Après une bonne (ou pas) nuit de sommeil, il est temps de décider quoi faire. Il y a cette grotte près des ruines où se trouvaient les monstres et puis une tour immense au sommet de la falaise que Liz aimerait aller visiter. Le groupe se sépare donc, bonne ou mauvaise idée ?
Avertissement pour : mention d'allaitement, tirage de lait / crise de nerf, d'angoisse de l'un d'entre eux / paradoxe temporel (oui, ça mérite un avertissement, j'ai des nœuds au cerveau quand j'y réfléchis trop)
Chapitre 3 : La tour, la grotte et l'oiseau
Rule se réveilla tôt le lendemain matin le soleil n'était pas encore levé et le ciel s'éclaircissait à peine. Il releva la tête et croisa le regard de Sailor qui marchait tranquillement dans le campement, enroulé dans une couverture. Rule se souvint que le jeune marin avait pris la dernière garde. S'il avait su qu'il dormirait aussi mal, il en aurait pris une lui aussi.
Rommy et les enfants lui manquaient. Il avait l'habitude de dormir avec la chaleur de Rommy dans son dos, les bras d'Ely pas loin de lui et Soane contre sa poitrine – même si les enfants finissaient souvent têtes bêches et leurs pieds sur sa figure. Mais cela aurait pu être pire. Le temps était doux et il s'était simplement emmitouflé dans sa cape sur un tas de feuilles mortes, ce qui semblait avoir surpris Capitaine qui lui avait proposé une place dans sa tente. Autant Rule voyait l'utilité d'une tente en cas de mauvais temps, autant il préférait éviter d'avoir une toile lui cachant la vue en cas d'attaque de monstre en pleine nuit. Et… son argument ne tenait pas vu qu'ils étaient en groupe et que trois d'entre eux avaient montés la garde à tour de rôle cette nuit, mais ce genre de vieille habitude était difficile à perdre.
Il ne devait d'ailleurs pas être le seul : Sailor avait dormi dans son hamac, Vétéran s'était enroulé dans sa couverture sur un épais tapis de sol, mais sans rien au-dessus de sa tête, et Mask avait refusé l'offre de Capitaine de le rejoindre dans sa tente pour dormir dans un sac de couchage à la belle étoile. Liz avait passé la nuit dans un arbre, pour autant qu'il pouvait en juger, et Twi dans sa forme de loup, roulé en boule dans un coin.
Au final, Capitaine avait passé la nuit seul dans sa tente.
Rule se redressa et s'étira en baillant, ôtant des feuilles mortes de sa cape et de ses cheveux. Il grimaça à la tension familière dans sa poitrine. Sans Soane pour téter la moitié de la nuit, elle était gorgée et tendue. Quelques jours sans stimulation et le problème serait réglé, mais pour le moment il n'avait pas le choix, il devait tirer le lait pour soulager la tension ou elle deviendrait une vraie douleur débilitante – sans même parler de l'embarras d'avoir du lait coulant dans ses vêtements.
Il regarda autour de lui. Ses compagnons de voyage dormaient encore, à part Sailor qui se rasseyait près du feu mourant après avoir fait le tour du campement. Rule hésita à tirer le lait caché sous sa cape, mais il n'avait pas envie d'attirer l'attention de Sailor avec le geste répétitif devant sa poitrine. Et puis, il avait besoin de pisser.
Il se leva donc, fit un petit signe à Sailor qui hocha la tête dans sa direction, et partit un peu plus loin. Le marin n'essaya pas de le suivre ni de lui demander où il allait, ce qui l'arrangeait. Il déboucla son pantalon et s'accroupit pour soulager sa vessie entre les arbres où il avait fait son affaire la veille, puis prit le chemin de la source.
C'était une véritable source qui apparaissait entre les pierres et remplissait un petit bassin qui faisait à peine la profondeur d'une main. Parfait pour puiser de l'eau, pas pour se baigner. L'eau s'écoulait ensuite dans la pente en un petit ruisseau qui se perdait plus loin dans les hautes herbes.
Les abords de la source étaient plein de traces d'animaux qui venaient s'y abreuver d'ailleurs, quelque chose bougea dans un buisson quand Rule s'approcha. Sa magie chantait dans ses veines et il s'assit derrière un buisson, de manière à être proche de l'eau mais hors de vue des autres si l'un d'eux venait vers lui. L'endroit était incroyablement apaisant et lui donnait les larmes aux yeux. Il ne connaissait aucune source simple, naturelle et pure comme celle-ci à son époque, à moins qu'elle n'abrite des fées. La veille, il avait d'abord eu l'intention de faire bouillir l'eau avant de la boire, comme à son habitude, mais ce n'était en fait même pas nécessaire ici.
Il but un peu avant de se déshabiller partiellement. Il resta sous sa cape au cas où et pour ne pas avoir froid, mais avait ôté sa tunique et soulevé son vêtement de dessous, enchanté de la même manière qu'un sac sans fond pour cacher ce qu'il y avait à cacher – tel qu'une poitrine trop développée pour être reconnue comme étant celle d'un homme, un ventre trop proéminent ou une taille trop marquée.
Il profita de ses mains chaudes pour masser les tensions douloureuses de sa poitrine et se concentra sur une vision de Soane en train de téter, ses petits bruits de satisfaction, ses mains qui s'enroulaient dans sa chemise et son petit sourire tandis qu'il levait les yeux pour croiser son regard. Par les Trois d'Or, son petit garçon lui manquait. Ses enfants lui manquaient. Il soupira de soulagement quand le lait coula entre ses doigts jusque dans le flacon qu'il tenait dessous et continua jusqu'à ce que cela devienne plus confortable avant de changer de côté.
Quand il eut fini, il y avait dans le flacon l'équivalent d'un grand verre de lait. Il hésita un moment à le jeter sur le sol ou le boire, mais finit par fermer le flacon et se concentra quelques instants pour fixer un sort de conservation dessus – les mêmes qu'il utilisait sur ses flacons de potions. Il pouvait utiliser le lait comme base pour une potion de faible niveau et vu dans quoi ils étaient lancés cela pourrait toujours servir.
Il fit un brin de toilette et se rhabilla, profitant de l'atmosphère calme et presque enchantée de la source. Il n'y avait en fait aucune magie féérique vraiment présente, mais les bruits de l'eau qui coulait et les chants des oiseaux qui s'éveillaient à proximité suffisaient à donner à l'endroit une saveur de petite magie naturelle particulièrement agréable, et la magie de Rule en profitait, se gorgeant des petits riens.
Rule resta ce qui lui sembla être un bon moment dans sa contemplation méditative, lorsqu'un bruit de pas se fit entendre. Il s'agissait plus du léger froissement de quelque chose frôlant les herbes hautes plutôt que des pas pour être honnête, et cela aurait pu être n'importe quelle créature venant s'abreuver, mais Rule ne fut pas surpris de voir apparaître Liz au milieu des buissons. Celle-ci jeta un coup d'œil aux alentours, comme un animal vérifiant qu'il n'y avait aucun danger immédiat avant de s'abreuver, puis elle s'accroupit et entreprit d'ôter sa tunique.
Rule se racla la gorge, peu désireux de la voir faire sa toilette sans qu'elle ait conscience de sa présence. Elle fit un bond tandis qu'il relevait sa capuche pour se montrer. Liz étouffa un juron et souffla en se rasseyant.
– Tu es là depuis longtemps ?
– Un petit moment. Je profitais. Désolé, je ne voulais pas te faire peur.
– Ta cape est enchantée, hein ? demanda-t-elle.
– Yep. Camouflage. Elle étouffe les bruits aussi. Elle m'a sauvé la vie plus d'une fois.
– J'imagine…
Rule s'étira et commença à se lever.
– Je vais te laisser tranquille, je ne veux pas t'empêcher de faire ta toilette.
– Tu peux rester, sourit-elle. Je voulais juste me laver la figure. Je vais faire un petit tour pour chercher quelques plantes pour le petit déjeuner après, si tu veux venir avec moi.
– Volontiers, fit-il en se tournant toutefois, pour lui laisser un peu d'intimité.
Peu après, ils prenaient tous deux un autre chemin pour retourner au camp par un plus long trajet, Liz montrant à Rule certaines plantes comestibles de l'époque pour leur petit déjeuner. Quelques œufs ramassés dans des nids complétèrent leur récolte matinale.
Sailor étouffa un bâillement en remettant un peu de bois dans le feu. Les braises couvaient sous les cendres et ce ne fut pas très difficile de le relancer. Les autres n'allaient pas tarder à se réveiller et seraient sans doute contents de pouvoir utiliser le feu pour se préparer un petit déjeuner.
