Prologue
Il toussa, encore surpris des évènements qui venaient de se produire.
Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'il en devenait douloureux. Pour la première fois de sa vie… Il ressentait de la peur. Une peur sourde. La peur de mourir.
Non pas qu'il craignait la mort, mais il ne voulait pas la rencontrer avant d'avoir tué son frère…
Une nouvelle quinte de toux le prit, et un mince filet de sang rougeâtre vint s'écraser sur ses lèvres, envahissant sa bouche de son goût ferreux.
C'était la fin.
Des éboulements de petites roches derrière lui, lui firent comprendre bien vite qu'il n'était pas seul. Elle était là. Petite, maigrichonne et le regard fermé… Vide de toute émotion. Elle ressemblait à un enfant, un petit garçon perdu dans l'immensité de Westeros. Elle n'était qu'une enfant… Elle n'avait que treize ans, et déjà la vie l'avait mutilé laissant sa trace sur le visage de l'enfant, lui donnant cet air dur et sans émotion.
Elle vint s'accroupir à quelques mètres de lui. Avait-elle toujours eu ce visage si froid ? Si inexpressif ? Il se souvenait pourtant, d'elle marchant fièrement au côté de son père, Eddard Stark… Ou de ses grimaces moqueuses pendant qu'elle se jouait de sa grande sœur… Et il ne savait que trop bien quand est-ce que la gamine avait perdu sa joie de vivre. Ce qu'il savait aussi, c'est qu'il lui avait tout appris. Tout ce qu'il savait, il le lui avait transmis. Elle pouvait désormais se débrouiller sans lui, il le savait. Et elle aussi.
Mais alors, pourquoi était-elle encore là ? Pourquoi n'était-elle pas partie avec cette maudite bonne femme ?
« T'es encore là ? »
Sa voix qu'il voulut agressive ne vint pas camoufler la plainte rauque et meurtrie qui résonnait dans son intonation. Il souffrait. Son armure n'avait jamais été aussi lourde, et bordel, il avait mal. Le goût ferreux du sang envahissait peu à peu sa bouche et il avait si mal… Et tandis qu'il tentait de reprendre son souffle, la bile vint lui brûler la gorge et il ne put retenir le sang de sortir de sa bouche. Le liquide épais à la teinte bordeaux vint lentement couler le long de son menton, s'entremêlant dans les poils de sa barbe. Il était dans un putain de sale état.
La gamine ne détourna pas son regard de lui, elle le fixait toujours de son regard gris, mais aucune émotion ne vint le teinter.
Un trou béant était visible sur sa cuisse tandis que la terre l'avait déjà souillée. Il souffrait. Jamais dans sa vie il n'avait autant souffert depuis sa brûlure. Les yeux de l'enfant se posèrent alors sur la plaie dégoulinante, et Sandor voulut attirer l'attention de la gosse sur autre chose que cette monstruosité. Un dernier effort, pour elle.
« La grosse pute t'a sauvée. »
Ses yeux d'acier quittèrent la contemplation de la plaie pour se loger dans ceux semblables de Clegane. Elle était si froide… Était-ce lui qui l'avait rendu ainsi ?
« Je n'ai pas besoin d'être sauvé.
- Non pas toi, toi t'es une vraie tueuse. Toi et ta danse de l'eau… Et ton aiguille. »
Cela l'avait toujours fait doucement rire… Aiguille, cela allait si bien comme nom pour l'épée de cette gamine. Il n'avait jamais donné de nom à la sienne, il trouvait cette pratique des plus absurdes…
Il regarda l'enfant, de bas en haut. Il ne s'était jamais senti responsable de cette gamine. Jamais. Jusqu'à ce qu'il ne lui reste personne. Jusqu'à ce qu'il voie l'atrocité des noces pourpres. Le corps de son frère, décapité, cette tête de loup cousue grossièrement sur sa gorge. Même pour lui, le spectacle fut dur à voir. Il avait caché son regard, mais elle l'avait tout de même vu.
