Prologue

Saga ne parvenait toujours pas à le croire : ils étaient de retour, ressuscités grâce à on ne savait quelle force divine. Était ce une récompense pour leur abnégation absolue, quitte à sacrifier leur honneur et leur vie pour leur déesse ? Une condamnation pour qu'ils réparent leurs erreurs personnelles et collectives ?
Le contact avec le sol froid du Sanctuaire le ramena à la réalité. Tout comme ses muscles endoloris, et cette sensation violente de vertige quand il essayait de bouger même faiblement.
Quoi qu'il en était, l'aîné de cette génération ne se sentait pas heureux de cette nouvelle vie. Il avait le sentiment de ne pas être complet, que tous ne s'étaient pas vu accorder cette seconde chance. Alors qu'avec toutes ses erreurs, il ne la méritait d'autant plus absolument pas.
-Saga ?
Le concerné fût surpris de voir son ancien meilleur ami de toujours se tenir en face de lui. Et au vu de son visage grave, il devait se passer quelque chose de sérieux.
- Il faut que tu vois quelque chose, maintenant. Et c'est très important, insista il sur un ton froid qui ne souffrait aucune réplique.
Saga se releva tant bien que mal, sans rien dire. Le malaise commençait à passer un petit peu, il arriva à se mettre debout, tant bien que mal décidé à le suivre. Ce n'était absolument pas le moment, la rancœur était encore très palpable. Un seul mot, même par politesse pourrait avoir un effet néfaste et explosif à ce moment. Ils marchèrent un demi kilomètre, sur le sol dallé un corps étendu attira immédiatement l'attention du Gémeaux.
- Qui est cet homme ? Tu le connais ? Demanda Aioros.

- Kanon, murmura Saga incrédule.
Un profond soulagement s'empara de lui, chassant la lourdeur de son cœur. Son frère, sa moitié, son jumeau, de retour parmi eux lui aussi. De toute évidence, ses efforts avaient payé.
Bien sur, Saga était fier de lui, de voir que sa conduite n'était pas de la tromperie, que c'était tellement inespéré. Mais… Il était impossible de passer si vite sur tout ce qui s'était passé entre eux, ils avaient fini par se haïr mutuellement. Les choses avaient petit à petit dégénéré à cause de cette maudite loi sur les Gémeaux qui avait gangrené leur relation. Quelque chose s'était brisé de façon irrémédiable entre eux avec ce triste épisode du Cap Sounion, treize ans étaient passé.
L'un comme l'autre avaient fini par éprouver un mépris profond, ou une douleur submergée par une autre bien plus grande. Il y avait eu tant d'occasions, tant de possibilités de se parler, mais par fierté et convictions erronées aucune tentative n'avait vu le jour.
Le corps de Saga était secoué de tremblements, il ne parvenait pas à esquisser le moindre geste, pétrifié, et submergé par les émotions. Même si il y avait songé, il n'avait aucune envie de le serrer contre lui dans ses bras. Primo parce que ce n'était pas le moment, et que ce serait tout sauf accepté. Secundo parce qu'il lui en voulait encore pour beaucoup de choses, que tant qu'ils ne parviendraient pas à vider une partie de leurs sacs, les choses ne bougeraient pas, ou empireraient.
Certes, ils avaient commencé à régler leurs comptes dans leur temple, mais il restait tant à faire. L'urgence de la Guerre Sainte, de retrouver l'armure d'Athéna avait anéanti ce petit départ.
Qui avait abouti sur un résultat désastreux lors de leur ultime face à face.
Comment oublier ce regard glacial et méprisant ? Ce ton dur, chargé de reproches, de ressentiment , voilant une question. « Oseras tu faire ce pourquoi tu m'as abandonné et emprisonné impitoyablement ? »
Comment oublier ce désarroi, cette abîme sans fond ou seul ce qu'i faire sert de filin de survie ? Comment dévoiler qu'en fait il s'agissait d'une mission à remplir dans l'ombre pour sa déesse ?


A présent, l'amour fraternel était profondément enfoui sous la douleur, la colère, les mauvais souvenirs. L'espoir était devenu désespoir, l'envie la rage et la haine, la perplexité du mépris. Un mot, une dispute, un acte, de la confiance qui se dégradait un peu plus. Deux frères plus que jamais à couteaux tirés, à qui il faudrait des années pour que le fossé entre eux se comble.

