Chapitre Seize
Combien de temps allaient-ils encore jouer la comédie ?
Cette question hantait l'esprit de Sansa tandis qu'elle fixait l'extérieur, une main sur son ventre proéminent et l'autre perdu sur la pierre froide de la fenêtre.
Sa grossesse se continuait sans mal et elle s'émerveillait même à chaque mouvement de son bébé. Elle s'amusait parfois à imaginer le physique de l'enfant. Peut-être aurait-il les yeux gelés de son père et les cheveux flamboyants de sa mère ? Peut-être serait-il le portrait digne de la Maison Stark… Ou bien celui de la Maison Bolton ?
Elle soupira tout en se retournant un instant vers son lit.
Ramsay était bien plus distant depuis qu'elle lui avait posé cette fameuse question. Elle avait osé sous-entendre qu'il avait des sentiments pour elle… Lui… Le terrible Ramsay Bolton. Depuis, il l'évitait. Il lui amenait ses repas, à boire et des gâteaux aux citrons. Il faisait attention à ce qu'elle ne manque de rien. Mais ils ne discutaient plus. Et lorsqu'elle tentait d'entamer la conversation, il l'ignorait simplement.
Il était froid, distant… Il évitait soigneusement tout contact, tout regard.
Et si Sansa avait appris quelque chose, c'était que l'ignorance de Ramsay était plus terrible encore que ses accès de folie.
Ce qui lui faisait maintenir la tête hors de l'eau était lorsque la nuit tombait. Il revenait toujours la nuit… Quand Sansa s'était « endormie ». Il la rejoignait sous les draps et déposait avec tendresse une main sur son ventre, la serrant contre lui. Leurs corps ainsi emboîtés, elle avait la sensation que rien ne pourrait lui arriver. Certaines nuits, elle osait entremêler ses doigts aux siens, les serrant avec force. Et fermant les yeux dans l'obscurité, elle se laissait aller au sommeil, bercé par sa respiration contre sa nuque.
Ses yeux océans fixaient la cour de Winterfell avec envie tandis qu'elle sentait son cœur se serrer. Être cloîtrée ainsi dans sa chambre ne lui apportait rien que de l'ennui.
Si elle pouvait sortir… Marcher… Courir ! Ou bien même monter à cheval… Voilà bien longtemps qu'elle se serait réconciliée avec son époux.
Pire encore, elle ne pouvait plus assister aux auditions du peuple, et bien sûr, personne ne lui redisait comment allaient les Nordiens. La famine faisait-elle rage ? Avaient-ils froid ? Les travaux dans Wintertown avançaient-ils ?
Ses pensées divaguèrent un peu plus, et le souvenir de l'homme fou qui avait tenté de la tuer vint effleurer son esprit. Ce n'était qu'un pauvre homme. Mutilé. Privé de sa famille… Il n'avait voulu que se venger et venger ceux qu'il avait aimé. Faire du mal à son tortionnaire comme lui-même avait pu avoir mal. Et malheureusement, son tortionnaire fut nul autre que son propre époux à elle. Son époux qui était autrefois son propre bourreau.
Pouvait-elle réellement condamner l'âme de ce malheureux ?
Non. Bien sûr que non.
Et tandis qu'elle laissait son regard volter un peu partout dans la pièce, la porte s'ouvrit sur sa fidèle servante, Yvana. Mais quelque chose interpella immédiatement Sansa dans le comportement de cette dernière. Yvana était d'habitude très solaire, elle amenait avec elle une joie qui avait toujours réchauffé le cœur de la Stark. Mais tandis que la jeune femme commençait à ouvrir une malle, la Dame de Winterfell ne put que se faire la réflexion que la jeune servante avait un air crispé, presque mélancolique. Et tandis que Lómion rentrait à son tour dans la pièce et se couchait sur son lit, Sansa s'avança vers Yvana qui sembla se crisper plus encore.