Désormais, il se souvenait… Elle était devenue cet être de froideur ce soir-là, où elle vit le spectacle macabre des Jumeaux. Et ce jour-là, il s'était senti responsable d'elle. Il avait toujours eu cette « chance » de se trouver responsable des filles Stark sans le vouloir.
« Tu vas mourir. »
Ce n'était nullement une question, non. Elle affirmait. Et elle affirmait juste. Rien ne pouvait plus le sauver. Il allait mourir, comme ça, tel le chien qu'il avait toujours été, sans avoir accompli sa vengeance.
« A moins qu'un mestre ne soit caché derrière ce rocher. Ouais, c'est mon tour. »
Il essaya, tant bien que mal, de camoufler une nouvelle fois une grimace de douleur tandis qu'il encaissait la vérité. Il mourrait ici. Seul. Sans personne. Non pas qu'il eut cru un jour mourir vieux et aimé… Non, il n'était pas idiot. Mais il pensait mourir avec le sang de son frère sur les mains. Il s'était même pris à rêver parfois, rêver qu'un jour, il la reverrait, elle et ses cheveux auburn…
Il chassa immédiatement ce fantôme du passé de son esprit. Il ne fallait pas…
« Je t'aurais écorché pour un pichet de vin ! »
Il balança cette phrase, comme cela, oui du vin, du vin pour être soul, du vin pour ne plus penser à elle. Elle et ses yeux d'un bleu glaçant, elle et sa peau laiteuse, elle et sa chevelure flamboyante… Si belle, si tendre… Si…
Du coin de l'œil, il vit la gamine attraper sa gourde qu'elle gardait à son ceinturon et il éleva sa voix, plus rocailleuse, plus sourde que le grondement du tonnerre.
« Garde ta putain de flotte ! »
À peine avait-il parlé qu'une douleur sourde le ramena à la réalité aussi dure soit-elle. Et alors que sa jambe devenait plus douloureuse encore, il ne put retenir un rire. Un rire noir, un rire empli de haine et de tristesse à la fois.
« Trucidé par une femelle… Je paris que tu es contente ! »
La gosse ne répondit pas, et la haine disparue presque immédiatement. Son air sérieux revint, et un nouvel instinct se propagea dans ses veines. Il s'était senti responsable de cette gosse à l'instant même où ils avaient quitté les Jumeaux. Mais désormais, il allait mourir… Il fallait la protéger…
« Vas-y ! Rattrape-la. Elle t'aidera. »
L'enfant secoua la tête par la négative. Faisait-elle cela par affection ? Ou par pure provocation ?
« Si tu restes seule, tu ne survivras pas bien longtemps.
- En-tout-cas, plus longtemps que toi. »
Ses paroles étaient plus tranchantes qu'un poignard, plus meurtrier qu'une épée. Elle ne perdait décidément pas le Nord. Cette pensée lui arracha un sourire amer. Cela était ironique venant d'une gosse qui venait de Winterfell. Et alors qu'il fixait toujours intensément cette gosse si froide, une idée germa dans son esprit. S'il devait mourir, il ne mourrait pas d'agonie tel un chien.
« Tu te rappelles où est le cœur ? »
Elle hocha la tête positivement cette fois, son air froid et impassible toujours encré sur son visage aux traits durcis. Il prit une grande bouffée d'air. Au moins l'un d'eux deux allaient pouvoir accomplir sa vengeance.
« Roh putain ! J'suis prêt à y aller ! Vas-y p'tite, encore un que tu peux barrer sur ta liste. Tu l'avais promis, tu t'rappelles ? »
Elle ne bougea pas, restant de marbre face à sa demande. Elle le fixait toujours de son regard vide. La douleur lancinait sa poitrine, comme si un feu violent lui rongeait le cœur. Il avait terriblement mal et il souhaitait que cela cesse. Alors d'une voix emplie de haine, il voulut la faire craquer.
« J'ai saigné ton ami, le fils du boucher. Il me suppliait de l'épargner. »
D'un sourire presque sadique, il continua avec une voix niaise :
« Pitié Ser, pitié me tuez pas ! Pitié ! Pitié ! »
Une nouvelle vague de douleur le prit, cette douleur intenable, la douleur de mourir. La nausée au bord des lèvres, il se devait de continuer, il voulait mourir tel un homme.
