Joyeux anniversaire Kuro ! :D
Tu savais que le premier épisode de l'anime était sorti un 7 avril ?
Bon... j'ai fais comme toi, je me suis laissé emballer (quelle surprise xD !). Je publie la première partie aujourd'hui pour l'occasion mais la suite ne devrait pas tarder. Pour l'anecdote, c'est une histoire qui m'a été inspiré par les aventures de ma cousine. J'espère que ça te plaira :)
Bonne lecture !
Ce matin n'est pas sans lui rappeler le jour où cette situation infernale a commencée. C'est une de ces fameuses journées où tout va de travers, au point qu'on se demande s'il ne vaut pas mieux retourner se coucher en attendant qu'elle passe. Pour Kagami elle a débuté par une panne de réveil due à une de ces nuits écourtées par l'excitation, suivit d'une douche à l'eau froide, quoiqu'elle ait eu le mérite de le réveiller pleinement, couronnée par un accident de cafetière. Trop pressé et encore occupé à s'habiller, il a oublié de mettre une tasse sous la machine, laissant le millésime se répandre sur le sol de sa cuisine. Il sait que ça va le hanter toute la journée mais il est déjà en retard. Pas le temps de nettoyer. Tant pis, il prendra un truc à avaler à la cafète en arrivant. Secoués par la peur de manquer son bus, ses doigts ont du mal à trouver la bonne clef et à l'insérer dans la serrure pour fermer son appartement.
À moitié débraillé, il ne prend même pas la peine de vérifier l'heure et s'élance à la vitesse de l'éclair dans la fraicheur printanière du matin. Dans sa course effrénée, Kagami ne prend pas garde et percute de plein fouet un vieil homme sortant de nulle part. Par pur réflexe, il l'agrippe pour lui éviter la chute et le stabilise en s'excusant. Certain que le malheureux va bien s'il en croit ses remontrances, il reprend sa cavale de plus belle, serrant contre lui la sangle de son sac. Le jeune homme s'en veut un peu de son comportement malpoli, mais le bruit du moteur qui vrombit derrière lui a le don de lui ôter toute culpabilité. Car depuis quelques semaines, il a une excellente motivation pour être ponctuel. En plus du simple fait qu'il déteste être en retard, s'il réussit à attraper le bus de 7h13, il sait que sa journée va bien débuter. Ou pour celle-ci en l'occurrence, au moins s'améliorer.
Il y a environ trois mois, il s'est vu contraint de prendre les transports en commun plutôt que son fidèle destrier. En effet au début de l'année il a retrouvé son vélo cadenassé dans son box habituel, sans roues… Une autre de ces journées merdiques donc. Fulminant de rage, il avait rejoint l'arrêt de bus le plus proche. C'est vrai que depuis il aurait pu réparer son vélo, racheter une paire de pneus, ou même demander à Himuro de passer le prendre. Mais alors il n'aurait plus eu aucune excuse pour monter dans le bus, celui dans lequel il arrive justement à se jeter in-extremis avant que les portes ne se referment. Essoufflé, il passe une main dans ses cheveux encore humides et se faufile pour rejoindre une place libre, le cœur battant.
Kagami se sent rougir avant même d'avoir levé les yeux. Il n'est pas certain qu'il soit là, et absurdement il a toujours un peu peur de vérifier. Comme si son absence était un présage de mauvais augure. Il ne lui manquerait plus que ça pour parfaire sa matinée cauchemardesque. Il a encore un peu de mal à se l'avouer mais les fois où il ne l'a pas aperçu, son humeur en a été sensiblement impactée. Alors il prend quelques inspirations, autant pour calmer son rythme cardiaque que pour reprendre contenance puis lève le regard. Sa poitrine s'affole de nouveau sans crier gare lorsqu'il tombe dans les abysses indigo qu'il cherchait.
Exactement sur le même siège chaque matin, celui à contre sens de la route, son vis-à-vis l'observe. Un de ses sourcils est levé et un sourire vient taquiner la commissure de ses lèvres. Voilà que son inconnu se moque de lui en silence… Kagami sent le feu de ses joues se répandre sur son visage mais ne peut retenir son sourire. Alors il le cache derrière sa main, feignant de prendre appui sur le rebord de la fenêtre pour admirer le paysage urbain en roulant des yeux. Et comme aujourd'hui il n'a pas eu le temps d'enfiler son sempiternel casque audio, il a le plaisir d'entendre le jeune homme ricaner malgré le fond sonore régulier du moteur et des conversations matinales des usagers. De façon troublante, comme si son corps répondait au son de sa voix, son estomac s'agite dans d'agréables chatouilles. Trop agréables…
Une fois la gêne passée, Kagami ne peut s'empêcher de le regarder à nouveau. Le plus discrètement possible, il laisse courir ses yeux sur le profil métissé. Un regard pénétrant, un nez droit, une mâchoire volontaire, des traits mêlant finesse et masculinité à la perfection, une pomme d'Adam qu'il peut apercevoir dans l'ouverture du col de sa veste, saillante. Plus il le détail, plus il le trouve beau. Magnétique. Pourtant il ne sait rien de lui. Ni son nom, ni son prénom, ni son âge, bien qu'il le devine proche du sien. Il ne sait rien de ce jeune homme qu'il s'impatiente de revoir chaque jour, rien du tout, si ce n'est qu'il prend le même bus que lui, à la même heure et qu'il en descend juste un arrêt avant le sien.
