Stiles était là, dans cette petite chambre, en boule sur ce lit de camp pas vraiment confortable. Il pleurait toutes les larmes de son corps, laissait éclater ce chagrin qui était le sien, ce chagrin qu'il avait réprimé durant plusieurs jours. Comment avait-il fait pour ne pas craquer plus tôt ? La logique aurait voulu qu'il réponde, qu'il soit fort. Mais ce n'était pas le cas. La vérité, c'est qu'il n'avait pas eu le choix. Au loft, il n'avait pas le droit de se lâcher. On ne lui avait pas dit, mais il avait senti que laisser ses émotions parler pour lui l'aurait fait passer pour une victime. Son ancienne meute aurait pu penser qu'il quémandait la pitié de tous pour se faire pardonner, et ça, c'était hors de question. Stiles savait qu'il était partiellement responsable de son mensonge et que rien ne pourrait réparer tout ce qu'il avait détruit.
Son téléphone vibra mais Stiles ne le regarda pas. La dernière fois qu'il avait reçu un message, son cœur s'était brisé en plus de morceaux qu'il ne l'était déjà. Parce que Scott lui avait envoyé un petit texte d'adieu empli de reproches, lui signifiant sa séparation forcée de la meute. Sa justification ?
« On ne peut pas garder un menteur tel que toi. »
Stiles ne lui avait pas répondu. Qu'aurait-il pu dire ? Rien. Il était le seul à être en tort dans cette histoire. Bien sûr qu'il mourrait d'envie de se justifier, de lui dire qu'il n'avait pas eu le choix, qu'il n'existerait plus depuis bien longtemps s'il avait levé le voile sur le secret de ses origines et de ses facultés dès le début… Au final, la mort n'était pas si loin que cela, à vrai dire, il ne lui restait plus beaucoup de temps. Une vague de regrets le submergea. Il y avait beaucoup de choses qu'il aurait voulu faire avant de mourir, y compris avec la meute. Il avait prévu quelques petites choses, tout comme il avait planifié la manière dont il disparaîtrait.
Stiles serait parti en vacances avec son père dans un chalet qui aurait soudainement pris feu à un moment où le shérif serait parti voir des amis en ville. Le feu aurait été entièrement bleu, personne n'aurait compris pourquoi et l'on n'aurait jamais retrouvé le corps de Stiles, complètement transformé en cendres. Noah Stilinski l'aurait longtemps pleuré, la meute aussi, sans savoir que l'hyperactif aurait été l'origine de l'incendie. Qu'il l'aurait déclenché, aurait laissé son corps se consumer sans ressentir la moindre douleur puisque ce feu serait le sien et il aurait perdu connaissance pour ne plus jamais se réveiller, déconnecté du Psi-net.
Oui, tout aurait été parfait, bien calibré. Mais dans la vie, tout ne se passait pas toujours comme prévu et certains secrets finissaient par être révélés.
Et Stiles en faisait les frais.
Des bras rassurants l'entourèrent et le serrèrent contre un torse qu'il connaissait bien. Sans honte, Stiles pleura encore et encore sans se soucier de l'état du t-shirt usé de son père, le serrant contre lui.
Au moins, il en restait un qui l'appréciait encore. Même dans la mort, Stiles savait que son paternel lui manquerait.
xxx
- Je sors, Stiles.
Noah se tenait sur le seuil de la petite chambre occupée par l'adolescent. Ce dernier hocha la tête mais lui recommanda toutefois d'être prudent et de ne rien faire de dangereux à l'extérieur. Le shérif sourit faiblement et lui assura que tout irait bien pour lui, il serait discret comme une ombre. Connaissant son talent en la matière, Stiles savait qu'il ferait attention comme il le fallait mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter.
- Tu ne veux pas que je vienne avec toi ? Ne put s'empêcher de demander l'hyperactif.
S'il y avait un problème, il pourrait aider son père à se défendre. Noah secoua la tête.
- Tu sais bien qu'il vaut mieux éviter de sortir en même temps, surtout que tu as été attaqué récemment. Il faut que tu te fasses oublier, mon fils.
