Stiles n'avait pas l'intention de faire durer l'opération plus longtemps que nécessaire. Néanmoins, il savait que celle-ci risquait de prendre du temps. Elle n'était pas foncièrement difficile à réaliser, mais suffisamment risquée pour qu'il prenne toutes les précautions possibles : il était en effet hors de question qu'Isaac ait à pâtir d'une erreur de sa part. Ainsi, il s'assura longuement que tout était ok, que son ancien ami était réellement d'accord pour le laisser agir. Ses réponses – des hochements de têtes – étaient toutes sincères. Isaac voulait qu'il l'aide à communiquer plus facilement parce qu'il avait quelque chose à dire. Or, il n'avait pas prononcé un mot depuis que Scott avait voulu le sacrifier aux Psis. Connaissant fort bien le genre de conséquences que pouvait engendrer le silence, Stiles ne comptait pas le faire attendre plus longtemps. Si Isaac avait besoin de s'exprimer, il ferait tout pour l'y aider, quitte à… Bafouer certaines des règles qu'il s'était imposées – ce qu'il était d'ores et déjà en train de faire. Stiles ne put s'empêcher de se mordre la lèvre inférieure alors qu'il peinait à restreindre la puissance de toutes les émotions et souvenirs qui le bouffaient littéralement de l'intérieur.

Pour le coup, il ne serait pas contre l'idée d'être Silencieux… Ou de pouvoir exprimer toute la douleur qu'il ressentait sans craindre de causer quelque dégât ni même d'être simplement… Remarqué. Pas de doute, il avait besoin d'un temps mort, de quelques heures d'isolement loin du manoir et de la meute.

Mais pour l'heure, ses états d'âme n'avaient aucune importance. Ta priorité, c'est lui. Et il devait se tenir à cette ligne de conduite, s'y accrocher aussi fermement que possible tant qu'il le pouvait.

« Je sais que c'est difficile, mais j'ai besoin que tu te détendes, Isaac. »

Stiles sentait son esprit, mais la peur et la tension qu'il ressentait chez son ancien ami n'avaient rien de bon. Il avait son accord, certes… Or, cela ne suffisait pas. Il fallait qu'Isaac lui ouvre sa tête, qu'il lui confie en quelque sorte son âme. Autrement, Stiles aurait à forcer pour entrer et c'était exactement ce qu'il cherchait à éviter. Il n'y avait rien de pire que le viol psychique, de ce qu'on lui en avait dit.

« Rappelle-toi que je ne vais pas te faire le moindre mal. Ça ne sera pas douloureux… Tu ne vas rien sentir. Tu vas savoir que je suis là, mais rien ne te fera souffrir, tu m'entends ? »

Même avec ces mots, même avec la confiance qu'il semblait lui accorder, Isaac peinait à faire ce qu'il lui demandait pour la bonne raison… Qu'il n'avait aucune idée de la façon dont les choses étaient censées se passer. Puis à côté de cela, il y avait cette idée de… D'entrer dans sa tête. S'il était d'accord pour laisser Stiles faire, il ne se sentait peut-être pas forcément prêt à l'idée de… De… Le soupir que poussa soudainement l'hyperactif le ramena à la réalité.

« Ce n'est pas grave. »

Isaac sentit quelque chose le piquer. Son odeur. Oui, il s'agissait bien de son odeur : son regard, lui, ne laissait rien paraître – ou pas grand-chose de parlant.

« On n'est pas obligé de le faire. Je voulais te faciliter la tâche, mais finalement, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. »

Isaac secoua vivement la tête. Il fallait qu'il essaie ! Le loup-garou avait besoin de s'exprimer, de lui parler, de… Lui faire comprendre qu'il le voyait et qu'il s'inquiétait pour lui. Sincèrement. Que Stiles avait beau agir de façon détachée comme s'il ne comptait plus pour personne… On sentait son odeur. C'était en tout cas de source sûre le cas d'Isaac et… Il ne pouvait pas ignorer cette souffrance qu'il sentait émaner de lui. Au fond, il ne lui en voulait pas pour ses mensonges, il les comprenait. Mais comment le lui dire, s'il n'en avait pas la possibilité ? Comment s'exprimer, si Stiles abandonnait l'idée qu'il avait eue ? Bien qu'elle le dépasse, elle représentait pour Isaac la promesse d'une lumière. Son handicap – c'en était en tout cas un pour lui – l'isolait de tous. Et… Stiles semblait prêt à l'écouter, il lui accordait son attention malgré l'heure tardive.

Isaac ne devait pas laisser passer sa chance.