Soudain, l'inconnu se détourne de sa contemplation et leurs regards s'accrochent. Cette fois Kagami ne peut s'en détourner. Et l'autre ne le lâche pas non plus… alors comme souvent, ils jouent à celui qui se dérobera le dernier d'un accord étrange et tacite. Malheureusement, Kagami perd souvent. Étouffé et troublé par l'intensité et la profondeur de ces yeux bleus qui le hantent. Chaque jour il essaie pourtant de tenir un peu plus longtemps que la veille. Parfois ils échangent même quelques sourires. Et ces fois-là, l'inconnu aux yeux envoutants et aux rictus ravageurs le fait complètement craquer. Dans tous les sens du terme.
À leur première rencontre, Kagami avait cru se faire des idées. Tellement perturbé par le destin tragique de son vélo et cette charmante apparition, il avait fini par se convaincre qu'il prenait ses désirs pour la réalité. Mais le même scénario s'est répété encore et encore, lui ôtant l'excuse de la coïncidence et du hasard ou de son imagination. Aujourd'hui il aime à penser qu'ils mènent des discussions silencieuses détachés du monde extérieur, dans une bulle où même le temps semble ne plus avoir d'emprise. Jour après jour, c'est devenu le moment de la journée qu'il préfère. Où il est seul dans sa bulle avec ce bel inconnu qui semble déterminé à le déstabiliser grâce à son regard tempête insondable.
Ce matin ne fait pas exception. Kagami finit par baisser les yeux, et sourit malgré lui lorsqu'il découvre l'air heureux du vainqueur. À se demander si une part de lui ne fait pas exprès de perdre pour le voir ainsi. Lorsqu'il est temps pour son adversaire de descendre du bus, il a droit à une œillade en guise d'au revoir et il est enfin capable de respirer correctement. Comme si la simple présence du brun accaparait tout son oxygène. Encore étourdi de leur échange, il ne peut s'empêcher de vérifier autour de lui si les autres passagers ont perçu la tension qui existe entre eux, certain qu'elle devient de plus en plus palpable au fil des jours. Lorsque vient son tour de quitter le véhicule il le fait par automatisme, toujours ailleurs. Heureusement il a quelques minutes de marche pour rejoindre le centre du campus, de quoi lui rafraichir les idées.
Kagami se dirige vers la cafétéria grouillant d'étudiants eux aussi en manque de caféine. Il se prend en plus de quoi grignoter puisqu'il n'a pas eu le temps de petit déjeuner et après un coup d'œil alentour, il se laisse tomber à une table face à une silhouette qu'il saurait reconnaître entre mille. Himuro redresse la tête de son bouquin, laissant un sourire de bienvenue effacer sa surprise. Tandis qu'il dévore son repas de fortune, son frère de cœur l'observe puis demande avec cet air malicieux qu'il n'apprécie guère :
« Vu ta tête déconfite je suppose que tu ne lui as toujours pas parlé.
— Hm… Nan. J'te l'ai déjà dit, je vois pas pourquoi ce serait à moi de faire le premier pas. »
Son aîné referme son livre et calle sa main sous son menton, sa pupille d'acier le scannant à la recherche de détails supplémentaires. Kagami fait de son mieux pour paraître indifférent, utilisant son café comme bouclier.
« Je pige vraiment pas Taïga… ce mec te plait au point que tu t'infliges les transports en commun à l'heure de pointe, il te fait les yeux doux tous les jours pendant tout le trajet et t'as pas les couilles de lui parler ? Je t'ai connu plus téméraire ! Se moque son frère.
— Ça n'a rien à voir ! Et puis je suis trop occupé, j'ai pas le temps pour une quelconque relation de toute façon.
— Tu veux que je passe te prendre en voiture ? Tu sais, pour te faire gagner du temps… »
Le tigre grogne face à la perspicacité du dragon et lève son majeur à son intention avant de se lever de table.
« J't'emmerde Tatsu.
— I take that as a no.
— Yeah, do that ! »
En passant à son niveau, il le bouscule sans ménagement, plus embarrassé qu'autre chose d'avoir été percé à jour. Il perçoit le rire espiègle de son ami parmi les bavardages de la foule tandis qu'il avale le fond de son café sur le chemin de la sortie. À vrai dire, il ne sait pas expliquer pourquoi il ne prend pas les devant. Il ne saurait dire ce qui le retient de parler avec son inconnu, lui demander son numéro ou ne serait-ce que lui dire bonjour. Il déteste l'admettre mais Tatsuya n'a pas tort. Il se donne l'impression d'être un lâche, un gamin timide effarouché à en perdre l'usage de la parole. Mais c'est un peu plus compliqué que ça. Le métis du bus… ce qu'il dégage, Kagami pressent quelque chose à son sujet qui lui intime de ne pas le brusquer. Ce n'est pas dans ses habitudes de la jouer fine mais son instinct le trompe rarement. Alors n'en déplaise à Tatsuya, pour ce qui est de cette bataille-là, il ne cèdera pas. S'il doit se passer quelque chose entre eux, il attendra d'y être clairement invité.
