Hello !
J'espère que vous allez bien ! Ici ouiii, je suis très contente d'avoir eu le temps de reprendre un peu cette histoire ! Même si elle s'approche de son terme, je suis heureuse du chemin parcouru :) plus d'un an d'écriture et 110.000 mots, c'est un record personnel haha ! Et c'est grâce à toutes vos lectures et retours :)
Bonne lecture !
Peter était piégé dans un cauchemar.
Sa poitrine était prise dans un étau, il étouffait. Des sentiments terribles l'assaillaient, la haine dévorait ses pensées, la douleur se répercutait jusqu'à ses os.
Il ne t'aime pas. Il n'est pas ton père. Il n'a jamais voulu de toi.
Sa raison était engloutie par la colère, le ressentiment, la faim. Il ne voyait en Tony qu'un ennemi : un père qui l'avait abandonné, qui l'avait repoussé, qui n'avait pas su guérir les blessures infligées par d'autres avant lui — à cause de lui.
Les mauvais moments repassaient en boucle dans son esprit, effaçant tout le reste. La foule des parents d'élèves qui encourageait ses camarades lors du Décathlon inter-lycée, mettant en évidence le siège vide de Tony ; l'odeur d'alcool qui se mêlait à son souffle certains matins ; ses gestes d'affection qui s'arrêtaient à mi-chemin, n'osant lui apporter la tendresse dont il avait désespérément besoin ; sa poigne qui l'éloignait de Skip, comme s'il préférait protéger celui qui avait brisé une partie de son enfance plutôt que de le protéger lui…
Il était trop tard pour les excuses, trop tard pour les explications. Son sang bouillonnait, il devait se débarrasser de Tony.
Il devait… il devait…
Le premier tintinnabulement de la cloche interrompit brutalement ses pensées. Un cri d'agonie s'éleva dans la nuit ; il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser qu'il provenait de sa propre gorge. Par réflexe, il avait plaqué les mains sur les oreilles, cherchant à échapper à la douleur qui vrillait ses tympans.
— Peter ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
A travers le tintamarre qui martelait son crâne, il entendit Gwen crier :
— Les cloches, M. Stark ! C'est le bruit des cloches qui lui fait cet effet !
— Les clo… Bon sang, tu as raison… on dirait bien que cet alien est misophone !
— Miso-quoi ? Vous voulez dire qu'il n'aime pas les femmes ?
— Non, pas misogyne : misophone ! Sensible aux bruits !
— Ooohh !
Peter voulait leur dire de se taire. Il avait l'impression que quelque chose coulait sur sa peau — une matière noire, visqueuse, qui s'étirait en filaments répugnants entre ses doigts.
La cloche sonna une nouvelle fois et la douleur foudroya son crâne.
— AaaAAAARRRRRGHHHH !
Il n'avait pu retenir un nouveau hurlement. Son corps se tordait, parcouru de spasmes ; il avait la certitude que l'on tailladait ses nerfs avec une lame de rasoir.
Tony cria quelque chose à Gwen. Elle répondit sur le même ton et ses pas s'éloignèrent précipitamment dans la nuit.
Il n'y avait désormais plus que Tony et Peter sur le toit du lycée.
Le premier s'était accroupi près du second (quand était-il tombé par terre ?), le visage près du sien, et Peter fut surpris de reconnaître le sentiment qui se reflétait dans ses prunelles : ce n'était pas de la haine, ni de la colère, ni même l'indifférence.
C'était de l'inquiétude. Une inquiétude sincère, mêlée d'une tendresse qui déboussola l'adolescent.
— Hey, Peter, murmura son père en posant les mains de chaque côté de son visage, ignorant les traînées noires qui jaillissaient de sa peau — symbiote mêlé de larmes.
— Je… je…
Un nouveau spasme le traversa.
Non, non, nous sommes unis, Peter ! Ne le laisse pas nous séparer !
— Nnggh… l-laisse-moi…
— Trésor, regarde-moi… je sais que tu m'entends, que le Peter que je connais est là, tout près, en train de se battre… le Peter qui aime réparer des ordinateurs, jouer à Mario Kart contre Captain America, donner des sardines aux chats errants, mettre des ananas sur mes parts de pizza quand j'ai le dos tourné et me donner beaucoup trop de cheveux blancs…
La voix de son père était douce, profonde ; elle emplissait sa poitrine d'une chaleur familière. Peter sentit sa colère s'émousser, comme si elle coulait de lui en même temps que la matière noire qui ruisselait sur son épiderme, formant une flaque d'obscurité sous son corps tremblant.