Il commençait d'ailleurs à avoir faim, mais il n'avait rien à se mettre sous la dent dans l'immédiat. Il ne pouvait pas demander à Liz et son étrange appareil, car elle avait sauté de son arbre et filé en direction de la source peu de temps auparavant, ne lui adressant qu'un signe de tête avant de disparaître. Il avait quelques biscuits de marin et du poisson séché dans son sac, mais on avait vu mieux pour un petit déjeuner. De plus, autant garder ses réserves pour une véritable urgence.
Sailor laissa son regard errer sur leur campement. La veille, il s'était amusé à comparer leurs différentes habitudes au moment du repas, de ceux qui avaient tout l'assortiment de couverts et de récipients à ceux qui mangeaient avec les doigts. Quand il s'était retrouvé à l'époque de Capitaine dans une guerre qui n'était pas la sienne il avait fait la même chose, repérant toutes les petites choses qui différenciaient les personnes venant d'autres époques. Il en avait ri avec Mask alors, se moquant parfois, ahuris le plus souvent. Il avait essayé d'entrainer à nouveau Mask dans ces comparaisons la veille au soir, mais son ancien compagnon de divertissement ne l'avait pas suivi, préférant se concentrer sur son repas. Peut-être ne se souvenait-il pas de leur jeu d'alors ? Ou considérait-il qu'il était trop adulte pour cela ? Sailor n'était pas si vieux, merci, il venait d'avoir dix-huit ans et trouvait toujours intéressant de comparer les habitudes et le matériel de tout le monde, mais c'était beaucoup moins drôle tout seul.
La personne la plus étrange à observer dans le groupe était sans conteste Rule. Il détonnait avec son apparence : ses vêtements avaient des coupes simples et les couleurs naturelles des fibres, sans teintures ni broderies, à l'exception de sa tunique d'un vert kaki terne. Le tissu même de sa tunique était grossier et avait des irrégularités, comme s'il avait été tissé à la main par une personne peu expérimentée ou avec des fibres irrégulières.
Il n'avait pas de bijou apparent, pas de boucles d'oreilles ou de collier, contrairement à la plupart d'entre eux – la palme revenait au vétéran, dont les nombreux bijoux puaient la magie des arcanes à trois mètres. Rule ne portait qu'un petit bracelet au poignet droit, qui n'était guère plus qu'une ficelle avec trois perles en bois, et un anneau de cuivre à son annulaire gauche, qui ressemblait surtout à une alliance. Pas vraiment étonnant s'il avait des enfants. Mask en avait une aussi.
Son bouclier était en vieux bois, usé et semblant prêt à rendre l'âme et la seule chose en bon état et ayant une quelconque valeur était son épée, visiblement de bonne facture quoique simple dans sa conception.
Les cheveux bruns de Rule étaient aussi les plus courts de leur groupe. L'avant-veille, lorsque la Déesse les avait transporté en esprit face à elle, les cheveux de Rule touchaient ses épaules en mèches désordonnées. Il les avait coupé pendant leurs vingt-quatre heure de répit ou plutôt, il avait rasé l'arrière de son crâne d'une oreille à l'autre et raccourci le reste à quelques centimètres à peine.
Rule avait laissé entendre qu'il venait d'une époque vraiment abîmée. Sur le coup, Sailor avait ricané intérieurement : les Déesses avaient littéralement inondé son monde et enfoui l'ancien royaume d'Hyrule sous les eaux. Niveau dégradation ça se posait là. Mais le comportement de Rule lors du repas avait jeté une autre lumière sur leur guérisseur, celle de la pauvreté extrême qui empêche une chose aussi simple que de manger à sa faim. Son apparence prenait aussi plus de sens : pourquoi s'inquiéter de porter des bijoux ou d'avoir des broderies sur ses vêtements si on n'était pas sûr de quand viendrait son prochain repas ?
Sailor avait prêté un peu plus d'attention à Rule après ça : le guérisseur n'était pas très grand et, sous ses dehors secs et vif, n'était en réalité pas très épais. Ses pommettes étaient hautes et plutôt osseuses, son menton pointu. Ce qui n'était pas en soit particulièrement alarmant, Sailor avait aussi des os pointant dans tous les sens dans sa silhouette, comme s'il avait grandi trop vite. Mais en prenant en compte la maigreur cela devenait inquiétant chez Rule.
Il n'en avait pas vu plus, Rule avait gardé ses vêtements pour dormir, se cachant sous une grande cape qui ressemblait surtout à une couverture percée d'un trou pour la tête et agrémentée d'une capuche. Il s'était simplement roulé en boule dans un tas de feuille pour la nuit, ses bottes à côté de lui. De ce point de vue-là, Liz avait été plus bizarre en dormant littéralement dans un arbre. Sailor ne savait pas comment elle avait fait pour ne pas tomber pendant la nuit. Au début de sa surveillance, il s'était glissé sous l'arbre en question pour voir qu'elle s'était calée entre le tronc et deux branches, et qu'elle ronflait même légèrement…
Twi avait sorti une couverture pour se couvrir pendant la soirée mais semblait avoir passé une bonne partie de la nuit sous sa forme de loup. C'était peut-être plus confortable ? Il avait pris la deuxième surveillance et dormait encore, roulé en boule contre la toile de tente du capitaine. À quelques pas, Mask ronflait dans son sac de couchage.
Sailor regarda un petit moment son ancien compagnon de jeu dormir avec nostalgie. Alors qu'à l'époque lui et Mask avaient presque le même âge et faisaient les quatre cents coups ensemble, donnant des cheveux blancs à un Capitaine qui n'était en réalité pas beaucoup plus âgé qu'eux, Sailor était maintenant d'un âge beaucoup plus proche de celui du soldat et Mask se trouvait très éloigné d'eux deux. À vrai dire, il n'avait pas l'impression de l'avoir retrouvé, comme si l'écart d'âge entre eux avait creusé un fossé impossible à combler, comme si c'était une tout autre personne qu'il devait apprendre à connaître. Même le pseudonyme de Mask lui semblait faux, incongru, inapproprié. L'autre Link aurait tout aussi bien pu se faire appeler autrement et ne pas leur révéler qu'il les connaissait, Sailor l'aurait peut-être mieux vécu.
Du mouvement dans la tente attira son attention et, quelques instants plus tard, le visage encore froissé de sommeil de Capitaine émergea de la toile. Il croisa le regard de Sailor et grommela un salut avant de disparaître à nouveau. Il y eut du mouvement et, quelques minutes plus tard, il sortit habillé et presque fringuant, se passant un coup de peigne en venant s'asseoir devant le feu. Sailor retint un ricanement. La première cible de leurs quolibets à Mask et lui avait sans conteste été le capitaine, avec ses vêtements toujours soignés et ses cheveux toujours peignés.
Le peigne disparut dans sa chemise, à sa place habituelle.
– Tout va bien ? chuchota-t-il.
– Rien à signaler, répondit Sailor sur le même ton. Rule et Liz sont déjà debout.
– Où sont-ils ? demanda-t-il en regardant autour d'eux en fronçant les sourcils.
– Partis vers la source. Enfin je pense, je leur ai pas demandé.
Sailor comprit immédiatement que sa réponse n'avait pas été la bonne. Il vit les yeux de Capitaine s'écarquiller de crainte et de d'exaspération mêlées.
– Quoi ? siffla-t-il. Pourquoi tu ne les en as pas empêché ?
– J'aurais dû faire ça comment ? ricana Sailor. Ils m'ont pas demandé la permission, hein !
– Bordel Sailor, c'est dangereux, on ne sait rien de cet endroit, de cette époque, il pourrait leur arriver n'importe quoi !
– Il pourrait nous arriver n'importe quoi ici aussi, rétorqua-t-il d'un ton un peu agacé.
Bon sang, il avait oublié, et il aurait préféré continuer à oublier à quel point Capitaine pouvait être pointilleux sur la sécurité de ceux qui l'entoure – Sailor et Mask en première ligne, mais Tetra, Lavio et d'autres en avaient également fait les frais. Heureusement, il n'avait pas mentionné que leurs deux camarades étaient partis seul, chacun leur tour ! Il espéra qu'ils reviendraient ensemble ou il leur faudrait gérer une bonne grosse crise de paranoïa du soldat.