Les jours qui suivent se ressemblent, les catastrophes en moins pour le plus grand soulagement de Kagami. Sa routine est de nouveau bien huilée, et ses journées rythmées par son moment privilégié avec l'inconnu de la ligne 105, les cours à la fac, et les entraînements de basket. Rien d'extraordinaire ou d'anormal à signaler jusqu'à cette fin de semaine. Le vendredi c'est toujours un peu différent. Tout le monde a déjà la tête au week-end, même les étudiants les plus studieux. D'ailleurs la plupart d'entre eux se lèvent plus tard, se remettant des sortis du jeudi soir, désencombrant sensiblement son moyen de transport. Même lui se sent gagné par une étrange euphorie, pressé de retrouver le beau brun et de graver son image en prévision du long week-end sans pouvoir l'apercevoir.
Pourtant, lorsqu'il arrive à l'arrêt de bus, Kagami fronce les sourcils, étonné. Pour une fin de semaine, il y a beaucoup de monde qui patiente et en retirant une oreille de sous son casque il comprend aux conversations que le bus précédent n'est pas passé, laissant les usagers perplexes et quelque peu nerveux. Une pointe de déception vient ternir son humeur, imaginant déjà être en retard ou pire, louper son entretient silencieux avec son inconnu. Alors quand le gros véhicule aux airs bonhomme pointe le bout de son parechoc au coin de la rue, c'est le soulagement général et Kagami sourit sans s'en apercevoir. En bons japonais disciplinés, chacun attend son tour pour monter à bord où il est difficile de se faire une place. Kagami avance dans l'allée centrale, espérant trouver l'objet de ses pensées.
Debout non loin de la rangée de siège qu'il occupe d'habitude, le tigre cherche d'un regard qu'il veut discret les océans dans lesquels il aime tant se noyer. Au détour d'un virage, il croit l'apercevoir et son cœur s'emballe dans sa poitrine. Il se décale un peu, évitant de déranger ses voisins de galère autant que faire se peut et jette un nouveau coup d'œil dans la même direction. C'est lui. Le beau brun est bien là, à sa place comme chaque matin à un ou deux détails prêt… Déjà, un sourire habille ses lèvres. Tendre et franc, dévoilant une parfaite rangée de dents blanches. Kagami en perd le souffle une seconde. On est loin des rictus et petits sourires en coin auxquels il a le droit. Et pour cause… il ne lui est pas destiné. Il s'adresse au second détail, plutôt difficile à ignorer. Une jeune femme assise en équilibre sur une de ses cuisses, un bras agrippé autour de ses larges épaules discute et rit avec lui. Elle a de longs cheveux nattés, de grands yeux malicieux et une taille fine autour de laquelle s'enroule un bras viril et tanné. Même lui qui n'a jamais été particulièrement attiré par la gent féminine peut affirmer qu'elle est plus que jolie.
Kagami déglutit et détourne le regard, le cœur serré. Dans son esprit, le film de ces derniers mois passé à s'observer défile au rythme de la musique qu'il aime écouter. Est-ce qu'il s'est fait des idées ? Est ce qu'il a complètement inventé l'intérêt que le brun semblait lui porter ? Il a un peu de mal à y croire. Ces choses-là, ça se ressent. Et depuis le premier jour, dès que leurs regards se croisent, ça vibre au fond de ses tripes et ça chauffe dans sa poitrine. Incapable de se retenir, Kagami se contorsionne parmi les silhouettes se dressant entre eux pour apercevoir encore le couple, cherchant à deviner quel genre de relation ils entretiennent. Il a bien conscience que c'est un peu malsain et il se déteste d'en arriver à jouer les voyeurs. Pourtant ça ne le retient pas. Il doit savoir. Au gré des arrêts, le bus ne désemplit pas, rendant sa tâche difficile. Perdant patience, il joue un peu des coudes et penche la tête pour tenter de les apercevoir.
Soudain, il se fige dans son geste, percutant le regard outre-mer de plein fouet. Kagami met quelques secondes à réaliser que l'inconnu est dans la même position que lui, le cou tordu dans un angle peu naturel. À moins de dix mètres l'un de l'autre, il a tout le loisir de voir sa peau mate se teinter de pourpre et il comprend alors que son inconnu le cherchait aussi. Ce constat l'enchante et dessine un large sourire entre ses oreilles échauffées par la gêne de s'être fait surprendre. Cette fois, le brun se retire le premier, le faisant jubiler de plus belle. Le cœur battant la chamade Kagami se redresse, rassuré d'être dans les pensées de son inconnu malgré sa charmante compagnie. À travers la petite foule dans l'allée centrale, sa grande taille lui permet d'apercevoir une tête s'agiter parmi les autres. Il reconnait justement la jeune femme lorsqu'une grande main s'abat sur son crâne pour la faire de nouveau disparaître, empêchant leurs regards de se rencontrer. Kagami ne peut que deviner la scène mais il s'en amuse et s'en délecte, un sourire dans le cœur. Il n'avait peut-être pas tout imaginé finalement…
Ce jour-là, il a un mal fou à se concentrer en cours. Plus que n'importe quel autre vendredi. La faute à son inconnu. Il ne l'a aperçu que quelques instants, et pourtant il a le sentiment d'en avoir plus appris sur lui qu'au cours des dernières semaines. Ce qui a de quoi dévier son attention des diapositives barbantes du cours de marketing. Toute la journée Kagami est dans la lune. Dans un moment de lucidité après le déjeuner il réalise à quel point et la raison lui donne un peu le vertige. Il se demande vaguement si l'on peut éprouver des sentiments pour quelqu'un qu'on ne connait pas ou s'il n'est pas tout simplement en train de devenir barge. Parce qu'il lui semble que le brun prend de plus en plus de place dans ses pensées.
