Stiles n'aurait jamais pensé que les choses seraient si simples, même s'il l'avait grandement espéré. Pour une fois, il avait la chance qu'une force supérieure soit de son côté. Déjà quelques minutes qu'il était dehors, et il avait l'impression de respirer à nouveau. Ça n'allait toujours pas, mais il avait au moins la satisfaction d'être enfin seul. Sans un regard en arrière, il monta dans sa Jeep ramenée par Isaac et démarra. Où irait-il ? Aucune idée. Pas à la maison, ça, c'était certain. Il ne quittait pas un carcan anxiogène pour en rejoindre un autre. Presque automatiquement, la forêt s'imposa dans son esprit. Après tout… Personne n'irait imaginer qu'il irait s'y réfugier puisqu'il n'avait jamais parlé de ses tendances isolatrices qui prenaient parfois le dessus lorsqu'il se sentait mal. Si certains avaient entendu la conversation houleuse qu'il avait eue avec ses frères, ils savaient simplement qu'il ne dormait pas chez lui ces derniers jours. Stiles se bénit de ne pas avoir mentionné la forêt : on n'irait pas l'y chercher. En fait, il doutait qu'on en vienne à essayer de le retrouver pour l'instant, sachant que Derek l'avait laissé partir sans encombres. Le loup lui avait ouvert la porte avec une extrême froideur et ce, devant les membres qui avaient choisi de rester au loft – sans doute pour satisfaire leur curiosité morbide quant à cette histoire qu'ils découvraient malgré eux.
L'existence de ses doubles était une chose que Stiles n'avait jamais eu l'intention de révéler ou du moins… Le plus tard possible. Parce que c'était bête, inutile. On parlait des gens qu'on appréciait, dont on aimait partager le souvenir. Qu'avait-il vécu d'agréable avec eux ? Rien ne lui vint. Et ce n'était pas maintenant qu'ils allaient commencer à se rapprocher, à créer de bons moments qui lui resteraient en mémoire, même des années plus tard. Ils se détestaient, se haïssaient et cela ne changerait pas de sitôt. De son côté, Stiles avait déjà donné. Ce n'était plus à lui de faire des efforts. De toute manière, il était fatigué d'être le vilain petit canard de la fratrie, celui qu'on méprisait depuis toujours. Alors, il faisait comme s'il avait toujours été seul.
Parce que son histoire, il ne l'aimait pas. En fait, il aurait aimé qu'on ne la découvre jamais. Dans un sens, cela niait l'existence de ceux qui cherchaient à diminuer sa valeur chaque fois qu'ils se voyaient. Stiles n'avait que ça pour ne pas sombrer dans la dépression. Déjà qu'il avait du mal avec certains aspects de sa vie… S'il devait en plus jouer avec la possibilité que ses frères la rendent encore plus médiocre… Il ne tiendrait pas longtemps.
Alors il allait simplement continuer de se débrouiller un temps. Ensuite ? Il verrait. Il avait l'habitude de ne pas se projeter à cause de sa survie rendue toujours plus incertaine par chaque mission d'ordre surnaturel qu'il exécutait avec ses amis, alors quant au reste… C'était du pareil au même. Disons que cela ne chamboulerait pas ses habitudes de ce côté-là.
Stiles s'enfonça le plus profondément qu'il le put dans la forêt et lorsque le chemin sur lequel il roulait commença à devenir difficilement praticable, il descendit de la Jeep, la verrouilla et partit se balader un peu.
Et dire qu'il était là, quelques heures plus tôt, à se battre inutilement. A subir et donner des coups. D'ordinaire, Stiles n'était pas du genre à s'emporter aussi facilement… Mais Stuart le connaissait bien et surtout, il savait appuyer là où cela faisait mal. Ses faiblesses ? Il les avait toujours cherchées et titillées, au contraire de ses qualités. Thomas, au moins, avait eu la décence de ne pas trop s'en mêler. Mieux : de ne pas vraiment participer. De l'aide ? Stiles ne le voyait pas lui en apporter car si l'aîné était du genre moins virulent que le petit génie, il ne l'aimait pas non plus. Disons qu'il avait simplement eu la décence d'essayer d'arrêter Stuart qui, même s'il ne l'aurait sans doute pas tué, l'aurait mis dans de beaux draps.