Un craquement dans le sous-bois autour d'eux se fit entendre et Capitaine bondit sur ses pieds en se tournant vers le bruit. Ce n'étaient que Liz et Rule qui revenaient, elle avec une brassée de plantes dans les bras, lui tenant délicatement trois gros œufs contre sa poitrine. Sailor se sentit bêtement soulagé : ils n'avaient aucune égratignure que Capitaine pourrait utiliser contre lui, et en plus ils étaient ensemble. Hylia l'aimait bien aujourd'hui.
– Bon sang vous étiez où ?
– Petit déjeuner ? fit Liz en désignant les plantes dans ses bras.
Derrière elle, Rule s'accroupit pour déposer les œufs avec précaution près du foyer, puis ses mains disparurent sous sa cape pour en ressortir quatre de plus les uns après les autres.
– Pas seuls, jamais, aucun de nous ne doit s'éloigner seul, on ne sait pas sur quoi on pourrait tomber !
– On n'était pas seuls, fit Rule en désignant Liz. Et les Trois savent que j'ai l'habitude d'être seul dans une nature hostile.
– Il n'y aucun danger ici, assura Liz quant à elle. On a vidé le camp de monstres hier, il n'y a rien d'autre.
– On ne peut pas le savoir ! claqua la voix de Capitaine et Liz fit un mouvement de recul en réponse. On est dans une autre époque dont on ne sait rien, il pourrait y avoir n'importe quoi !
– Le périmètre a été vérifié, Capitaine, siffla Liz en se redressant. Twi a fait le tour plusieurs fois, j'ai fait le tour plusieurs fois et vous êtes trois à avoir monté la garde cette nuit sans rien à signaler. Il n'y a plus rien de dangereux ici !
– Non, écoute, ça ne peut pas se passer comme ça…
– Toi écoute ! Je marche seule depuis ma naissance dans la nature au milieu des monstres ! Les monstres laissent des traces, ils n'apparaissent pas de nulle part et les seules traces présentes ici sont celles des monstres qu'on a tué hier !
– Oh putain vos gueules ! fit la voix de Vétéran.
Sailor lui en fut reconnaissant. L'éclat de voix du vétéran jeta un froid sur ce qui se transformait en dispute houleuse entre Capitaine et Liz, Rule silencieusement à la hauteur de celle-ci pour lui apporter son soutien.
– Nous ne sommes pas des recrues sous tes ordres, Capitaine, reprit-elle d'un ton plus bas et mortellement sérieux. Nous sommes tous des héros choisis par la Déesse.
– Ce qu'elle veut dire, intervint Rule en posant une main sur l'épaule de Liz, c'est que tu n'as pas besoin de t'inquiéter autant pour nous. Nous tous ici sommes capable de nous défendre et de prendre soin de nous.
– Mais… voulut commencer Capitaine et Sailor vit un éclair de panique dans ses yeux.
Une grande main s'abattit sur l'épaule du soldat qui sursauta en se retournant. Mask s'était silencieusement levé et entraina Capitaine un peu à part des autres, tout en échangeant un regard avec Sailor. Celui-ci y lut une forme de reconnaissance qui lui coupa le souffle : l'homme était trop âgé, sa mâchoire était trop épaisse, une barbe naissante y était horriblement inconvenante, mais le regard intense était celui de Mask, de cet enfant étrange à la maturité parfois déplacée pour quelqu'un de son âge, et son regard disait à Sailor : « c'est bon mon frère, je suis là, je m'en occupe ».
Sailor soupira de soulagement. Mask, avec l'aide de Proxie, avait toujours été bon pour calmer les inquiétudes et les angoisses de Capitaine – et celui qui était passé du statut de simple recrue au héros sur lequel tout le monde comptait en avait développé pas mal.
Rule tapota l'épaule de Liz et se dirigea vers Vétéran, s'accroupissant à côté du sac de couchage de l'homme aux cheveux roses en chuchotant quelque chose. Toujours roulé en boule contre la tente de Capitaine, Twi avait levé un museau endormi et les regardait en clignant de ses yeux lupin engourdis de sommeil.
Sailor regarda vers Mask et Capitaine. Celui-ci lui tournait le dos et l'empêchait de voir correctement Mask, mais il reconnut une partie des signes utilisés : Mask faisait de son mieux pour calmer la situation, lui rappelant comment lui et Sailor étaient enfants, et Sailor se rappela d'une discussion qui avait déjà eu lieu sur la sécurité et le fait d'être un héros. Capitaine avait pris sur lui la responsabilité de la sécurité de tous ceux qui étaient sous ses ordres et combattaient à ses côtés, en oubliant que certains pouvaient aussi assurer ses propres arrières.
– Désolé pour ça, se sentit obligé de dire Sailor. Il a trop l'habitude d'être en charge d'un groupe.
– Ouais, marmonna Liz, ben il va falloir qu'il trouve autre chose pour s'occuper, alors.
Se disant, elle entreprit de s'occuper de préparer un petit déjeuner avec sa récolte et les œufs.
Un peu plus tard, ils étaient tous attablés devant leur petit déjeuner préparé par Liz pour se calmer les nerfs. Elle avait fait apparaître de sa tablette un grand wok et fait des œufs brouillés avec leur récolte matinale, à elle et Rule. Elle avait également sorti des fruits de sa tablette, comme la veille. Capitaine avait nerveusement préparé du café à l'aide de sa petite cafetière et Vétéran avait fait du thé.
Rule était devenu verdâtre à l'odeur du café et s'était levé en trombe pour aller reprendre son souffle un peu plus loin. Sailor avait éclaté de rire et fait mine de lui tendre sa propre tasse à son retour, à la suite de quoi le guérisseur l'avait renversée d'un coup de pied pour se maintenir le plus éloigné possible de ce « liquide à l'odeur abjecte » fin de citation. Il ne s'était calmé qu'avec un bol de thé de Vétéran entre les mains et Sailor en avait été quitte pour se resservir du café – sa tasse renversée n'ayant heureusement qu'à peine éclaboussé sa manche.
Ils avaient presque terminé lorsque Twi lança à la ronde :
– Bon, que faisons-nous aujourd'hui ? On s'occupe de cette grotte près du camp ?
– J'aimerais aller à la tour de reconnaissance de Labulat, fit Liz. Si je peux synchroniser ma tablette dessus, on aura accès à la carte de cette région.
– Quelle tour de reconnaissance ? demanda Sailor avant que Capitaine n'ouvre la bouche, sans doute pour remettre en cause cette demande.
– Là-haut, sur la falaise au-dessus du camp, répondit-elle en montrant une direction.
Sailor dut se lever pour apercevoir, à travers les arbres, la silhouette d'une tour sur ladite falaise, en effet.
– Woah, comment j'ai fait pour pas voir ce truc avant ?
– On était concentré sur autre chose, hier, fit Twi en souriant sur sa tasse de café.
– Pas seule, lança finalement Capitaine.
– Je peux venir avec toi ? demanda Sailor presqu'en même temps, sentant venir l'angoisse du soldat.
Liz leur lança un regard dubitatif à tous les deux puis finit par acquiescer en direction de Sailor.
– Tu te débrouilles en escalade ? Je n'avais pas l'intention de faire le tour pour aller prendre le chemin de l'autre côté de la colline.
– Je me défends. Et j'ai ma feuille mojo pour ralentir ma chute au cas où.
Elle hocha la tête en souriant, sans demander de quoi il s'agissait. Peut-être en avait-elle une elle-même ?
Mask fit un clac avec sa langue pour attirer l'attention et, quand il fut certain d'avoir celle de tout le monde, il signa :
– On ne devrait pas aller dans la grotte tous ensemble.
– Comment ça ? fit Capitaine avec un air comiquement blessé sur le visage.
– On ne sait pas ce qu'il s'y trouve, et on se gêne les uns les autres à l'extérieur, mais dans la grotte on va littéralement se marcher dessus. Mon épée ne servira à rien dans un espace réduit. Je ne sais pas si la magie de Vétéran ne serait pas un problème aussi ?
– La plupart de mes sorts s'étalent en zone et certains consomment l'oxygène de l'air. Pas un bon plan en espace clos, confirma Vétéran sur sa tasse de thé. Il a raison sur le fond, appuya-t-il. En groupe on va se gêner. Deux ou trois personnes au plus seront plus efficaces.
– Je propose des éclaireurs. Si la voie est libre, ils reviennent chercher les autres, ajouta Mask en plaçant une main sur l'avant-bras de Capitaine et serrant.
– Je m'en sors bien en espace clos, surtout sous ma forme de loup, fit Twi avant que Capitaine ne réfléchisse trop et ne se propose d'office comme éclaireur. Je peux trouver mon chemin avec mon odorat et je peux me glisser dans de petits espaces.
