Changements et léger rapprochement
Note de l'auteur : pour ceux qui ne connaissent pas bien la cuisine grecque, le gyros est le sandwich grec habituel. Les koulouri, sont des pains au sésame consommés aux petit déjeuner. L'ellikinos, le café grec. Ce chapitre marque un tournant décisif entre nos deux jumeaux préférés et se centre beaucoup sur Kanon et ses ressentis. Sur ce, bonne lecture!
Quand le réveil se mit à sonner à sept heures trente tapantes, Kanon en éprouva un soulagement. De manière prévisible, il n'avait pas du tout réussi à bien dormir, se réveillant à de nombreuses reprises, ou ne cessant de se tourner et retourner. Les discussions de la veille et les souvenirs revenaient dans son esprit comme les vagues sur le rivage.
De toute façons, comment aurait il pu encore dormir avec la lumière du soleil que laissaient passer les rideaux ? Le rai lumineux éclairait faiblement la pièce, au mobilier austère : en plus des lits jumeaux, des tables de nuits basses avec une lampe, un panier en osier pour le linge et des placards mis cote à cote. Sous la fenêtre, un bureau et une chaise, rien de plus.
Alors que Saga s'était levé dès les premiers bips de la sonnerie, Kanon resta à contempler le plafond encore quelques secondes. Dire que le moment de changer était imminent…
Mais si il voulait être honnête avec lui même, il n'était pas non plus opposé en bloc à ce fait. Avec cette apparence, il avait le sentiment de ne pas s'être détaché du passé et d'y rester, malgré son désir de s'éloigner le plus possible de ce lieu et de cet endroit. Ce serait aussi un nouveau départ, une façon de commencer à découvrir qui il était vraiment, au lieu d'entretenir cette foutue compétition absurde, due à la jalousie et aux nombreuses critiques d'antan.
Être tous les deux seuls dans le réfectoire sans personne d'autre le rendait nerveux, et Saga ne semblait pas plus que ça à l'aise non plus s'obligeant à avaler un Koulouri tartiné de miel, et quelques amandes.
Même l'odeur agréable du café ne mettait pas en appétit. Bizarrement, Kanon préférait de loin le café italien à l'ellikinos. Non seulement parce que c'était la première vraie boisson de petit dej qu'il appréciait, noir de préférence, mais aussi parce que l'écume épaisse n'était en rien ragoutante, tout comme la quantité de sucre couramment ajoutée. En revanche c'était assez agréable d'entendre les gargouillis d'un cafetière italienne, de servir le nectar avec un biscuit. Au moins, au Sanctuaire Sous Marin, tout le monde connaissait ça, et c'était prétexte à discussions.
- Il est compréhensible que tu aies l'estomac noué au vu de ce qui va se passer. Inutile de te forcer, en revanche, il est inacceptable que tu n'avales rien au déjeuner. Le message est passé ?
- Ca va, j'ai compris, bougonna le concerné, essayant de ne pas ruer d'emblée dans les brancards, suite à cette observation faite sur un ton sévère.
En un sens, ça signifiait aussi que Saga se souciait de lui, non ?
Leur destination se trouvait à trois bons kilomètres, nécessitant de traverser une partie du Sanctuaire plus « village » avec des baraquements, une infirmerie, ou alors des entrepôts, des cuisines.
Un peu plus loin, se trouvait le port où des voiliers amarrés dansaient paresseusement au gré du mouvement de la mer. C'était mieux d'être en tenue d'entraînement qu'en armure, pour l'un comme pour l'autre. Une des nombreuses règles qui interdisait formellement de porter son armure sauf dans le cas d'affrontement pour une épreuve, ou des missions.
Il en était de même pour les vêtements : La tenue d'entraînement ainsi que les chaussures, étaient les seuls vêtements autorisés dans l'enceinte des lieux. Lors de sorties en ville, il était alors possible de mettre les t shirts, shorts pantalons, ou sarouels, robes, et chaussures qu'on désirait.