« Il pissait le sang sur mon cheval, l'odeur de ce gamin a empesté l'odeur de ma selle durant des semaines ! »
Mais la gosse ne bougea pas, toujours immobile, elle le fixait de son regard grisâtre. Alors le Chien s'attaqua à plus haut, plongeant tête la première dans les plaies les plus profondes de la gosse. Mais qui essayait-il réellement de blesser à cet instant… Elle, ou lui ?
« Ta grande sœur, ta belle grande sœur… J'aurais dû la monter ! »
J'aurais dû lui avouer.
« Cette nuit, où la baie entière brûlait, je l'aurais fait saigner en la baisant ! »
J'aurais dû la sauver, la forcer à me suivre. Ne pas lui laisser le choix…
« Ça m'aurait fait au moins un bon souvenir. »
J'aurais peut-être pu lui prouver qui j'étais…
Depuis cette nuit-là, la culpabilité n'avait jamais quitté le ventre de Clegane. À chaque fois que le regard bleu de son petit oiseau venait le hanter, il était à chaque fois accompagné par les regrets. Il n'avait pas tenu la promesse qu'il s'était fait à lui-même. Il n'avait pas pu la protéger.
La gamine, quant à elle, ne réagissait toujours pas. Son regard, empli de souffrance, se baissa. Il ne pouvait affronter les pupilles aciers de l'enfant. Il mentait, il mentait et elle le savait.
La peur, ce sentiment si sournois, auquel il n'avait pas été confronté depuis longtemps, vint enserrer son ventre et son cœur. Il ne craignait pas de mourir. Il craignait l'agonie qui se profilait à l'horizon. Il ne voulait pas affronter son fantôme tandis qu'il mourrait…
« Est-ce que je dois te supplier ? »
Elle ne répondit rien, elle l'observait, lui, le Limier, le Chien, qui se débattait face à ses tourments, ses démons. Il tentait de fuir désespérément les fantômes qui le hantaient chaque nuit. Il fut tout le long de sa vie un homme impénétrable et bourru, un masque qu'il s'était donné pour ne pas montrer sa seule et unique faiblesse… Elle… Et Arya l'avait compris de cela, il y a bien longtemps.
Le regard du Chien vint à nouveau se poser sur elle, il avait la sensation d'être face à l'ange de la mort, attendant qu'il avoue tous ses pêchers pour lui donner le coup de faux qui l'arracherait à cette vie. Clegane n'avait jamais cru en aucun dieux. Il se riait même d'eux. Mais s'ils existaient, ils devaient se donner à cœur joie devant ce spectacle funestement ridicule. Le grand Limier, homme sans scrupule, implorait désormais une gamine d'abréger ses souffrances.
« Tue-moi… »
Elle ne bougea pas.
« Tue-moi. »
Son regard se brouillait peu à peu, ses lèvres tremblaient… La mort, arrivait-elle ? Ou bien la folie ?
« Tue-moi ! »
Non, c'étaient des larmes qui montaient à son regard et qu'il retenait tant bien que mal.
Soudain, la gosse se leva et sa maigreur vint frapper pour la première fois Clegane. Sa forme squelettique laissait penser qu'elle était bel et bien la mort. Elle s'avança vers lui, d'un pas leste… Un pas de danseuse. La main sur le manche de son épée, elle s'approche. Et elle resta un instant stoïque au-dessus de lui. Il planta alors son regard dans ses prunelles grises, il l'implorait du regard.
Putain, il haïssait cette situation, il haïssait cette gamine, il haïssait sa propre faiblesse.
D'un geste lent, elle vint s'accroupir à ses côtés, s'il avait pu tendre le bras, il lui aurait caressé la joue… Si pâle, si sale. Mais ce fut elle qui tendit la main, et dans un mouvement habile, elle lui prit sa bourse. Clegane tenta de la lui reprendre, mais elle était bien trop rapide pour ce corps désormais si lent.
