Stiles peinait grandement à garder les yeux ouverts. A vrai dire, il luttait contre l'épuisement qui engourdissait son corps. Va te cacher… Eloigne-toi d'ici, s'ordonnait-il. Ce n'était pas une mince affaire. Après sa purge, il avait perdu connaissance quelques minutes, une conséquence de cet exercice qu'il ne devait effectuer que lorsque son corps en avait besoin, ce qui n'était pas le cas cette fois-ci. Il s'était alors cassé la figure en essayant de se rhabiller après son réveil et il avait eu bien du mal à remettre ses lentilles restrictives qui cachaient également la réelle couleur de ses yeux uniques. Sa puissance avait reflué, à tel point qu'il se sentait désormais faible, comme s'il s'était nouveau glissé dans la peau de Stiles Stilinski, l'humain de service. Plus d'énergie, plus de puissance surnaturelle, plus de télékinésie. Il n'avait rien. Rien qui pourrait l'aider à s'en aller rapidement d'ici. Il ne pouvait compter que sur ses jambes, et encore.
Stiles réussit finalement à se remettre debout mais ce fut un tel effort pour lui qu'il s'appuya contre un arbre, déjà essoufflé. Il devait absolument dormir, c'était vital. Le problème était qu'il devait pour cela rentrer au bunker au plus vite pour éviter que de potentiels curieux ne viennent observer où était apparu le phénomène étrange qu'avait été cette colonne de feu. Cependant, il était à deux doigts de tourner de l'œil. Se purger alors qu'il n'en avait pas besoin lui avait coûté une si grande quantité d'énergie qu'il lui en restait à peine. Serait-ce assez pour marcher jusqu'à l'entrée du bunker ? Cela devait être suffisant. Stiles n'avait pas le choix. Il sentit son père frapper à la porte de son esprit mais il ne l'entendait pas. S'il avait rendu ses boucliers volontairement opaques et aussi épais tout en s'isolant de leur canal télépathique, c'était bien pour éviter qu'il puisse lui parler. Et pourtant, il savait qu'il aurait dû lui en parler, ne serait-ce que pour compter sur lui après sa purge. Parce que Noah l'aurait ramené au bunker sans problème et Stiles aurait pu laisser l'inconscience le happer – c'était pour cela qu'il fallait toujours que Stiles soit accompagné lorsqu'il allait se purger.
Mais le shérif ne l'aurait pas laissé faire, parce qu'il n'aurait pas été d'accord avec sa décision. Celle de se sacrifier à petit feu et de raccourcir son chemin vers la mort. Tout ça pour des gens qui l'avaient lâché. Oui, Stiles le savait, il ne se faisait pas de films : ce n'était pas une bonne action qui lui permettrait d'obtenir leur pardon. A vrai dire, il était conscient que c'était fini, la meute avait fait une croix sur lui.
« On ne peut pas garder un menteur tel que toi. »
Les mots de Scott étaient toujours là, dans sa tête. Ils l'avaient marqué au fer rouge. Un mensonge. Oui, il avait menti pour survivre. Était-ce mal ? Sans doute son… Ancien meilleur ami avait-il dû se dire qu'il aurait pu aider Stiles et son père en sachant leur secret, leur véritable nature. Mais il avait tort. Le mensonge était la seule solution. S'il l'avait chassé aussi vite de la meute et était rancunier quant à la découverte de sa nature surnaturelle, comment réagirait-il s'il apprenait que Stiles approchait de la fin de sa vie ? Il serait heureux, ne put s'empêcher de penser Stiles en faisant quelques pas maladroits. Tout le monde serait heureux. Parce qu'il disparaîtrait. Le problème n'en serait plus un et le menteur aurait disparu. Quelle aubaine. Alors qu'il resserrait péniblement les pans de sa veste autour de lui, Stiles se mit à trembler comme s'il avait froid alors qu'une étrange chaleur provenant de son nez coulait, lentement, sur ses lèvres, supérieure puis inférieure, atteignant son menton. Devant lui, tout était flou, les arbres devenaient semblables, la nuit semblait tout obscurcir alors qu'il n'y voyait pas si mal, avant sa purge. Là, c'était comme si un voile sombre était placé devant ses yeux, rendant sa vue bien moins efficace. Et puis le fait que le monde autour de lui semble tanguer ne l'aidait pas des masses. C'était tel qu'il commençait à avoir des nausées.