– Mes sorts sont plus adaptés aux petits espaces que les tiens, intervint Rule en regardant Vétéran.
– Et tu n'es pas trop grand, ajouta Mask en souriant.
– Dis tout de suite que je suis plus petit que… ouais, d'accord, je crois que je suis le plus petit de vous tous. T'es un vrai connard en fait, lâcha Rule avec un sourire à l'attention de Mask qui se contenta de rire en réponse. Moi au moins je ne risque pas de rester coincé, espèce de grosse boîte de conserve.
– Tu n'as pas de soucis avec les espaces clos ? demanda Liz. Parce que ce n'est pas la peine de jouer au fier à bras en ne tenant pas compte de ses propres limites, les garçons, rajouta-t-elle en les regardant tous les uns après les autres. On a tous nos propres difficultés et on est assez nombreux pour trouver des alternatives sans avoir à les affronter.
– J'ai passé la moitié de ma vie dans des grottes, expliqua Rule avec ce qui semblait être un sourire triste. Il y a encore toute une population qui vit dans l'underground, c'est plus sûr qu'à la surface. La corruption de Ganon n'est pas descendue aussi loin dans le sol.
– Oh, d'accord, fit Liz avec un regard incertain.
Sailor renifla, Liz avait d'une manière ou d'une autre mit les pieds dans le plat avec Rule. Et… le fait de vivre dans une grotte était à rajouter à la liste des bizarreries de leur guérisseur.
– Tu vis encore dans une grotte ? demanda-t-il avant de pouvoir s'en empêcher.
Rule lui lança un regard peu impressionné – si Rule était le plus petit en taille, Sailor se sentait clairement le plus jeune d'entre eux sous ce regard.
– Pas besoin, je vis dans une région d'où la corruption recule d'une année à l'autre, fit-il sans développer davantage.
Sailor souffla, un peu frustré. Rule était bon pour expliquer des choses sur lui sans rien lâcher de personnel. Pour ce qu'il en avait dit, il pouvait vivre aussi bien en ville que dans une cabane au fond des bois, voire même effectivement dans une grotte même si ce n'était pas nécessaire.
– Tout ça pour dire : je vais y aller avec Twi, si ça te va bien sûr, rajouta-t-il à l'adresse du loup. Une troisième personne compliquerait les choses.
– Ça me semble bien comme ça, fit Twi avec un sourire.
– Juste… rince ta bouche de cette haleine de café, grommela Rule avec un regard mauvaisi.
Même Capitaine éclata de rire et en oublia de vouloir contrôler le reste du groupe.
Liz était une grimpeuse extraordinaire. Sailor estimait être plutôt bon, après une enfance passée à escalader les falaises de l'île de l'Aurore, et une adolescence à voltiger avec sa feuille mojo et grimper dans les gréements, mais Liz le surclassait nettement. Elle avait changé de vêtements dans un éclair bleu venant de sa tablette et ses bottes avaient laissé la place à un pantalon court et ajusté et de petites ballerines souples lui permettant une meilleure préhension sa tunique était également différente, ayant des emmanchures larges aux épaules, laissant apparaître la brassière sur sa poitrine, et elle avait noué un foulard bleuii pour tenir ses cheveux en arrière.
Sailor avait le sentiment qu'elle aurait pu grimper la falaise tout droit, mais elle les avait entraîné un peu plus loin sur la façade où le chemin à suivre était plus accessible. Elle ouvrait la voie et attendait régulièrement Sailor sur une corniche pour qu'il puisse souffler un peu. Bonne joueuse, elle ne se moqua pas de lui une seule fois, pas même quand son pied glissa, lui occasionnant une bonne grosse frayeur. Lui choisit d'en rire, elle s'inquiéta de savoir s'il s'était blessé. Bon, il s'était bien râpé le genou, mais rien de bien grave et il n'allait certainement pas pleurnicher devant elle.
Bientôt, la pente devint plus praticable et, même s'ils devaient parfois s'aider de leurs mains, ce n'était plus vraiment de l'escalade.
– Hé, lança Sailor. Je me posais une question. Comment ça se fait qu'on s'appelle tous Link sauf toi ? Je sais que t'es une fille, mais ça paraît un peu bizarre en fait…
– Je m'appelle Link aussi, dit-elle de sa voix rauque.
Elle se gratta un peu la gorge. Sailor remarqua que sa voix semblait plus sifflante que la veille, peut-être à cause de son éclat plus tôt contre Capitaine.
Elle reprit après avoir pris le temps d'avaler sa salive.
– C'est un nom mixte à mon époque. Je crois en tout cas, il n'est pas très courant parce qu'il est très lourd de sens. Le Prodige Hylien qui est mort cent ans avant moi s'appelait comme ça, et sa mémoire est encore très présente.
– Attend, un autre Link est mort cent ans avant toi ?
– Oui, acquiesça-t-elle avec un sourire triste. On n'arrêtait pas de me comparer à lui. On m'a même prise pour lui, fit-elle en levant les yeux au ciel. C'était plus facile de prendre un autre nom pour accomplir ma tâche.
Sa voix était en train de s'éteindre et elle se racla la gorge, se tournant vers lui pour continuer en signant :
– Désolée. Du coup j'ai commencé à me faire appeler L-I-Z. Et c'est resté.
– C'est quoi ton nom de signe ? demanda Sailor avec un sourire.
Elle sembla gênée un instant avant de faire le signe du serpent, un zig-zag sortant de sa bouche et se terminant avec deux doigts représentant des crocs.
– Le… serpent ? fit Sailoriii.
Peut-être qu'ils n'avaient pas le même vocabulaire ? Après tout, il pouvait y avoir des différences dans leurs signes. Mais elle hocha la tête.
– C'est Z-E-L qui a trouvé pour moi. Avant je signais les lettres. Mais j'ai l'habitude de soulever toutes les pierres et regarder dans tous les buissons, tu sais ?
– Ouais je t'ai vu faire hier. Et j'ai tendance à faire pareil, en fait…
– Un jour, peu après que j'ai sauvé Z-E-L, elle m'a vu faire et je me suis retrouvée face à un serpent. J'ai fait un bond et elle a trouvé ça hilarant, expliqua-t-elle en levant les yeux au ciel.
Sailor ricana, imaginant la scène.
– J'imagine que tu t'es vengé pour son nom de signe ?
Liz fit un rire qui n'était guère plus qu'un souffle.
– En fait, c'est elle qui s'est vengé. Parce que je l'appelle Grenouilleiv, signa-t-elle avec un grand sourire.
Sailor éclata de rire. Il pouvait imaginer des tas de noms de signe pour quelqu'un comme une princesse Zelda ou sa Tetra, mais « Grenouille » n'était certainement pas dans la liste. Il allait demander comment Liz en était venue à ce surnom, mais ils étaient arrivés en haut de la pente. La tour de reconnaissance se dressait à quelques dizaines de mètres et il laissa son regard porter plus loin vers le paysage magnifique qui s'offrait à eux. Il eut un hoquet de surprise quand ce qu'il avait pris un instant pour une petite montagne particulièrement déchiquetée s'avéra être en fait des ruines de… quelque chose.
– Liz… c'est quoi ça ?
Elle s'était arrêtée pour fouiller dans sa tablette et en retira une sorte de bonbon qu'elle glissa dans sa bouche avant de signer en réponse :
– Le château et la ville.
– Tu veux dire… le Château d'Hyrule et la Citadelle ?
– Oui, dit-elle à voix haute en suçant son bonbon.
– Qu'est-ce qui s'est passé ? souffla-t-il, ne parvenant pas à arracher son regard des ruines.
Elles étaient loin, il faudrait au moins deux jours de marche pour les rejoindre, et pourtant les tours effondrées et les ruines étaient bien trop visibles à son goût, indiquant à quel point ces ruines étaient grandes et étendues. C'était comme s'il contemplait la ville du Capitaine complètement détruite et cela le mit mal à l'aise. Une tour apparemment identique à celle se trouvant près d'eux se dressait un peu à l'écart des ruines, près de… d'un village ? La tour avait l'air minuscule à côté de ce qu'il restait du Château.
– Ganon, souffla Liz à voix haute. Cent ans avant moi, continua-t-elle en signant quand Sailor se tourna vers elle. J'ai toujours vu le château en ruine. Au moins il n'y a plus de maléfice autour.