Une nouvelle quinte de toux, cette fois pleinement accentuée de sang sortit de sa gorge. Et un nouveau duel de regard s'échangea entre eux. Il ne dura qu'un instant, et la gamine se retourna, partant dans l'horizon, son pas trainant, mais sûre d'elle. Elle partait.
Où allait-elle ? Qu'allait-elle faire ?
« Tue-moi ! Tue-moi ! »
Ses cris résonnaient dans la vallée, mais il la vit disparaître tel un fantôme dans les montagnes rocheuses, sans même se retourner. Il était désormais seul. Une larme roula alors sur sa joue, il haïssait sa faiblesse.
La douleur commença peu à peu à s'estomper… Pour ne plus rien ressentir… Il ne guérissait pas… Il était en train de mourir. Les minutes… Les heures passèrent… Et tandis que l'agonie se faisait interminable, un bruissement se fit entendre dans les fourrés à côté. Il observa autour de lui, il allait bel et bien se faire bouffer par des loups avant même de crever. Mais il ne pouvait plus bouger, même simplement tourner sa tête relevait d'une volonté presque insurmontable.
Mais ce fut à cet instant qu'elle apparut. Sortant des buissons, habillée de cette robe aux couleurs du Lion. Ses cheveux auburn encadrant son visage d'ange. Comme cette nuit-là… Elle n'avait pas changé. Elle était belle comme le jour, pure comme les premières lueurs de l'aube. Et pourtant, dans son regard brillait la froideur de la nuit. Pourquoi venait-elle toujours le hanter ? Pourquoi la culpabilité ne quittait-elle pas son cœur ?
« Est-ce bien toi, mon Petit Oiseau ? Ou bien es-tu encore le fruit de mon imagination… ? »
La jeune femme ne répondit rien, elle s'approcha simplement de lui. Elle avait cet air éthéré tandis qu'elle s'agenouillait à ses côtés. Pourtant, la sensation de ses doigts froids sur son front était bien réelle. Quel était ce sortilège ? Il aurait tant aimé saisir sa main, embrasser ses doigts avec douceur, comme elle le chantait dans ses chansons. Lui montrer que sous cet homme hargneux se cachait un cœur.
« J'aurais dû te sauver Petit Oiseau… T'emmener…
- Tu m'as déjà tant sauvé… »
Elle lui parlait pour la première fois de façon familière et cela lui arracha un frisson de plaisir tandis qu'avec délicatesse, elle plaçait sa deuxième main sur sa joue brûlée. Et nul dégoût ne vint se glisser dans son regard tendre.
« Ce jour-là, dans cette grange, tu m'as sauvé. »
Il se souvint avec violence, de ce jour-là. Elle avait disparu, il la cherchait partout. Personne ne s'était soucié de l'enfant Stark disparue, tous ne pensaient qu'à cet ignoble gamin qui se croyait Roi. Et tandis qu'il prenait une rue adjacente, il entendit des cris dans cette grange éloignée. Ses cris. Il entra immédiatement et la vit, entourée de ces quatre gueux. Sa robe était en miette, une plaie sanguinolente balafrait sa joue et elle pleurait… Hurlait… Et ils riaient. Il s'en souvenait, il se souvenait parfaitement de la haine qui avait brûlé ses veines à cet instant.
L'un tenait ses bras tandis que deux autres maintenaient ses jambes. Le dernier était déjà entre ses jambes tentant par tous les moyens de prendre la gamine comme une chienne.
La colère qui bouillonnait en lui… La rage qui envahissait sa bouche… Tous ces sentiments de haines qui avaient envahi son corps tandis qu'il entendait ses hurlements de peur. Il était alors arrivé, faisant un véritable massacre à lui seul. Il éventra d'abord celui avait tenté de la faire saigner, ses boyaux se répandant sur la paille fraiche. Il d'énuqua le suivant avant d'égorger le troisième. Le quatrième, quant à lui, avait eu la chance de fuir ce jour-là…
Lorsqu'il s'était tourné vers elle, la jeune fille semblait tétanisée, allongée dans la paille, le regard encore embué et chacun de ses membres tremblant de terreur. L'oiseau était tombé du nid. Sa colère bourdonnait alors dans ses tempes, envahissant chaque parcelle de ses veines, non contre elle, mais contre cet abruti de Roi. Alors le Limier avait tenté de se montrer doux, ravalant sa haine, il essaya de prendre une voix douce tandis qu'il lui tendait sa main gantée encore tâchée de sang.