Un relent de haine s'agita alors dans sa poitrine.
Tu ne peux pas me laisser… nous sommes Venom, toi ET moi ! Tu as besoin de moi, comme j'ai besoin de toi !
Mais la voix de Tony prenait le dessus, pleine de désespoir et d'amour :
— Je t'en prie, Peter, reviens… bon sang, tu ne peux pas me faire ça, tu ne peux pas partir, pas maintenant… Je donnerai tout, absolument tout, mon argent, mon armure, ma Tour, mes deux bras, tout ce que je possède, si ça pouvait te ramener à moi…
Les cloches s'étaient arrêtées. Le silence donnait à Peter l'impression d'être lové dans un écrin de coton, c'était à peine s'il entendait la rumeur lointaine du vent qui bruissait dans les feuillages des marronniers de la cour du lycée et les battements de leurs cœurs respectifs.
— S'il te plaît, bambino, ne le laisse pas gagner…
Peter ferma les yeux. Comme imprimé sur ses rétines, il voyait un visage féroce, aux dents démesurées et pointues, qui passait une langue gourmande sur ses lèvres — Venom. Mais derrière lui, un peu flou, comme en contre-jour, il voyait son père ; ses sourires hésitants, sa main qui pressait affectueusement son épaule, les pancakes qu'il cuisinait le dimanche matin (en raison de son métabolisme exigeant, Peter était autorisé à y mettre du beurre de cacahuète ET du chocolat fondu), les pop-corn brûlés devant Star Wars, les après-midi passées au laboratoire, généralement interrompues par l'arrivée d'un Happy mi-grognon mi-amusé aux bras chargés de cartons de pizzas…
C'était sa vie, désormais — leur vie. Tony, Happy, les Avengers… ils étaient sa famille. La famille dont il avait rêvé quasiment toute sa vie.
— T… Tony ? balbutia Peter en rouvrant les yeux.
Le visage de son père se fendit d'un sourire. Peter s'aperçut alors que des larmes avaient coulé sur ses joues, piégées dans l'entrelacs de la barbe qui piquetait ses traits.
— Tu... Tu as pleuré… à cause de moi…
— Des larmes de soulagement, prétendit Tony en plongeant son regard dans le sien. C'est vraiment toi, Peter ? Tu… tu es avec moi ?
— Je… je crois que oui… Tony, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où… où on est ?
Il jeta un regard autour de lui, perdu. Il croyait reconnaître le toit de son lycée, mais que faisait-il ici ? L'aube pointait à l'horizon, les étoiles pâlissaient sous l'assaut de ses lueurs cuivrées. Chacune de ses respirations lui faisait mal, il avait la certitude qu'au moins trois de ses côtes étaient fêlées. Il y avait aussi des résidus de substance noire sur ses bras.
— Venom… dit-il, et il se rappela soudainement de tout : l'alien, la colère, Skip, la faim…
Il leva les yeux vers Tony, horrifié.
— Non, non, non, il ne faut pas… ne le laisse pas revenir, je ne veux pas, je ne peux pas…
— Hey, hey, calme-toi, Pete… il ne reviendra pas, je te le promets.
— Mais il est là, je le vois bouger, il va encore entrer dans ma tête et cette fois-ci, je ne pourrai pas le repousser, je ne veux plus ressentir ça, plus jamais, c'était trop horrible…
— Fais-moi confiance, d'accord ? Je m'occupe de tout.
Peter jeta à Tony un regard interrogatif. Son père lui répondit d'un demi-sourire puis, doucement, plaqua chacune de ses paumes contre ses oreilles.
Ce fut à cet instant que résonna l'un des pires bruits que Peter n'ait jamais entendu : une sorte de sirène suraiguë, perçante, qui devait s'entendre jusqu'aux fins fonds de l'East Village. Il se recroquevilla sur lui-même, remerciant silencieusement son père de lui offrir une barrière contre cette horrible cacophonie.
— On peut dire que ta petite copine a le sens du timing ! hurla Tony par-dessus le bruit, un rictus de satisfaction frémissant à la commissure de ses lèvres.
— Qu'est-ce que c'est que cette chose ? cria Peter, espérant que son père parviendrait à lire sur ses lèvres.