Il n'y a qu'à l'entraînement que le tigre parvient à se le retirer de la tête. Sur le parquet, il n'y a plus rien d'autre que la balle et le panier qui comptent. Comme toujours, il se donne à fond et enchaîne les exercices, essayant de mémoriser les différentes stratégies en fonction de la configuration de l'équipe. S'il a choisi de faire des études, c'est seulement pour pouvoir continuer à jouer. Rassurer son paternel sur son avenir professionnel n'a été que le bonus. À vrai dire c'est difficile de tenir le rythme et de se maintenir à niveau sur les deux tableaux mais il ne lâcherait le basket pour rien au monde. Pour lui, le jeu en vaut tous les sacrifices. Et c'est pour cette raison qu'il estime ne pas avoir le temps pour les relations amoureuses, même sans lendemain. Elles ne sont qu'une distraction, un des sacrifices qu'il est prêt à faire pour réussir dans la voix qu'il s'est tracé.
Au fond, c'est peut-être aussi pour ça qu'il se retient d'aborder son inconnu. Avec lui et sa façon de s'immiscer dans ses pensées et de dicter ses humeurs d'un simple regard, ses belles résolutions ne feraient peut-être pas le poids… La preuve en est qu'il a suffi de la pause pour que l'esprit de Kagami divague encore vers lui. Le tigre grogne intérieurement et s'asperge la figure d'un peu d'eau pour se rafraîchir les idées. Il s'apprête à rejoindre le terrain pour faire quelques lancers francs lorsqu'une présence dans les gradins attire son attention. Il n'est pas rare d'avoir des spectateurs, mais ce visage-là ne lui est pas inconnu. Au début de l'année, l'entraîneur l'a présenté à l'équipe comme son assistante et souvent il la surprend à les scruter en détail, notant il ne sait quoi dans son éternel classeur. Ce n'est qu'en la voyant assise là à le fixer qu'il percute. Trop chamboulé par l'idée que le brun puisse avoir une petite amie, il n'avait pas vraiment fait attention à elle dans le détail. Pourtant ses longs cheveux couleur barbe à papa sont loin de passer inaperçus. C'est peut-être ça que son esprit a cherché à élucider toute la journée, dérangé par un détail sur lequel il n'a pas réussi à mettre le doigt jusqu'à maintenant. La jeune femme pendue au cou de son inconnu ce matin, il la connait !
Se sentant dévisagée en retour, la jeune femme fronce les sourcils et son cœur accélère sa course entre ses côtes. Kagami se sent pris au piège, un millier de questions prenant d'assaut les rouages de sa cervelle ramollie par l'effort. Incapable de bouger ou de réfléchir, c'est son frère qui le sort de son état de choc.
« Oï Taïga !? J'te parle !
— Hu ?
— Pourquoi tu mattes Momoï-san ? » Demande le dragon en s'approchant, l'air amusé.
« Hein ? N_nan je… Je matte personne abruti ! » Bégaie-t-il.
Sa maladresse et son affolement ne font qu'amplifier l'hilarité de son aîné. Ce dernier enroule son bras autour de sa nuque pour l'attirer sur le terrain et le soustraire à son trouble.
« I'm teasing you lil' bro. I know she's not your type. Murmure Tatsuya.
— Yeah but… She was staring at me… »
Il tourne la tête pour lancer un dernier regard à la rose, incapable de développer sa pensée. Pourquoi ne l'a-t-il pas reconnu ce matin ? Qui est-elle pour son inconnu ? Étudie-t-il ici lui aussi ? L'a-t-elle vu dans le bus ? Que sait-elle de lui en dehors du basket ?
« C'est son boulot de nous observer Taï. » Élucide Himuro en lui lançant un ballon dans les mains.
Par réflexe il le rattrape et commence à dribbler machinalement. Un nouveau coup d'œil et la jeune femme a changé de cible, détaillant le jeu de jambe de leur pivot. Alors qu'il remarquait à peine sa présence si discrète avant aujourd'hui, il brûle à présent d'en savoir plus à son sujet. À nouveau son frère le rappel à l'ordre, plus sévèrement cette fois.
« Oublie la et joue ! »
S'il ne savait pas Tatsu aussi obsédé que lui par le basket, il le soupçonnerait presque d'être agacé qu'il s'intéresse ainsi à la jeune femme. Cette idée a le mérite de titiller sa curiosité et en bon petit frère casse-couille qui se respecte, il le lui fait remarquer, goguenard.
« Un peu plus et on pourrait croire que tu défends ton territoire.
— About you ? The big ugly gay ? Let me laugh !
— Bro, this is the moment where you were supposed to deny… » Réplique-t-il sans s'offusquer le moins du monde.