Voir Saga avec une chemise beige était inhabituel, mais ça lui allait bien. En revanche, le cadet en avait assez du bleu turquoise et de l'écru, qui rappelaient trop de mauvais souvenirs.
Par chance, les lieux étaient déserts, ce qui avait à la fois quelque chose de soulageant et de dérangeant.
Alors qu'ils étaient enfin arrivés, Kanon brisa cette fois le silence qui avait ponctué la marche.
- Peux tu me redire pour quelle raison, tu ne choisis pas de changer toi aussi ? Tu te crois au dessus de cela, ironisa il d'une voix grinçante.
Le sourire triste et presque forcé de son jumeau le surprit quelque peu, et sa réponse encore plus.
- C'est pourtant évident, non ? Avec tout ce que j'ai fait, tout le sang que j'ai sur les mains, mes décisions, je suis bien plus impardonnable que toi. Même lors de notre résurrection, j'ai trahi mon serment, forcé d'avancer quoi qu'il se passe, prouvant une fois de plus que j'étais on ne peut plus méprisable. Infâme à souhait, et ce n'est pas à moi de me juger ni aux autres, mais à Athéna en personne. Et j'accepterai mon juste châtiment, on ne peut plus mérité, car je n'ai pas été capable de me racheter. Même si cela revient à être banni du Sanctuaire.
- Alors ça, c'est hors de question !
Cette fois, Kanon avait commencé à être remonté par ces derniers mots, et se décida à lui dire le fond de sa pensée ses yeux étincelant de colère.
- Y a quand même d'autres sentences que l'exil, bordel ! Et à quoi ça servirait franchement ?
Mais si ça a lieu je m'y opposerai totalement, même si je dois désapprouver les décisions de notre déesse.
-Mais enfin…
- Y pas de mais enfin ! Je t'ai perdu déjà deux fois, y en aura plus jamais une troisième, plus jamais ! Je ne veux plus te quitter, il y a tellement de choses entre nous à rattraper ! Ses brillaient d'une farouche détermination la lueur de colère dansant toujours dans son regard.
-Kanon… Saga trembla sentant les larmes lui venir aux yeux, qui aurait pu croire qu'il aurait ce soutien totalement inattendu, si direct et chargé d'émotion ?
Il avait raison sur toute la ligne : treize années gâchées, un lien fraternel qu'ils chérissaient par dessus tout brisé, qui ne demandait qu'à être reconstruit. Et le bannissent n'était ce pas de la facilité, en fuyant et refusant d'assumer ses torts ?
- Tes arguments sont de poids. Et je vais être franc avec toi, je n'ai pas la moindre envie de partir, sans avoir agi. J'ai une promesse qui te concerne que je dois tenir, et je le ferai, dit il d'un ton plus déterminé. Assez perdu de temps, à présent.
Il monta les escaliers et la main sur la poignée de la porte, adressa un regard signifiant « dépêche toi » à son petit frère. Ce dernier s'exécuta avec un soupir visage fermé, avalant pour cacher l'appréhension croissante qu'il éprouvait.
Le couloir était désert et impeccable, comptant quatre pièces. Dans la dernière du fond et près de la fenêtre qui révélait au lointain les fondations de l'horloge, Argos patientait.
N'y tenant plus trop après une bonne heure et demie d'attente, il se jeta à l'eau.
-Tu as enfin terminé ?
Une voix lui parvînt en dessous du rideau rayé blanc et vert qui remplaçait la porte.
-Oui. Je suis obligé de rester comme ça et de sortir ? Cette fois la voix trahissait un embarras.
- Bien sûr. Argos réprima un soupir, Illiniza du peu de ce qu'il le connaissait était vraiment très différent de lui sur bien des points. Enfin il le vit franchir le seuil de la porte, quelque peu gêné passant une main dans ses cheveux raccourcis.
- Franchement, je me sens tout drôle comme ça, avoua il en rougissant.
