Il arrivait à Stiles de rêver que lui et ses frères formaient une fratrie pas forcément aimante, mais… Normale. Oui, parfois il s'imaginait une autre réalité, où Stuart et lui arrivaient à se parler sans avoir envie de se frapper. Et Thomas débarquait. Calme, tranquille, il apaisait les débuts de tensions entre eux, ce qui leur permettait ainsi de se détendre et de rire un peu. Stiles savait alors instinctivement qu'il était en train de rêver car la scène qui se déroulait sous ses yeux n'existait pas et ne verrait jamais le jour. Stuart et lui étaient trop butés. Thomas ? Il n'a pas de couilles, songea Stiles alors qu'il se voyait faire une accolade à son double athlétique. Thomas était du genre à se fondre dans la masse et ne rien faire qui pourrait attirer la lumière sur lui. Depuis tout petit, il faisait preuve d'une lâcheté presque surnaturelle tant elle était poussée. Pour preuve : il ne prenait jamais sa défense à lui, le vilain petit canard de la fratrie. Par contre, il suivait Stuart. Il le repoussait, se moquait de lui, parce que c'était ce que Stuart faisait. Son comportement à lui n'attirait pas l'attention. Il n'était pas là, à se battre contre une hyperactivité qui lui pourrissait la vie.

Pour Stiles, c'était un combat de tous les jours.

Allongé dans ce lit qu'il ne remarquait pas vraiment, Stiles avait les yeux rivés au plafond. S'il ne bougeait pas parce qu'il n'était pas encore complètement réveillé, ses pensées allaient et venaient sans arrêt. Il réfléchissait à tout et à rien, créait de courtes histoires complexes pour passer le temps, s'amusait aussi à résoudre certaines équations qu'il créait au hasard. Stiles était incapable de ne pas penser. Il ne savait pas ce que signifiait de « faire le vide dans sa tête ». Il entendait souvent cette expression, mais se retrouvait incapable d'en tester les effets. Il avait beau faire tous les efforts qu'il voulait, il n'y arrivait pas. Parfois, il arrivait à calmer le flux… Lorsqu'il prenait correctement son traitement et que ses émotions étaient stables. En ce moment, ce n'était pas le cas : Stiles ne pensait pas toujours à son Adderall et son moral… Il était incapable de le contrôler réellement. Alors ça fusait et ce, dans le bordel le plus complet.

Vint un moment où l'hyperactivité de Stiles commença à se manifester… Physiquement, si bien qu'il ressentit le besoin de se lever. A cet instant, il prit conscience du lieu dans lequel il se trouvait. Et refoula la foule d'émotions et sentiments qui émergeaient en lui. Mais parmi tout cela, il n'y avait pas de joie. Pourtant, Stiles aimerait être heureux de se rappeler que Derek l'avait ramené ici. Il l'avait cherché dans la forêt, avant de le recueillir sans lui poser la moindre question. Sauf qu'il n'arrivait pas à se réjouir, à se dire que Derek lui accordait une réelle importance. Sans doute s'était-il donné la peine de sortir sous la pluie parce qu'il avait quelque chose à lui faire faire… Et qu'il était plus facile pour lui de l'avoir à portée de main plutôt que de le chercher. Cela n'enlevait rien à ces foutus sentiments qu'il entretenait toujours à son égard, d'autant plus qu'il ne pouvait rien y faire. Il l'aimait encore, ce foutu loup taciturne et ce, même si celui-ci se servait de lui. Néanmoins, Derek ne pouvait pas tout lui faire faire et ça, Stiles n'hésiterait pas à le lui faire comprendre s'il se permettait d'abuser. L'ancien alpha n'était pas de ce genre-là, mais… On ne sait jamais. Stiles n'avait pas l'intention de servir d'appât pour quelque traque surnaturelle que ce soit. Il l'avait déjà trop fait avec Scott.

