En quête pour la déesse
Chapitre 1 : Prologue
Link cligna des yeux, aveuglé par une soudaine lumière qui n'avait pas lieu d'être dans sa cuisine. Mais il n'était plus chez lui. Une Triforce était dessinée sous ses pieds nus et il releva la tête avec horreur : il était dans un cercle formé par lui-même et six autres personnes, au centre duquel se tenait une chaleureuse lumière chatoyante et douce, mais d'une force suffisante pour l'éblouir s'il essayait de la regarder trop longtemps.
Un horrible pressentiment le fit frémir.
– Par les Trois d'Or, qui êtes-vous ? s'exclama-t-il.
Autour de lui, la plupart des autres poussaient eux aussi des exclamations de surprise ou de crainte. Link voulut s'avancer vers la lumière qui n'était qu'à quelques pas, mais il rencontra une résistance. Il posa ses mains sur ce qui semblait être une barrière magique particulièrement solide, qui crépitait doucement à son contact et l'empêchait d'aller plus loin. À sa droite, un homme aux cheveux rose pâle faisait de même et Link vit la lueur magique sur la paume de sa main tandis qu'il testait la barrière.
À sa gauche se trouvait un jeune homme à la peau tannée par le soleil et le vent qui poussa un juron imaginatif tout en observant les autres. Link n'eut pas le temps de se pencher vers les autres personnes présentes avec lui, toutes les pieds sur une Triforce et toutes isolées par des barrières identiques à la sienne, quand une voix s'éleva de la lueur au centre de leur cercle.
Héros choisis de la Déesse Hylia, vous tous porteurs de la Triforce du Courage, entendez ma voix et ma supplique.
Les quelques voix qui s'étaient élevées se turent.
Je nécessite vos compétences et votre courage pour une quêtes à travers les mailles du Temps. Vous tous avez vaincu et scellé le mal à vos époques, mais une anomalie maligne profite de la fragilité de vos chronologies pour se répandre. Si rien n'est fait, vos efforts passés et futurs seront réduits à néant et le sort du monde basculera définitivement dans les ténèbres.
Il y eut un silence pendant lequel Link pesa le sens des mots qu'il venait d'entendre. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine tandis qu'il comprenait ce que cela signifiait, égoïstement, pour lui.
– Merde, mais qui êtes-vous ? répéta-t-il d'une voix rauque.
J'ai été Hylia, mère d'Hyrule et créatrice de la Triforce.
La lumière devant eux sembla se concentrer et prendre une forme plus tangible, celle d'une femme aux long cheveux blonds. Ses traits restaient indistincts mais le symbole de la Triforce sur le dos de sa main était clairement visible. Et cette Triforce était celle de la Sagesse.
– Zelda, fit l'un des hommes en face de Link. Vous êtes… Zelda ?
– Je suis Zelda et je suis Hylia. Je suis à la fois la porteuse et la mère de la Triforce. Je suis de lignée divine et mortelle, gardienne et témoin de…
– Oh, ferme-la ! s'exclama Link sans la laisser finir. Je me fous de tout ça, que tu sois Hylia, la fille de Din ou la pute de Ganon, renvoie-moi chez moi, oublie-moi pour tes conneries, j'ai bien assez donné, renvoie-moi à ma famille ! hurla-t-il en frappant la barrière de ses poings.
Évidemment, celle-ci ne faiblit pas sous son assaut puéril et rageur.
À côté de son éclat, le « je suis à la retraite, pétasse » de l'homme aux cheveux roses à sa droite passa presque inaperçu.
– Link, commença-t-elle en tendant la main vers lui. Croie-moi quand je te dis que je regrette les sacrifices que tu as dû faire, que vous avez tous dû faire, pour lutter contre l'incarnation du mal dans ce cycle sans fin. Mais s'il y avait eu une autre alternative, je vous aurais tous laissé à votre retraite plus que méritée.