« Yvana… Quelque chose ne va pas ? »
La jeune femme se mordit la lèvre et commença à sortir les affaires de Ramsay des malles. C'est ainsi que la Lady comprit… Et la voix de sa servante qui s'élevait dans la pièce ne fit que confirmer sa pensée.
« Lady Sansa… Je… Lord Bolton m'a chargé de prendre ses affaires. Il retourne dans sa chambre. »
Les yeux de Sansa s'écarquillèrent, sa bouche s'ouvrit légèrement avant de se refermer tout aussi vite. La rage roula dans ses veines et l'envie de gifler cet être goguenard lui démangeait la main avec véhémence.
« Où est-il ? »
Sa voix était froide et autoritaire, la servante devant-elle releva alors son regard banal vers sa maîtresse. Elle semblait se décomposer sur place. À nouveau, elle se mordilla la lèvre avec gêne, elle semblait hésiter. Mais sa loyauté envers la fille Stark était bien plus forte que la peur que lui inspirait Ramsay. Alors elle cracha le morceau :
« Lord Bolton est dans sa chambre, il m'attend. »
Toujours habillée de sa chemise de nuit blanche, Sansa ne prit la peine de revêtir une robe de chambre et empoigna le plus de vêtement possible qu'Yvana avait sorti et d'un pas lourd, elle traversa le couloir, pieds nus. La porte de la chambre de Ramsay était entrouverte, alors, tout en la fracassant d'un coup d'épaule, elle rentra dans la pièce sous l'air surpris du Lord.
Celui-ci était debout dans la pièce, le regard vide. Vide qui fut vite comblé par une étincelle que Sansa ne remarqua même pas tandis qu'elle rentrait dans la pièce.
« Tu n'es qu'un goujat ! »
Et tout en hurlant, la jeune Stark lança les affaires de son époux dans la chambre, les faisant s'écraser sur le sol dans un tas désordonné. Ses yeux bleus étaient remplis de colères et de défis tandis que ses cheveux étaient déjà emmêlés.
Ramsay quant à lui vint esquisser un sourire goguenard tandis qu'entre ses doigts, il faisait tournoyer son poignard qu'il venait d'aiguiser. Pourtant, aucune lueur d'angoisse ne traversa le regard azur de son épouse. Seulement la colère y résidait. Agacement se mélangea alors à un étrange sentiment de plaisir.
« Votre sommeil est déjà perturbé par votre grossesse, il vaut mieux que je ne le perturbe pas plus. »
Au même moment que sa voix rauque, s'était élevé dans l'air, l'enfant qu'elle portait dans son ventre lui donna un coup, comme si lui aussi ressentait le manque de son père. Alors, s'avançant vers son époux, la jeune femme reprit d'une voix plus calme.
« Ramsay… Quand vas-tu cesser de me punir ? Pense à nous… »
Lorsqu'elle fut face à lui, son cœur loupa un battement tandis qu'elle voyait la lame si proche d'elle. Si proche de son ventre… Mais bien vite, elle détourna son regard pour le lier à celui de son époux. Levant la main, elle vint caresser sa joue piquante due à une barbe de quelques jours. Ce simple geste… Elle avait eu si peur de l'esquisser la première fois. Ramsay resta muet un instant. Un combat intérieur semblait le tirailler. Il ne la repoussa pas, mais sa voix était plus froide encore que la glace :
« Sansa. Il n'y a jamais eu de « nous ». Vous n'êtes qu'une poulinière que je me dois d'engrosser pour avoir des héritiers. La comédie a assez duré, vous ne croyez pas ? Vous n'étiez qu'un jeu parmi tant d'autres. Mais je me suis lassé, alors, le jeu s'arrête ici, mon Amour. »
Les mots heurtèrent Sansa avec tant de douleur qu'elle crut s'effondrer tandis que Ramsay la fixait toujours dans les yeux. Mais rien ne vint.