Stiles descendit les escaliers dans le but de s'en aller. La forêt était un peu loin du loft mais s'il marchait assez vite, il récupèrerait sa Jeep d'ici un peu plus d'une heure. Il la lui fallait, parce qu'il ne comptait pas retourner chez lui. Pas alors qu'il aurait simplement pour envie d'exploser la figure de Stuart dès ses premiers mots – et Thomas, si celui-ci décidait d'intervenir.

En bas, il n'y avait aucun bruit, si bien que Stiles s'imagina qu'il pouvait partir tranquille, sans avoir de comptes à rendre à Derek. Bien sûr, il le remercierait plus tard, en lui envoyant un message car actuellement, il ne voulait voir personne. Parler, encore moins. Son état mental désastreux l'empêcherait de jouer la moindre comédie. Stiles savait pourtant faire semblant : combien de fois avait-il souri alors qu'il avait juste envie de pleurer ? Combien de fois avait-il minimisé ses moments de tristesse, pour ne pas attirer l'attention sur lui ? Cette fois-ci, il n'y arrivait juste pas. Depuis leur retour, il se retrouvait incapable de maîtriser ses talents de comédien – talents qui lui semblaient s'être évaporés. C'était leur faute, ça aussi. De toute manière, tout était de leur faute. Si Stiles savait avoir ses torts, il ne se battait plus pour être cordial, pour regagner ne serait-ce qu'un peu de leur respect. De toute manière, il ne l'aurait jamais. Parce qu'il était différent et eux, parfaits. Un TDAH, contre deux doubles sans aucun problème. Parfois, il n'en fallait pas beaucoup pour soulever la haine. Stuart, en bon petit génie, n'aimait pas savoir qu'il y avait un vilain petit canard dans sa fratrie. Il fallait qu'elle soit au poil, tout comme lui. Thomas ne lui faisait même pas d'ombre, car il était l'ombre. Il n'y avait que Stiles qui posait problème. Qui posait toujours problème.

Alors oui, c'était peut-être stupide, mais Stiles aurait aimé garder le secret de l'existence de sa fratrie encore bien longtemps. Il trouvait plus simple de l'effacer pour mieux la supporter plutôt que de la subir. C'était comme ça qu'il avait tenu, comme ça qu'il avait vécu ses meilleures années. Le poids qu'il avait sans arrêt sur le cœur n'y changeait rien. C'était une vie qui lui allait.

Et jamais il ne se laisserait écraser par ses deux sosies.

Arrivé dans le salon, Stiles zieuta un instant sa tenue. Les vêtements n'étaient pas à lui. Trop grands. Il se rappela du fait que Derek les lui avait prêtés, parce que les siens étaient trempés. Bah, il les lui rendrait plus tard. Il fallait qu'il retrouve ses propres affaires dans sa Jeep. Ensuite, il laverait celles de l'ancien alpha et les lui rendrait, un jour où il s'infiltrerait au loft. C'était facile, il avait l'habitude. Le regard de Stiles fut attiré par la fenêtre après avoir entendu des petits bruits répétés. Il eut envie de soupirer et ne se retint pour ainsi dire… Pas du tout. Sincèrement, une entité divine en avait-elle après lui ? Avait-il fait quelque chose d'horrible pour mériter que tout se retourne contre lui de cette façon ? Il pleuvait. Là, maintenant. Comme pour le narguer, comme pour l'empêcher de sortir. Réduire ses projets les plus urgents à néant.

Quoique si la pluie l'arrêtait, c'est qu'il était faible. Telle fut la réflexion qu'il se fit et qui le rasséréna un peu. Un tout petit peu. Après tout, ce n'était que de l'eau. Et s'il attrapait froid ? Tant pis. Stiles s'avança vers l'entrée, à la recherche de ses chaussures. Où étaient-elles ? S'il pouvait sortir habillé légèrement sous la pluie, il lui fallait tout de même ses chaussures. Au moins ça. Où Derek les avaient-ils mises ? Stiles songea un instant à l'appeler, mais se ravisa. Ce qu'il fallait, c'était qu'il parte avant que l'ancien alpha ne se réveille. Il devait éviter les questions potentielles, les regards indifférents.