- … Stiles ?
L'hyperactif sembla ne pas réagir à son surnom adopté en prénom qu'il avait pourtant parfaitement entendu. Ne te laisse pas distraire. Il avait déjà bien assez de mal à avancer comme ça. Peu importe qu'on l'ait reconnu. Il s'était déjà éloigné du lieu de sa purge de quelques dizaines de mètres et si cela paraissait peu, c'était beaucoup pour ce jeune homme qui peinait à aligner deux pas et avait déjà manqué de tomber à plusieurs reprises. Ses tremblements ne l'aidaient pas du tout. Comment se faisait-il qu'il ait aussi froid ? Etait-ce… Le contrecoup de la chaleur qu'il avait fait naître quelques minutes plus tôt ? C'était bien possible car même en tant que X-Psi, autrement dit en tant que torche humaine, Stiles pouvait ressentir le froid contrairement à ses anciens amis métamorphes. Il y eut alors comme un tilt dans son esprit. Mes anciens amis. Voilà la raison de cette fraîcheur qui était plus intérieure qu'extérieure.
La solitude.
- Stiles, bordel !
Des mains chaudes attrapèrent ses épaules tandis qu'une silhouette était apparue devant lui, obstacle devant le chemin – dont Stiles n'était d'ailleurs plus bien sûr qu'il s'agissait du bon. N'était-ce pas à droite qu'il devait tourner un peu plus tôt ? Il n'y voyait vraiment plus très bien et puis son corps s'alourdissait de minute en minute. S'il n'arrivait pas vite au bunker, nul doute qu'il allait s'effondrer ici, en pleine forêt, en pleine nuit.
- Stiles, regarde-moi !
A l'entente du ton impérieux de cette voix grave dont l'identité de son propriétaire commençait à lui revenir, l'hyperactif releva péniblement la tête et ses yeux rencontrèrent deux orbes clairs. Anormalement bleus et lumineux. Des yeux d'oméga sur un bêta. Des cheveux courts. Une barbe de trois jours. Une signature émotionnelle orageuse.
Derek.
Derek.
Derek.
- Merde, souffla l'hyperactif, les yeux écarquillés malgré son épuisement.
Sans savoir si c'était la peur ou la douleur qui régnait en lui, Stiles retrouva un peu d'énergie. Celle du désespoir, sans doute. C'était provisoire et peu, mais il devrait s'en contenter. Derek, de la meute de Scott était là, devant lui, il lui tenait les épaules comme pour l'ancrer dans la réalité. Stiles était sur leur territoire. En tant qu'ancien membre, il n'était pas certain d'avoir le droit de marcher sur ce sol. Tant qu'il ne se faisait pas prendre ça allait, mais là… Il se tendit et rassembla ses forces pour essayer de se sauver la peau sans révéler la raison de sa présence :
- J'suis désolé Derek, j'pensais pas que… Que t'étais là. J'allais partir, je… Je te jure que j'allais partir.
Sa voix était tremblante, faible, et ses efforts pour parler alors qu'il était épuisé se voyaient. Mais son ton était désespéré. Sincèrement désespéré. Derek n'était pas censé être là, pas dans cette forêt. Pas ici. Pas maintenant. Je vais m'évanouir. Il n'en était vraiment pas loin. Bordel… Humain ou pas, il trouvait toujours le moyen de se fourrer dans les pires situations. Sans même laisser à Derek le temps de répondre, Stiles continua malgré sa faiblesse et choisit d'être honnête sur certains points, dans l'espoir de pouvoir s'en aller au plus vite :
- Laisse-moi partir. Tu me reverras plus. J'veux pas causer de problèmes. Pis de toute façon, j'en ai ni l'envie ni la force. J'veux juste… Partir.
Ce mot avait plusieurs sens aux yeux de l'hyperactif mais ça, le lycanthrope face à lui ne pouvait pas le savoir. A cette idée, son cœur se serra un peu, mais il l'ignora. Son mal-être n'était pas sa priorité actuellement.