Le chevalier de la boussole étudia du regard son compagnon : habillé d'une tenue d'entraînement neuve composée d'une chemise rouge vif et d'un pantalon beige, des protections de cuir aux bras et les cheveux coupés courts, la différence était flagrante.
Autant se montrer encourageant et à son écoute, s'il avait été à sa place, c'est exactement ce qu'aurait souhaité le chevalier de la boussole.
-Ce sont les vêtements habituels au Sanctuaire. Et le tout te va plutôt bien, sur ce, il lui adressa un sourire chaleureux.
- Ah, merci… Lors de mon entraînement au Chili, j'avais plus l'habitude de fringues courtes ne gênant pas, enfin en été. Au moins ce qui ne change pas trop c'est la chaleur, admit il tandis qu'ils se dirigèrent vers la porte d'entrée du bâtiment.
Tiens, il s'était entraîné comme lui en Amérique du Sud ? Ca leur faisait un point commun, et leur permettrait aussi de discuter en espagnol. Peut être que le Mexicain et le Chillien n'avaient pas trop de différences grammaticales et de conjugaisons…
Ils étaient presque arrivés à la sortie quand ils aperçurent les chevaliers des Gémeaux.
L'instant de surprise passé, Saga engagea les salutations.
- Bonjour Argos de la boussole, et toi, tu es le nouveau chevalier du Centaure, c'est bien ça.
- Juste, approuva le concerné sans ajouter un mot de plus, alors qu'Argos s'était contenté d'un signe de tête froid et poli.
Ils avaient eu vent du passé de ce saint et de ses décisions qui avaient entraîné la mort de leurs prédécesseurs et partiellement des golds saint, ce qui n'aidait pas vraiment à la sympathie. Kanon en revanche…
- Je ne m'attendais pas à vous revoir ici, Sire Kanon.
Sire ? Allons bon voilà autre chose, pourquoi il l'appelait ainsi le gamin ?
- Tu as envie de te payer ma tête, Argos ?
-Bien sûr que non, vous avez ma parole, répondit il le plus sérieusement du monde. C'est simplement que vous comme Dôko de la Balance et Shaka avez été aux Enfers. C'est aussi de votre fait si de nombreux spectres ont péri, permettant de ne pas rendre la Guerre Sainte plus longue et c'est en grande partie grâce à vos efforts que nous sommes vivants.
Kanon ne trouva à rien à dire, tout à fait désarçonné par le fait qu'un type qui le connaissait à peine lui accorde autant de considération.
- Avais je le choix après tout le mal que j'ai fait ?
-Bah oui ! Le saint du Centaure décida d'y mettre son grain de sel : vous auriez pu refuser de vous racheter et profiter de la position de faiblesse du Sactuaire pour vos projets ! On fait tous des erreurs, l'essentiel c'est d'en tirer les enseignements.
- Sans doute… marmonna l'ex Dragon des Mers avant de ne rien ajouter de plus, tandis qu'une main dans son dos l'incita à reprendre sa route.
L'économat était composé d'une gigantesque pièce avec des étagères partout, chargées de vêtements de toutes tailles, de toutes couleurs, à l'abri de la lumière ou des insectes grâce à des rideaux de tissu.
Dans la pièce adjacente, on y trouvait les chaussures et ceintures de différentes tailles et pointures. Le matériel d'entraînement était remisé dans un autre bâtiment avec les bâtons utilisés lors des rondes.
Arpentant les allées, Kanon observa les piles de vêtements soigneusement pliées.
« Au moins, on a quand même le choix au niveau des couleurs, c'est au moins ça. »
Tous les vêtements étaient on ne peut plus simples et unis, le mieux qu'il y ait serait des motifs très simples comme des rayures, ou des bordures ornées de demi cercles. Au moins les couleurs contrastaient avec les anciennes tenues écrues ou beiges, voire gris sombre.
- Y a il des couleurs qui te plaisent plus que d'autres ? Il est essentiel que tu te sentes bien dans une tenue que tu auras choisie.