Stiles savait qu'il devrait au moins remercier Thomas, ne serait-ce que pour son semblant d'action, ce qui pourrait éventuellement montrer qu'il était capable de mettre leurs différends de côté de temps à autres. Mais Stiles ne voulait réellement plus faire d'efforts et de toute façon… Il n'était pas d'assez bonne humeur pour envoyer un message à qui que ce soit. Pas même à son père pour lui dire qu'il ne rentrait pas ce soir. Il soupira d'ailleurs en songeant au fait qu'il devrait trouver une excuse. Pour l'instant, Noah ne l'avait pas contacté, ce qui signifiait que dans un sens, ses frères le couvraient. Pas par bonté d'âme, simplement pour s'éviter des ennuis et, comme toujours, sauver les apparences. Il n'y avait que ça qui les intéressait, de toute façon.
Stiles avançait, les mains dans les poches, le regard vide. En cet instant, il n'avait pas fière allure et son visage… L'hyperactif se doutait bien qu'il mettrait quelques temps avant de recouvrer une apparence un peu plus… Lisse. Ainsi, retourner au lycée n'était pas une possibilité. En fait, le jeune homme se retrouverait bientôt dans une impasse et il en était diablement conscient. Il ne voulait pas se montrer ainsi devant quiconque et pourtant, il devrait trouver le moyen de se laver ces prochains jours et de manger. Il lui faudrait donc affronter le regard des gens lorsqu'il irait s'acheter de quoi subsister. Si Stiles donnait généralement l'impression d'une confiance en lui certaine ainsi que d'une indifférence quant au regard des autres, la vérité était tout autre. Il s'était toujours senti plus ou moins vulnérable… Et malgré son ire, cette fois-ci ne faisait pas exception.
Alors, il fut plutôt content de ne croiser aucun promeneur tandis qu'il continuait de s'enfoncer plus profondément encore dans la forêt. Il ne voulait ni être vu, ni être trouvé. Peu à peu, il se calma, mais choisit de ne pas réfléchir, de ne pas penser.
Stiles ne se considérait pas comme détruit, du moins, pas complètement. Disons simplement qu'il se savait sur une pente dangereuse et qu'il lui faudrait faire attention à ne pas glisser. Pour ça… Stiles devait se préserver.
Et donc éviter un maximum ses deux démons personnels.
Il sortit alors son téléphone de sa poche et, tout en continuant de marcher, força un peu pour débloquer la coque de protection qui l'avait empêché, à de nombreuses reprises, de se retrouver complètement brisé. En même temps, vu le prix qu'il l'avait payée… Stiles se recentra sur ce qui l'intéressait. Dans le maigre espace entre la coque et le téléphone, Stiles gardait quelques petites choses, des sortes de petits secrets. Il se saisit de quelque chose, qu'il retira avant de remettre l'étui de protection en place. Il s'arrêta un instant, rangea son téléphone dans sa poche… Et fixa la photographie un peu jaunie qui ne le quittait jamais.
Elle représentait ce qu'il avait eu durant une courte période… Et qu'il avait perdu. Sur le cliché, trois petites têtes identiques et adorables. Quel âge avaient-ils à ce moment-là ? Stiles n'en savait rien. Quatre, cinq ans, peut-être… Mais ils étaient jeunes, très jeunes. Trop pour se haïr. Alors on pouvait même dire qu'ils s'aimaient, au moins un peu. Stiles se retrouvait parfois un peu seul, Thomas et Stuart ayant toujours été proches, mais au moins… A cette époque, ça allait encore. Ça allait parce le ciment de leur famille, leur mère, était encore là à cette époque. Elle veillait sur eux et recollait les morceaux de leur fratrie avec ses doigts de fée et son âme angélique. Puisque le surnaturel existait, Stiles pouvait facilement assimiler sa défunte mère à un ange. Elle ne pouvait pas être juste humaine. Claudia Stilinski avait toujours été d'une pureté étonnante, trop pure pour ce monde qui ne lui avait offert rien d'autre qu'une lente déchéance dans l'agonie.
En outre, sa maladie avait tout détruit sur son passage. Elle avait fait basculer Noah dans l'alcoolisme, brisé les liens fragiles entre la fratrie Stilinski, causé une souffrance qui ne faiblissait pas. Si elle était encore là, les triplés seraient-ils toujours en bons termes, ou leur destin était-il de se détester malgré tout ? Stiles n'en savait rien, mais le fait était que les choses ne changeraient pas, ne changeraient plus.
