- Une manticore, lâcha Stiles.
- Une manticore ? Répéta Isaac.
- Une manticore, confirma l'hyperactif en hochant la tête.
Les paroles de l'hyperactif étaient sans appel : il était sûr de lui et nul pourrait le faire changer d'avis. L'expert des bestiaires, c'était bien lui et personne n'était en droit de le contredire. Lui seul avait passé des nuits et des nuits sur les différentes encyclopédies qu'il avait pu se procurer auprès de Derek, Deaton et moults émissaires d'autres meutes qui avaient collaboré avec plaisir avec ce jeune homme pour le moins particulier. Enfin, leur plaisir se situait dans son silence. Il avait un débit de paroles impressionnant, si bien qu'il valait mieux lui donner ce qu'il voulait pour être tranquille.
- Et… C'est quoi ton truc ? Demanda Scott, une grimace de scepticisme collée au visage.
- C'est une bestiole que t'as vraiment pas envie de croiser. Ah c'est méchant, très méchant, sacrément méchant.
- Mais encore ? S'enquit Derek.
- Très très très méchant, rajouta Stiles, une étincelle malicieuse dans le regard.
Une nuée de regard noir déferla sur lui et il soupira de découragement.
- Vous êtes pas funs, on peut pas rigoler avec vous. Enfin Der, t'es pardonné, tu n'as jamais été autre chose que grincheux, mais toi Scotty… Roooh ça va, j'ai compris… Pff, vraiment pas funs ces gens. Une manticore, c'est pas cool, c'est un peu une sorte de chimère, dans le sens où c'est un croisement de plusieurs choses. Au Moyen-Âge, on la représente avec un corps d'animal poilu, le plus souvent un lion, avec quatre pattes, des griffes, une grosse queue et… Non, pas celle à laquelle vous pensez, une vraie queue et… Mais merde, j'ai l'image en tête à cause de votre esprit tordu ! Donc je disais, une queue qui balance du… Oh, vous me faites chier, une excroissance en bas du dos, ça vous va ? Merde, pour une fois que j'étais innocent ! Une putain d'excroissance qui vous balance du poison en pleine face. Ah et puis ça a des ailes aussi. Ce truc, c'est littéralement le produit d'une orgie qui a mal tourné, surtout qu'en plus de ça, ça a un visage humain. Non non, ce n'est pas une blague, cette immondice existe. Et puis je vous dis pas les crocs ! Une vraie machine à tuer. Cette bestiole est rapide et le mieux, c'est de ne pas croiser son chemin.
La meute, qui composait l'assistance de Stiles dans son intégralité, le regardait d'un air ahuri. L'hyperactif était toujours aussi… Bavard et gardait cette capacité exceptionnelle de passer du coq à l'âne avec cette aisance qui lui était propre. Ses sous-entendus très entendus n'étaient pas non plus une nouveauté, mais ils surprenaient à chaque fois. On croirait Stiles coincé au premier abord, mais la réalité était toute autre. Il était ouvert. Très ouvert. Combien de fois avait-il tenté de gêner Derek en lui faisant son coup des « fausses avances » ? Il en avait fait des choses. Se précipiter dans ses bras et lui mordiller l'épaule en était une. Stiles ce souvenait de ce jour-là, où le loup l'avait littéralement envoyé valser contre un des murs du loft, prétextant un dégoût profond de tout ce qui empiétait dans son espace vital.
La drague. Ses fausses avances, une grosse blague. Quel meilleur moyen de cacher ses sentiments que de les exposer en plein jour sous forme de plaisanterie ? Puisque les loups avaient un odorat surdéveloppé, Stiles avait trouvé cette parade imparable qu'était la comédie réelle. Son crédo ? Plus c'est gros, plus ça passe. Si tout le monde avait l'habitude de le voir ainsi, personne n'irait se poser de question si un jour il faisait une erreur et montrait un peu trop ses sentiments. On les prendrait, comme tout le reste, pour une de ses blagues habituelles. Un loup avait un bon odorat, mais celui-ci pouvait se révéler profondément inutile si le loup en question voyait sa vigilance endormie par une habitude. Ainsi, Stiles n'avait aucun souci à se faire.
L'hyperactif exposa les nombreux dangers auxquels Beacon Hills s'exposait avec une manticore dans les parages, surtout qu'évidemment, la bête devait faire partie des garous et se balader tranquillement, le jour, sous forme complètement humaine.