Au fur et à mesure de ses paroles, Link se laissa tomber à genou, les poings serrés, enfonçant ses ongles dans la paume de ses mains. Il sentit un sanglot de rage lui étrangler la gorge. Et c'était vain, bien sûr. Il pouvait tempêter autant qu'il le voulait, on ne pouvait pas contrecarrer la volonté divine de la Déesse. Pas quand on portait la Triforce du Courage sur le dos de la main gauche. Pas quand on s'appelait Link. Pas même si on avait déjà sauvé le Royaume deux fois de la rage de Ganon et qu'on méritait de vivre en paix avec sa famille.
Autour de lui, les discussions avaient repris. Un homme avec une écharpe bleue demandait des détails sur cette nouvelle mission divine, que la femme – Hylia, Zelda ? qu'importe au final… – lui fournit avec le plus de précision possible. Link comprit une histoire sur trois lignées temporelles distinctes qui seront amenée à se rejoindre dans une grande convergence, ce qui laissera des fragilités dans la trame du temps. Son esprit décrocha pour lui ce n'était que des mots et ça ne l'intéressait pas. Il ne voulait pas que ça l'intéresse.
Puis la femme parla des monstres, à la fois semblables et différents de tout ce qu'ils avaient rencontrés : plus puissants, plus résistants, plus intelligents. Leur sang était noir et corrompait les courants magiques qui maintenaient le monde. Link se força à écouter : les courants énergétiques et magiques étaient bien plus proches de son domaine de compétence que des histoires de lignées temporelles.
– Donc si je comprends bien, fit l'homme à sa droite, nous faisons tous partie de ces trois chronologies parallèles distinctes. Mais qu'est-ce qui les a séparés au départ ?
Il y eut un petit silence de la part de la femme pendant lequel Link entendit nettement quelqu'un marmonner un « c'est une bonne question ».
– Cette connaissance n'est pas pertinente dans l'état actuel des choses, fit-elle finalement d'une voix douce. La cause de tout cela n'est pas lié à l'origine de la divergence de vos chronologies.
– Donc ça vient d'une connerie que tu as faite et dont tu ne veux pas parler, rétorqua cheveux roses avec un sourire en coin.
La femme se détourna un instant et sembla se décider à ouvrir la bouche pour rajouter des détails quand l'homme à l'écharpe bleue intervint.
– Et pour la convergence, est-ce que c'est lié à mon époque et aux portails temporels créés par Cya ?
– Oui, répondit-elle immédiatement, probablement soulagée par le changement de sujet. Mais là encore, la source du sang noir et de sa corruption se trouve ailleurs.
– Cya ? Bordel j'avais des doutes, ça fait plus de cinq ans pour moi, mais… Capitaine ? fit le jeune homme à la gauche de Link.
– Salut Sailor, le salua l'homme à l'écharpe bleue avec un sourire et un clin d'œil.
– Mec, sérieux, dans tout ce bordel ça fait du bien de te revoir !
Le jeune homme souriait de toutes ses dents, apparemment ravi. Link ressentit une pointe de jalousie : là où son voisin se réjouissait apparemment de repartir à l'aventure avec un ancien compagnon, lui se sentait nauséeux et abattu de devoir reprendre la route à la poursuite d'une incarnation maléfique d'il ne savait pas encore quoi. Il soupira et se releva, se forçant à desserrer les poings.
Il profita que la femme parlait de ce qu'elle savait de l'origine des monstres et de comment arrêter leur épanchement (en quelques mots : tous les tuer et sceller leurs portails de passage, il aurait pu trouver ça tout seul, merci, mais apparemment les autres avaient besoin d'un mode d'emploi précis) pour observer un peu les autres. Outre ses voisins directs et capitaine-écharpe-bleue en face de lui, il y avait un homme silencieux et stoïque, peut-être le plus âgé d'eux tous, les bras croisés et les cheveux cachant une partie de son visage. Celui-là, réalisa Link, n'avait pas prononcé un mot depuis le début. Il croisa son regard un instant et détourna le sien en premier : l'homme avait un regard d'acier et nul doute qu'il les avait tous bien observé depuis le début.