Rien ne vint, car l'éclat de malice dans le regard de son époux, lorsqu'il prenait plaisir à la faire souffrir, n'était pas là. Non, il ne ressentait aucun plaisir.
Il ment.
« Alors reste dans cette chambre. Et le jour où il naîtra, reste également dans cette chambre. »
Sa voix était froide, aucun trémolo dû à l'émotion ne vint la briser. Seulement la douleur au fond de ses grands yeux bleus vint trahir la douleur qu'elle ressentait en cet instant. La jeune femme tourna le dos à son époux, la tête haute, elle quitta la pièce sans un regard en arrière.
Peut-être espéra-t-elle en cet instant qu'il la retienne ? Qu'il la prenne dans ses bras ? Ou juste qu'un simple échange violent se passe et qu'il s'embrasse avec désespoir.
Mais rien n'arriva. Ramsay resta muet. Et elle disparut dans le couloir, s'enfermant dans sa propre chambre.
Leurs destins étaient scellés.
Elle haïssait sa condition de femme.
Elle haïssait son rôle d'épouse.
Et bientôt, elle haïrait son rôle de mère.
Tout ce qu'elle avait tant rêvé enfant devenait désormais son pire cauchemar.
Comme si son bébé entendit les pensées désespérées de sa mère, il commença à s'agiter, sortant ainsi la jeune femme de ses songes.
« Non. Tu as raison. Toi, je ne pourrais jamais te haïr. »
Un soupir déchirant traversa ses lèvres tandis qu'elle se retournait dans son lit, fixant ainsi la fenêtre. Les larmes lui montaient à nouveaux aux yeux et cette fois, elle ne lutta pas. Les laissant silencieusement rouler sur ses joues pâles.
Elle le haïssait, de tout son être, elle le haïssait. Et pourtant, à ses dépens, Sansa découvrait combien la trahison d'un être aimé était plus douloureuse encore que la torture.
Cette toile qu'elle avait si habilement tissé depuis tant de temps n'avait finalement emprisonné qu'elle.
Elle l'aimait.
Elle avait appris à aimer cette créature torturée et sournoise qui se délectait de la souffrance des autres. Non pas par envie, mais, car lui-même était incapable de ressentir quoi que ce soit. Au-delà du bourreau, elle avait vu l'homme. Et dans ses yeux glacés, elle y avait lu la colère, la jalousie… La joie… Le désir.
Son cœur se serrait avec violence dans sa poitrine tandis qu'elle sentait Lómion se coller un peu plus à elle. Yvana avait fini de ramener les affaires à Ramsay et avait laissé un moment Sansa toute seule. Depuis, la Dame de Winterfell se laissait aller à sa peine.
Elle n'avait pas appris sa leçon correctement. Ramsay devait souffrir. Pas elle.
La porte de bois de la chambre s'ouvrit et Sansa entendit la douce voix d'Yvana s'élever dans la pièce, obligeant la jeune femme à reprendre contenance.
« Lady Sansa, puis-je faire quelque chose pour vous ? »
L'esprit de la Lady était flou, brouillon. Elle était dans un brouillard si épais qu'elle ne savait quoi faire pour en sortir. Un mélange de colère et de douleur envahissait son cœur et tout en se redressant, elle murmura :
« Fais venir Édric, s'il te plaît. »
La servante effectua une révérence et quitta la pièce sans se retourner laissant Sansa seule avec son tourbillon d'incertitude. Un malaise ambiant régnait en elle, comme si ce jour signerait un tournant acerbe dans sa vie.
Lentement, elle se releva de son lit et alla s'installer à sa coiffeuse après qu'elle eut endossé une robe de chambre gris anthracite.
Si elle ne pouvait contrôler Ramsay, elle devait contrôler chaque personne de Winterfell, à commencer par le Maître d'Armes.
Avec lenteur, elle brossa sa chevelure qu'elle laissa lâcher en une cascade rousse sur ses épaules avant de camoufler ses cernes avec de la poudre.