Stiles soupira. Oui, bien sûr, il le savait, mais c'était difficile de laisser son père s'exposer ainsi, seul. Il avait apparemment quelques affaires à régler et l'hyperactif stressait à l'idée de le laisser sortir ainsi. Noah ne prit pas son angoisse, sachant pertinemment que Stiles détestait que l'on touche à ses émotions. Jusqu'à maintenant, l'adolescent ne l'avait jamais laissé faire, pour des raisons obscures.
- Tu sais que je vais m'inquiéter, lui dit Stiles en baissant les yeux, légèrement honteux. On ne pourra pas communiquer par télépathie… Pourquoi ça passe pas, ici ?
- C'est comme ça, Stiles. Ne t'inquiète pas, je garde mon téléphone sur moi et au moindre problème, je t'appelle.
Le shérif se retint d'ajouter qu'il le sentirait également au niveau du lien père-fils immatériel qu'ils partageaient. Il lui fit un sourire cette fois franc, sincère qui semblait toutefois cacher quelque chose.
- Ne m'attends pas pour manger, je risque de mettre un peu de temps. Mais je vais me dépêcher, d'accord ? Si tu as besoin que je te ramène quelque chose depuis l'extérieur, tu m'enverras un message.
Stiles hocha la tête, étreignit son père et le laissa enfin sortir de sa chambre, puis du bunker. Cinq minutes plus tard, l'hyperactif se recoucha sur son lit, n'ayant rien de mieux à faire. Portant une nouvelle paire de lentilles restrictives et colorées fournies par Deaton, Stiles ne se sentait pas le besoin d'aller se purger, du moins, pas tout de suite. Cela viendrait bientôt, c'était certain. Néanmoins, son affaiblissement volontaire ralentissait le processus. Si cette nouvelle aurait autrefois réjoui Stiles qui aurait tout fait pour repousser les limites de son corps, cela ne lui fit toutefois ni chaud ni froid. A part son père, il n'avait plus rien et si celui-ci n'était pas éternel, il mourrait cependant bien après lui. Quelle ironie. Au fond, l'hyperactif était heureux de ce fait : Noah pourrait continuer de vivre et de perpétuer sa mémoire, comme il perpétuait celle de feu Claudia. Puis, Stiles se refroidit d'un coup.
- A quoi ça sert ? Souffla-t-il.
Il n'avait plus personne, c'était fini et il était certain que Noah, une fois son fils au ciel, ferait tout son possible pour recommencer une nouvelle vie, et il aurait bien raison. En fait, s'engluer dans ses souvenirs n'était finalement pas une bonne chose. Il fallait qu'il vive pour les vivants et non pour les morts. Si la meute haïssait l'hyperactif, elle semblait toutefois encore respecter son père, ce qui était une bonne chose. Sans doute aiderait-elle à le protéger en cas de souci. Quelle ironie.
Déjà trois longs jours que Stiles était là, dans ce bunker. S'il prenait soin de lui, c'était tout relatif. Il ne faisait que le minimum, autrement dit se laver et manger un bout de temps à autres. Mais ça, c'était quand il y pensait. La hargne de vivre lui reviendrait peut-être, lorsqu'il serait trop tard pour lui. Et là, encore, il restait allongé sur son lit à ne rien faire – c'était tant mieux puisqu'il devait se reposer –, vide toute envie de se battre. Il avait beaucoup pleuré lors de son retour au bunker et avait été inconsolable jusqu'au lendemain. S'il allait mieux, c'était seulement en apparence. Son esprit ne pouvait pas combler le vide créé par la perte de sa seconde famille en quelques jours. C'était à se demander comment il avait pu tenir autant de temps avec eux.
A côté de lui, son téléphone vibra et ayant peur pour son père, l'adolescent s'empressa de s'en saisir pour voir ce qu'il avait à lui dire. Au moindre problème, il était prêt à sortir d'ici et risquer une nouvelle agression pour aider le shérif. Il n'avait plus rien à perdre, à part son paternel qu'il aimait tant.
Mais celui qui lui avait envoyé un message ne s'appelait pas Noah Stilinski, n'était pas shérif et n'avait rien de son paternel. Stiles resta interdit devant le nom qui s'affichait à l'écran. Et si le message qui l'accompagnait n'était pas des plus longs, il bouleversa l'adolescent qui se contenta de l'ouvrir, histoire que son interlocuteur sache qu'il l'avait vu.
De : Sourwolf.