« Il n'y a plus rien à craindre petit oiseau. Rien à craindre. »
Lentement, Sansa Stark lui avait pris la main, sans aucune peur, aucun dégoût. Il l'avait alors fait basculer sur son épaule, ne voulant la porter telle la princesse qu'elle était par peur qu'on la blesse plus facilement, par peur de ne pas pouvoir atteindre son épée pour la protéger. Une fois à l'extérieur de la grange, il l'avait mise sur son étalon et tous deux avaient regagné le reste du cortège Royal. Il avait savouré chaque instant, de la jeune femme contre lui tandis qu'il trottait au milieu des fous dans Port-Réal. Quand ils arrivèrent, quand il la déposa sur le banc de bois… L'inquiétude de tous le fit tomber dans la réalité de la situation, elle était blessée bien plus gravement que sa simple joue.
« Êtes-vous blessée ? »
La voix du gnome l'avait sorti de sa torpeur tandis que celui-ci fixait Sansa de son regard doux. Il n'avait jamais eu de mépris pour le plus jeune des Lannister. Tous deux avaient plus d'un point commun, dont celui de l'apparence qui les rendaient monstrueux aux yeux de tous.
« Il saigne le petit oiseau, remettez le dans sa cage. Et prenez soin de sa blessure ! »
Jamais il n'avait porté attention à qui que ce soit. Qu'elle se fasse violer ou blesser, il n'aurait rien dû ressentir. Mais elle était son petit oiseau, et cela l'avait mis dans une rage folle, semblable aux chiens enragés. Et tandis qu'il tournait le dos pour partir, le gnome le retint.
« Belle action, Clegane. »
La voix du nain vint lui hérisser le poil, d'un mouvement, il se retourna, planta son regard grisâtre dans les yeux verdâtre de Tyrion.
« Ce n'est pas pour vous que je l'ai fait. »
Et sans un mot de plus, il quitta la pièce. Il avait fait tout cela pour elle, et seulement elle.
Encore aujourd'hui, il pensait la même chose. Ce n'était pour personne d'autre qu'elle, qu'il avait fait tout cela. D'un geste tendre, elle caressa sa joue, comme si elle devinait le fond de ses pensées. Comme si elle revivait ses souvenirs avec lui.
« Ce soir-là, j'aurai dû te forcer à venir avec moi petit oiseau… Un oiseau ne s'envole jamais sans aide lorsque sa cage est ouverte. »
Il l'aurait dû la prendre sur son épaule comme ce jour-là. Il aurait dû la kidnapper et la forcer à le suivre… Ses yeux d'un bleu envoûtant rencontrèrent les siens et il crut voir l'espace d'un instant un amour inconditionnel passer dans ses yeux… Quand lui avait-il vu un regard comme celui-ci la dernière fois ? Peut-être lorsqu'elle regardait son père lorsque celui-ci était encore en vie ?
Il ne savait pas… Il ne se souvenait plus…
« Ce soir-là, nos destins étaient déjà scellés…
- Cesse de me parler de destin, fillette. »
Le souvenir des flammes vertes envahit alors son esprit, le souvenir de l'attente dans l'obscurité, de son souffle saccadé tandis qu'elle fermait la porte… De son regard bleu, perdu, dans la pénombre. Il avait hésité à signaler sa présence et l'avait alors observé l'espace d'un instant.
Elle s'était retournée vers la fenêtre au son des cris des hommes qui s'entretuaient. Elle s'était hâtée à chercher un objet de réconfort en soulevant ses draps rouges et or, et elle avait serré contre sa poitrine une poupée vêtue de bleu… Une poupée que son père lui avait offerte. Il le savait, il l'avait entendu le dire à sa servante, Shae.