Elle était épuisée.
Au même moment où elle se releva pour contempler par la fenêtre, elle vit son époux se diriger vers les écuries. Sa démarche semblait colérique et au vu des gens qui l'évitaient, son visage devait refléter pareil sentiment.
Y avait-il encore de l'espoir ? Jouait-il la comédie ? Reviendrait-il à elle ?
Au même moment, l'on frappa à la porte et la jeune femme donna l'autorisation d'entrer sans même se retourner, ses yeux toujours rivés sur l'extérieur. Lómion quant à lui grogna légèrement avant de se recoucher sur le lit lorsqu'il reconnut le nouvel arrivant.
« Vous vouliez me voir, Lady Sansa ?
- Oui, je souhaitais vous parler, Édric. »
Elle se retourna légèrement vers lui et lui pointa du doigt une chaise où Ramsay avait l'habitude de s'asseoir pour discuter avec elle. Mais celui-ci refusa d'un mouvement de tête.
« Que se passe-t-il ? »
La jeune femme reporta son regard sur l'extérieur, ou du moins sur les écuries et dans une voix glaciale reprit.
« Vous vadrouillez beaucoup dans les villages, n'est-ce pas ?
- Il est vrai.
- Entendez-vous des échos Édric ? Des échos sur le Roi… Sur les Stark ?
- Je…
- Cela n'est pas un piège, Édric. Loin de là. Dites-moi simplement, la vérité.
- Lord Bolton…
- … Lord Bolton est dans les écuries. Il n'entendra rien et si par mésaventure, il apprenait quoi que ce soit… Je m'assurerai que vous soyez épargné.
- Lady Sansa… »
Édric hésita, fixant cette femme aux yeux azur. Elle était impressionnante et froide. Elle reflétait une justice que le bâtard Omble n'avait encore jamais vue. Et tandis qu'il prenait place sur la chaise au coin du feu, il sentit sa gorge se serrer. Lui aussi souhaitait voir Sansa, mais ses nouvelles n'étaient nullement bonnes.
« Les Nordiens parlent, Sansa. »
Sa familiarité soudaine fit tourner la tête de la Dame de Winterfell, mais celle-ci ne semblait point contrarié. Elle le fixait simplement. Les yeux dans les yeux.
« Que disent-ils ?
- Le Nord se souvient. »
Les mots résonnèrent dans sa poitrine avec plus de douleur qu'elle ne l'aurait cru. Des mots si justes. Oui. Le Nord se souvenait de tout.
« Ils se souviennent de la trahison des Bolton. Du meurtre de votre frère. Et tous rêvent que vous mettiez la tête de Ramsay au bout d'une pique. »
Elle frissonna. Elle aussi l'avait désiré autrefois. Mais est-ce toujours le cas désormais ?
« Tous veulent voir le retour des Stark. Et vous êtes une Stark. Les paysans parlent de votre bonté. Vous faites ce qui est juste. Tel feu Eddard Stark, vous voulez la justice dans le Nord. »
Son regard se perdait dans le vide, que serait-il advenu d'eux si Eddard Stark était encore en vie ? Que se serait-il passé ?
« Tous savent que vous êtes l'impulsion de Ramsay. Mais combien de temps, encore, resterez-vous encore dans l'ombre de votre époux ?
- Comment savez-vous tout cela ?
- Dans les tavernes, les hommes parlent facilement une fois que le vin ou la bière sont dans leurs coupes. De plus, je ne suis qu'un bâtard à leurs yeux. Je ne suis pas Maître d'Armes. »
Elle resta muette un instant, analysant de ses yeux froids l'homme en face d'elle. Une seule de ses phrases pouvait lui coûter sa tête pour trahison. Et pourtant, il venait de tout lui avouer. À elle. La femme du Roi du Nord.
Édric savait.
« Pourquoi devrais-je renverser mon époux ?