– Et devant ? On dirait une petite ville…
– Fort-de-Guet. Ça a peut-être changé de nom, c'est plus grand qu'à mon époque. On essayait encore de récupérer le château et c'était le centre des opérations.
– Essayait encore ? Tu veux dire que vous ne l'avez pas récupéré ?
Elle secoua la tête.
– Trop compliqué. Et après le Cataclysme le sol n'était plus stable dessous. On s'est concentré pour récupérer des livres, des documents, des artefacts importants…
– Et ta Zelda ? C'est la princesse non ?
– Plus maintenant. Elle ne voulait pas restaurer la monarchie, même si tout le monde l'appelle encore princesse par respect et habitude.
Bon, Sailor était familier avec un monde sans princesse Zelda. Tetra aurait préféré arracher la langue de quiconque lui sortait du « Princess Zelda », mais comme ils s'étaient donné comme but de refonder le Royaume d'Hyrule elle s'était faite à l'idée que ça allait finir par lui arriver.
Il allait remercier Liz de lui avoir expliqué tout cela, quand son regard se porta derrière elle, derrière même l'imposante tour, dans le ciel.
– Putain c'est quoi ça ?
Des blocs de… de pierres ? de roches ? de bâtiments ? flottaient dans le ciel. Il se tourna lentement et réalisa qu'il y en avait en fait partout autour d'eux, à une altitude inaccessible. Certains semblaient de petite taille, d'autres étaient visiblement immenses. Le tout tenait en l'air à l'encontre des lois de la gravité les plus élémentaires. Liz eut un petit rire près de lui avant d'articuler :
– Les îles célestes. On ne les voyait pas hier à cause des nuages mais il t'a quand même fallu du temps.
– Et… ça vient d'où ? Putain tu vas me dire que t'as connu ça toute ta vie et que tu ne t'es jamais posé la question ?
Le rire de Liz redoubla.
– Elles sont apparues lors du Cataclysme. Elles ont toujours été là mais n'étaient pas visibles avant.
– Tu veux dire qu'elles sont présentes à mon époque mais qu'on ne les voit juste pas ?
– Peut-être ? Je ne suis pas sûre de comment ces histoires de chronologie fonctionnent…
Ce disant, Liz reprit sa route vers la tour et Sailor décida de se concentrer sur la construction devant eux qui était bien plus sûre et terre à terre que n'importe quoi d'autre autour de lui. La tour semblait de conception relativement récente, bien que des plantes commencent à pousser le long de ses mats de soutènement. Elle était entourée d'eau dans laquelle des grenouilles s'ébattaient et un petit pont permettait de la rejoindre. Un petit escalier à sa base menait à une porte fermée et Liz posa simplement sa tablette sur un emplacement apparemment prévu pour elle dans un pilier pour que la porte s'ouvre.
L'intérieur était vide, à l'exception de deux piliers, d'un socle avec des symboles étranges et d'une petite plate-forme au centre.
– Bon, alors, autant te prévenir, fit Liz en se tournant vers lui. Si le système n'a pas changé il risque de me catapulter dans les airs pour récupérer les données de reconnaissances.
– Tu te fous de ma gueule ?
– Nope, sourit-elle en se retournant et en déposant sa tablette sur le socle.
Celui-ci s'illumina et un mécanisme sembla s'enclencher dans la tour en bourdonnant. Une voix désincarnée s'éleva :
« Tablette Pru'ha reconnue. Identifiant : Lizzie. Mot de passe ? »
– Serpent grenouille, articula Liz.
Sailor se demanda ce qu'il se passerait si elle ne pouvait pas parler quand ce système lui demandait un mot de passe.
« Mot de passe reconnu. Mise à jour disponible. Télécharger ? »
– Oui, dit encore Liz.
Il s'écoula quelques instants pendant lesquelles ils n'entendirent que des bourdonnements dans la tour, le socle pulsant de lumières bleues et oranges qui semblaient aller dans la tablette. Les lumières faiblirent finalement et la voix repris :
« Vous avez un nouveau message. Lire ? »
Liz se tourna vers Sailor. Il fut surpris de découvrir une légère panique dans son regard. Il haussa les épaules.
– Heu… oui ? finit-elle par dire.
Sur la plate-forme au centre apparut une image légèrement translucide d'une femme étrange, aux cheveux blancs et aux yeux rouges, portant des bottines sous un short et un manteau gris. Ses lunettes étaient… de forme intéressante, ne put s'empêcher de penser Sailor.
« Hey Lizzie, ça boume ? T'inquiète ma belle, pas de paradoxe temporel à venir, tu m'as exactement dit que tu avais reçu ce message et qu'il fallait que je l'enregistre pour toi vu que t'allais passer à la tour de Labulat pour faire une màj. Je sais que t'es lancée dans une nouvelle quête, du genre avec voyage temporel avec d'autres Link. C'est trop génial ! »
Sailor vit nettement la jeune femme frétiller de bonheur. Liz se cacha le visage dans les mains en marmonnant un « putain, Pru'ha ». Ah, donc la miss s'appelait Pru'ha ? Comme la tablette ? Il devait y avoir une histoire là-derrière.
« Oh j'aimerais tellement être avec toi ! Bref, oui oui je me concentre, lança-t-elle à quelqu'un hors champ. Alors c'est vraiment bizarre, mais pour la première partie de vos recherches je dois te donner des détails, parce que vous n'allez pas en recevoir. Ce qui n'est pas du tout logique, parce que ça implique que tu m'as donnée ces détails que je t'ai déjà donné avant alors que je ne les connaissais pas et on est en plein dans un paradoxe temporel si tu veux mon avis, mais bon, mon avis je te l'ai donné l'autre jour. Enfin, je l'ai donné à une version future de toi, mais toi je te le donnerai dans… quand je te reverrai. »
– Va droit au but par pitié, gémit Liz.
Sailor ricana, commençant à cerner la personnalité un peu folle de cette Pru'ha.
« Vous allez recevoir des infos concernant des portails à refermer, l'un dans le désert Gerudo, l'autre dans les Profondeurs. Sans rien de plus, donc bonjour pour trouver l'endroit exact, t'as pas exactement une créature divine qui se balade à viser. Je t'ai mis les coordonnées dans la tablette Pru'ha, apparemment je dois te conseiller de commencer par viser le désert et les ruines de la Tour du Jugement avant de filer dans les Profondeurs. Normalement la mise à jour de ta tablette t'a connecté à toutes les tours et tu devrais avoir les dernières versions des cartes. Par contre comme ta version de la tablette ne permet de téléporter qu'une personne à la fois, vous allez devoir vous déplacer à pied. Ne lambinez pas trop, apparemment vous restez vingt-huit jours à chaque époque avant d'être déplacé dans une autre. Oh, et les combats que vous rencontrez ici sont les plus faciles d'après ce que tu m'as dit. Les autres époques ne seront pas aussi tendres. »
Pru'ha se tue un instant et reprit son souffle. Une émotion filtrait dans sa voix quand elle reprit :
« Fais attention à toi, Lizette. »
– Lizette ? souffla Sailor.
– Ta gueule, répliqua Liz sur le même ton.
« J'aimerais pouvoir t'aider plus que ça, pouvoir te fournir des cartes et des éléments des autres époques, mais je n'en ai pas le droit. Les autres et toi êtes seuls à partir de là. Alors… Ouistiti, hein ! »
Pru'ha fit un petit salut bizarre et l'image se figea avant de disparaître progressivement. Sailor et Liz restèrent silencieux et un peu choqués. Sailor devait admettre ne pas avoir tout compris au discours de Pru'ha, elle parlait vite et certains mots qu'elle employait ne lui étaient pas familier. Mais au moins il semblerait qu'ils en savaient un peu plus maintenant…
– Et ben, finit-il par dire.
Liz récupéra sa tablette sur le socle et la vérifia.
– Ça a fonctionné en tout cas, j'ai les cartes de la surface et des profondeurs à jour. Et… je peux même te dire que Fort-de-Guet s'appelle maintenant Le Guet, tout simplement. J'ai un marqueur au milieu du désert à l'emplacement des ruines, comme elle l'a dit. L'autre… est au niveau de la mine de la vallée Hylia, fit-elle plus pour elle-même que pour Sailor.
– On y arrive en moins de vingt-huit jours ? demanda-t-il en se souvenant du délai mentionné par Pru'ha.
– Je ne me fais pas de soucis pour la partie désert. Quelques jours de voyage au plus, ensuite ça dépend de combien de temps on aura besoin pour fermer ce portail, quoi que ce soit. Se déplacer dans les Profondeurs est plus compliqué. Ce n'est pas trop éloigné mais ça dépendra si l'endroit est à nouveau infecté de miasmes et si les racines éclairent toujours…
– Tu sais que je ne comprends pas la moitié de ce que tu racontes ?