« La Dame est-elle prise de panique ? »
Il n'avait su comment annoncer sa présence autrement que par l'ironie. Assis sur une chaise, vers la porte, il était là, m'acculer de sang, le regard perdu dans le vide.
« Que faites-vous là ? »
Sa voix glaçante le blessa, elle aurait donc toujours peur de lui ?
« Je ne fais qu'passer. »
Sa voix était plus calme que d'ordinaire, il était venu ici immédiatement après avoir insulté le Roi et toute la famille royale. Il était venu ici, car elle était la seule qu'il eut envie de revoir. D'emporter…
« Je m'en vais. »
L'angoisse voila l'espace d'un instant ses prunelles saphir.
« Où allez-vous ? »
S'en souciait-elle réellement ? Demandait-elle cela par courtoisie ?
… Y avait-il vraiment de la courtoisie dans des moments comme celui-ci ?
« Quelque part où rien ne brûle. Vers le Nord peut-être… Ça se pourrait bien.
- Vous abandonnez le Roi ? »
La colère gronda dans ses tempes avec force. Même après tout ce que ce bâtard de Roi lui avait fait subir, elle continuait à s'inquiéter pour lui ? Ou bien était-ce une façade qu'elle se donnait par peur des représailles ?
« Il crèvera aussi bien tout seul. »
Une gorgée de vin pour lui donner du courage… Et il planta son regard brisé dans ses prunelles de biche apeurée.
« J'pourrais t'emmener avec moi, te ramener à Winterfell. »
Il se souvint de l'hésitation dans son regard, de la peur au fond de ses prunelles océans… Il se souvint s'être levé, la surplombant de toute sa hauteur. Elle était si petite, si frêle… Et lui si grand…
« Tu n'auras rien à craindre avec moi. Je te ramènerai chez toi… »
Il crut, l'espace d'un instant, qu'elle allait accepter, qu'elle allait le suivre. Il s'était ouvert à elle par le passé. Comme jamais il ne s'était ouvert à personne… Certes parfois de manière agressive, certes parfois trop brutalement… Mais il lui avait pourtant des facettes de sa personnalité qu'aucune femme, qu'aucun être de ce monde ne verrait jamais…
« Il ne m'arrivera rien ici… Stannis ne me fera pas de mal… »
Ses mots furent plus tranchants que la lame de son poignard. Pensait-elle réellement que Stannis allait ressortir victorieux de cette bataille ? La stratégie du Gnome était sans équivoque… Les Lannister ressortiraient victorieux, une fois de plus… Lentement, il vint lever sa main vers elle, une tentative maladroite de caresser sa joue pâle, mais la jeune femme se recula de peur, et cela le blessa plus encore… Elle n'osait même pas le regarder.
Alors il l'avait saisi, par le poignet, la forçant à se rapprocher de lui avant de prendre avec violence son visage entre ses doigts, la forçant à le regarder.
« Regarde-moi ! »
Elle leva alors son regard effrayé vers lui, passant de sa brûlure à son regard d'acier, ses yeux embués de larmes ne purent retenir celles-ci de couler. Cette peur qu'elle eût à son égard, même après tout ce temps, le détruisait de l'intérieur.
« Stannis un est tueur. Les Lannister sont des tueurs. Votre père était un tueur. Votre frère est un tueur ! Vos fils, un jour, seront des tueurs. Votre monde a été bâti un jour par des tueurs. Vous feriez mieux de vous habituer à en avoir un en face de vous. »
La jeune femme sembla se détendre, lentement, entre ses mains. Se redressant, elle l'affronta cette fois sans obligation. Et sa voix si pure, si douce, s'éleva dans l'air.
« Vous ne me ferez pas de mal. »
Cette affirmation vint éveiller une douce chaleur en sa poitrine, voyait-elle enfin au-delà de son faciès ? Voyait-elle enfin qui il était vraiment ?
« Non, je ne te ferais pas de mal petit oiseau. »
Il se sentit désemparé, à bout. Il savait qu'elle ne le suivrait pas, il savait qu'elle resterait ici… Dans sa cage dorée… Jamais plus il ne la reverrait. Lentement, il la lâcha, et d'une voix brisée, il lui demanda.