La traque s'annonçait longue mais, par chance, Stiles avait des idées pour repérer la bête et il les leur exposa les unes après les autres. Certaines furent valides, d'autres non et, loin de s'en vexer, l'hyperactif rappela quand même la nécessité d'attraper cette chose rapidement. Plus ou la laisserait courir, plus elle ferait de dégâts. On le remercia et puis, on commença à se disperser. La chasse aurait lieu, oui, mais pas tout de suite et pas pour tout le monde. Scott avait émis le souhait de rattraper toutes ces heures de sommeil qu'il avait en retard et Stiles ne manqua pas l'occasion de le gêner et lâcha sans aucun tact qu'il faudrait qu'il songe à réduire ses parties de jambes en l'air avec Malia la nuit pas étonnant qu'il soit fatigué ces temps-ci, s'il passait son temps nocturne à faire charbonner son engin et lui faire lâcher des litres d'enfants morts-nés pendant des heures. Si Malia rit sans aucune honte et sans démentir une seule seconde les propos de son ex blagueur, Scott rougit et s'en alla en râlant. Isaac rit avec Stiles et passa un bras autour de ses épaules en lui chuchotant « bien joué ». Il était facile de gêner Scott, mais l'hyperactif le faisait toujours de manière inattendue et efficace, si bien qu'il savait que son alpha rêverait de Stiles et de bébés spermatozoïdes lorsqu'il poserait la tête sur son oreiller aux côtés de la coyote.
Stiles finit par dire au revoir à tout le monde, sauf à Derek, celui-ci s'étant d'ores et déjà éclipsé en avance. Mais l'hyperactif étant têtu, celui-ci décida qu'il était hors de question qu'il rentre sans saluer son Sourwolf préféré. Et cette pensée fit disparaître sa bonne humeur avec une rapidité telle qu'il fut heureux d'être loin de ses amis lupins. Rentrer. Rentrer chez lui, dans cette maison qui n'était déjà plus vraiment la sienne, dans un sens. Maintenant que ses deux démons de frères étaient de retour, elle était à eux. Noah les avait toujours aimés, toujours mis en avant, toujours préférés. Si Stuart et Thomas ne s'entendaient pas à merveille, il était toutefois clair qu'ils arrivaient à trouver un terrain d'entente plutôt facilement lorsqu'il s'agissait de se liguer contre lui, Stiles, et ce, dans toute situation. S'ils décidaient de l'embêter ou de faire baisser l'estime de son père envers lui, ils pouvaient y arriver, en faisant front commun. Alors Stiles ne se sentait plus réellement content à l'idée de quitter tout le monde pour retrouver cette maison qui abritait deux êtres partageant son sang.
- Stiles ? Qu'est-ce que tu fais là ?
L'hyperactif revint à lui et aperçut quelques mètres plus loin la Camaro de Derek, avec celui-ci qui en ouvrait la portière. Les yeux bleu-vert encore discernables grâce aux rayons de la lune étaient empreints de surprise et de fatigue. Derek ne disait rien, mais il était fatigué, lui aussi. Stiles eut un instant de flottement. Il avait marché sans s'en rendre compte, se mettant en pilote automatique jusqu'à arriver à la voiture de Derek, à l'orée de la forêt. L'air de rien, c'était l'histoire de quelques minutes. Penser lui enlevait parfois toute sa capacité à rester dans le monde réel et c'était navrant. Connaissant la perspicacité de Derek mais n'imaginant absolument pas qu'il allait s'intéresser à son odeur qui s'était altérée, Stiles se mit simplement à sourire.
- J'ai dit au revoir à tout le monde, mais pas à toi, mon Sourwolf.
Il gardait sa comédie plus ou moins en place mais sans faire trop d'efforts. Il savait depuis longtemps que Derek n'en avait pas grand-chose à faire, de lui. Alors, il se relâchait un peu, se donnait le droit de ne pas être parfait dans son rôle : le surnom et la fausse marque possessive suffiraient à faire illusion.
- Et je ne voulais pas partir sans avoir entendu ta voix suave me souhaiter une bonne nuit, ou plutôt… Une bonne fin de nuit.
En parlant, Stiles ne regardait pas Derek : il avait levé les yeux sur le ciel et ses étoiles, le ciel et sa lune, le ciel et sa poésie. Ce n'était pas par gêne ou pour dissimuler au loup l'étendue de l'émotion véritable de son regard, c'était simplement parce qu'il adorait regarder le ciel, cette étendue infinie de laquelle naissaient tant de questions. Stiles était quelqu'un de curieux et s'il adorait fourrer son nez partout pour régler des affaires et autres bizarreries surnaturelles ou complètement naturelles, il s'intéressait également beaucoup à l'astronomie. Le jour où il devrait prendre une décision concernant son avenir – s'il en avait un – s'avérait difficile à appréhender.