- Sansa… Lord Bolton ne vous dis pas tout. Les taxes ont été à nouveau augmentées. Les paysans meurent de froid. De faims. Les travaux de Wintertown ont été stoppés. Tous craignent la Grande Nuit. Mais pire encore. Ils craignent la guerre.
- La guerre ? »
Cette fois, l'incompréhension régnait sur le visage de Sansa qui fixait avec attention son interlocuteur.
« Vers la frontière, l'on raconte que la Reine-mère prépare ses arrières. Elle veut détruire le Royaume du Nord dans l'œuf. Elle marchera sur le Nord après les jours les plus froids et meurtriers de l'Hiver. Lorsque nous serons affaiblis et incapables de nous battre correctement.
- Ramsay, est-il au courant ?
- Oui. Il ne tenait pas à ce que vous le soyez au vu de votre… État. »
Le cœur de Sansa se serra dans sa poitrine tandis qu'elle détournait son regard vers les écuries. Était-ce la vraie raison ?
Un cheval bai apparut au même moment, trottant avec souplesse, il traversait la cour de Winterfell. Chevauché par une femme aux longs cheveux bruns tressés.
Et tandis que les yeux de Sansa se plissaient pour mieux voir la cavalière, Édric se leva, se rapprochant légèrement de sa Reine.
« Je devais d'ailleurs moi aussi m'entretenir avec vous, Sansa. J'ai des nouvelles par rapport à mes recherches à propos de Sando… »
Le cœur de Sansa se stoppa. La voix d'Édric n'était plus qu'un lointain écho tandis que le souvenir désastreux de ses cauchemars lui revenait en mémoire.
« Myranda… »
Édric se releva vivement pour retenir la jeune femme qui était sur le point de tomber au sol. D'un geste désespéré, elle s'agrippa alors à lui, comme si sa propre vie en dépendait.
« Myranda… Non… Elle ne peut pas. Non ! »
Un cri déchirant traversa sa gorge tandis que de lourds sanglots secouaient ses épaules. Il lui avait demandé de revenir.
Édric prit lentement la femme dans ses bras pour la poser sur son lit. Le Maître d'Armes avait la sensation que la jeune femme allait étouffer à chacun de ses sanglots. Elle prononçait des mots incompréhensibles et parfois hurlait comme si l'on transperçait sa peau de part en part. Plus rien n'avait de sens et Édric se sentait totalement démuni devant l'état soudain de la jeune femme.
Elle revivait chaque instant de torture avec Myranda. Elle revoyait devant ses yeux le sourire goguenard de Ramsay, elle entendait l'aboiement des chiens, elle pouvait même ressentir le goût du sang dans sa bouche. Elle revoyait même Lord Roose Bolton au-dessus d'elle, en train d'essayer de la violer. Tout ce qu'elle avait vécu, subi était encré dans sa peau à coup de poignard et jamais elle ne pourrait oublier.
La jeune femme se débattait avec violence dans les bras d'Édric tandis que celui-ci appelait vivement :
« Yvana ! Yvana ! »
La jeune femme rentra dans la chambre au bout de quelques minutes qui parurent interminables au Maître d'Armes. Mais la servante fut bien vite interpellée par la scène se déroulant devant ses yeux. L'état dans lequel se trouvait sa maîtresse était semblable au désespoir ou à la folie même.
« Faites venir Lord Bolton ! Dépêchez-vous !
- Mais… Où est-il ?
- Aux écuries ! »
La jeune femme s'exécuta et disparue presque immédiatement de la chambre en courant. Et tandis qu'Édric tentait, comme il le pouvait, de calmer la Dame qui sanglotait dans ses bras, Theon, ou du moins ce qu'il restait de lui, rentra dans la chambre de la Lady sous le regard écœuré d'Édric.