Merci.
Était-il malade ? Pourquoi le remercier ? S'était-il trompé de contact ? Oui, c'était le plus probable. Stiles était viré de la meute et était reclus dans un endroit connu d'aucun de ses membres. Depuis qu'il s'en était allé du loft, Scott avait été le seul à lui envoyer un message et il transpirait la froideur, lui rappelant qu'un menteur tel que lui n'avait pas sa place parmi eux. Il avait senti la colère et la haine provenir de chacun d'entre eux. Il y avait bien eu de la confusion et du chagrin mais c'était léger comparé au reste. Toutefois, l'hyperactif n'osa pas répondre, par peur de recevoir un nouveau message peu agréable. La honte l'envahirait à nouveau si le loup lui disait qu'il s'était effectivement de contact et nul doute qu'il trouverait les mots pour le faire se sentir mal. Stiles comprendrait si Derek voulait se défouler verbalement sur lui. Cependant, il n'avait pas la force d'essuyer une nouvelle vague de haine à son encontre. C'était trop frais, trop récent, son cœur était toujours en miette et il peinait à penser à faire ce qui était vital pour lui. Il était alors hors de question pour lui de risquer de finir plus bas que terre. Il était déjà au bord du précipite, ce n'était pas le moment de précipiter sa chute. Derek avait été l'un des seuls à ne pas lui dire grand-chose et Stiles lui en avait été reconnaissant. Que ça dure, ou bien il aurait du mal à s'en remettre. Alors, pour éviter de retourner le couteau dans la plaie, Stiles lâcha son téléphone qu'il reposa à côté de lui. La douleur dans son cœur était là, lancinante, elle occupait son esprit dans sa globalité malgré ses efforts pour songer à d'autres sujets.
Comme pour le torturer, son téléphone vibra à nouveau cinq longues minutes plus tard. Stiles ne le regarda pas. Il n'en avait ni l'envie, ni la force. La preuve de sa faiblesse quant à la situation était là, coulant lentement sur ses joues. Mais il se devait de prendre à nouveau ce satané portable entre ses mains. Il devait au moins vérifier s'il s'agissait de son père. Si ce dernier avait un problème mais que Stiles ne vérifiait pas par égoïsme, il s'en voudrait atrocement et ne se le pardonnerait jamais.
Ce ne fut toutefois toujours pas son paternel, mais Derek, encore.
De : Sourwolf.
Merci, vraiment.
Stiles voulut rire tant la situation était ironique mais il n'en était actuellement pas capable. Il ne savait même pas si ce merci était sincère et si le lycanthrope se rendait compte qu'il s'était très vraisemblablement trompé de contact par deux fois. Il fallait le faire, quand même. Le problème était que ce loup des cavernes le forçait insidieusement à répondre. Parce que… Stiles n'était pas méchant, dans le fond. Il se devait de l'informer de son erreur. Il va te descendre. Ne fais pas ça. Mais il ne pouvait pas le laisser se complaindre dans son inattention, Stiles… Avait déjà tapé quelque chose. Qu'il envoya avant de ne plus pouvoir oser. Aussitôt, un torrent d'insultes lui vint en tête. Qu'avait-il fait ? Il venait simplement de provoquer son arrêt de mort. Son côté trop gentil s'était manifesté et l'avait emporté, lui faisant écrire ce satané message, qu'il n'aurait jamais dû envoyer.
A : Sourwolf.
Je suis désolé de t'écrire, mais tu t'es trompé de contact.
L'angoisse le prit, si bien que les battements de son cœur s'accélérèrent soudainement. Mais quel idiot. Mais quel putain d'idiot. Il n'était pas prêt, alors pourquoi diable avait-il laissé sa générosité parler ? Ne me réponds pas. S'il te plaît, ne me réponds pas. Le pire, c'était qu'il n'avait rien pour se distraire et sortir de la petite page de leur faible conversation. Ils n'avaient jamais beaucoup parlé et Stiles espérait fortement que Derek n'allait pas subitement devenir « bavard » ce jour-là. En toute logique et puisqu'il s'était trompé de contact, le loup n'avait rien à lui dire. Maintenant que Stiles avait éclairé sa lanterne, il n'avait aucune raison de lui répondre. Par conséquent, il se détendit légèrement et sécha les larmes qui avaient précédemment coulé sur ses joues. Il se tendit cependant très vite lorsque son téléphone lui fit à nouveau comprendre par ses vibrations qu'il avait reçu son message. Puisqu'il regardait l'écran, il n'y eut aucun suspens : c'était encore Derek.