Mais Stiles secoua la tête de gauche à droite, lentement. D'un air indéchiffrable. Et le plus frustrant pour Isaac, c'était que son odeur ne l'était pas. Il eut toutefois peur que l'hyperactif le renvoie dormir, tout de suite. Qu'il mette fin à cette conversation nocturne et qu'il le laisse gamberger dans ses réflexions, ses angoisses, ses silences. Que Stiles continue de s'isoler comme il le faisait, de laisser ses propres malheurs le détruire chaque jour un peu plus. Isaac n'était ni dupe ni aveugle : alors il insista, joignant ses mains en signe de prière, l'implorant du regard d'essayer malgré tout. Même s'il ne savait pas vraiment comment faire pour lui « ouvrir son esprit », il trouverait un moyen de s'exécuter !

« Je ne peux pas. »

Dans ces mots prononcés d'une fois silencieuse, de la peur. Non. Une terreur sourde, laquelle transparaissait également dans son odeur on ne peut plus piquante. Stiles se retourna une seconde et lui tendit son téléphone… Toujours déverrouillé, ouvert sur l'application « Notes ». Isaac sentit son cœur rater un battement. Il eut mal et ne comprit pas ce revirement de situation. Était-il devenu lent à ce point-là ou avait-il juste manqué quelque chose concernant Stiles ?

« Essaie de me parler à nouveau avec ça, même si c'est difficile. »

Au moins, il ne le rejetait pas, mais cet abandon si rapide le tendit. Pourquoi lui proposer quelque chose si c'était pour se rétracter en si peu de temps ?

La réponse résidait dans l'état de la psyché de Stiles. Brisé, il avait tout simplement pris peur et s'il cachait le plus gros de cette émotion, son odeur en laissait filtrer une partie. Mais ce semblant de fragrance n'était rien face à ce stop qui s'était imposé à lui. Cela avait été rapide, un peu soudain, mais il n'avait pas pu le faire et ne s'en sentait pas plus capable maintenant.

Isaac n'était pas prêt, il en était certain et… Stiles était persuadé qu'il allait mal se débrouiller. Lui faire mal. Aggraver les séquelles déjà fort handicapantes qui empêchaient le loup-garou de s'exprimer comme avant : son agression par le Psi, dans cette ruelle… Lui avait bel et bien laissé des traces.

Et Stiles n'était pas certain qu'elles puissent disparaître.

Alors non, il ne le toucherait pas – et son esprit, encore moins. Il allait lui faire mal, le casser, détruire cette lucidité qui semblait intacte chez Isaac. C'était là, selon Stiles, l'atout le plus précieux du loup-garou à l'heure actuelle. Puis un esprit était bien plus fragile qu'un corps, plus difficile à réparer, quand cela ne s'avérait pas tout simplement impossible.

C'était trop précieux pour que Stiles, l'hyperactif, le maladroit, le défectueux… Ne se risque à appliquer cette idée qu'il jugeait désormais complètement stupide. Il n'était pas capable de réaliser une prouesse de ce genre. La minutie n'était pas sa plus grande qualité. Stiles ne pouvait pas se laisser faire une chose pareille. C'était définitif : il ne risquerait pas d'aggraver les lésions cérébrales d'Isaac. S'il essayer de forcer un peu, il ne ferait que les creuser davantage, c'était certain…

… C'était certain parce qu'il le pensait. Parce qu'il ne savait plus ce dont il était lui-même capable et que trop de choses avaient participé à détruire sa psyché. Stiles ne s'estimait plus correctement et avait laissé sa confiance en lui s'envoler dès lors que sa vie était partie en vrille. Ses mains, parcourues par de légers tremblements, se retrouvèrent cachées entre ses cuisses. Stiles n'assumait rien, pas même cette faiblesse due à l'angoisse qui le prenait. Oh oui, il voulait vraiment aider Isaac à communiquer avec lui mais la peur qui l'avait si soudainement envahi… Était trop forte pour qu'il puisse la combattre de quelque manière que ce soit.

Elle l'habitait entièrement, jouant avec les nombreuses douleurs qui dansaient dans son esprit en morceaux.

Stiles osa un regard en direction d'Isaac, dont l'aura psychique était saturée d'émotions négatives. Il ressentit l'envie, le besoin de s'en emparer pour le soulager… Mais retint les bras de son âme. Même ça, il était persuadé qu'il irait mal le faire – ainsi, il préféra s'abstenir.

A la place, Stiles le regarda s'échiner à écrire avec une peine incroyable tout en pensant, fort, à un besoin qu'il ressentait et qu'il mettait de côté, comme les autres…

Je veux être seul.

Un cri de son cœur pleurant sans arrêt ces larmes que son corps retenait. Ici, il devait se museler, pour le bien de la meute. De toute façon, qui irait faire attention à sa stupide odeur ? Qui pourrait remarquer sa lente mort intérieure, cette agonie qui n'en finissait plus ?