L'espace d'une micro seconde, l'habituelle poker face de son frère se fendille, laissant apercevoir ce qu'il identifie comme de l'embarras. Réaction qui lui arrache un hoquet de surprise puis un éclat de rire des plus sincère. Himuro semble peu enclin à laisser passer son comportement et se jette sur lui pour voler son dribble en guise de punition. Sentant la balle lui échapper, Kagami reprend son sérieux instantanément et course son adversaire à travers le terrain pour récupérer son bien, laissant derrière lui tout ce qui ne concerne pas le basket.
Perdu dans sa musique, Kagami ferme les yeux. Il se balance au gré des secousses dues à la circulation, travaillant ses appuis. Il ne peut compter que sur ses jambes et la poignée que ses longs bras lui permettent d'atteindre en cas de turbulences. Il y a foule aujourd'hui sur la ligne 105 et il se voit obligé de rester debout parmi les autres passagers. Kagami n'a jamais été très à l'aise dans ce genre de situation. C'est pourquoi il a préféré se couper de son environnement ce matin. Focalisé sur sa musique, calculant approximativement combien de temps il lui reste de trajet en fonction du nombre de chansons passées dans son casque.
Derrière ses paupières closes, à défaut de pouvoir l'apercevoir à travers la marée humaine dans laquelle il est coincé, le visage de son inconnu se dessine. Kagami se surprend en découvrant avec quel niveau de détail il est capable de visualiser son visage, la profondeur de son regard et la couleur de sa peau, amoureuse du soleil l'lorsqu'il l'effleure de ses rayons. Le beau brun monopolise tellement son esprit qu'il a arrêté de s'offusquer de l'y voir s'installer, comme résigné, acceptant qu'il soit trop tard pour le déloger.
Kagami est loin dans ses pensées, si loin qu'il parvient à oublier où il se trouve. La musique l'emporte. Sans se soucier des regards qu'on pourrait lui lancer, il chante les paroles en sourdine, hochant la tête au rythme lancinant d'une guitare plaintive. Le choc n'en est que plus grand lorsqu'un coup de frein abrupte le sort de sa transe. Dans un sursaut de panique, Kagami tente de se retenir à une poignée libre au-dessus de lui mais il tombe déjà, trop déséquilibré par le mouvement de la foule emportée par l'inertie du véhicule. Il s'attend à s'écraser contre la paroi du bus, la tête la première sur la vitre froide des portes coulissantes desquelles il n'a guère pu s'éloigner.
Il est donc surpris d'atterrir sur une surface chaude et ferme. Assez solide pour empêcher sa chute mais bien plus confortable que le verre. Alors que l'engin redémarre dans un bruit de moteur fatigué, un bras s'enroule autour de sa taille pour le stabiliser. Il comprend alors que quelqu'un l'a retenu, le sauvant d'une chute peu glamour et potentiellement douloureuse. Affolé, le tigre s'empresse de se redresser pour s'excuser et se fige. Il sent ses jambes se dérober sous lui lorsqu'il percute les pupilles de son sauveur. Mais le bras de son inconnu le retient toujours contre lui et le serre même un peu plus fermement, prévenant une nouvelle chute.
Kagami ne réalise pas ce qui se passe. Son cerveau turbine à toute allure pour essayer de comprendre. Il pense d'abord s'être endormi debout, tombant dans un de ses fantasmes inavoués. Ou alors, il est bel et bien tombé et s'est cogné la tête si fort qu'il a une commotion cérébrale et hallucine dans l'ambulance le transportant à l'hôpital. Chacune de ces options lui parait plus probable que la situation dans laquelle il est. Comment son inconnu s'est-il retrouvé si près de lui qu'il a pu le rattraper ? Sans qu'il ne le voie ou ne le perçoive avant de se ridiculiser de la sorte ?! Le visage du brun est si proche du sien qu'il a une vue imprenable sur le demi sourire habillant ses lèvres. Si proche qu'il peut distinguer le grain de sa peau et la chaleur de son souffle. Kagami se ressaisit tant bien que mal et se recul autant que possible en se redressant contre lui, détachant sa main qui s'est logée sur son torse par réflex. Tout est allé très vite, et faute de s'excuser il parvient tout de même à marmonner un « thank you » qu'il doute d'être audible tant il est fébrile.
Dire qu'il a un coup de chaud est un euphémisme. Kagami est prêt à parier que son visage se confond avec sa tignasse. À cette distance il est incapable de soutenir le regard pélagique qui le sonde comme à son habitude. Il est tétanisé. Paralysé par l'embarras et la panique. Si bien qu'il ne trouve même pas la force de se dégager de l'étreinte de l'inconnu qui a toujours son avant-bras pressé contre ses reins. Leurs torses se frôlent à travers leurs vêtements à chaque inspiration. Il se demande d'ailleurs s'il ne devrait pas éviter de respirer pour le reste du trajet. Il est plutôt bon en apnée…
Ainsi collé contre lui, Kagami prend connaissance du parfum du brun. Aussi sauvage que le bleu tempête de ses yeux, et aussi suave que ses sourires mystérieux. Un doux mélange euphorisant qui lui donne l'étrange envie de se fondre un peu plus entre ses bras pour s'en imprégner. Si c'est bien un rêve, ou une hallucination, il prit intérieurement qu'on ne le réveille jamais. Profondément troublé, Kagami est tendu à l'extrême, n'osant toujours pas bouger le moindre muscle. Seul son cœur se débat à un rythme frénétique dans sa poitrine, depuis sa presque chute il n'a pas cessé sa course et écourte son souffle. À travers le brouillard envahissant son esprit, il se demande si son sauveur peut en entendre les battements désordonnés, ce qui ne fait qu'accroitre son malaise.