Mais il n'y avait pas que cela qui plongeait Saga dans la colère et le ressentiment. Il y avait aussi ses innombrables crimes.
Il avait tenté de tuer Athéna, abattu froidement Shion. Sous l'emprise du lémur, il avait condamné Aioros son meilleur ami. Victime d'une chasse à l'homme, de souffrances, avec l'étiquette de traître Aiolia mis dans le même sac que son grand frère par la même occasion.
Il avait usurpé le rôle du Grand Pope par soif de pouvoir, à cause de ses ambitions mais l'aide de Ker avait aidé. Au lieu de mieux former le Sanctuaire à la Guerre Sainte contre Hadès, ses ordres avaient mené à la mort de nombreux chevaliers. Y compris parmi les plus valeureux et courageux tels que Shura ou Camus qui pourtant avaient choisi de le suivre.
Mais le pire de tout, c'est de s'être laissé griser par l'effet de la lumière, se plaisant dans ce statut de prestigieux chevalier d'or, modèle pour les autres. Alors que ça avait projeté Kanon dans les griffes de l'ombre, lui qui déjà tentait tant bien que mal de s'en extirper. Pour ne plus se soucier d'une gêne parce qu'il en avait plus que jamais assez de cette haine mutuelle qui était née entre eux, il l'avait condamné à mort.
Sans l'ombre d'un regret, sans avoir écouté ses arguments. Une réaction à chaud parce que des observations l'avaient piqué au vif et avaient été la goutte d'eau faisant déborder le vase.
Toujours sous l'excuse du devoir de chevalier d'or, pour laver son honneur il s'était donné la mort devant Athéna. Qu'est ce que ça allait vraiment changer ? Même si depuis toute cette souffrance perpétuelle, ce cauchemar permanent, c'était la bonne solution ? Cela ferait il bouger les choses ? Réparer les erreurs commises ? Non ça avait été purement et simplement égoïste, se dit il avec le recul.
Il se méprisait plus que jamais. Tout en lui le dégoûtait, même en essayant de payer sa dette, une fois de plus il avait brisé des espoirs, des sentiments, de l'estime…
Même se tenir devant le mur des lamentations était à ses yeux une bien maigre compensation. Une petite preuve que sans doute beaucoup de Saints ne prendraient pas en compte, en dehors des bronze. Il comprenait cela parfaitement. Méritait il encore d'être heureux, d'aspirer à une vie plus calme ?


Sans crier gare, ses jambes le lâchèrent, tout ce qu'il aurait voulu dire refusait de sortir de ses lèvres. La douleur de ses genoux cognant le sol ne l'atteignit pas, en revanche la violence du geste lui donna un tournis infernal. Une chance qu'Aioros l'ai repris par les épaules, lui lançant à nouveau un regard scrutateur.
- Je te repose la question Saga, qui est cet homme ?

- Mon frère jumeau, Kanon. Finit il par articuler d'une voix basse et brisée. A cause des lois du Sanctuaire, je suis devenu le chevalier d'or des Gémeaux, tandis que Kanon. Tout ce qui l'attendait c'est une vie recluse sans connaître personne.
Si il avait été l'aîné, ça aurait été l'inverse…

Les larmes lui montèrent aux yeux lentement, coulèrent enfin, roulant sur ses joues. Saga se remit à trembler, à cause de l'émotion et de la fraîcheur de l'air.
Il n'avait que faire du regard courroucé du Sagittaire signifiant « tu aurais pu m'en parler » Comprendrait il qu'il avait été forcé de garder le silence ? De ne jamais révéler à quiconque qu'il avait un frère et devoir accepter la voie qui avait été tracée pour lui ?
Un rapide regard autour d'eux informa les aînés des gold qu'en dépit de Camus, Masque de Mort qui remuaient faiblement, personne n'avait recouvré ses esprits.
Et qu'en avaient ils à faire ? Aioros le laissa là sans un mot, retournant auprès d'Aiolia. C'était compréhensible et eux aussi avaient tant de temps à rattraper.

Saga resta agenouillé aux côtés de Kanon, ne le quittant pas des yeux. Il avait sans doute plus souffert physiquement que les autres : affronter Rhadamanthe de la Whyvern sans armure, et donner sa vie…
Entre ça, les anciennes marques rouges de ce qui ressemblaient à un trident, les points de la constellation du scorpion, le sang coagulé sur le tissu… Il ne parvenait pas à détourner les yeux de ce spectacle, ni à arrêter ses larmes.

-Kanon… murmura il tristement.
Cependant quelque chose était apparue en lettres de feu dans son esprit : En dépit de leur ancienne relation, de leurs erreurs, ils avaient une seconde chance. Quelque chose de rare, bien trop rare qui ne se représenterait pas, voire jamais.
Même si il s'en voulait pour beaucoup de choses à lui même, qu'ils avaient des comptes à régler, que ce serait long difficile et houleux, il ne laisserait pas passer cette seconde chance. Il ne la gâcherait pas, quitte à ce qu'il y ait de nombreuses disputes, non dits qui ressortent aussi violemment que la Galaxian Explosion.
Une voix dans son esprit chuchotait que Kanon aussi aspirait à cette seconde chance, à éclaircir les choses, à retrouver sa moitié. En dépit de toute sa jalousie, sa rancœur, ses reproches, il avait du autant souffrir de cette solitude.
Saga lui serra la main , remarquant les taches de sang, le léger tremblement. Il ne la lâcherait plus, c'était tout ce qu'il arrivait à faire dans cet état de faiblesse. Mais plus jamais, non plus jamais. Se dit il, il abandonnerait son frère.
Ces retrouvailles adoucirent un tout petit peu le jugement dur qu'il portait sur lui même. Il essuya son visage, décidé à attendre le temps qu'il serait nécessaire.

A suivre