— Une arme secrète dont je croyais n'avoir jamais besoin de me servir : le klaxon que j'ai fait installer dans ma voiture ! Enfin plus précisément, dans la voiture de Pepper, je lui avais conseillé d'appuyer dessus si elle se sentait en danger mais elle n'a jamais eu confiance, va savoir pourquoi. J'espère seulement que Stacy Junior n'a pas oublié de mettre des bouchons d'oreille avant de s'en servir.
— Vous voulez parler de Gwen ? Elle est là ?
Tony répondit quelque chose, mais Peter ne parvenait plus à l'entendre. Contrairement à Tony et Gwen, il bénéficiait d'une ouïe sur-développée et, si celle-ci était généralement très utile, elle lui faisait actuellement vivre un enfer : il avait l'impression que le klaxon confectionné par Tony était installé à l'intérieur de ses tympans.
Il n'était visiblement pas le seul à souffrir : la substance noire refluait, semblable aux flots marins qu'aimantait la Lune. Elle quittait sa peau, se tortillait sur le sol pour s'échapper de là. Peter la suivit des yeux, incrédule.
— Elle… elle est en train de s'enfuir, il faut la rattraper ! lança-t-il (du moins, il espérait que c'était ce qu'il avait lancé : il n'entendait même plus sa propre voix). Tony, on ne peut pas la laisser partir !
Mais son père ne fit pas le moindre geste pour arrêter le symbiote. Les yeux fermement attachés aux siens, ses mains ne bougèrent pas d'un millimètre, continuant de protéger ses oreilles — mais le son était trop fort, Peter sentait ses tympans bourdonner, la douleur lui donnait envie de vomir.
Il lui fallut un long moment pour réaliser que le silence était revenu. Un sifflement persistait dans son oreille gauche et, lorsque Tony retira ses mains, il sentit un liquide chaud dégoutter sur son cou. Il voulut l'essuyer, mais Tony fut plus rapide et attrapa sa main pour l'éloigner de son visage.
— Hey, non, n'y touche pas, je n'ose pas imaginer le nombre de bactéries qui se cachent sous tes ongles. On fera examiner ton oreille par Bruce.
— Je n'entends plus rien… Tony, je n'entends plus rien de ce côté ! s'affola Peter.
— C'est normal, c'était un sacré boucan. Comparable à celui-ci d'une explosion. Désolé, j'ai pensé qu'il fallait au moins ça pour faire fuir notre ami Schwartzy.
Peter hocha la tête, perturbé par la sensation d'avoir un bourdon géant coincé dans les conduits auditifs.
— Est-ce que… je vais rester sourd ?
— Je ne pense pas. Et même si c'était le cas, je te fabriquerai un appareil auditif tellement puissant que tu pourras entendre Rhodey chanter sous sa douche sans avoir besoin de changer d'étage… non que ce soit quelque chose que je te souhaite, grands dieux, tu en ferais des cauchemars jusqu'à ta majorité.
Peter eut un léger sourire mais, très vite, l'inquiétude revint se nicher dans ses veines.
— Venom — je veux dire, le symbiote, c'est son nom, en fin de compte il ne s'appelait pas Schwartzy…
— Je crois que je préférais Schwartzy, marmonna Tony. Venom, on dirait le nom d'un short de combat.
— Tony, il est parti ! Il va infecter d'autres personnes, il faut l'arrêter !
— Ne t'en fais pas, j'ai demandé à miss Stacy de prévenir le reste de l'équipe. Théoriquement, Natasha, Steve et les autres sont actuellement tout autour du lycée et sont prêts à intervenir pour récupérer Schwar… Venom.
Peter écarquilla les yeux :
— Woah, vous avez laissé Gwen participer à une mission des Avengers ?
— Je ne pense pas qu'envoyer un SMS à Captain America puisse être considéré comme « participer à une mission des Avengers ». Et puisqu'on en parle, elle nous attend en bas, je lui ai demandé de garer la voiture devant le lycée lorsqu'elle aura fini de klaxonner.
— Wooaaaahh, vous avez laissé Gwen conduire votre voiture ?!
— Oui, à bien y réfléchir, ce n'était peut-être pas une très bonne idée mais, ahem, il fallait agir dans l'urgence… et d'après Friday, les airbags sont toujours à leur place, donc je suppose qu'elle s'en est très bien sortie… enfin, j'espère. Au pire, j'ai une bonne assurance… si je n'ai pas oublié de la renouveler. Bonté divine, je déteste la paperasse.