Alors qu'il a perdu toute notion du temps et de la réalité, Kagami n'entend même plus la musique dans son casque, confondue avec le brouhaha général. Il le retire de ses oreilles, le laissant pendre à son cou. Il s'emploie à garder l'air le plus naturel possible, plantant son regard loin à travers le pare-brise du bus pour éviter de dévisager encore un peu trop et de beaucoup trop près l'homme qui hante ses pensées. Lors d'un arrêt, il y a un mouvement de foule. On joue des coudes pour se frayer un chemin vers la sortie et il se fait bousculer. Par réflexe il se retient, pressant de nouveau une main contre le torse de son inconnu pour ne pas l'écraser de tout son poids. Cette fois, il s'apprête à s'excuser en bonne et due forme pour se contact involontaire lorsque le brun le coupe dans son élan en le faisant pivoter d'un geste fluide, le soulevant un peu du sol comme s'il ne pesait rien.
Kagami se retrouve alors pris au piège entre la paroi du véhicule jouxtant la porte centrale et le corps de son inconnu qui consent enfin à le lâcher. Incrédule, ses yeux se relèvent vers lui. Ainsi protégé des allées et venues des passagers, il prend conscience de la carrure imposante du brun. Il l'avait deviné grand et bien bâti malgré ses vêtements larges mais d'ici il a tout le loisir de saisir à quel point. La fermeté de son pectoral restant imprimée sur les terminaisons nerveuses de ses doigts, bien que le contact fu bref. À l'abris dans son coin, le tigre l'observe du coin de l'œil, notant la contracture des muscles de son avant-bras le retenant à la vitre, contrastant avec la nonchalance apparente de sa position. Il déglutit, remerciant la chaleur environnante dégagée par la foule ayant permis que son inconnu retrousse les manches de sa veste sombre.
Son crush ne le touche plus, mais il reste assez proche pour que son parfum flotte autour de lui. Kagami a de plus en plus de mal à le lâcher du regard, laissant les coups d'œil se prolonger en étude silencieuse tandis que le brun est occupé sur son portable. Son rythme cardiaque ne veut pas se calmer, sa gorge s'assèche, comme drainée de toute son hydratation par l'aura brûlante que dégage son inconnu. Dès le premier jour il a remarqué son charisme. La force naturel et tranquille qu'il dégage. Mais aujourd'hui, propulsé de force dans son champ magnétique, il en appréhende toute l'ampleur. Ce mec est dangereux. Sans comprendre d'où ce sentiment lui vient, il en a la conviction au fond de ses tripes. Et c'est peut-être bien son instinct de préservation qui l'empêche d'engager la conversation alors que leur nouvelle proximité le permettrait largement.
De nouveau perdu dans ses pensées, Kagami se fait surprendre lorsque l'inconnu redresse ses yeux dans les siens, rangeant son portable dans la poche arrière de son jean élimé. Un frisson électrique le parcours depuis sa nuque jusqu'à son coccyx, courant par vagues de chair de poule sur la totalité de son épiderme. Cette fois il ne baisse pas le regard, malgré les rougeurs qu'il sent de nouveau envahir son visage. Gêné il esquisse un sourire et le bleu indigo le détaillant se fait plus lumineux. Alors qu'il était plutôt moqueur et narquois jusqu'à présent, l'air soudain sérieux de son inconnu le laisse penser qu'il est troublé lui aussi. Kagami le suit du regard tandis qu'il s'approche imperceptiblement de lui. Le temps ralenti et d'une flexion du coude le brun s'approche encore, jusqu'à ce que son souffle soit perceptible par la peau fine et sensible de ses lèvres qui s'entrouvrent à la recherche d'oxygène.
Pendant une seconde qui semble durer de longues minutes, Kagami pense, redoute ou espère _il ne sait plus trop_ que l'inconnu l'embrasse. Mais la bouche désirable du brun poursuit sa route jusqu'à son oreille. Dans une secousse qui le ramène quelque peu dans la réalité, le bus s'arrête, les portes s'ouvrent et un murmure rauque vient caresser son oreille. Un nouveau frisson le dévore tout entier, et le tigre est bien incapable de déterminer s'il le doit à ce qu'il entend ou à la fraîcheur extérieure s'immisçant dans la chaleur étouffante du bus bondé.
« À demain… »
Et avant même que Kagami comprenne ce qu'il vient de se passer, l'inconnu se faufile au dehors d'un bon, avec une grâce et une souplesse féline. Le sang de Taïga pulse toujours à ses tempes, étouffant les bruits environnants. Il s'affaisse un peu contre la paroi, inspirant profondément une grande goulée d'air. Lorsque le bus redémarre, il cherche le brun des yeux à travers la fenêtre. Et quand il le dépasse, leurs regards s'accrochent une dernière fois. Kagami soupir. À présent qu'il est seul, ou presque, toujours un peu à l'étroit dans cet engin… son cerveau reconnecte quelques neurones. Son usine à questions se met en route, le laissant perplexe. Est-ce que l'inconnu avait tenté une approche qu'il n'a pas vu, perdu dans sa transe musicale ? Si c'est le cas, pourquoi ne lui a-t-il pas décroché un mot ? Et cette façon de le maintenir contre lui et de le protéger des vas et viens d'autrui ? Comme s'il n'était pas assez grand et solide pour encaisser quelques bousculades… Est-ce qu'il s'est fait un film ? Comment doit-il interpréter ses gestes ? Ses regards ? Et son silence ?