Et puis surtout, il fallait qu'il parte avant de craquer. Ce n'était pas parce qu'il avait passé une nuit au chaud, au loft de Derek Hale, que les choses allaient mieux, au contraire. Stiles se sentait sur une pente raide, prêt à tomber au moindre déséquilibre. Pour l'instant, ses émotions étaient stables, mais un rien pouvait les faire exploser. Stiles se fit en cet instant l'effet d'une bombe à retardement prête à exploser à tout moment. Il suffisait d'une étincelle. Alors, il chercha ses chaussures en s'y prenant méthodiquement, une pièce après l'autre et ce, sans faire de bruit. Par chance, il ne fut pas le moins du monde maladroit – pour une fois, ses membres lui obéissaient à la lettre. Sauf qu'il ne trouva rien. Il avait beau chercher dans les endroits qui lui paraissaient logiques, il ne voyait pas où elles pouvaient se trouver. Et c'était embêtant parce qu'il fallait vraiment qu'il s'en aille avant que Derek ne…

- Elles sont au lavage.

Stiles ne put retenir un sursaut plutôt brusque. Il tourna la tête vers l'ancien alpha qui le fixait depuis le seuil de la pièce. Les bras croisés sur son torse nu – non, son débardeur ne comptait pas comme un vêtement –, Derek arborait son air indifférent habituel. Et Stiles sut à cet instant que s'il ne trouvait pas un moyen de s'en aller tout de suite, il serait foutu. A cet instant, tout son être réclamait attention, réconfort et affection. Tout ce que Derek ne pourrait jamais lui donner. Parce que si Stiles faisait en sorte de tenir le coup et de minimiser l'importance de ses émotions, il se savait au bord d'un précipice sans précédent. Pour l'instant, il faisait le fier, mais qui savait de quoi il pouvait être capable… Et au fond, personne n'aurait jamais envie de le savoir.

- Mets ton lavage en pause, lui intima Stiles tant qu'il en était encore capable. Je les prends et je me casse.

Et pour les remerciements, on verrait plus tard.

- Elles seront trempées, rétorqua Derek en haussant un sourcil.

- Je m'en fiche, répondit aussitôt Stiles.

- Il pleut, rajouta le loup-garou.

- Ça va pas me tuer.

- Et tu comptes aller où, sans ta Jeep ?

- Je vais la chercher, justement.

- A pied ?

- A pied.

Stiles ajusta le col de ce t-shirt qui ne lui appartenait pas. Pourquoi n'avait pas déjà-il pris la porte ? Ah oui, il n'avait toujours pas ses chaussures. Pendant un instant, il se demanda ce qu'il aurait à perdre en sortant pieds nus. L'idée de s'en aller quand même lui traversa l'esprit, mais il se ravisa. Il était peut-être stupide, mais pas suicidaire. Pour le chemin qu'il avait à faire, il valait mieux qu'il soit un minimum équipé… D'ailleurs, les rares habitants de Beacon Hills dehors par ce temps le prendraient pour un attardé et risqueraient d'appeler la police. Dans cette ville un peu étrange, il fallait savoir se faire un minimum discret… D'autant plus que Stiles n'avait pas la moindre envie que son père apprenne qu'il vivait dehors. Qu'en réalité, il ne s'entendait pas du tout avec ses frères. Qu'entre eux, c'était carrément la guerre.

Si Stiles était d'accord pour supporter une telle situation, c'était bien pour ne pas briser les rêves de Noah. Le décevoir – encore – ne faisait pas non plus partie de ses objectifs.

Particulièrement tendu et au bord de l'implosion, Stiles croisa à son tour les bras sur son torse, dans une vaine tentative de faire comme si rien ne l'atteignait. En soi, Derek ne l'empêchait pas de partir à proprement parler, il… Mettait simplement certaines évidences en avant.

- Mes chaussures, fit Stiles.

Il se savait incapable de faire quelque effort que ce soit. Il était fatigué, vraiment fatigué. S'il ne partait pas rapidement…

- Tu ne préfères pas rester ici, au chaud à l'abri de la pluie ? S'enquit Derek, un sourcil grandement haussé.