Peter eut un nouveau sourire. Il se sentait épuisé, il avait mal partout et, pourtant, il se sentait plus heureux qu'au cours des dernières semaines. Il avait l'impression qu'on avait chassé la chape de nuages noirs qui, jusqu'alors, obscurcissait ses pensées. Il en conservait un souvenir un peu confus, une exaltation malsaine qui avait déposé un poids suffoquant sur le reste de ses sentiments.
— Allons-y, Pete, avant que ta copine ne se débrouille pour encastrer ma voiture dans un lampadaire.
Tony se redressa et l'aida à faire de même. Peter se releva prestement, désireux de ne pas inquiéter son père, mais il le regretta aussitôt : il fut saisi de vertiges et, malgré ses efforts pour n'en laisser rien paraître, il sentit son corps basculer sur le côté.
— Woah, doucement !
Les bras de Tony l'interceptèrent de justesse.
— C'est bon, je te tiens, dit-il, l'aidant à passer un bras autour de son épaule pour le soutenir. Désolé, on aurait dû y aller un peu plus lentement…
— C'est rien. Juste la tête qui tourne un peu, marmonna Peter, gêné.
— Tu penses pouvoir marcher ?
— J-je… je crois…
Ignorant du mieux qu'il le pouvait la nausée qui gonflait dans sa gorge, il avança cahin-caha, tentant maladroitement de caler ses pas sur ceux de Tony. Son père avançait lentement, portant presque tout son poids sur ses épaules et, pourtant, Peter commençait à voir des nuées noires virevolter autour de lui. Une sueur glacée ruisselait le long de son dos, il avait anormalement chaud.
Malgré son désir de ne pas ennuyer Tony, il n'y tint plus.
— Euh… Tony ?
Il sentit le regard interrogatif de son père se poser sur lui.
— Tout va bien, petit ? (L'inquiétude pointa dans sa voix.) Tu es aussi blanc que le lavabo du laboratoire… tu veux qu'on s'arrête quelques minutes ?
— Je… euh, je suis désolé, mais je crois que je vais tomber dans les po…
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase ; tout à coup, ce fut comme si quelqu'un avait éteint toutes les lumières.
Ce qui était étrange, dans la mesure où ils étaient dehors et que l'aube avait commencé à enrouler des rubans d'or autour d'eux.
⁂
Peter fronça les sourcils. Il n'y avait plus d'or ni de gris ; seulement du noir troublé de minuscules éclats de lumières.
— M. Stark, je crois qu'il se réveille…
— Pete ? Peter, tu nous entends ?
— Mmmh…
Il n'y voyait rien, quelque chose n'était pas normal…
— Tu devrais essayer d'ouvrir les yeux, bambino, dit Tony d'une voix où l'amusement se disputait au soulagement.
Oh, ses paupières étaient fermées.
Rassemblant toute son énergie, Peter entrouvrit les yeux. Au-dessus de lui se dessinaient les visages anxieux des deux personnes qui comptaient le plus au monde pour lui : Gwen et Tony.
Un sourire se fraya machinalement un passage jusqu'à ses lèvres.
Il réalisa alors qu'il était couché sur une surface douce et fraîche, qui ronronnait sous sa joue. Malgré le silence dérangeant qui obstruait son oreille gauche, il reconnaissait le murmure familier de la voiture préférée de Tony — une voiture de sport rouge vif qu'il avait initialement achetée pour Pepper Potts.
— Rebienvenue dans le monde des vivants, Peter. Tu arrives à pic, on allait justement déposer Stacy Junior chez elle.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Peter en se redressant sur le coude.
Une vague de douleur électrisa ses côtes et un gémissement lui échappa. Tony (qui était agenouillé devant la banquette arrière de la voiture, ce qui, semblait-il à Peter, n'était pas exactement légal) le força aussitôt à se rallonger.
— Reste calme, petit, tu es encore un peu amoché.
— Je vais bien, protesta-t-il, rougissant à l'idée que Gwen le voit dans cet état. C'est juste quelques bleus.
— Huh huh, quelques bleus, quatre côtes fêlées et un tympan perforé. Et dois-je te rappeler que tu as fait une sieste soudaine et impromptue sur le chemin de la voiture ?
— Juste une baisse de tension, prétendit Peter.