Sans parvenir à répondre à aucune d'elles, Kagami se fait sortir de sa réflexion par le flot humain qui se précipite hors du véhicule. Il se rappelle que c'est aussi son arrêt et se laisse glisser à la suite des autres étudiants pressés de sortir de cette boîte à sardine roulante. Complètement à l'ouest, il avance par automatisme sans voir ce qui l'entoure, revivant en boucle son périple matinal. Alors qu'il réajuste son casque sur ses oreilles pour retourner dans sa bulle, des effluves du parfum de son inconnu viennent chatouiller ses sens et apporter de nouvelles couleurs à ses souvenirs de lui.
La journée commence à peine, pourtant il a déjà hâte d'être demain. Et peut-être même un peu plus en réalisant que le brun attend ce moment lui aussi. Il se surprend à sourire à cette simple idée. Aujourd'hui ils se sont parlé pour la première fois. À peine deux petits mots chacun… Mais ça suffit à lui donner la sensation de flotter sur un nuage, ses jambes encore flageolantes de leur étreinte maladroite et inattendue qui n'en était pas vraiment une. Et alors que le simple souvenir de son torse chaud contre le sien le fait frémir, il prend toute la mesure de la profondeur de la merde dans laquelle il est… Son inconnu n'a pas seulement pris toutes ses pensées en otage, mais très probablement un bout de son cœur aussi.
La période d'examen approche et les étudiants ont droit à deux semaines de congés. Sauf qu'en tant que sportif et faisant partie de l'équipe de basket de l'université, Kagami a aussi la compétition à préparer en plus des partiels. Alors ce matin encore, au lieu de profiter des vacances pour faire la grasse matinée, il a gardé sa routine. Il est en route pour le gymnase où une partie de l'équipe l'attend pour s'entrainer et il en profitera pour étudier à la bibliothèque cet après-midi avec Tatsuya. Pas de repos pour les braves. Et puis… il était aussi très curieux de savoir si son inconnu serait là lui aussi. Pour son plus grand plaisir, il l'a trouvé à sa place lundi, et hier. Les vacances sont une bénédiction. Le bus est presque vide et il a le champ libre pour observer son vis-à-vis.
Son cœur s'emballe plus fort chaque jour. Le souvenir de son parfum viril et de son toucher noyant ses sens. Il ne parvient pas à se sortir ce moment de la tête. Imaginant divers scénarios où il aurait eu le courage de lui adresser la parole. Leur jeu de regard n'en est devenu que plus intense. Depuis leur rapprochement impromptu, Kagami est bien plus conscient de la distance qui les sépare et a moins peur de le regarder dans les yeux de là où il est. Ce qui semble déstabiliser quelque peu le joueur adverse, pour son plus grand plaisir.
C'est un éternuement qui met fin à leur duel aujourd'hui. Le brun en laisse échapper un second dans son coude et Kagami se fait plus attentif, fronçant les sourcils sans s'en apercevoir. Son inconnu n'a que son éternelle veste en sweat sur le dos, et voilà trois jours de suite qu'il pleut à verse. Il se souvient s'être fait la réflexion hier que sans protection sous cette pluie battante, la panthère pourrait prendre froid. Et c'est avec regret qu'il réalise avoir eu raison. En effet, maintenant qu'il l'observe mieux, le brun semble fatigué. Et sa façon d'enfouir sa main dans sa manche avant de la poser sous son menton pour observer la ville défiler à travers la vitre embuée lui laisse penser qu'il a froid. Encore aujourd'hui il ne voit aucun parapluie près de lui et l'imaginer marcher il ne sait combien de temps avec ce temps de chien lui serre le cœur.
Alors que le brun a détourné son attention de lui, Kagami s'imagine prendre soin du malade. Et au lieu de réfléchir stratégie défensive et programme de révision, il se laisse emporter dans un nouveau fantasme. Il sort de sa rêverie seulement lorsqu'il remarque son inconnu se lever du coin de l'œil. Il le suit du regard tandis qu'il se dirige vers la porte en ajustant sa capuche. Le bus s'arrête dans un crissement plaintif et le battant mécanique des portes se replie pour laisser descendre les passagers. Un frisson s'imprime sur la peau du tigre lorsqu'une bourrasque humide et glacée s'immisce sous ses vêtements. Et avant même que l'idée n'ait émergé dans son esprit, ses jambes le soulèvent et le portent à la suite du beau brun. Il parvient à se faufiler in extremis entre les portes, son sac de sport enfilé à la va vite en bandoulière.
