Stiles se leva, la tête lourde, sans se poser de questions. Il avait dormi dans ce lit de camp, son lit pour quelques jours encore, dans ce bunker qui leur servait de cachette, à son père et lui. Jusqu'ici, il ne releva rien d'anormal. A peine debout, il chancela légèrement. Encore un peu dans les vapes, il eut la judicieuse idée de prendre appui sur le mur le plus proche. Sa bouche était sèche, il avait soif. C'était d'ailleurs cette sensation âpre qui l'avait réveillé. Il avait urgemment besoin d'eau. Ensuite, il irait sans doute se recoucher. De toute manière, il n'avait rien d'autre à faire. Oh, sans doute faudrait-il qu'il mange aussi, mais l'envie n'y était pas. Non, il se contenterait d'ingurgiter un verre d'eau, cela suffirait. Plus vite il dormirait à nouveau, mieux il se sentirait. Chaque fois qu'il se réveillait, il y avait ce vide en lui qu'il ressentait avec une telle force qu'il manquait chaque fois de vaciller à peine debout. Se forçant à ne pas orienter ses pensées vers ce qui lui faisait le plus mal, Stiles avança et sortit de sa chambre.

Arrivé dans la cuisine, il vit une silhouette assise sur l'une des chaises et bien qu'elle soit fort différente de celle de son père, Stiles n'y fit pas attention, encore un peu trop dans les vapes. Une purge pouvait s'avérer si épuisante que le premier réveil qui en découlait était toujours un peu difficile à assumer. Il lui fallait un certain temps d'adaptation avant d'être d'attaque et de… Se forcer à vivre en attendant que la mort le fauche. Continuer de mener son existence tout en sachant qu'il n'avait plus beaucoup de temps devant lui était une chose bien étrange. Il avait tant de choses à faire, tant de choses à vivre… Mais sa triste condition lui rendait la tâche bien plus difficile et perdre l'intégralité de ses amis lui avait enlevé toute sa motivation. S'il ne se laissait pas pourrir ou s'il ne raccourcissait pas son existence déjà bien courte, c'était pour son père. Parce qu'il était encore là, lui, et Stiles ne se voyait pas lui faire ça, pas alors qu'il avait déjà perdu sa femme à cause de sa propre espèce… Noah se devait d'être préservé. Pour Stiles… Qu'il se remette ou non de cette souffrance, c'était du pareil au même.

Stiles prit un verre et se servit de l'eau d'un air absent, sans remarquer le regard effaré posé sur sa personne.

- Stiles ?

La voix de Derek, que l'hyperactif ne s'attendait pas du tout à entendre, le fit sursauter à tel point que ses doigts lâchèrent le verre sous sa stupeur. Verre qui se brisa en mille morceaux en s'écrasant sur le sol froid qui rafraichissait déjà ses pieds nus, répandant l'eau glacée en une petite flaque morcelée. Ses yeux faussement ambrés étaient écarquillés et son expression figée dans un mélange d'horreur et de stupeur qui ne laissait aucun doute quant à la sincérité de ses émotions. Elles étaient brutes et pas filtrées pour un sou. Stiles ne les retenait pas : sa surprise, perceptible également dans son odeur, l'empêchait de se museler comme il l'avait sans doute fait au loft, quelques temps plus tôt. Derek s'était effectivement fait la réflexion que pour quelqu'un qui se faisait brutalement virer de sa meute, Stiles était resté étrangement calme et impassible alors que son odeur l'avait longuement trahi. S'il n'avait pas été angoissé par son propre handicap – désormais caduc –, Derek aurait sans doute cherché à lui parler plus tôt. Mais là… Là, Stiles était honnête, sincère dans son ressenti, qu'il exposait sans le vouloir.

Sous le choc et l'angoisse commençant à le gagner, Stiles chancela et fit deux pas maladroits en arrière. Derek était là. Ici, dans ce bunker. Et le pire, c'était que sa voix lui avait rappelé d'un seul coup tout ce qui s'était passé avant sa perte de conscience. Il… Oh merde. Même ici, il était toujours sur le territoire de cette meute qui n'était plus la sienne, il… Il reporta son regard horrifié sur le verre en mille morceaux sur le sol, ce qui lui permit de couper leur contact visuel. Il ne pouvait pas supporter ce qu'il pourrait trouver dans le regard de Derek. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il devait gagner un peu de temps, quelques minutes, juste assez pour avoir le droit de rassembler quelques affaires et partir d'ici…

- Je suis désolé, souffla-t-il en s'accroupissant par terre, je suis tellement désolé, je… J'ai juste eu un moment de faiblesse, je vais partir, je te le promets.

Derek le regarda, éberlué. Il s'était levé de sa chaise mais l'attitude de l'hyperactif était pour le moins… Déroutante. S'il s'attendait effectivement à le voir surpris, il n'imaginerait pas qu'il agirait encore comme s'il avait peur de lui, comme s'il était un parasite, un indésirable qui n'avait pas d'autre choix que de partir, de tout abandonner. Parasite. Indésirable. Ces deux mots auxquels il venait à peine de penser étaient les premiers qui lui étaient venus et… Ils ne devraient pas aussi coller aussi bien à Stiles, dont les mains tremblantes rassemblaient péniblement les morceaux de verre éparpillés ici et là. Une fragrance métallique qui parvint plutôt rapidement à ses narines brisa son immobilité et son regard se dirigea automatiquement plus bas qu'il ne l'était. Et il les vit, ces quelques petites gouttes de sang, sur les mains de l'hyperactif, qui rassemblait le plus de bouts de verres qu'il pouvait, les lèvres serrées.