— Tu sais, Pete, après l'histoire de mon kidnapping, quand tu m'as sauvée de cet homme bizarre qui voulait se venger de mon père, j'ai passé trois jours sans pouvoir me lever de mon lit, intervint Gwen avec douceur. Je n'ai rien pu manger, c'est à peine si j'arrivais à boire un peu d'eau avec les médicaments que me préparait mon père. Et je suis sûre que c'est pareil pour M. Stark, lorsqu'il combat des super-méchants. On n'est pas des machines, c'est normal qu'après une bataille, on ait besoin d'un peu temps pour s'en remettre… Surtout après tout ce que tu as enduré — je veux dire, l'alien dans ton cerveau, le combat avec ton propre père, tout ça… Tu as bien le droit de te reposer, tu ne crois pas ?
Ses yeux bleus étaient rivés dans les siens. Une vague de tendresse envahit Peter ; sa main chercha celle de son amie, dont les doigts ne tardèrent pas à retrouver les siens. Elle pencha son visage vers le sien ; ses mèches dorées encadrèrent son sourire hésitant.
Tony toussota bruyamment.
— Ahem, sans vouloir vous déranger, les enfants, je suis encore là.
Peter et Gwen se tournèrent aussitôt vers Tony, rougissant de concert. L'homme avait l'air particulièrement intéressé par une poussière égarée sur le cuir de la banquette, et prit tout son temps pour lui administrer une pichenette — avant de reporter son attention sur les adolescents.
— Oh, je crois qu'on arrive !
La voiture s'arrêta dans un élégant ronronnement de moteur. Peter tourna la tête vers le siège conducteur et reconnut la silhouette de Happy Hogan, postée derrière le volant.
— On est arrivé à destination, lança celui-ci en jetant un regard par-dessus son épaule. Oh, salut, Peter. Ravi de voir que tu es toujours vivant.
Un nouveau sourire gagna le visage de Peter :
— Salut, Hap ! Quoi de neuf ?
— Oh, la routine : j'ai été interrompu en plein épisode de Downton Abbey par Tony qui m'a annoncé que tu avais été manipulé par un alien, que tu as failli l'étrangler, que tu as fini par t'en débarrasser et qu'il fallait que je vienne vous chercher parce que tu étais dans les vapes. Bref, rien qui ne sorte de l'ordinaire. Ah, et j'ai pu faire la connaissance de ton amie. Vous ressemblez tous à ça, à votre âge ? Qu'est-ce qu'on met dans vos céréales, de la MDMA ?
— Je me pose la même question, dit Tony.
— Le plaisir était partagé, M. Hogan ! lança joyeusement Gwen.
— Je n'ai jamais dit que…
— Merci de m'avoir ramenée chez moi ! Et merci beaucoup d'avoir bien voulu m'amener avec vous, M. Stark. C'était une soirée… euh… rafraîchissante !
— Je t'en prie, jeune fille. Merci à toi. Sans ton aide, je ne sais pas comment cette soirée aurait tournée ; tout ce que je sais, c'est que Peter et moi te devons une fière chandelle. Si jamais tu cherches un stage à Stark Industries, tu as mon numéro.
— Merci, je le garderai précieusement ! Et celui de M. America aussi ! A bientôt, Peter. Repose-toi bien et, euh…
Peter s'aperçut que sa main était toujours dans la sienne. Il la relâcha précipitamment et balbutia, les oreilles brûlantes :
— A… à plus ! Je, euh, je t'enverrai un message !
Gwen hocha la tête. Avant que Peter n'ait pu comprendre ce qu'il se passait, elle avait déposé un baiser furtif sur sa joue et s'était échappée de la voiture, ne laissant derrière elle que son parfum de mangue et de jasmin.
Peter sentit les regards de Happy et de Tony peser lourdement sur lui.
— Quoi ? Vous n'avez jamais eu de meilleure amie ? geignit-il.
— Une meilleure amie, hein… répéta Tony en échangeant un regard entendu avec Happy.
S'il n'avait pas été aussi faible, Peter aurait été ravi de leur jeter une toile sur la figure.
⁂
D'après Bruce, son audition ne tarderait pas à revenir. Il risquait de souffrir d'acouphènes durant les prochains jours, mais son ADN modifié s'attelait déjà à réparer son tympan gauche. Il en allait de même pour ses côtes ; le scientifique préconisait simplement quelques jours de repos — et beaucoup de calcium (les glaces Ben & Jerry's étaient autorisées).