– Oh, je… je suis désolée, gémit-elle. J'accuse Zelda et Pru'ha de partir dans leurs délires mais je ne fais pas beaucoup mieux, hein ?
– Tu sais quoi ? On va redescendre vers les autres leur raconter tout ça. T'as bien fait de vouloir venir ici après tout et comme ça tu pourras nous donner tous les détails une seule fois, sans abimer ta jolie voix à devoir te répéter.
– C'est ça, vil flatteur. Ma voix est dégueulasse, même dans les bons jours.
Ce disant, elle reprit un de ses bonbons de sa tablette.
– Et maintenant, tu vas pouvoir me le dire ! s'exclama Sailor avec un sourire.
– Quoi donc ?
– Y'a quelque chose entre Pru'ha et toi ? Cette façon qu'elle avait de t'appeler Lizzie et Lizette et ses petits yeux larmoyants à la fin…
Sailor ne put pas en rajouter. Liz éclata d'un rire violent qui se termina en râle et quintes de toux tandis qu'elle le maudissait et le traitait de tous les noms. Elle finit par se reprendre suffisamment pour signer, à mi-chemin entre le rire et la rage :
– Pru'ha est comme ça avec tout le monde. Et pour ton information, elle a à peu près cent trente ans, elle s'est amusée avec sa technologie pour rajeunir.
– J'ai bien lu cent trente ans ?
– Oui crétin !
Liz lui donna un coup de poing dans l'épaule qui lui donna l'impression d'avoir été frappé par un caillou.
– Aïe !
– Bien fait ! C'est pas parce que tu as bavé sur son physique que tu peux t'imaginer des trucs !
Sailor voulut protester mais se ravisa. Il avait bel et bien un peu zieuté le physique de Pru'ha – après tout, elle ne pouvait pas le voir faire, non ? – et ne voulait pas risquer que Liz l'enfonce davantage à ce sujet.
Ils sortirent de la tour et se dirigèrent vers le bord de la falaise, dans la direction du reste de leur groupe. Si Sailor pouvait faire confiance à son sens de l'orientation, la grotte que Rule et Twi devaient visiter se trouvait quelque part en dessous d'eux. Une ombre le recouvrit soudain et Sailor se surprit à glapir en sortant son arme par pur réflexe. Bordel, il pensait avoir dépassé le traumatisme de ce fichu roi Cuirasse !
Cependant, Liz à ses côtés eut une réaction similaire : l'ombre en question n'était visiblement pas normale pour cette époque non plus et il leva les yeux pour apercevoir la silhouette d'un immense oiseau – pas aussi imposant que le roi Cuirasse mais clairement pas du format d'un goéland non plus. De couleur majoritairement rouge, il manœuvra au-dessus d'eux avant de pousser un cri et d'accélérer soudain vers le ciel dans la direction des îles célestes les plus proches.
– Putain c'était quoi ce truc ?
– Jamais vu, souffla Liz, confirmant ce qu'il avait compris de sa réaction.
Puis, elle courut jusqu'au bord de la falaise.
– Il venait d'en bas, là où sont les autres ! Tu as quelque chose pour planer sur une telle distance ?
À ces mots, Sailor sortit sa feuille mojo. C'était en réalité deux feuilles maintenant, fixées ensembles pour soutenir son poids car il n'était plus un gringalet de douze ans, merci bien. Il y avait rajouté des poignées pour faciliter les manœuvres et les korogus s'étaient fait une joie de peinturlurer les feuilles – il avait découvert avec stupeur que les gribouillages enfantins suintaient de la magie et l'arbre mojo lui avait confirmé que c'étaient des enchantements pour garantir la solidité de l'ensemble.
Liz sourit et sortit son propre système de planage, un peu plus complexe que le sien mais bien semblable dans sa forme et sa taille. Ils se jetèrent de concert par-dessus le bord de la falaise, espérant arriver à temps, quel que soit le danger auquel leurs camarades en bas étaient confrontés.
Après quelques pas dans la grotte, Rule posa une main sur la paroi et laissa la magie ambiante suinter entre ses doigts et se mélanger à la sienne. Il sourit. Sous terre la magie vivante était plus faible que dans la nature luxuriante à l'extérieur, mais c'était l'inverse à son époque où la magie était bien plus saine, douce et active dans les réseaux de grottes. La sensation était très similaire et, pendant un court instant, il eut l'impression d'être de retour à la maison.
Confiant, il s'enfonça dans le noir, la lanterne que Twi lui avait passé accrochée à sa ceinture. Il sentit la magie sombre de Twi s'accrocher à la sienne de manière désagréable lorsqu'il se faufila devant lui dans sa forme lupine, ses griffes claquant légèrement sur les roches recouvrant le sol. Il vit le loup renifler au sol puis lever le nez pour renifler en l'air. Rule continua à avancer, la lueur de la lanterne lui permettant de voir où il mettait les pieds. Il passa un petit angle et Twi revint vers lui et lui colla la truffe dans… et bien un peu plus bas que le bas ventre, car le loup était pile à la bonne hauteur pour ça.
– Hé, fais un peu attention ! souffla Rule et repoussant le museau loin de lui.
Le loup lui jeta un regard bien trop humain de… de panique et de surprise ? Puis reprit forme hylienne sans prévenir.
Rule n'avait pas l'habitude de côtoyer des chiens. Il savait que c'était des animaux avec un bon odorat qui pouvaient servir aussi bien à la chasse qu'à la garde de troupeau ou la défense d'une maison, mais ça s'arrêtait là. Au regard que Twi lui lança, il réalisa un peu tard qu'il aurait pu s'inquiéter de l'aspect « bon odorat » avant. Est-ce qu'un loup pouvait sentir son état ?
Question stupide.
Oui, bien sûr qu'il le pouvait.
– Rule tu… c'est toi ! Je sens cette odeur depuis hier sans savoir d'où ça vient ! Mais ça vient de toi !
– De quoi tu parles, grommela Rule en se redressant, refusant d'admettre quoi que ce soit avant que l'autre ne le mentionne.
– Tu es enceinte… enceint ?
Rule leva les yeux au ciel.
– Je préfère dire « attendre un enfant », le mot enceint est dégueulasse dans sa version masculine.
Ce disant il repoussa Twi par l'épaule pour lui permettre de continuer à avancer dans la galerie. Il n'avait pas particulièrement envie de discuter sémantique avec lui, ils étaient là pour quelque chose, pour l'amour des Trois d'Or !
Twi resta choqué et confus derrière lui quelques longues secondes avant de se secouer et de le suivre.
– Tu ne peux pas faire ça !
– Faire quoi ? Avoir des enfants ? C'est mon troisième je te signale.
– Non je veux dire… être là, devoir te battre, être en éclaireur dans une putain de grotte peut-être remplie de monstres et… et laisse-moi passer devant bon sang !
Rule se retourna et planta un doigt dans la poitrine de Twi.
– Écoute moi bien espèce de sac à muscles : attendre un enfant ne m'a jamais empêché de faire ce que j'avais à faire, que ce soit combattre des monstres, tuer Ganon ou soigner mes patients. Je n'ai pas l'intention d'en parler aux autres parce que je ne veux pas d'un putain de traitement de faveur. Je ne suis pas malade, je ne suis pas faible, je vais bien et je vais exploser du monstre à coup de sortilèges jusqu'au dernier jour de cette grossesse. C'est compris ?
Il attendit de longues secondes avant que Twi finisse par hocher légèrement la tête.
– Et si tu en parles aux autres, je retournerai chez moi avec une peau de loup en guise de descente de lit. C'est clair ?
– Comme de l'eau de roche, souffla Twi. Mais si la situation l'exige, que tu es blessé ou malade ou que j'estime que ça devient un problème, je leur en parlerai.
– Ça ne deviendra pas un problème, lui assura Rule avant de s'aplatir contre la paroi pour laisser passer l'homme devant lui.
Il y eut un nuage d'ombre lui picotant désagréablement la peau et le loup reprit la place de l'homme dans la galerie. Il lui jeta un regard torve par-dessus son épaule avant de reprendre sa route, la truffe aux aguets.