« Qu'est-ce que tu fous là, toi ? »
Schlingue ignora le Maître d'Armes, il s'approcha simplement de la jeune femme allongée. Sa main osseuse passa avec tendresse sur son épaule, et même si Édric était dégoûté par ce qu'il voyait, il laissa faire. Après tout, cette immonde créature avait été autrefois un ami proche de Sansa… La pupille de son père…
« S… Sansa… »
Il murmurait d'une voix à peine audible tandis que sa main glissait dans sa chevelure rousse.
« Enfants de la terre, prêtez l'oreille.
Aux murmures de vérités qui illuminèrent l'instant de clarté,
Deux âmes fusionnées,
Le Grand Amour qu'ils avaient si bien rencontré,
Unissant la terre aux cieux sacrés.1 »
Peu à peu, les doigts d'Édric se libérèrent de l'étreinte de Sansa, les paupières de la jeune femme se fermèrent, et elle s'enfonça rapidement dans un sommeil agité, sous le regard attentif des deux hommes.
« Une berceuse ?
- Une prière que Lady Stark chantait aux enfants pour les endormir. Sansa aimait beaucoup celle-ci. »
Theon se releva du lit, le dos courbé. Ses membres squelettiques et à moitié écorchés répugnaient Édric. Mais il lui esquissa tout de même un sourire reconnaissant.
« Merci, Theon. »
Le souffre-douleur du Lord de Winterfell frémit à l'entente de son nom passé, surtout que pour la première fois, une autre personne que Sansa l'appelait ainsi. Mais la peur, toujours présente au fond de son être, s'empressa de ressurgir.
« Je ne suis pas Theon ! Je suis Schlingue ! Schlingue ! »
Et l'être brisé disparu dans les couloirs obscurs de Winterfell.
Édric quant à lui soupira avant de se lever du lit à son tour. À peine eut-il été debout que sa place fut prise par le limier de la jeune femme qui s'allongea à ses côtés. Soupirant de plus belle, il caressa le chien défiguré. Tous deux avaient appris à se connaître et Lómion tolérait désormais sa présence.
« Comment pourrais-je annoncer à ta maîtresse qu'en plus de tout cela, elle a perdu son seul ami ? »
Abandonnant la Lady et son chien, il quitta la pièce et retourna à la lice, le cœur lourd de regret. Il aurait aimé pouvoir lui dire que Sandor Clegane était vivant et qu'elle allait le retrouver incessamment. Mais tout portait à croire qu'il était définitivement mort, tué par une femme… Qui plus est.
Il la haïssait.
Il haïssait chaque parcelle de sa peau trop blanche, trop parfaite.
Il haïssait sa taille fine, ses mains aux longs doigts de harpiste.
Il haïssait sa chevelure flamboyante qui démarquait dans la neige du Nord.
Il haïssait ses yeux bleus qui l'ensorcelaient à chaque fois qu'il y plongeait.
Il voulait qu'elle souffre, qu'elle hurle et pleure de souffrance comme lui souffrait à cause d'elle.
Il voulait qu'elle se sente perdue et démunie comme lui l'était.
Oui, il était perdu.
Il était malade de ne ressentir aucune haine, aucun plaisir sadique contre elle.
Il haïssait chaque parcelle de cette femme qui était la sienne, mais il les aimait plus encore qu'il ne les haïssait.
Brossant son étalon avec vigueur, il ne pouvait s'empêcher de penser à elle, elle et son visage déçu et perdu face à sa décision de ce matin.
Mais que pouvait-il faire d'autres ?
Il fallait qu'il la protège de lui-même. De son goût trop prononcé pour la cruauté. Chaque instant avec elle le rendait plus faible et plus fou encore. Il s'extasiait devant une grossesse, devant un bébé qui bougeait dans le ventre de sa mère… Alors qu'il égorgeait des chiots à peine nés.
« Lord Bolton est en proie à ses démons ? »
La confusion face à la voix fluette qui venait de résonner dans l'écurie lui fit perdre sa brosse qu'il maintenait jusqu'alors serré entre ses doigts.