Il ne pouvait malheureusement pas faire grand-chose pour le traumatisme que lui avait infligé par Venom.
— Le traumatisme ? Je n'ai aucun traumatisme ! protesta Peter après que Bruce l'ait examiné sous toutes les coutures, allant jusqu'à regarder le fond de ses oreilles avec une loupe.
— Cette chose est entrée dans ta tête, Peter. Tu ne le réalises pas encore, mais il est très probable qu'elle t'ait laissé des séquelles d'ordre psychologique.
— Je me sens très bien !
— Tu te sens très bien pour l'instant. Il n'y a aucune honte à avoir des fragilités, euh, psychologiques. Ton père serait le premier à te le confirmer : la santé mentale est quelque chose d'immensément difficile à appréhender, et d'autant plus dur à soigner.
— Ma santé mentale va très bien, je t'assure.
Bruce soupira :
— Si tu le dis… si jamais, malgré tout, tu te sentais mal, n'hésite pas à me le dire. Je pourrai te prescrire quelques médicaments qui t'aideraient.
Peter approuva, se promettant qu'il ne prendrait jamais de médicaments qui risqueraient d'inquiéter Tony.
Lorsque son père vint le chercher à l'aile médicale, il prétendit que tout allait bien, hormis quelques douleurs qu'une bonne nuit de sommeil aiderait à chasser. Bruce confirma ses dires, la mâchoire un peu crispée. Tony sembla le croire et l'accompagna jusqu'à sa chambre, insistant pour qu'il enfile son pyjama le plus confortable — un modèle Hello Kitty offert par Gwen — et qu'il ingurgite l'intégralité d'un bol de soupe de nouilles au poulet préparé par Clint et Natasha.
— Oh, je ne me suis pas excusé auprès de Nat pour l'avoir attaqué ! réalisa Peter après avoir avalé une dernière gorgée de bouillon brûlant. (Les souvenirs lui revenaient, l'emplissant de honte.) Oh mon Dieu, je lui ai sauté dessus et je l'ai menacée ! Je l'ai traitée d'idiote ! Elle ne va jamais me le pardonner !
— Elle en rigole déjà, je t'assure. Enfin… je crois, dit Tony en lui ébouriffant gentiment les cheveux, mais Peter insista :
— J'ai perdu son blouson. Elle me l'avait prêté pour que je n'ai pas froid, elle voulait seulement être gentille avec moi, et moi, je l'ai perdu.
— On lui en rachètera un autre. Un plus joli. Et au pire, Pepper a des tonnes de blousons qu'elle ne met jamais. A chaque solution son problème, Pete ! A moins que ce ne soit l'inverse ? (Il se gratta la tête, puis reprit :) Enfin, bon, ne te soucie pas de ça. Personne ne t'en veut de ce que tu as pu dire ou faire quand ce... Venom était dans ta tête. Ce n'était pas toi.
Peter n'en était pas certain. Il s'enfonça sous sa couette en détournant le regard, essayant d'oublier les sentiments qu'il avait ressenti lorsque le symbiote s'était uni avec son esprit.
— Tu es sûr que tu ne veux pas passer la nuit sous la supervision de Brucie ? demanda Tony en s'asseyant au bord de son lit, remarquant son malaise. Ça ne l'embêtera pas, je t'assure. Il passe déjà ses nuits à faire des mots croisés au lieu de dormir comme nous autres, le commun des mortels, je suis sûr que ça ne le dérangera pas de veiller sur toi.
— Nan, pas la peine, j'te promets que je vais super bien !
Il n'y avait aucune raison que ce ne soit pas le cas. Son père et Gwen l'avaient sauvé, il avait retrouvé sa famille, les Avengers lui avaient pardonné sa fuite, Venom était loin de son organisme. Pourquoi n'irait-il pas bien ?
Mais lorsque Skip revint hanter ses rêves, ses yeux translucides transperçant les siens alors que le spectre de ses mains effleurait son corps, il regretta amèrement de n'avoir pas davantage prêté attention aux recommandations de Bruce.
Il se réveilla brutalement, entortillé dans ses draps, le corps recouvert d'une sueur glacée. Son cœur battait la chamade, le goût humide des larmes imprégnait ses lèvres. Il ne put retenir un sanglot, et il faillit faire un bond au plafond lorsqu'une main se posa sur son front où s'emmêlaient ses boucles châtain.