La grotte n'était pour le moment qu'une longue galerie, suffisamment large pour que Rule n'ait jamais besoin de trop se contorsionner pour passer et assez haute pour qu'il n'ait pas besoin de se baisser. Le sol était recouvert de trace de monstre allant vers l'extérieur. Pour autant qu'il pouvait en juger, aucune trace ne remontait vers l'intérieur de la grotte et il trouva cela plutôt curieux. Il y avait des marques sur les murs, comme si quelque chose avait frotté contre : sans doute l'équipement des monstres qu'ils avaient abattus la veille, leurs armes et armures qui avaient raclé contre les parois en passant.
Ils avancèrent ainsi quelques minutes avant d'arriver dans une large cavité. Quelques roches phosphorescentes étaient incrustées dans la paroi, permettant de voir sans avoir besoin de lanterne. Large d'une dizaine de pas, la grotte devant eux ne contenait qu'une seule chose : en son centre une sorte de globe magique bourdonnait et l'air derrière lui était comme flou et déchiré. Twi se hérissa en grondant avant de changer de forme.
– Pas une magie que je connais, fit-il en restant prudemment à l'écart.
Rule fit quelques pas et sentit littéralement la tension de Twi qui se retenait de ne pas se mettre devant lui en protection.
Bien.
Le cabot apprenait vite.
Il tendit une main et laissa sa magie glisser à la rencontre de celle de l'orbe. La magie contenue dans l'artefact ne goûtait pas comme un maléfice, mais elle n'avait pour autant rien à voir avec ce qu'il avait déjà rencontré. Il fronça les sourcils et envoya juste une petite impulsion de magie. L'orbe tinta légèrement comme seule réponse.
– Tu sais ce que tu fais au moins ? demanda Twi derrière lui.
Rule jugea plus prudent de reculer, tout en secouant la tête.
– Je n'ai jamais rencontré ce genre de chose. Ça n'a pas l'air intrinsèquement mauvais, mais je ne sais vraiment pas d'où vient ce genre de magie.
– Ce n'est pas twili. Et ça ne ressemble pas à la magie des Esprits de lumière de mon époque, non plus. Mais je suis d'accord, ça n'a pas l'air maléfique.
– Dit celui qui se transforme en loup avec une magie d'ombre.
– La magie twili n'est pas maléfique, soupira Twi.
– Ma magie est d'origine féérique, elle ne fait pas la différence, admit Rule. Rien contre toi mais je pense qu'il va falloir du temps pour que ma magie arrête de se hérisser quand tu te transformes à proximité. Bon, qu'est-ce qu'on fait ?
– Tu penses que c'est un portail derrière ?
Rule observa un peu mieux la zone trouble dans l'espace derrière l'orbe. Absorbé par ce dernier, il n'avait pas fait attention à ce qui ressemblait littéralement à un trou dans l'espace.
– On dirait. Je ne sais pas où ça mène mais les monstres venaient sans doute de là.
– On ne peut pas laisser ce truc ouvert…
– Je ne joue pas avec une magie inconnue. Vétéran pourra peut-être faire quelque chose…
– On retourne vers les autres alors ?
Rule acquiesça avant de faire demi-tour, suivant le loup qui repartait déjà, apparemment ravie de mettre de la distance entre lui et l'orbe.
Dehors, Capitaine et Mask étaient plongé dans une discussion par signes, Vétéran assis sur un muret, son épée sur ses genoux, observant les alentours. Ils avaient une bonne vue d'où ils étaient sur les ruines de la veille, maintenant libres de monstres. Rule s'était demandé qu'elles étaient ces ruines, ce qui se dressait ici avant, mais n'avait aucune idée de la réponse. Liz le savait peut-être.
Ils expliquèrent la situation et Vétéran et Mask accompagnèrent Rule dans la grotte, Twi acceptant de rester dehors avec Capitaine pour monter la garde. Ils rejoignirent la cavité avec l'orbe sans difficulté et Vétéran entreprit aussitôt de faire le tour de l'artefact et de tendre une main à la surface de l'horizon du portail.
– Tu es sûr que c'est une bonne idée ? demanda Rule en le voyant faire.
– C'est un portail. Il va rester à sa place et ne s'activera que si on passe à travers.
– C'est toi le spécialiste, je suppose.
– Mais je ne sais pas où il mène, si même il est à double-sens. L'orbe le maintient actif, c'est tout ce que je sais.
– Tu n'as pas dit que tu avais voyagé entre des dimensions ?
– Rien à voir avec les déchirures vers Lorule, assura Vétéran en secouant la tête.
Mask s'était approché de l'orbe et avait placé ses mains autour, à quelques centimètres de le toucher. Rule se sentit nerveux, mais l'homme resta immobile les yeux fermé quelques instants avant de reculer en soupirant.
– C'est de la magie temporelle, signa-t-il, ses gestes tout juste visibles dans la luminosité ambiante. Je ne l'ai jamais vu sous cette forme, mais j'ai subi assez de voyage dans le temps pour la reconnaître.
Vétéran le rejoignit et se concentra sur l'orbe également.
– Tu as raison. Ça faisait longtemps que je n'avais pas croisé cette magie. En fait celle d'Hylia qui nous a mené ici goûte un peu pareil.
Rule fronça les sourcils et rejoignit les deux hommes autour de l'orbe.
– C'est vrai, admit-il finalement. Je n'avais pas remarqué.
– Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Mask. C'est probablement pour ça que nous sommes ici. Ce portail doit être relié aux anomalies qui se répandent dans nos chronologies.
– J'imagine qu'il faut le fermer, fit Rule. Mais Twi ou moi n'avions aucune idée de comment faire.
– Ce truc est stable pour le moment, mais si on cogne dessus n'importe comment ça pourrait nous péter à la figure et éparpiller nos morceaux sur dix mille ans à la ronde, avertit Vétéran.
– Je ne pensais pas utiliser la manière bourrine là-dessus, souffla Rule tandis que Mask ricanait.
– C'est toi qui a le plus voyagé dans le temps, rajouta Vétéran à l'adresse de l'homme en armure. Tu as une idée ?
Mask haussa les épaules et approcha à nouveau sa main de l'orbe, puis se déplaça vers le portail derrière et fit de même. Il ferma les yeux.
– On pourrait le surcharger ? proposa-t-il au bout d'un moment. L'orbe pourrait se désactiver si on la charge de trop de magie.
– C'est de la magie temporelle, la seule fois où j'y ai touché c'était avec une harpe enchantée qui est resté chez moi ! protesta Vétéran.
– Je peux en faire, mais à petite dose. Je doute pouvoir la surcharger seul, et je ne veux plus faire face aux conséquences de l'usage de cette magie.
– Donc c'est exclu, pas si ça te met en danger ou que ça créé un paradoxe temporel, intervint Rule avant que Vétéran ne se penche sérieusement sur la question. On devrait peut-être ressortir, voir si les autres ont une idée. Et demander à Liz quand elle reviendra, on est proche de son époque après tout et elle a peut-être déjà croisé ce genre d'artefact ?
– Et si on ne peut rien faire, on pourra toujours faire effondrer la galerie d'accès pour empêcher quoi que ce soit sortant de ce portail d'aller mettre le foutoir dehors, fit Vétéran avec un sourire en coin.
Mask rigola doucement et fit un geste pour inviter Rule à ouvrir la voie vers la sortie, puisqu'il portait toujours la lanterne de Twi.
Ils avaient à peine mis les pieds dehors que Sailor et Liz atterrirent littéralement à quelques pas, tous deux accrochés à un dispositif ressemblant à une toile tendue sur une armature pour Liz et à… des feuilles géantes pour Sailor ?
– Les gars, ça va ? s'exclama Sailor en repliant ses feuilles pour les glisser dans son sac avant de dégainer son arme.
Près de lui, Liz faisait disparaître sa toile dans un éclair bleu et une épée prit sa place. L'urgence dans leurs voix et leurs gestes les firent tous dégainer Mask s'écarta de la paroi de la falaise pour avoir de la place et prit l'épée plus courte à sa ceinture (il avait laissé sa grande lame et son bouclier, trop encombrants, à l'extérieur de la grotte).
– Qu'est-ce qui se passe ? lança Capitaine en tournant sur lui-même à la recherche d'une menace.
– On a vu un gros oiseau rouge remonter de votre position. Genre, vraiment gros. Vous n'avez rien vu ?
– Un oiseau rouge ? fit Twi en haussant un sourcil en direction de Sailor, l'air dubitatif.
– Vraiment gros ! répéta le jeune homme, un peu rouge.
– C'était le mien.