Une fois de plus c'était une question posée sur un ton calme et sévère, sans chaleur. Rien du tout à voir avec le ton gentil ou patient qu'avait autrefois Saga. La résurrection semblait l'avoir lui aussi beaucoup changé, et ce point là était le plus notable.
Avisant un rayon où la taille était la bonne, Kanon posa la main sur une pile orangée avant de l'enlever rapidement. Pas à son goût, les couleurs chaudes comme celle là n'étaient pas non plus sa tasse de thé. En revanche sur le rayon de droite, il y avait des piles grises et vert émeraudes qui retinrent davantage son attention.
Surtout celles gris acier, le mélange rappelait celui du bien et du mal en un sens. Les deux opposés étaient dosés de façon presque équilibrée.
Pour toute réponse, il saisit deux chemise de chaque couleur et se retourna.
- J'avoue que j'ai une préférence pour le gris, mais le vert ne me laisse pas non plus indifférent.
Étonnant, d'être là avec son jumeau et de parler de quelque chose d'aussi banal que ce sujet ! A fortiori de façon calme, sans hostilité directe, bien que cela reste encore assez tendu entre eux. Que Saga s'adresse à lui de façon froide le rendait un peu triste, mais au moins il était quand même à ses côtés.
Il trouva rapidement aussi deux pantalons beiges qui s'accordaient bien avec les coloris choisis.
En ressortant de l'économat, ils demandèrent à un des serviteurs de leur indiquer la salle de bain.
Celle ci se trouvait dans une autre aile du bâtiment, divisée en deux grandes pièces dont les fenêtres étaient entrouvertes pour évacuer la vapeur.
Il y avait des baignoires assez grandes et rectangulaires taillées dans le marbre même du sol. En face se dressaient des cabines avec à l'entrée des corbeilles pour le linge sale.
Près des baignoires, dans des casiers, des serviettes blanches ainsi que des éponges et des petits pains de savons individuels et des bouteilles de shampoing reposaient.
Décidément, entre changer de tenue et avoir ensuite droit à une coupe de cheveux, ce n'était pas la perspective que le cadet des Gémeaux appréciait le plus.
Mais il savait aussi parfaitement qu'il était obligé d'en passer. D'apporter une preuve supplémentaire qu'il avait changé, et ne reviendrait plus jamais sur la voie du mal.
En enlevant sa chemise élimée, il passa la main sur son torse n'éprouvant plus aucune douleur.
Les traces du Scarlett Needle s'étaient estompées, ne subsistait à présent que de légers points blanchâtres qui cicatrisaient. Comme les trois traces plus pales laissées par le trident, une chance de ne pas avoir à commencer une collection ! La douleur avait été assez forte et intense, difficile à supporter comme ça.
L'eau était brûlante et dégageait un fort parfum de lavande, de l'huile essentielle avait sûrement du y être ajoutée de même que des sels.
Au moins, ici nul risque de se retrouver noyé. Lors de l'effondrement du Sanctuaire de Poséidon, les vagues étaient devenues encore plus violentes qu'au Cap Sounion, l'eau remplissait très vite le sol, et le plafond sous marin ne tiendrait sans doute pas très longtemps.
Ses derniers souvenirs remontaient à une chute violente, tombant dans de l'eau glacée, et une main délicate sur sa poitrine puis le néant.
Quand elle avait vu Kanon s'interposer et recevoir le trident à sa place, Athéna avait été choquée. Plus encore par cette confession inattendue et ses excuses ainsi que ses larmes.
Cela réveilla en elle un souvenir récent bien trop douloureux. Personne ne méritait de mourir pour expier ses fautes de la sorte, tous les êtres humains avaient leur part de lumière et leur part d'ombre. Elle refusait totalement d'abandonner cet homme aux bras de la mort comme ça avait été le cas avec Saga.
Quant Thétis lui avait assuré qu'elle ramènerait Julian à la surface, la déesse se concentra sur le corps inanimé à ses pieds.