— Shhh, ce n'est que moi, Pete.
— P… P'pa ?
C'était la première fois que le mot lui échappait alors qu'il était pleinement conscient de ses propres paroles. L'espace d'un battement de cœur, il en fut mortifié, mais Tony se contenta de sourire d'un air ému.
— C'est bien moi. Tony Stark pour le public, P'pa pour toi. Enfin… (Il eut l'air soudainement hésitant.) Seulement si tu le veux bien, bien sûr.
Peter s'empressa d'acquiescer. P'pa… il était étrange comme un simple mot pouvait être à la fois si fort et si rassurant.
Il reprit, la gorge nouée :
— P'pa, je crois que j'ai fait un cauchemar…
— C'est ce que j'ai cru comprendre. Tu veux m'en parler, bambino ?
Peter inspira profondément. Son cœur battait encore trop fort, les larmes brûlaient ses joues. Son père les essuya à l'aide de son pouce, avec une telle bienveillance que ses sanglots redoublèrent.
— P'pa, j'ai rêvé de lui… c'était… c'était horrible…
Tony attendit patiemment, malgré la peur qui sembla s'allumer au fond de ses prunelles.
— Quand Venom était en moi… il… il m'a forcé à revivre des souvenirs… j'aurais voulu l'oublier, ne jamais y repenser…
— Je sais, bambino. Tu n'y es pour rien, murmura son père.
— C'était… Skip… il était…
Les souvenirs étaient trop forts, il était incapable de les matérialiser par des mots. Tony parut comprendre, cependant ; il se pencha vers lui et le serra très fort contre contre sa poitrine.
— Tu sais, j-je crois que Venom le détestait autant que moi… Il n'était pas méchant, au contraire, il voulait m'aider, il voulait se venger du mal qu'il m'avait fait… hoqueta Peter, ravalant comme il le pouvait les fluides salés qu'il voyait se répandre sur le sweat-shirt de son père. Skip est… était…
Il fut saisi d'un doute affreux :
— Est-ce qu'il est… m-mort ? Je… je l'ai tué ? Je me souviens qu'il ne b-bougeait plus, et tout ce sang….
— Non, répondit aussitôt Tony, sans relâcher son étreinte. Non, Peter, trésor. Tu n'as tué personne.
— Mais je… je voulais le tuer… j'étais furieux, je voulais être sûr qu'il ne serait plus jamais en mesure de s'approcher d'un enfant…
— Et c'est le cas. Il ne fera plus jamais de mal à personne. Dès que l'équipe médicale qui lui a été dédié l'aura réparé, je te promets qu'il ira en prison jusqu'à la fin de ses jours.
Il ajouta, plus bas :
— Personne n'a le droit de te faire du mal sans devoir en affronter les conséquences, Peter.
Peter fut envahi d'une vague de soulagement.
Tony avait chassé Skip de sa vie, sans même savoir exactement ce qu'il lui avait fait — il avait eu confiance en lui, il n'avait pas pensé que Peter était devenu fou…
L'adolescent ravala tant bien que mal ses larmes.
— Il… il m'a…
Il voulait en parler à Tony ; c'était trop dur de garder ça pour lui, il se sentait submergé, il avait l'impression que s'il ne parlait pas, quelque chose exploserait en lui — ou flétrirait, finirait par pourrir et infecter chaque fibre de son corps. Mais les mots étaient si difficiles à prononcer… ils rendaient la situation atrocement réelle…
— Il t'a fait beaucoup de mal, n'est-ce pas ? demanda doucement Tony.
— O-oui…
— Il t'a… il t'a fait des choses qu'un adulte ne devrait jamais, jamais faire à un enfant…
Un nouveau sanglot échappa à Peter. Tony resserra son étreinte, posant une main rassurante, tendre, contre sa nuque.
— Shhh… je sais, Pete, je sais…
— C'était horrible… je ne voulais pas, je te le jure, papa…
— Je sais, trésor. Rien n'est de ta faute. Tu n'étais qu'un enfant. Il n'aurait jamais dû… C'est lui le fautif, Peter. Pas toi. Toi, tu as dû faire preuve d'une force qu'on ne devrait jamais exiger d'un enfant. Bon sang, tu as été si courageux… je suis fier de toi, d'accord ? Je ne pourrais jamais être plus fier que ce que je suis actuellement.