Stiles ferma les yeux un instant. Un ridicule petit instant. Il ne savait pas à quoi jouait Derek, mais c'était susceptible de l'avoir. Bien sûr qu'il préfèrerait rester là… Si les circonstances étaient différentes. S'il n'essayait pas tant bien que mal de rester digne face à un loup-garou insensible. Un loup-garou qu'il aimait, qui plus est. Alors, vint un moment où il ne sut quoi répondre, parce qu'il ne savait pas vraiment quoi penser. Pourquoi Derek faisait-il l'effort de lui parler ? Pourquoi ne pas le laisser partir simplement ? Pourquoi ne pas avoir simplement… Laissé ses chaussures crades et pleines de boue à l'entrée, au lieu de les laver ? C'était stupide. Qu'est-ce que Derek cherchait à faire, bon sang ? Stiles s'efforça de garder la bouche close, de ne pas l'ouvrir comme il en avait l'habitude. Il devait se taire, ne pas laisser échapper un mot de trop, le mot qui pourrait l'humilier davantage qu'il ne l'était déjà… Comme s'il n'avait pas honte d'avoir été retrouvé dans la forêt. Comme s'il n'avait pas honte d'avoir accepté la charité fausse de Derek. Comme s'il n'avait pas honte d'avoir profité de son hospitalité. Et Derek qui continuait d'arborer cet air qui lui crevait le cœur, cet air indifférent. L'homme n'en avait rien à foutre de lui, en réalité. Rien. Stiles resta persuadé qu'on lui avait demandé d'aller le chercher et que si on avait gardé le silence le concernant… Derek n'aurait pas bougé ses jolies petites fesses du loft.

En fait, il n'aurait tout bonnement pas bougé le petit doigt pour lui. Parce que c'était comme ça et que Stiles le savait depuis longtemps.

- Tu n'as pas besoin de faire comme si tu te souciais de moi, s'efforça de lâcher Stiles, la meute n'est pas là.

Petite pause.

- Rends-moi mes chaussures, ajouta-t-il d'un air déterminé.

Il fallait vraiment qu'il s'en aille.

La réponse de Derek ? Le silence et une immobilité parfaite. En temps normal, Stiles aurait marché dans sa direction et l'aurait harcelé jusqu'à obtenir ce qu'il désirait. En général, ça marchait, pour la simple et bonne raison que la manière dont Stiles arrivait à agacer les gens en un temps record était folle. Il ne comptait pas le nombre de fois où il avait fait sortir Derek de ses gonds.

Mais là, il se retrouvait pantois. Démuni. Incapable de savoir ce qu'il pouvait et devait faire.

- Mes chaussures, répéta-t-il après s'être raclé la gorge.

Sa voix n'était plus si sûre. Un peu rocailleuse, de moins en moins assurée. Stiles était lentement en train de perdre la face et il ne pouvait qu'en être conscient.

Cette fois, Derek eut un mouvement. Aussi léger soit-il, Stiles le remarqua. Son sourcil épais reprit sa place initiale, rendant parfaite son expression d'indifférence… Qui ne collait pas réellement à sa manière de le retenir, mais soit. Stiles n'était pas en état de remarquer les incohérences dans le comportement de Derek.

Celui-ci fit un pas dans sa direction. Stiles frissonna et baissa automatiquement les yeux. Il ne pouvait pas le regarder, pas maintenant. Il n'en avait absolument pas le courage… Ni même l'envie. Alors, il attendit que Derek fasse ou dise quelque chose.

Et l'ancien alpha finit par ouvrir la bouche.

- Tu ne bougeras pas du loft tant qu'il pleut.

Manque de chance pour Stiles, Derek avait par avance regardé la météo et celle-ci prévoyait une pluie continue jusqu'au lendemain… Minimum. Cela lui laisserait un peu de temps pour faire ce que Stiles avait l'habitude de faire : fourrer son nez dans des affaires qui ne le concernaient pas.