Ses mains, qu'il n'avait pas remarquées tremblantes, déchirèrent la photo sans aucune hésitation. Quelques instants plus tard, ses morceaux voletèrent jusqu'à tomber en zigzag et se fondre parmi les feuilles mortes qui parsemaient la forêt. Son geste était stupide, profondément stupide et Stiles était conscient qu'il le regretterait plus tard. Mais pour l'heure, il désirait se débarrasser de ce souvenir inutile, tout en s'imaginant qu'il se débarrassait du fardeau de sa peine. Parfois, ce genre d'associations d'idées l'aidait à supporter ces aspects-là de sa vie. Néanmoins, il n'était pas sûr que cela fonctionne pour cette fois. Toutefois, cela ne coûtait rien d'essayer… Et puis au moins, il cesserait de se raccrocher à ce genre de souvenirs fantômes. Oui, il cesserait d'espérer le retour à quelque chose qui restait de l'ordre du passé. Cela ne servait à rien.
Au final, il n'avait pas de frères. En tout cas, il ne les considérait plus comme tels depuis longtemps.
Stiles, à force d'explorer la forêt malgré lui, finit par trouver un petit renfoncement, une bébé grotte dans laquelle il ressentit le besoin de se réfugier. Peut-être parce qu'en cet instant, le châtain faisait le fort tout en se sentant faiblard. Sa douleur n'était pas que mentale : les coups de Stuart l'avaient marqué au fer rouge malgré lui. Son visage le tiraillait. Son cou… Il passa une main dessus. Rien ne l'enserrait et pourtant, il se sentait… Il avait l'impression que ses doigts étaient encore là… A croire qu'il n'était pas complètement remis de cet affrontement ridicule. Soudainement fébrile, l'hyperactif se recroquevilla sur lui-même, replia ses jambes vers lui et les entoura de ses bras. Il n'était pas si mal, dans cette petite grotte. Seul, à l'abri des regards. Isolé de tout et tous. Ainsi, le temps passa et sa colère commença à diminuer, jusqu'à disparaître, le laissant pantelant et presque tremblant, démuni de ce moteur qui lui permettait de ne pas sombrer.
Alors peu à peu, sa fragilité le rattrapa et Stiles se mit à pleurer. Pas longtemps, quelques minutes seulement, juste assez pour dégager ce qui était en trop, de sorte à pouvoir retenir le reste de ses émotions plus tard. Parce que s'il craquait complètement… Il mettrait du temps à tout décharger… Pour simplement tout recharger petit à petit. Et pour Stiles, ce n'était rien d'autre qu'une perte de temps puisqu'il devait réfléchir à des moyens de subvenir à ses besoins tout en ayant à passer chez lui le moins possible.
Lorsque ses larmes se furent taries, il se cala bien au fond de sa bébé caverne et commença d'ores et déjà à s'établir une sorte de programme, ou ce qui y ressemblait. Déjà, il prévoyait d'aller chercher quelques vêtements d'ici deux à trois jours. Il viendrait en pleine nuit, de sorte à maximiser ses chances de ne pas croiser les deux autres zouaves. Puisqu'il ne fermait jamais la fenêtre de sa chambre à clé, il n'aurait qu'à passer par là – à condition de ne pas faire l'idiot et d'y aller prudemment. Ses amis les loups, bien plus agiles et forts que lui, n'avaient aucun mal à passer par là mais lui… Il n'était qu'un humain. Autant dire qu'il n'avait pas leur résistance, leur endurance, ni leur capacité à guérir rapidement. Ainsi, il aurait à faire attention. Là, il en profiterait également pour récupérer une boîte d'Adderall ainsi qu'une partie de ses économies personnelles, qu'il gardait précieusement cachées. Sur lui, il avait déjà un peu d'argent, mais pas suffisamment pour tenir plus d'une semaine. Déjà que cela faisait quelques petits jours qu'il ne rentrait plus… Sa seule consolation, c'était d'imaginer ses frères se démener pour trouver des excuses à son absence, juste pour éviter de se faire incriminer ou rabrouer par leur père. Dans l'ombre de sa cachette, Stiles eut un sourire amer. Voyons, pourquoi Noah les rabrouerait-ils ? A ses yeux, Thomas et Stuart étaient des fils modèles qui ne faisaient jamais rien de mal. Deux petits anges. Deux jeunes hommes droits. Alors même s'ils leur avouaient que Stiles était absent à cause d'eux… Le shérif ne les croirait pas. Parce que c'était lui, Stiles, le vilain petit canard de la famille, la tache que l'on était incapable de faire partir. Alors lorsqu'il rentrerait, Noah lui ferait la leçon et c'était tout.