D'un côté du capitaine se trouvait un homme aux épaules larges, semblant particulièrement musclé. Il écoutait la femme avec intérêt et Link ne manqua pas une légère aura magique sombre autour de lui. Difficile de mieux voir avec les barrières et la présence éblouissante de Hylia-Zelda, il s'en occuperait plus tard. De toute façon s'il faisait partie des porteurs de la Triforce du Courage choisi par Hylia, la nature de sa magie ne devrait pas être un problème.
De l'autre côté se trouvait une femme, la seule de leur équipe de ce qu'il pouvait en voir. Elle se tenait debout, appuyée sur un arc presqu'aussi grand qu'elle. Elle était vêtue d'une tenue confortable et adaptée à la maraude, ses cheveux simplement attachés en queue de cheval basse. La tête baissée vers le sol, elle fronçait les sourcils en écoutant religieusement. Puis elle soupira et releva la tête, croisant son regard. Elle eut un demi sourire à son intention avant de tourner à nouveau la tête vers l'incarnation de la Déesse au centre.
Puis la lumière changea et Link sentit la barrière autour de lui s'évanouir. Hylia au centre leur souhaita à tous bonne chance en leur assurant qu'ils avaient vingt-quatre heures pour se préparer avant d'être transportés sur le lieu de leur première bataille – encore heureux, Link était pieds nus et ne portait en tout et pour tout qu'un pantalon court et une vieille chemise élimée.
Puis elle partit, non sans leur laisser encore quelques minutes pour faire connaissance.
– Vu qu'on a encore un moment pour discuter, je propose qu'on échange sur nos capacités, fit le capitaine. J'ai pu voir de mes yeux que les héros des différentes époques ne se spécialisent pas tous de la même manière et si on doit commencer par une bataille, autant placer chacun d'entre nous de manière efficace.
– Tu en a rencontré beaucoup ? lui demanda le plus costaud du groupe.
– Quelques-uns, dont la demi-portion là-bas, sourit-il en désignant le jeune homme à la gauche de Link.
Celui-ci ôta une de ses chaussures et la balança à la tête du capitaine, qui l'attrapa d'une main en ricanant.
– Mais j'ai croisé plus de personnes qui connaissaient un Link, sans que ma route ne croise celle du Link en question.
– Comme Lavio, fit l'homme aux cheveux roses.
– Oh, oui, Lavio par exemple.
– Mince, tu le connais ? fit le jeune homme.
Le voisin de Link leva les yeux au ciel en soupirant.
– Il m'a rabâché les oreilles avec ça pendant des semaines.
– Si on en revient aux compétences, les interrompit la seule femme de leur groupe, je pense que c'est assez évident mais je suis très bonne archère, fit-elle en désignant son arc monstrueux.
Sa voix avait une rugosité étrange et Link se demanda d'où cela venait. Mais les autres s'étaient recentrés et commençaient à lister leurs capacités.
– J'ai beaucoup étudié et développé ma magie ces dernières années, fit son voisin aux cheveux roses.
Link retint un sourire : il l'avait deviné dès les premiers instants, quand l'autre testait la barrière magique.
– Je suis bon épéiste, selon mes critères du moins, reprit le costaud en se grattant l'arrière du crâne d'un air gêné. Mais…
Il hésita un moment et les regarda tous avant de sembler se décider et se jeta à l'eau :
– Je peux me transformer en loup. À volonté et je gagne de la vitesse et l'odorat qui vont avec.
– Utile pour un éclaireur, siffla le capitaine avec un air impressionné.
– Je… je suppose oui, fit le costaud d'un air incertain.