D'un geste sec, elle retira le trident de la plaie, les organes vitaux risquaient d'être solidement touchés. Elle n'avait donc pas le choix, elle posa ses doigts fins sur la blessure d'où s'échappait le flot et perçût à cette instant la haine, la rancœur, la colère, le ressentiment qui rongeaient cet homme ainsi que la jalousie. Un véritable poison digne d'Eris en personne, dû à de la souffrance et de l'injustice.
Tant de détresse qu'elle percevait… Jetant ses dernières forces dans sa tache, elle intensifia son cosmos divin qui s'inséra dans la blessure, détruisant petit à petit les sources de haine et ressentiments, désirs de domination. A présent, il ne tiendrait plus qu'à lui de vivre ou de mourir, il avait le choix.
Au moins la chaleur de l'eau, l'odeur de lavande présente dans le bain et le savon lui permirent de se détendre un tout petit peu mais ne parvinrent pas à l'apaiser. La boule dans la gorge semblait avoir grossi l'empêchant de parler ou d'exprimer ses émotions alors que son estomac lui semblait plus noué que jamais, et son cœur tambourinait dans sa poitrine.
Tout semblait possible dans ce genre de journées : le pire comme le meilleur, et personne ne pourrait prédire comment cela se finirait.
Après un long moment à avoir fait trempette, tel un automate, il se saisit du savon et de l'éponge machinalement, sans penser à rien d'autre. Même chose au moment de laver ses longs cheveux, à cet instant il éprouva un pincement au cœur soudain et douloureux. Les minutes passaient rapidement le rapprochant plus vite qu'il ne l'aurait cru de la seconde partie de son changement radical.
De retour dans le couloir, habillé d'une tenue neuve, ses longs cheveux encore humides il ne sentit pas à l'aise devant le regard froid et sévère de son frère qui n'esquissa pas un seul sourire, se contentant de lui dire sur le même ton froid :
- Ça te va bien.
Kanon aurait donné cher pour que ce soit fini, et qu'ils en restent là, mais au moment où il essaya de repartir, une main ferme sur son épaule le retînt.
-Où pensais tu aller ? Aurais tu déjà oublié ce que je t'ai dit hier ?
- Bien sûr que non. Mais si tu crois que c'est si simple de se dire que ça y est on y est, mets toi un peu à ma place.
- Certes c'est un moment désagréable à passer, mais tu en as connu de bien pires, non ? Modéra l'aîné sans se départir de son calme. Alors, inutile d'attendre plus longtemps, plus ça traînera plus ce sera pénible.
La pièce qui servait de « coiffure » était nichée dans un coin du bâtiment, sans aucune fenêtre, et des colonnes dans les coins. Elle comprenait pour tout mobilier une chaise de coiffeur, un meuble à tiroirs et un balai. Des blouses étaient suspendues à un crochet au mur, tandis que près du fauteuil se trouvait un trou dans le sol.
Un endroit austère bien dans l'esprit du lieu où ils étaient, songea Kanon.
-Assieds toi.
Une bouffée d'agacement soudaine le prit à cette demande. Étonnamment en temps normal où il y avait eu treize ans de cela la réponse aurait été un « va te faire foutre, j'ai pas à t'écouter quand t'as ce ton ! » ou encore « Tu veux pas non plus que je donne la patte ou ramène le journal ? Je suis pas ton chien ! » ce qui aurait lancé une dispute haute en coups de gueule.
Là quelque chose en lui, qui n'était même pas la voix de la raison, mais une bribe de cosmos(sans doute celui d'Athéna) le poussa à dire simplement d'un ton résigné :
- Très bien, puisqu'il faut en passer par là.
Il se laissa attacher sans protester la blouse, incapable de dire un mot, à cause de la situation inédite dans laquelle il était et trembla un peu.
- Crois moi, quand j'en aurai terminé avec toi, tu ne seras vraiment plus le même sur tous les points.