Ils se tournèrent tous vers la voix inconnue. Un homme se tenait à quelques mètres, comme s'il venait d'apparaître de nulle part. Rule sentit son sang se glacer : il n'y avait rien autour d'eux, comment était-il possible qu'ils ne l'aient pas vu avant ? Capitaine et Twi, les plus proches de l'homme, firent un bond pour s'éloigner et tout le monde resta silencieux. Les cheveux de l'homme étaient d'un blond cendré strié de gris qui lui tombaient sur les épaules, retenus autour de son front par un anneau de métal doré. Ses vêtements étaient étranges, drapés et apparemment bien trop chauds pour le climat doux sous lequel ils se trouvaient. Il portait une épée sur le dos et avait les mains sur les hanches, dans une posture pleine d'assurance, mais pas menaçante.
Il fit quelques pas vers eux et le groupe s'écarta.
– C'est la première fois que vous me rencontrez, mais je ne voyage pas de manière parallèle à vous : je vous ai déjà vu de nombreuses fois.
– Et… tu es qui ? lança Vétéran, un sort crépitant au bout de ses doigts.
– Link, fit l'inconnu avec un ricanement sarcastique. Qui d'autre serais-je ? rajouta-t-il en écartant les bras.
Dans le mouvement, Rule aperçut la marque de la Triforce sur le dos de sa main droite. Le nouveau Link sortit son épée de son fourreau et la lame de celle-ci s'illumina légèrement de bleu en émettant un faible son de cloche. Autour de lui les autres eurent des réactions variées, allant du tonitruant « putain de merde » de Sailor au mouvement de recul de Mask, en passant par les rires nerveux de Vétéran et Capitaine. Ok. Donc ils connaissaient cette épée ? Elle suintait de magie arcanique et lumineuse et Rule était certain que s'il l'avait croisé dans sa vie, il s'en souviendrait.
– L'épée de Légende, souffla Twi. Je l'ai reposé à sa place dans les Bois Perdu à la fin de… après avoir vaincu Ganondorf.
– Moi aussi. Plusieurs fois même, renifla Vétéran.
– Cool pour vous, parce que moi je l'ai laissé plantée dans le crâne de Ganondorf au fond de l'océan, rajouta Sailor en ricanant un peu jaune.
– Ce qui expliquerait pourquoi je n'ai jamais vu cette épée ? demanda Rule.
– Oh, si tu viens après moi, ouais… désolé.
Rule haussa les épaules. Les autres restaient choqué en fixant cette épée et il décida qu'il allait devoir être la tête pensante le temps que le reste du groupe retrouve ses esprits.
– Y'a un portail temporel là-dedans et on s'est dit qu'il fallait qu'on le ferme sans savoir comment. Tu as une idée comment faire ça, Link-le-retardataire ?
L'autre éclata d'un rire sans joie.
– Je suis là pour ça. C'est le dernier que je dois fermer.
Devant leurs regard ahuris il précisa :
– Je vous l'ai dit, je ne parcours pas ce voyage de la même manière que vous. Les derniers portails sont les plus simples, il n'y a plus beaucoup de monstres et ils ne sont presque plus alimentés de maléfice car vous avez vaincu – ou plutôt vous allez vaincre – les plus grosses sources de leur corruption.
– Tu vas venir avec nous alors ? demanda naïvement Sailor. Ce serait cool, Mask ne serait plus le plus vieux du groupe, rajouta-t-il avec un sourire moqueur.
Rule leva les yeux au ciel. À son crédit, ce Link semblait effectivement avoir la quarantaine, s'il se fiait à ses cheveux méchés de gris et les pattes d'oies aux coins de ses yeux.
– Il ne peut pas, fit Vétéran. S'il n'est pas avec nous dans notre futur, qui est son passé, il ne peut pas venir avec nous maintenant.
– Pas sans créer un paradoxe temporel, fit Mask à voix haute.
Sa voix douce et grave, rarement entendue, fit se redresser Sailor.
– Pas sans risquer de tout foutre en l'air, ce qu'il a vu doit rester notre futur pour que cela fonctionne, expliqua Capitaine avec habitude.
Ah oui, il avait été pris dans une guerre avec des portails temporels, se souvint Rule. Il aurait sans doute pu reconnaître la magie de l'orbe lui aussi.
L'autre Link eut un sourire triste et s'avança vers l'entrée de la grotte. Rule le trouva fatigué, dans sa posture et ses traits. Les Trois savaient ce qu'il avait traversé et vu pendant ce voyage qu'eux débutaient à peine. Il commença à craindre qu'ils n'en sortent pas tous indemne.
Link s'arrêta avant d'entrer dans la grotte, face à Rule, et le fixa d'un air impénétrable.
– Je… commença-t-il d'un air gêné. C'est la dernière fois que je te vois et je n'en aurais plus l'occasion.
L'homme déglutit et Rule sentit un frisson lui parcourir l'échine. Ce n'était pas seulement de la gêne, il était horrifié par quelque chose, quelque chose qu'il avait vu et vécu et dont eux n'avaient encore aucune idée.
– Je suis désolé, articula-t-il. Pour ce que ça vaut, je le suis vraiment. J'espère que tu t'en souviendras quand… quand ça arrivera.
– Quand quoi arrivera, réussit à dire Rule, la bouche sèche.
Mais l'autre détourna le regard et pénétra dans la grotte sans un mot de plus.
– Il n'a pas le droit de le dire, expliqua Vétéran bien inutilement.
– Les voyages dans le temps, c'est de la merde, souligna Sailor.
– Oh oui, fit la voix grave de Mask.
Rule tourna la tête vers eux. Twi le fixait, ou plus précisément il fixait son ventre et Rule se retint de ne pas poser sa main en protection dessus. Il pouvait y avoir des tas de raisons pour que quelque chose arrive à n'importe lequel d'entre eux. Mais pour que ce Link qui voyageait à rebours dise quelque chose à lui entre eux tous, avec tous les risques de paradoxe que cela comportait ? Les chances que cela concerne sa grossesse étaient bien trop élevée pour sa tranquillité d'esprit.
Putain, merci espèce de connard !
Il s'écoula de longues minutes pendant lesquels ils restèrent tous silencieux, attendant. Liz pianotait sur sa tablette et Sailor fit signe à Capitaine de s'approcher pour lui montrer quelque chose dessus. Liz laissa le soldat voir l'écran. Apparemment, elle et Sailor avaient trouvé quelque chose d'intéressant.
Twi se glissa vers lui et Rule fit de son mieux pour l'ignorer.
– Rule, chuchota-t-il.
– Peau de loup en descente de lit, Twi, siffla Rule entre ses dents avec un air mauvais.
Twi recula en levant les mains, abdiquant.
Link ressortit de la grotte, son épée dans son fourreau sur son dos. Sans un mot il s'éloigna de quelques pas et porta les doigts à sa bouche pour pousser un long et fort sifflement aigu. Sailor grimaça et fit mine de se boucher les oreilles.
Il ne se passa rien immédiatement et l'homme dit d'un air fatigué :
– Vous avez vingt-huit jours – vingt-sept maintenant – avant le prochain saut temporel. Il vous reste deux portails à fermer à cette époque, l'un dans le désert Gerudo, l'autre dans les Profondeurs. Elle sait où ils sont, rajouta-t-il en désignant Liz.
– En fait le paradoxe de Pru'ha existe uniquement parce que tu es trop crevé pour nous donner des détails ? fit-elle.
Il haussa les épaules.
– Bonne chance à vous. Adieu !
Ce disant, un grand courant d'air les balaya tous et un immense oiseau rouge plongea sur lui avant de remonter dans le ciel, Link sur son dos. Ils restèrent figés et choqués en fixant la silhouette disparaître dans le ciel à une vitesse trop élevée pour être naturelle.
Le charme fut rompu quand Vétéran se tourna vers Liz :
– Quel paradoxe de Pru'ha ?
iLes buveurs de café : Capitaine, Sailor, Twi. Vétéran aime bien le goût mais ne le supporte pas, Liz est capable d'avaler n'importe quoi mais préfère le thé, Mask n'en boit que s'il a besoin de quelque chose pour rester éveillé toute la nuit (comme une vache ou une jument en train de mettre bas). Objectivement, Rule pourrait aimer l'odeur (pas le goût cependant), mais il faudrait qu'il attende que ses nausées se calment définitivement.
iiParce que dans Botw et Totk, j'ai changé la couleur du foulard d'escalade en bleu. Na.
iii /signsuisse/fr/lexikon/118896/serpent
iv /signsuisse/fr/lexikon/119196/grenouille et oui, c'est en référence au souvenir dans lequel Zelda essaie de faire manger une grenouille à Link.