De : Sourwolf.
Non.
Le cœur du jeune homme rata un battement alors qu'il peinait à réaliser la teneur de la réponse du loup. Une autre suivit bien vite :
De : Sourwolf.
Je ne me suis pas trompé de contact, Stiles. Je tenais à te remercier. Pour ma tête. Je peux lire et écrire à nouveau.
Les doigts de l'hyperactif se délièrent. Il ne devait pas faire ça, écrire ou plutôt répondre à Derek. Plus que mauvais, c'était jouer avec le feu. Et il avait assez donné. Pourtant, il ne s'arrêta pas.
A : Sourwolf.
Je vois. Mais t'as pas à me remercier, tu sais ? J'ai rien fait. C'est pas moi qui t'ai soigné. Je sais que c'est une manière de couper les ponts sans que je vienne dire quoi que ce soit mais je t'assure, t'as pas besoin de t'embarrasser de remerciements que je ne mérite même pas. Et puis… Tu devrais pas m'écrire, tu sais ? Ne prends pas le risque de t'attirer les foudres de ta meute juste pour des remerciements de façade.
Stiles n'aurait jamais dû écrire autant mais il en ressentait le besoin. Sincèrement. C'était… Dur pour lui, le silence. L'absence de message. De vie sociale. Son existence avait volé en éclat si brusquement qu'il avait relâché son besoin de parler inextinguible. Et pourtant, il s'en voulait déjà. Bordel, écrire « ta meute » au lieu de « la meute » lui faisait si mal ! Rien que le fait de parler avec l'un des membres de son ancienne famille, c'était… D'une souffrance inimaginable. Cependant, il termina, acheva de s'achever lui-même, parce qu'il n'avait plus que ça à faire.
A : Sourwolf.
Pardon de t'avoir écrit autant. Je suis désolé, je t'assure que ce n'était pas voulu. En tout cas, si tu pouvais éviter de me descendre tout de suite ou de… Tu sais ? Ce serait sympa, vraiment. Si tu veux, tu pourras m'insulter et déverser plus tard, juste… Attends un peu. Je te jure, je suis ok avec ça, je comprends totalement. Ou alors, si tu veux me rayer au plus vite de ta vie et de la meute, tu peux carrément me bloquer. C'est plus rapide.
La peur n'était plus là, elle était partie, le laissant avec sa tristesse infinie, celle qui venait de le pousser à se torturer plus qu'autre chose. Pourquoi ne l'avait-il pas bloqué, lui ? Après tout, ce n'était pas forcément à Derek de le faire. Pourtant… Je ne peux pas, se dit Stiles. Il savait qu'il gardait sa messagerie ouverte en cas de problème. Il savait qu'il accourrait si la meute quémandait son aide. Il savait qu'il ne pouvait pas la leur refuser, cette aide. C'était peut-être nul, pathétique, oui, cela faisait sans doute de lui un jeune homme pitoyable, mais il ne pouvait nier le fait qu'il serait toujours là pour eux, d'une manière ou d'une autre.
Enfin, jusqu'à sa mort prochaine.
Stiles réprima comme il le put un nouveau sanglot. Son cœur était brisé, brisé et encore brisé. Une partie de lui était resté au loft, avec la meute, cette partie-là se disait que sa situation était injuste. N'avait-il pas tout fait pour eux à sa manière ? Stiles avait été obligé de cacher sa véritable nature, c'était un fait, mais il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour faire le maximum en tant qu'humain. Une autre partie de lui, celle qui tentait tant bien que mal de le faire tenir debout, lui soufflait qu'il ne serait plus jamais le même. En un sens, il était déjà mort.
Les yeux faussement ambrés de l'hyperactif scrutèrent l'écran, relurent la maigre conversation progressivement devenue à sens unique et attendit tout de même ce qu'il n'avait plus le droit d'espérer.
Une réponse…
Stiles esquissa un sourire ironique alors que ses joues étaient à nouveau mouillées de larmes.
… Qui ne viendrait jamais.