Sur ces mots, Saga attrapa un rasoir, saisit une longue mèche de cheveux humide et la coupa d'un geste rapide et précis avant de continuer.
Les premières minutes, Kanon était quelque peu incrédule, ne pensant pas vraiment que Saga lui couperait les cheveux, pourtant c'était bel et bien le cas.
Il avait beau savoir que c'était pertinemment nécessaire et qu'il serait vu autrement par les autres golds saints, l'aiderait à avancer cela restait néanmoins désagréable et dur.
Dur parce que changer de façon si radicale n'était jamais évident, pour personne, à fortiori quand vous étiez avec la personne avec qui vous aviez la palme des relations compliquées.
L'attitude qu'avait son frère le laissait dans une certaine perplexité : se pouvait il qu'il ait si rapidement décidé de mettre en action ce qu'il avait dit ?
Peut être, en attendant, si ça continuait comme ça, il voyait mal comment réussir à avoir un micromètre de proximité avec son jumeau.
Il jeta un coup d'œil à son épaule ou de longues mèches reposaient tandis que d'autres continuaient de tomber sur le sol formant peu à peu un tapis turquoise. N'y tenant plus trop et quelque peu tendu, il finit par se lancer.
- Ca suffit, j'en ai assez, parvînt il à articuler d'une voix tremblante et triste.
La réponse ne se fit pas attendre :
-Inutile de protester. Tais toi et reste tranquille.
Il sentit une main sur la tête l'obligeant à ne pas bouger. A cet instant précis, les larmes lui montèrent aux yeux, et il n'eût même pas l'envie de les retenir.
Incroyable ! Être capable de manipuler les dieux, d'avoir réglé ses comptes avec une sale déesse qui avait bien ruiné sa vie, parcouru le Meikai, abattu Rhadamanthe et là… cette séance de coiffure était plus difficile à vivre, à cause du changement qui se mettait en marche.
Ce qui l'avait aussi frappé, c'était ce rappel à l'ordre dit d'une voix sèche qui ne souffrait aucune réplique, comme le regard noir qu'il avait eu. Une remise au pas on ne pouvait plus évidente, l'obligation de se plier à nouveau aux règles strictes du Sanctuaire et de commencer à se conduire de façon plus sérieuse et responsable.
Comment Saga pouvait il se montrer aussi distant en ce moment, ne prêtant pas vraiment attention à ses larmes, continuant son travail ? Cela signifiait il qu'il ne voulait juste qu'il se tienne à carreau et rien de plus ? Qu'il comptait juste sur lui pour être le parfait remplaçant ?
Tremblant et pleurant, espérant que cela se termine bientôt, Kanon essaya de ne pas poser son regard au sol, mais plutôt sur les murs.
Un quart d'heure plus tard, il sentit une main l'obliger à pencher la tête en avant, le froid du rasoir sur sa nuque quelques minutes.
- Là, c'est mieux comme ça.
Gardant résolument les yeux fermés, le cadet entendit un léger bruit avant de sentir une main enlever les mèches de ses épaules.
Saga lui enleva la blouse, la délivrance semblait proche. Au moment d'essayer de se lever, il sentit à nouveau une main sur l'épaule l'obliger à rester assis.
- Encore deux minutes de patience et ce sera terminé.
Tu es enfin lavé des dernières traces du mal sur toi et digne du pardon d'Athéna.
Le son du balai sur les dalles le fit frissonner, il n'y aurait désormais plus de traces de qui il était i peine une heure et demie.
C'était si dérangeant cette sensation de vide. De toute évidence comme il lui avait dit la veille, Saga lui avait coupé les cheveux très courts.
-Je ne tiens pas à voir à quoi je ressemble à présent, marmonna il à mi voix, en détournant le regard.
Pour sa part, Saga avait quitté son attitude froide et pût enfin observer sous toutes les coutures la nouvelle apparence de son petit frère.
Ce qu'il était beau, comme ça avec cette nouvelle tenue, ses cheveux propres et courts ! Si avant il possédait une beauté sauvage aussi enivrante qu'un alcool fort, à présent il avait une beauté simple et discrète.