« Que… »
Se retournant vivement, il tomba face à une cavalière brune, à la peau pâle et aux yeux malicieux. Elle semblait douce, presque timide, mais le sourire qui étirait ses lèvres charnues ne reflétait que mensonges et hypocrisies.
Sa menteuse de Myranda.
Son amante, sa fiancée. La femme qui avait compris sa folie et qui s'y était doucement introduite pour n'être que sa seule et unique muse… Jusqu'à peu. Jusqu'à ce qu'elle le trahisse. Et qu'il la renvoie à Fort-Terreur.
Descendant de son étalon, elle l'attacha au premier piquet venu avant d'aller à la rencontre du jeune homme qui fut autrefois son amant.
« Combien cela fait-il de temps ? Sept… Huit… Peut-être neuf mois, que l'on ne s'est pas vu ? Et te voilà tout perdu.
- Que fais-tu ici ?
- Mon père m'a fait parvenir un corbeau pour que je vienne chercher mes dernières affaires, moi, sa catin de fille.
- Alors fais-le et fou le camp.
- Tu sembles bien énervé pour un homme comblé. Le Roi du Nord, aurait-il perdu sa joie de vivre ? »
Le duel de regard entre eux était plus qu'électrique. La haine s'entremêlait à un désir sourd, pour l'un, comme pour l'autre.
« Je t'avais prévenu que si je te revoyais ici Myranda, je te tuerais. Alors dépêche-toi de partir avant que je ne m'exécute.
- Me tuer ? Comme lors de notre dernière partie de chasse ? Ou bien cette fois, tu porteras tes couilles ? »
Pour appuyer ses propos, la jeune femme donna une petite tape au niveau de l'entre-jambe de l'homme en face d'elle. Écarquillant les yeux, le Lord prit la jeune femme par sa chevelure brune et la tira violemment en arrière. Mais aucun cri de douleur ne franchit ses lèvres, elle ria seulement.
« Tu es devenu bien fade, mon Amour. »
Et dans un mouvement plus brusque encore, il plaqua sa bouche contre celle de Myranda. Lui arrachant un gémissement de plaisir. Il la maintenait contre lui et la porte d'un box, dévorant ses lèvres. Les mains de Myranda trouvèrent bien vite son pantalon qu'elle commença à défaire, mais alors qu'elle riait à nouveau quand celui-ci mordit son cou avec violence, le visage de Sansa vint le foudroyer.
Son visage implorant de ce matin, espérant un aveu, un sourire… Un échange.
En cet instant, il se sentit plus en colère encore contre lui-même, s'écartant de Myranda, comme brûlé par la peau de la jeune femme, il se dirigea vers la sortie de l'écurie.
« Que fais-tu ? »
Myranda semblait plus frustrée que perdu tandis qu'elle fixait le Lord à quelques mètres en face d'elle.
« Tu me dégoûtes. »
Elle encaissa. Brisant l'espace entre eux, elle le rejoignit et caressa son entre-jambe avec violence.
« Quelle blague fine. »
Une nouvelle fois, Ramsay la repoussa, les sourcils froncés, il toisa la jeune femme face à lui qui le regardait avec haine.
« Je ne t'aime pas Myranda. Je ne te désire plus. Tu es une catin que les chiens se feront un plaisir de baiser à ma place. Sansa porte mon enfant, mon héritier. Ce que tu ne pourras jamais m'offrir. Maintenant déguerpi ! »
La jeune brunette le fixa, ses yeux reflétant une haine que Ramsay n'avait jusqu'alors jamais vue. Elle l'avait tant aimé. Elle avait tant fait pour lui. Et c'était ainsi qui la remerciait ? Elle ? Son éternelle complice ? Et comme pour clore cette relation d'adultère, Ramsay reprit la parole, sa voix plus dure encore qu'auparavant.