- Tu partiras pas avant de m'avoir expliqué ce que tu fous là et dans cet état.
La voix de Derek aurait dû être dure, menaçante, comme ses yeux, qui avaient perdu leur éclat surnaturel dès que l'adolescent avait commencé à parler. Il n'y avait pas eu un seul accroc dans les battements de son cœur et son odeur… Elle lui donnait l'impression que Stiles… N'était plus vraiment lui-même. Comme s'il était en plusieurs morceaux. Cassé. Les derniers messages qu'il lui avait envoyés lui avaient donné le même sentiment. Ils avaient provoqué un tel malaise en lui qu'il n'avait pas réussi à lui écrire une réponse adéquate. Encore une fois, les mots de Stiles l'avaient stupéfait et la seule parade qu'il avait trouvée pour garder la face, c'était ça : une menace qui n'en avait qu'à peine l'apparence. Parce que c'était sincère. Il avait besoin de savoir pourquoi il avait senti l'odeur de Stiles à l'endroit où s'était élevée la colonne, pourquoi également il était là, à deux doigts de perdre connaissance, avec un saignement de nez qui ne semblait pas vouloir s'arrêter. Derek réfléchit rapidement : il devait avoir des mouchoirs dans sa Camaro, un suffirait à lui faire un bouchon pour stopper le saignement. Au fond, même si son instinct avait compris l'origine du phénomène brûlant qui avait laissé des traces dans le sol à quelques dizaines de mètres d'ici, son attention était ailleurs.
Stiles secoua la tête avec fébrilité, comme si un mouvement trop brusque pouvait l'envoyer directement dans l'inconscience. Derek resserra sa prise sur ses épaules affaissées : l'hyperactif lui donnait l'impression de pouvoir tomber à tout moment. Était-ce l'inquiétude qui dictait ses actions ? Sans aucun doute.
- J'suis désolé, répéta l'adolescent de sa voix faiblissante dans laquelle l'effort était palpable. J'voulais pas être sur votre territoire. Ne me fais rien, j'suis pas en état de me défendre. Je vais juste partir et cette fois, tu me reverras plus… Ne dis rien à Scott, s'il te plaît, je… J'dois juste rentrer au bunker… C'est pas loin c'est… A quelques minutes… J'y reste juste quelques jours de plus et après je pars, c'est juré…
Il mâchait ses mots alors que sa vue redevenait progressivement floue, comme si le léger pic d'adrénaline qu'il avait eu en voyant Derek commençait à s'en aller. Son désespoir, lui, était toujours là. Il attendait les insultes, les reproches, l'agressivité. Il les attendait, oui, mais il faisait tout pour les éviter. Il se sentait trop faible pour pouvoir répliquer ou ne serait-ce qu'absorber la haine à son encontre.
- Où il est, ton bunker ? Entendit-il vaguement.
- Le bunker de Deaton… ? Il est… Pas loin, je… Par là, peut-être, j'y vois pas bien…
Et sa voix faiblissait, encore, elle n'était plus qu'un souffle. Il était en train de partir alors qu'il luttait encore et encore pour rester là. Encore quelques minutes… S'entendit-il supplier à l'intérieur même de son propre esprit. Ses yeux commencèrent à se fermer. Ses jambes, elles, avaient déjà lâché mais les mains de Derek avaient migré dans son dos et le retenaient fermement. Stiles ne se rendit ni compte qu'il ne sentait plus ses jambes s'appuyer sur le sol, ni que le loup l'empêchait de tomber. Les affres du sommeil l'engloutissaient déjà.
- Laisse-moi, je… Dormir… Tenta-t-il de le prévenir.
Ses yeux se fermèrent tant ses paupières étaient lourdes. Il ne tenait plus.
- Stiles ! Stiles, reste avec moi ! Stiles ! Stiles… ! Sti…
Mais dans ses bras, l'hyperactif céda complètement à l'inconscience. A cet instant précis, il ressemblait à une poupée désarticulée dont les rayons de la lune mettaient en valeur la pâleur presque cadavérique.