Mais il donnait aussi à présent réellement l'image d'un homme qui s'était repenti de ses crimes passés, fermement déterminé à continuer à se racheter, ce qui avait bel et bien été le cas aux Enfers.
- Tu es beaucoup mieux avec les cheveux courts qu'avant.
Cette fois cette remarque fût dite sur un ton chaleureux, mais ne reçût pas de réponse. Kanon détourna le visage la mine quelque peu triste et boudeuse, ce qui était compréhensible.
Sérieusement? C'était tout ce qu'il trouvait à lui dire, même pas un « comment te sens tu ? »
Et merde tiens ! Le ton ne lui donna aucune envie de répondre à une proposition muette, vu que Saga semblait moins froid à son égard.
Pourtant la voix de la raison souffla dans son esprit qu'il n'y aurait sans doute pas une autre belle occasion de réussir à se rapprocher un tantinet. Il était libre de ne rien faire, mais cela creuserait probablement un peu plus le fossé qui les séparait.
De quoi avait il finalement envie en ce moment ? La réponse la plus évidente était : de soutien.
Se levant lentement et marchant d'un pas raide, mine toujours fermée, ils furent face à face.
Tout près l'un de l'autre.
Avec prudence, Saga enroula son bras dans le dos de son jumeau qui se laissa faire sans protester. Rassuré par ce bon début, Saga l'étreignit plus fort, heureux, heureux comme jamais, sentant les larmes de joies lui monter aux yeux.
De son côté Kanon frissonna en sentant la main lui frotter le dos doucement et l'autre dans son cou. Son cœur qui battait la chamade se calma un peu, battant plus lentement. D'abord réticent, cette étreinte le détendit petit à petit. Elle lui offrait tout ce dont il avait envie depuis tant de temps : considération, amour soutien…
Évidemment ça n'effaçait pas le malaise et l'incertitude, la tristesse qu'il éprouvait en ce moment, mais c'était un baume au cœur. C'était aussi la promesse de retrouver une relation fraternelle forte qui avait été malmenée.
Pour l'un comme pour l'autre, ce moment était clairement unique et très important. Ils arrivaient enfin à se retrouver un tout petit peu et à esquisser un trait de réconciliation.
Se sentant enfin compter et aimé, Kanon parvînt quand même timidement à enserrer d'une main son frère, qui se sentit aux anges devant ce geste inattendu.
Combien de temps avait il pu se passer entre eux dans cette étreinte bénéfique ? Et y avait il vraiment besoin de le savoir ? Parfois c'était mieux que les choses gardent une part de mystère.
- Ça me fait vraiment tout drôle d'être comme ça, je ne me sens pas du tout moi même.
- Alors je vais te rassurer, c'est pourtant bel et bien toi. Tu es simplement devenu vraiment celui que tu as commencé à être quand nous nous sommes affrontés dans la maison des Gémeaux.
Au moment de quitter le bâtiment, cet échange avait eu lieu près de la porte d'entrée.
-Ne t'en fais pas, tu vas t'y faire, continua Saga avec calme. Cette fois, aucun contact physique entre eux deux, ils ne se sentaient pas prêts à cela en non stop pour peu et pas grand-chose. Ca prendrait beaucoup de temps.
-Celui que je commence à être ? Vraiment ?
-Oui. Et tu es capable de devenir un remarquable gold saint si tu t'investis sérieusement dans ta tache, et sans doute quelqu'un de très utile pour aider ceux qui arriveront et auront besoin d'aide.
-Si tu essaies de me cirer les pompes et de m'amadouer…
-Ce n'est absolument pas mon intention. Je me rends compte qu'il est important que je te te redise à quel point je suis fier de toi et de tout ce que tu as accompli aux Enfers. Tu es enfin devenu celui que j'espérais tant que tu finisses par devenir. Tu as même dépassé ce que je pouvais imaginer à ton sujet, faisant preuve d'une résolution remarquable et prouvant par tes actes que tu avais vraiment changé. C'est important que tu l'entendes et que je te le dise.