« Tu n'es qu'une pute. Et je suis ton Roi. Je ne veux pas d'un bâtard. Alors disparais. »
Cette fois, quelque chose de gluant et liquide atteignit son œil gauche tandis qu'une main s'abattait sur sa joue dans un bruit sourd.
Myranda venait de lui cracher à la figure pour le gifler ensuite. Et n'avait-il encore réagi que la voix acerbe de la fille du gardien du Chenil hurlait :
« Tu n'es qu'un bâtard Ramsay, un bâtard qui était heureux de me baiser lorsque les nobles de Westeros se foutait bien de son avenir ! Ton enfant sera un bâtard également ! Peu importe que sa mère soit une Stark ou non ! Son père est et sera toujours un Snow. »
Ramsay la gifla à son tour avec violence, une gifle qui pour la première fois de la vie de la jeune femme lui arracha une larme. Une larme aussi claire que du cristal. Alors, elle recula de deux pas, avant de se retourner et de prendre le chemin du chenil. Mais elle se stoppa dans l'encadrement de la porte.
« Tu veux que je te dise Ramsay ? Ton bâtard d'enfant ne verra jamais le jour, il crèvera dans le ventre de sa pute de mère ! »
Et sans un mot de plus, elle quitta l'écurie.
Quant à Ramsay, plus énervé encore qu'avant cette entrevue, il commença à seller son cheval, prêt pour partir à la chasse.
« Lord Bolton ! Lord Bolton ! »
Ramsay se retourna vers la voix qui l'appelait et tomba nez à nez avec la pauvre Yvana qui semblait affolé.
« Que se passe-t-il Yvana ?
- C'est Lady Sansa… Bolton. Elle était en pleure, je ne l'ai jamais vu dans cet état !
- Et que puis-je faire à cela Yvana ?
- Eh bien…
- Qu'elle pleure ! Elle n'aura qu'à boire un plus ensuite. »
Ramsay grimpa sur le dos de son étalon et commença à se diriger vers la sortie de l'écurie.
« Mais… Lord Bolton.
- Je pars chasser. J'irai voir Lady Sansa à mon retour. »
Yvana fixa le Lord partir, désespérée. Quant à Ramsay, tout était clair dans son esprit.
Il n'aimait pas Sansa.
Mais il ne voulait pas être loin d'elle. Il haïssait le fait de savoir qu'elle était libre, sans lui. Il regagnerait le lit conjugal et quand l'enfant sera né, il recommencerait à tourmenter son épouse de bien des manières.
Sansa avait terriblement mal à la tête. Son corps entier était douloureux. L'air était difficilement respirable. Ses yeux la brûlaient et semblaient coller entre eux à force de pleurer. Elle se souvenait vaguement des événements l'ayant mise dans cet état.
Elle bougea légèrement, et tandis qu'elle reprenait peu à peu conscience, elle commença à sentir un vague mal-être en sa poitrine. Elle sentait qu'il fallait qu'elle se réveille, vite. Quelque chose n'allait pas. Vraiment pas.
Mais qu'est-ce qui réveillait donc la jeune femme ?
Qu'est-ce qui faisait que tous ses sens étaient ainsi en alerte ?
Un grondement lointain…
Oui, c'était un grondement lointain qui la sortait ainsi de ses songes.
Un grondement qui ressemblait à s'y méprendre à un grognement… ? Lómion ?
Lómion grognait-il ?
Lentement, la jeune femme ouvrit les yeux. Ils papillonnèrent douloureusement tandis que son esprit encore embrouillé s'éclaircissait petit à petit.
Elle mit un moment à voir l'intruse qui pourtant était face à elle.
Elle était pourtant là. Elle et son sourire malicieux, malveillant, et plein de promesses.
Elle était assise là, sur le siège de sa coiffeuse, l'air rieur, jouant avec un couteau entre ses mains.
Elle contemplait le spectacle de la belle Lady de Winterfell dormant avec son chien.
« Heureuse de me revoir, Lady Sansa ? »
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