mots, plus que le reste, qui lui donnèrent envie de pleurer.
— T-Tony… commença-t-il, mais son père l'interrompit sèchement :
— Je n'ai pas fini de parler. Tu savais que Rhodey m'avait dit que ce n'était pas raisonnable ? Que ce serait mieux que j'attende ta majorité pour te fabriquer un costume ? Il m'a assuré qu'il serait plus responsable de ma part de veiller à ce que tu réussisses tes études et que tu atteignes tes dix-huit ans en un seul morceau, plutôt que de t'encourager dans tes velléités de super-héros. Au final, il avait sûrement raison…
— Tony… répéta Peter en sentant son cœur gonfler, former une boule inextricable dans sa gorge. S-S'il te plaît…
— Voilà ce que nous allons faire, Peter. Tu vas retirer ton costume et me le rendre. Je vais le reprogrammer pour être certain que ton petit piratage n'ait laissé aucune séquelle, et je le rangerai dans un endroit où je serais sûr que tu ne pourras pas le reprendre.
Peter voulut protester, mais il s'aperçut que plus aucun mot ne parvenait à traverser la barrière de ses larmes.
— Ensuite, tu vas me faire le plaisir d'aller au centre médical. Bruce te fera un check-up complet. Non, ce n'est pas négociable, dit-il sèchement en voyant Peter secouer la tête. Tu as une plaie sur le front, et puisque je n'ai pas accès aux données médicales de ton costume, je n'ai aucune idée de l'ampleur de tes blessures. Tu y passeras la nuit s'il le faut, mais je veux être certain que tu n'aies aucune blessure. Quand Bruce t'aura remis sur pied et t'aura donné son autorisation, tu retourneras au lycée. Après tes cours, tu reviendras directement ici, soit accompagné par Happy, soit en métro. Friday monitorera tes allers et retours, et je ne tolérerai AUCUN détour. Tu devras aussi t'excuser auprès de Natasha et de Clint : à cause de toi, ils ont passé la dernière heure à sillonner New-York à ta recherche. Oh, et tu es privé de sortie jusqu'à nouvel ordre. Mmhh, voilà, je crois que je n'ai rien oublié.
Peter lutta pour ravaler ses sanglots et parvenir à articuler, d'une petite voix tremblante :
— C-combien de temps ?
— Combien de temps quoi, Peter ?
— L-Le costume. Quand est-ce que je pourrai le… le reprendre ?
Tony poussa un profond soupir. Il avait l'air très fatigué, tout à coup.
— Quand je jugerai que je pourrai à nouveau te faire confiance.
Il releva les yeux, les plongea dans ceux de Peter. A travers ses larmes et sa détresse, l'adolescent ne put s'empêcher de se demander si, un jour, le même réseau de rides creuserait son regard pour y conférer une lassitude semblable à celle qui soulignait les prunelles de son père.
Puis Tony cilla et la colère reprit le dessus au fond de ses yeux sombres.
— Et si ça doit attendre ta majorité… eh bien, nous aurons une bonne raison d'ouvrir le champagne pour tes dix-huit ans.