- Merci beaucoup, Saga, se contenta de lâcher d'une voix étranglée Kanon en détournant le regard pour ne pas laisser couler ses larmes.
Il repassa à nouveau avec tristesse une main dans ses cheveux à présent si courts. Arriverait il à s'y faire ? En entrapercevant son reflet dans un miroir, il avait eu un choc considérable, ne se reconnaissant absolument pas du tout. Était ce vraiment lui la personne à l'aspect sage et soigné, quelque peu embarrassée dans le miroir ? Il avait l'impression d'être un parfait inconnu, méconnaissable, se demandant qui se tenait là. Le besoin de s'entendre dire que c'était pourtant bien lui était une nécessité on ne peut plus évidente.
Il y avait à présent plus d'animation dans l'allée qu'il avaient traversé trois heures plus tôt et il devait être onze heures et demie.
Une devanture de boulangerie proposait des pains, des feuilletés aux épinards et à la feta ainsi que des gyros à diverses garnitures qui étaient distribuées gratuitement à qui en voulait.
Un quart d'heure plus tard, les jumeaux étaient sur une arène d'entraînement déserte dont un côté était bordé de pins avec le sol couvert d'aiguilles et de pomme de pin.
Assis sur une colonne Kanon observa le gyros qu'il avait en main : garni au poulet mariné au yaourt et aux herbes, avec des oignons rouges de la tomate de la salade et un léger parfum de cumin. Saga s'était souvenu qu'il adorait ça.
Il avait pris exactement la même chose ainsi qu'une grosse grappe de raisins noirs. Pour ce qui était de la boisson, il y avait de nombreuses fontaines avec de l'eau dans de nombreux endroits.
Le repas se fit en silence, jusqu'à ce que Saga encore pantois de la conduite plus que surprenante finisse par poser la question qui lui brûlait les lèvres en même temps qu'il finissait son gyros.
-Je peux te poser une question ?
- Tout dépend de ce que tu vas me demander, répondit prudemment l'ancien marina.
- Comment se fait il que tu aies si facilement accepté d'y mettre autant du tien et de faire ces efforts ? J'aurais cru que tu serais plus réticent à ce changement, alors quelle est la raison ? Dis le moi…
- La raison, hein ? Répéta Kanon songeur en avalant une autre bouchée de son gyros, entamé à moitié.
Ça fait plusieurs fois que je revois en rêve les deux même scènes qui me glacent le sang soit dit en passant. Des jumeaux comme nous, et l'un n'hésitant pas à utiliser contre l'autre le Genrô Mao Ken le forçant à tuer le Grand Pope. Et une autre où ils se retrouvent dans un affrontement, l'un vêtu d'un surplis des Gémeaux, l'autre de l'armure des Gémeaux, s'affrontant… à mort, avec le choc de deux Galaxian Explosion.
Chaque fois que je revois ça je suis atterré et je me dis « wow , là le retour en arrière est carrément impossible, tout s'est brisé à jamais entre eux deux. Ils arriveront jamais à s'aimer à nouveau. »
Alors… je me dis que nous en comparaison on a échappé à ça et on peut encore en y mettant chacun du sien prendre en compte ce qui sonne comme un avertissement.
Saga resta silencieux avant de prendre à son tour la parole.
-J'ai vu moi aussi ces scènes. Et en effet, y a de quoi glacer le sang, on aurait pu si ça avait continué en arriver là. Se peut il que nos prédécesseurs Aspros et Deutéros veuillent nous mettre en garde et refuser qu'un autre drame comme celui qui les a frappés se répète ?
- Peut être, marmonna Kanon sans ajouter un autre mot, observant pensivement l'horizon. Cette fois le silence revînt mais comme sur le trajet du retour et celui du repas, c'était un bon silence, plus léger et non pesant…
A suivre