Stiles entendit un bruit de portière et faillit avoir un pincement au cœur. Il ne baissa pas le regard et s'appuya contre le premier tronc qu'il trouva. Il n'était pas obligé de rentrer chez lui, en soi. Il pouvait très bien rester ici et terminer sa nuit à contempler les étoiles, à guetter le lever du soleil. Puis pour le lycée, il assumerait : des nuits blanches, il en avait déjà faite et ça ne l'avait pas tué. Oui, en soi, il pouvait rester là et personne ne lui dirait rien. Sans doute ses frères dormaient-ils et ne l'entendraient même pas rentrer mais Stiles n'aimait pas la lourdeur qui écrasait ses épaules lorsqu'il rentrait chez lui en sachant qu'ils étaient là. Ce n'était pas bon et il savait qu'il ne devait pas s'engager sur ce terrain-là, mais il n'avait rien pour le retenir, tout pour le pousser à le faire. Il était conscient qu'à force – et plutôt rapidement – cet évitement le pousserait à rentrer de moins en moins chez lui, transformant sa maison en un symbole, celui de quelque chose de dérangeant et qui donne envie de l'éviter à tout prix. Son chez lui deviendrait un enfer mental et c'était peu de le dire.
Ce qui était triste, c'était de constater tous les changements qui avaient eu lieu en à peine quelques heures dans sa tête. Il avait suffi d'un retour, le leur, et toutes ses habitudes et ses convictions avaient volé en éclat. La présence de ses frères dans sa vie allait lui coûter cher et il espérait que leur séjour à Beacon Hills ne traînerait pas trop en longueur.
Stiles sursauta lorsque Derek lui fit une pichenette sur le front et reporta son attention sur lui avant de comprendre non seulement que le loup n'était pas parti, mais qu'il s'était rapproché au point de… Lui faire une putain de pichenette. Rien que ça. Et puis c'était un peu douloureux, parce que même lorsqu'il était dans la douceur, Derek était une brute qui ne cherchait pas vraiment à contrôler sa manière de retenir sa force.
- Eh mais c'est pas cool ! Ca fait mal tu sais, en plus même pour un truc de merde toi t'y vas fort. Tu vas m'entendre si demain j'ai un bleu, ou une bosse, ou… Ou je sais pas quoi ! Puis tu pourrais t'annoncer, hein, dire quelque chose comme « Stiles, attention je m'approche » plutôt que d'apparaître comme si tu venais de te téléporter devant moi pour me faire peur. Puis t'étais en train de partir, qu'est-ce que tu fous là ? Je suis irrésistible, c'est ça ? Tu veux mon numéro ? Je suis bête, tu l'as déjà et tu t'en sers vachement bien quand il s'agit de me demander de faire des recherches, et puis…
- Tais-toi, le coupa Derek.
Stiles le regarda, les yeux écarquillés et ne put empêcher la surprise de teinter ses traits. Ceux de Derek étaient à peine visibles, comme si la lune avait décidé, timide, de se cacher un peu. Elle ne montrait pas ses rayons au premier venu.
- Tu comptes dormir là ? Lâcha le loup en haussant un sourcil.
- Dormir non, mais rester, probablement. J'ai pas tellement envie de rentrer chez moi et puis c'est quand même un bel endroit, surtout en pleine nuit.
C'était un aveu comme un autre, lâché par inadvertance. Stiles ne le vit pas vraiment, mais le regard de Derek changea légèrement.
- Enfin bon, je ne vais pas te retarder, mon Sourwolf. Bonne nuit, lâcha-t-il avec un faux-sourire charmeur.
Ne pas changer ses habitudes, c'était se garantir une porte de sortie et un cadenas autour de ses secrets et sentiments. Mais Stiles oubliait un détail : en ne faisant pas marcher sa comédie à cent pour cents, en se relâchant sur son attitude, il avait déjà changé ses habitudes et s'était trahi.
Mais, étonnamment, Derek lui prit le poignet.
- Tu rentres, dit-il d'un ton qui n'appelait pas de réponse.
Mais Stiles n'avait jamais été très discipliné : un ton qui n'appelait pas de réponse avait pour vocation d'en invoquer une sur-le-champ. Il esquissa un sourire gêné mais n'essaya pas de dégager son poignet. De sa main libre, il se gratta l'arrière du crâne et secoua doucement la tête de droite à gauche.
- Nan, je suis bien, là. J'ai vraiment pas envie de rentrer chez moi.
Le souvenir de la présence de ses frères le hantait et rendait son retour de moins en moins envisageable, déjà pour cette nuit. Pour le reste, il aviserait.
- J'ai une chambre de libre.