C'est ainsi que le temps passa et que le ciel s'assombrit. Pas seulement parce que la nuit tombait, mais également parce que le temps devenait mauvais. Stiles, qui avait éteint son téléphone depuis des heures déjà, ne chercha pas à regarder la météo. Néanmoins, il se demanda s'il ne vaudrait pas mieux qu'il retourne à sa Jeep avant qu'il se mette à pleuvoir – parce que c'était ce qui arriver, il le savait. Pourtant, Stiles ne ressentait pas la moindre envie de bouger. A vrai dire, il n'avait plus vraiment d'énergie. Plus trop de convictions non plus, comme si cette journée l'avait vidé dans son entièreté. Et si je restais juste là ? Se demanda-t-il mollement. Le temps se rafraîchissait plutôt rapidement et il était clair que sa chemise ne suffirait pas à le garder au chaud, mais… De toute manière, sa Jeep était vieille et le chauffage fonctionnait à moitié. La seule chose qui pourrait éventuellement l'empêcher d'attraper froid serait le plaid qu'il gardait toujours dans son coffre.
Mais il ne se sentait pas capable de bouger, de marcher vers un autre pan de solitude. Mentalement, il n'en avait pas la force… Tout comme il n'avait pas le cran de demander à l'un de ses amis de l'héberger pour la nuit. Parce que la vérité, c'était que dormir « dehors » le pesait. Il adorait sa Jeep mais il fallait avouer qu'elle n'était pas l'idéal. Vieille, peu isolée, elle laissait passer l'air avec une facilité plutôt déconcertante… C'était cependant toujours mieux que de dormir dehors, à la belle étoile.
Pourtant, il ne bougea pas. Ses yeux se mirent à fixer le ciel de plus en plus sombre et qui commençait d'ores et déjà à gronder. Stiles frissonna, mais ne chercha pas à changer de position. Il était fatigué, si fatigué… Au pire, que risquait-il à dormir ici ? Il faisait froid et il attraperait sans doute la crève, mais au moins… Il était à l'abri. Quelques minutes plus tard, les premières gouttes se mirent à tomber. Bientôt, il vit avec indifférence de petites flaques se former devant sa grotte et chaque petite goutte les faire onduler à un rythme de plus en plus rapide. La petite pluie se transformait graduellement en averse et cela ne lui fit rien. En fait, sa fatigue mentale était telle qu'il pouvait à cet instant lui arriver n'importe quoi : il ne réagirait pas. En fait, c'était comme si une partie de lui avait décidé qu'il avait trop donné dans sa vie et qu'il ne lui restait plus rien. Plus rien à offrir, plus rien pour se défendre, plus rien pour tenir. Ah, ils devaient être heureux, à la maison. Tous. Son père, et ses frères. Le shérif avait-il ne serait-ce que remarqué son absence ? Peut-être. En faisait-il cas ? Pas sûr. Après tout, n'avait-il pas plutôt à se réjouir du retour de ses fils préférés ? Si, dans un sens. Stiles savait combien il les aimait, pour l'avoir entendu maintes et maintes fois dire à quel point ils lui manquaient, à quel point il était fier de ce qu'ils devenaient, de ce qu'ils avaient toujours été.
Alors non, actuellement, Stiles n'avait plus la volonté de rien, pas même de marcher jusqu'à retrouver sa Jeep. Il en vint même, fugacement, à se demander si l'on ressentirait quelque chose s'il disparaissait, lui, l'humain un peu moyen sur tous les plans. Comme ça, d'un coup. Mystérieusement.
En tout cas, il ne bougerait pas, resterait là. De toute manière, il savait que ses jambes ne le porteraient nulle part, du moins pas sans aide, pas sans volonté non plus. Une partie de lui se révolta contre cette mollesse qui ne lui ressemblait pas, mais celle qui dominait lui fit comprendre qu'il avait besoin d'un temps mort, qu'il était trop fatigué pour redevenir celui qu'il était censé être… Du moins pour l'instant.
Et, doucement, le bruit de la pluie le berça, à tel point que ses yeux se fermèrent. Le sol était dur, Stiles n'avait rien pour lui servir d'oreiller, il avait froid… Mais qu'importe. La fatigue finirait bien par l'emporter, ses cauchemars aussi, d'autant plus que la nuit était finalement complètement tombée.
Soudain, un éclair perfora le ciel et tonna si fort qu'il fit sursauter l'hyperactif, qui rouvrit les yeux… Et vit deux pieds apparaître à l'entrée de sa petite grotte, deux pieds habillés de converses trempées. Leur propriétaire s'accroupit pour se mettre à sa hauteur et le dévisagea. Stiles ne réagit même pas lorsqu'il le prit par le bras et l'obligea à sortir de sa caverne avec empressement.