Ses mains encerclèrent son visage. Ses yeux sombres, miroirs des siens, se fichèrent dans ses prunelles.
— Je suis fier de toi et je t'aime, Peter.
L'adolescent cilla.
— Tu… tu le promets ?
— Je te le promets. Quoi qu'il se passe, pour toujours et à jamais, je t'aime, Peter Parker… ou devrais-je dire... Peter Stark ? Il est grand temps que nous officialisions notre situation, tu ne crois pas ?
Un mince sourire chatouilla ses lèvres.
— Vraiment ? Tu veux bien que je prenne ton nom ?
— Seulement si tu le veux bien. Je comprendrai si tu le trouves un peu trop pompeux, ou que tu préférerais qu'on ne puisse pas te relier à moi, et je te promets que je ne t'en voudrais pas.
— Peter Stark, répéta Peter en se renfonçant contre ses oreillers. Peter Stark... C'est pas mal, non ?
— Je dirais même plus : on dirait que ce nom est fait pour toi ! … Ahem, sans vouloir paraître trop prétentieux.
— Peter Stark… je crois que je m'y habituerais assez vite, sourit Peter.
— Alors c'est validé. Demain, tu seras officiellement Peter Stark. Et plus personne ne se risquera à te toucher sans s'attirer mon courroux.
Peter sourit. Skip paraissait loin, tout à coup. (Du moins, suffisamment loin pour qu'il ne ressente pas cette honte mêlée de dégoût qui l'envahissait lorsqu'il pensait à lui. Et il était intensément soulagé de savoir qu'il ne l'avait pas tué et que, d'une façon ou d'une autre, il ne s'approcherait plus jamais d'un enfant.)
— Merci, p'pa.
— Merci à toi, Pete.
Tony déposa ses lèvres contre ses cheveux. Peter ferma les yeux, persuadé que cette fois-ci, il ne ferait plus aucun cauchemar. Son père veillait sur lui, et sa présence était bien plus rassurante, bien plus réconfortante que celle de Venom. Contrairement à celui-ci, il ne lui imposait aucune haine, aucun désir de vengeance.
Seulement la certitude d'être protégé et aimé.
Une dernière larme roula sur sa joue. Tony la cueillit du bout des doigts.
⁂
— Friday ?
— Boss ?
— J'ai un service à te demander.
Tony s'humecta les lèvres. Il savait que l'IA ne remettrait pas ses ordres en cause ; toutefois, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de culpabilité en songeant au mensonge qu'il s'apprêtait à confectionner de toutes pièces.
— Tu as toujours accès à toutes les données accessibles en ligne qui concerneraient Steven Westcott ?
— Toujours, boss.
— Très bien.
Il inspira, souffla. Reprit, d'une voix qu'il espérait assurée :
— Je veux que tu supprimes toutes les informations relatives à sa disparition.
Il y eut un bref silence, puis :
— Par disparition, vous vous référez à son décès ?
— Sa disparition, corrigea Tony. Officiellement, Steven Westcott n'est pas mort. Tous les faire-part, les articles larmoyants, les mentions de son décès… tout doit disparaître, jusqu'à son enregistrement dans les fichiers du cimetière où il sera inhumé. C'est bien compris ?
— Cela me contraindra à pirater des systèmes informatiques protégés sans pouvoir être en mesure de justifier avoir les autorisations nécessaires. Confirmez-vous vos ordres, Boss ?
— Je les confirme à 1000%, rétorqua sèchement Tony. Et si jamais le FBI d'Internet remontait jusqu'à nous, j'en ferai mon affaire. Je ne veux pas que quiconque puisse découvrir que cette pourriture gît six pieds sous terre.
Ses yeux se posèrent sur le dossier médical de Steven Westcott. C'était Bruce qui avait récupéré l'homme après les coups de poings mortels que lui avait infligé Peter.
Blessé par Peter. Tombé dans le coma. Y aura succombé au bout de vingt-quatre heures.
La police n'avait pas posé de questions. Leur version était que Steven Westcott était décédé des suites d'un accident de voiture. Personne n'aurait osé remettre en question les certificats médicaux établis par un Avenger.
Et personne ne doit savoir la vérité. Personne.
Et surtout pas Peter.
Ses doigts tapotèrent l'écran de l'ordinateur où Bruce avait enregistré les données relatives à Skip.
« Supprimer ? : Oui / non. »
Son index pressa le « Oui » avec fermeté.