Incrédule, Kagami observe le bus s'éloigner paresseusement dans une gerbe d'eau, le cœur battant. La pluie froide lui rend vite sa lucidité et il ouvre son parapluie pour s'en protéger. Fébrile, il s'élance à la suite de la silhouette toute de noire vêtue qui slalome habilement entre les gens pressés, esquivant flaques d'eau et baleines de parapluie. Kagami ralenti en arrivant à sa hauteur. Il remarque ses épaules tendues, remontées et voutées. Ses mains qu'il sait désormais grandes et chaudes enfouis dans les poches de son jean sombre. Il inspire profondément pour se donner du courage et prend la poignée de son parapluie dans sa main droite pour pouvoir couvrir son inconnu des intempéries.
Il ne faut que quelques secondes au brun pour comprendre et le tigre s'arrête en même temps que lui pour le garder au sec. Il déglutit lorsqu'il sent le regard outremer le transpercer et il ose à peine se tourner pour lui adresser un sourire contrit. Le froid ne le touche même plus, tant son cœur bat vite et réagit à la proximité du brun. Ce dernier l'observe encore, d'abord surpris, puis suspicieux. Kagami se frotte l'arrière du crâne, se demandant encore ce qu'il peut bien foutre là et s'il devrait dire quelque chose.
Nerveux, sans savoir quoi dire pour justifier son comportement à la limite du harcèlement, il reste planté là au milieu du trottoir, s'accrochant à la sangle de son sac autant qu'à son parapluie. Son inconnu finit par ôter sa capuche d'un geste fluide, acceptant sans un mot son offre silencieuse. Trop heureux d'avoir la permission de l'accompagner, Kagami laisse un sourire radieux fleurir sur son visage et lorsque le brun se remet dans le sens de la marche, il jurerait avoir vu ses lèvres se retrousser aussi.
Le tigre ne sait pas où ils vont. Mais il s'en fiche éperdument. Ils marchent en silence, à la même allure. L'excuse du parapluie permettant à Kagami de se rapprocher un peu, laissant leurs épaules se frôler au gré de leurs mouvements. Autour d'eux, le monde s'efface derrière le rideau de pluie qui tombe drue et éclabousse la toile de leur abri dans une mélodie féroce, assourdissant les autres sons de la ville. Comme si l'univers s'était restreint au périmètre dessiné par l'ombrelle imperméable. Kagami ne saurait décrire ce qui se passe entre eux, pourtant aujourd'hui il n'arrive plus à se persuader que tout est dans sa tête. Qu'il prend ses rêves pour la réalité. Son inconnu a fait un premier pas vers lui l'autre jour et il le laisse faire le suivant aujourd'hui, l'invitant sur un chemin qu'ils n'ont jamais parcouru ensemble. Ou alors, il profite seulement de sa gentillesse et de son élan chevaleresque pour ne pas finir trempé, mais il n'a pas envie d'y croire. Il préfère sa version de l'histoire.
Au bout d'un temps plus court qu'il l'a espéré, le brun ralenti et se dirige près de l'entrée d'un bâtiment qu'il ne peut pas bien identifier au risque de les mouiller tous les deux. L'inconnu lui jette un regard en biais et va se caller contre le mur, relevant une jambe pour y prendre appui. Sans réfléchir, Kagami l'imite, ignorant son bras qui commence à souffrir de maintenir le parapluie à bonne hauteur. Il observe sans détour le brun sortir son portable, y pianoter quelque chose, le ranger, puis pencher sa tête en arrière contre la pierre. Il découvre avec fascination sa gorge et son cou qu'il devine puissant, s'attarde sur son profil et la ligne de sa mâchoire, ses longs cils bordant ses yeux clos. Kagami se sent privilégié de pouvoir le regarder de si près et tombe un peu plus amoureux encore, alors qu'il ne connait toujours pas son nom. Pourtant, il ne se voit pas rompre le charme du moment, même pas pour lui donner le sien.
Le tigre ne pense pas non plus au temps qui passe, à l'heure qu'il peut être ou s'il est en retard, lui qui déteste ça. Il a momentanément oublié tout ce qui ne concerne pas le brun et cet instant surréaliste qu'ils partagent. Pourtant son inconnu le ramène à la réalité en brisant le silence relatif, déjà empli du martèlement de la pluie au-dessus d'eux. Sa voix grave et chaude s'élève et le percute, venant libérer une flopée de papillons dans son estomac.
« J'dois y aller… »
Kagami se redresse du mur à son tour et hoche simplement la tête en réponse. Il a peur que sa voix lui fasse défaut s'il essaie de parler. Le brun lui adresse un dernier regard appuyé qu'il ne parvient pas à déchiffrer juste avant de se faufile en dehors de leur périmètre de protection, rejoignant le monde extérieur. Il redresse un peu son parapluie pour le voir grimper deux à deux les quelques marches d'un perron et reprend sa route en le sachant enfin à l'abri. Le tigre se décide à regarder l'heure et découvre qu'il va être en retard s'il ne presse pas le pas. Heureusement, ce n'était pas un gros détour, au moins ils sont allés dans la bonne direction. Une fois qu'il s'est repéré dans les rues, il retrouve facilement l'artère principale qu'il suit jusqu'au campus à grandes enjambées puis court en direction du gymnase en guise d'échauffement, incapable de retenir la fébrilité et l'allégresse qui l'envahit. Aujourd'hui le temps capricieux et pluvieux du printemps ne parviendra pas à entacher sa bonne humeur, ni à ternir le sourire qui illumine et réchauffe tout son être.