« Chante-moi une dernière chanson. »
La jeune femme vint s'asseoir sur son lit avec douceur, sous le regard douloureux du Limier, et dans un murmure, presque imperceptible, elle chanta. Et le Limier se laissa bercer par ce doux murmure comptant l'histoire d'amour d'un chevalier et d'une magnifique princesse… Et tandis que la chanson prenait fin, un nouveau hurlement se fit entendre, celui d'un homme brûlant vif. La guerre faisait rage à l'extérieur, mais ils étaient désormais loin de tout cela, loin de la guerre, du sang et de l'odeur de chair brulée. Il vint s'asseoir à côté d'elle, et sa voix s'éleva, plus fébrile, plus brisée.
« Je pourrais te garder en sécurité. Ils ont tous peur de moi. Personne ne te ferait plus de mal, ou je les tuerais. »
Il avait tenté de la toucher, mais celle-ci avait fermé les yeux tout en reculant imperceptiblement, lui arrachant une douleur sourde au cœur. Non, elle ne comprendrait définitivement jamais.
« T'peux toujours pas supporter de regard, hein ? »
Il hoqueta légèrement en prononçant ses mots, il était en train de se montrer définitivement vulnérable face à elle. Sa gorge se noua, son cœur se serra, et il se leva du lit, se dirigeant vers la porte en silence.
« Attendez. »
Elle venait de saisir sa main, fébrilement, elle le retenait. Et il se retourna face à elle, sa mâchoire se contractant inlassablement en sursaut douloureux. Elle s'approcha alors doucement vers lui, le regardant droit dans les yeux, sans une seule once de peur.
« J'imagine que l'une des raisons pour lesquelles vous vous accrochez à cette haine si obstinément… Est parce que vous sentez qu'une fois la haine disparue, vous serez obligé de faire face à la douleur… » 1
La justesse de ses paroles le foudroya sur place, et il dut se maintenir à la porte derrière lui pour ne pas tomber. L'émotion le gagnait de part en part. Et elle, son doux petit oiseau, se rapprocha de lui, caressant son visage de bout des doigts, elle passa avec délicatesse sur sa joue rugueuse. Et elle n'émit aucun son, n'esquissa aucune grimace de dégoût. Non, juste une compassion tendre venait éclairer son regard azur.
« Merci pour tout, Sandor. »
Il ne sut jamais si ce fut le geste, les remerciements ou le fait qu'elle prononce son prénom pour la première fois. Mais sa bouche vint brutalement saisir la sienne, un baiser dur, long. Un véritable baiser.
Il se souvenait encore de la douceur de ses lèvres, du sucre envahissant sa bouche et de ses mains qui lentement vinrent se poser sur ses hanches, la peur qu'elle le fuit venant ronger son cœur. Il la sentit se figer, puis tanguer sous ses mains, et quand ils se séparèrent, elle resta choquée. Il n'attendit nullement une réponse, le Limier prit simplement la fuite, versant des larmes silencieuses tout en claquant la porte. Ne laissant derrière lui qu'une cape blanche souillée de sang et de suie.
Cette nuit-là, il était venu à Sansa dans l'obscurité alors qu'un feu verdoyant remplissait le ciel de sa couleur écœurante. Il lui prit une chanson… Et un baiser. Et il ne lui laissa en souvenir de cet échange que sa cape… L'avait-elle encore ?
Lentement, les yeux de Clegane cherchèrent ceux de Sansa, il voulait la voir une dernière fois avant que l'Étranger ne vienne l'emporter… Mais elle n'était plus là, le petit oiseau avait disparu. Le Limier cligna plusieurs fois des yeux, quelqu'un était là ? Mais ce n'était pas Sansa… Il tenta de parler, mais rien ne put sortir de ses lèvres à part elle…
« Petit Oiseau… »
Ses paupières devinrent lourdes, et il sombra dans un sommeil semblable à la mort, où Sansa était enfin à lui.
1 Citation de l'écrivain James Baldwin (1924 – 1987) que j'ai légèrement modifié pour quelle colle au personnage de Clegane.