Il les regardait tous, à la recherche, Link supposa, d'un sentiment d'horreur ou de crainte. Mais tout ce qu'il récolta était plutôt du domaine de l'acquiescement poli : oh, tu te transformes en loup ? C'est cool, bravo, maintenant passons à autre chose.
Link se retint de ricaner. Vu ce que lui avait vécu et pouvait faire, il se demanda s'il recevrait le même genre de regard gentiment impressionné et poli.
– Je peux contrôler le vent, fit le plus jeune. Et je me débrouille bien avec une épée.
– Mieux qu'avant j'espère ?
– J'ai écouté tes conseils, pour une fois, j'ai cherché des épéistes et j'ai appris d'eux, fit-il d'un air goguenard.
– Bravo. Tu veux une médaille ?
– Et toi ? demanda le costaud à celui qui n'avait pas ouvert la bouche depuis le début.
– J'ai une grosse épée, dit-il simplement.
Sa voix était la plus grave d'eux tous et il ne détailla rien de plus, laissant certains à l'esprit mal tourné commencer à se demander ce qu'il avait voulu dire.
– Tu veux dire, littéralement ? commença le plus jeune.
– Elle a été forgé par un goron, finit-il par préciser.
La fille ricana et cheveux roses eut un reniflement moqueur. Soit le grand silencieux était d'un calme naïf prenant tout au premier degré par défaut, soit c'était un troll. Link pariait pour la deuxième.
– Il ne reste que toi je crois, fit le capitaine.
– Et toi, rétorqua Link, mais en ce qui te concerne c'est assez évident : bon épéiste et stratège militaire.
L'autre acquiesça.
– Je ne sais pas pour les autres, mais j'ai l'habitude de me battre seul, reprit Link, et un concert d'acquiescements lui répondit. Tu vas littéralement devoir nous guider pour éviter qu'on se flanque mutuellement les épées dans le cul en voulant bouger trop vite.
– Ce ne sera pas la première fois, répondit le capitaine en désignant le jeune homme d'un doigt.
Celui-ci répondit avec beaucoup de maturité en tirant la langue et en levant un doigt bien haut.
– En ce qui me concerne… je sais utiliser mon épée, bien sûr, mais je sais également lancer pas mal de sorts élémentaires. Ainsi que des sorts de soins.
– Tu peux soigner ? s'exclama son voisin, le seul autre à utiliser la magie.
– Oui.
– A quel point ? demanda le capitaine.
– Aussi bien qu'une fée. Si j'ai accès à de la puissance féérique latente, je peux faire aussi bien qu'une grande fée.
– Qu'est-ce qu'une grande fée fait de plus ? demanda le costaud.
– Elle ramène les morts, souffla la jeune femme.
– Ça c'est en théorie, reprit Link. Je n'ai jamais été jusque-là (sauf sur lui-même, rajouta-t-il en son for intérieur). Et je n'ai pas de réserves magiques illimitées non plus.
– Compris, fit le capitaine. On se reverra demain de toute façon et on aura peut-être le temps de discuter stratégie de combat, mais je te demande une chose : reste en arrière, occupe-toi des fuyards et surveille nos arrières. Ne te mets pas en danger direct : si tu peux nous soigner il est important que toi, plus que n'importe lequel d'entre nous, reste en bonne santé.
Link ouvrit la bouche pour protester mais il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit : la lumière se fit à nouveau aveuglante et l'instant d'après il se retrouva à nouveau dans sa cuisine, le pichet de lait à la main. Pour autant qu'il pouvait en juger, il ne s'était même pas écoulé une seconde chez lui.
Il leva les yeux, troublé, vers sa famille, et croisa le regard de Rommy qui fronça les sourcils en voyant son expression. Les enfants arrêtèrent ce qu'ils étaient en train de faire et levèrent leurs yeux vers lui, comme s'ils sentaient que quelque chose n'allait pas.
Ils allaient tous détester cela. Et ce ne serait qu'une piètre consolation qu'on vienne de lui demander d'être en arrière plutôt qu'en première ligne.