Stiles sursauta lorsqu'une grande main se posa sur son poignet, l'enserrant à peine. Sa sensibilité étant largement accrue à cause de ses émotions qu'il n'avait pas l'énergie d'essayer de contrôler, l'hyperactif en lâcha tous les bouts de verre qu'il avait récoltés. Un petit cri s'échappa de sa bouche et il marmonna des noms d'oiseau envers lui-même – que Derek entendit très bien – avant de s'excuser à nouveau, d'une voix légèrement plus forte mais pas le moins du monde assurée :

- Désolé, vraiment, je… Je fais que des conneries. Laisse-moi… Laisse-moi juste ramasser ça, et… Et prendre quelques affaires. Après, promis, je m'en vais, je te jure…

Il ne le regardait pas. A vrai dire, il n'en avait pas la force, vraiment. La perte de sa deuxième famille qui l'avait violemment rejeté lui faisait bien plus d'effet que quiconque pouvait l'imaginer. Il était brisé. Alors forcément, trouver Derek dans le bunker, c'était… Douloureux. Ne voir personne ou les regarder de loin passait encore. Se retrouver dans la même pièce que l'un de ses anciens amis était une chose insupportable qui lui faisait perdre tous ses moyens, lui rappelait qu'il n'était plus rien à leurs yeux. Et qu'il disparaîtrait sans risquer de manquer à l'un d'entre eux. C'était une souffrance telle qu'il ne contrôlait pas son souffle qui devenait bruyant et haché. A la limite de la crise de panique, il ne pensait qu'à une chose : sa fuite de cette ville, territoire de la meute qui le haïssait comme la peste. Il ne doutait à aucun instant que n'importe lequel d'entre eux pourrait vouloir le tuer et le pire, c'était qu'il se laisserait sans doute faire. Après tout, le temps qu'il lui restait n'était pas bien grand. Deux, peut-être trois mois maximum s'il se gérait bien. Partir un peu plus tôt ne changerait pas grand-chose à sa vie. Pense à papa, se dit-il, essayant de repousser les sombres pensées qui le maintenaient complètement réveillé. Il se devait de tenir, pour son pauvre père. Mais c'était si difficile…

- Stiles, arrête.

Tout en prononçant ces paroles d'un ton qui aurait dû être agressif selon l'hyperactif, Derek saisit ses deux poignets et regarda les mains fines et tremblantes de Stiles lâcher à nouveau cette myriade de petits morceaux de verres brillants. Stiles lança un regard terrifié au loup, dont le cœur se brisa. Jamais, ô grand jamais il n'avait déjà vu l'adolescent dans un tel état auparavant.

- Tu… Tu veux même pas que je nettoie ?

La voix de Stiles était semblable à un murmure, comme s'il avait peur de parler trop fort, de déranger. Et Derek y était sensible, à tel point qu'il restait sans voix, incapable de répondre à la question idiote du lycéen. Pourtant, il savait que ce n'était pas là le but de l'hyperactif. Non, il était juste désemparé, brisé. Il puait la sincérité. La souffrance. La peur. De ce que lui avaient dit Deaton et le shérif, Stiles était surpuissant. Pourtant, il était là, face à lui, aussi vulnérable sur le plan physique que psychique. Derek se rappelait fort bien la manière dont il s'était effondré dans ses bras et ce n'était pas quelque chose qu'il pensait vivre un jour. Comme si le contact avec les mains de Derek le brûlait, Stiles retira les siennes et essuya pathétiquement les quelques larmes traîtresses qui avaient commencé à couler sur ses joues. Il fallait… Qu'il garde un minimum de dignité. Le voir ici, près de lui, lui crevait sincèrement le cœur et lui rappelait tout ce à quoi il n'avait plus droit. C'était très dur, trop pour qu'il contienne ses émotions.

Toujours muet, Derek laissa passer quelques secondes porta un peu rapidement sa main vers le visage de Stiles qui, ferma fortement les yeux en se crispant. La peur et la résignation primaient dans son odeur et le loup ramena sa main en comprenant étrangement vite que l'hyperactif… Avait cru qu'il le frapperait. Ce simple fait continua de lui labourer le cœur. Alors il était dans cet état-là ? Il pensait sincèrement qu'il l'aurait giflé, frappé ou autre ? Et puis… Il n'avait pas bougé, n'avait pas amené ses bras au niveau de son visage. Il n'avait amorcé aucun mouvement pour se protéger. Il allait clairement accepter la violence. Et ce fait figea Derek de stupeur, si bien qu'il réussit simplement à articuler :

- Tu… Saignes. Tu t'en es mis sur le visage.

Les yeux de Stiles se rouvrirent et son regard rougi le sonda un instant et enfin, il mira ses mains. Elles étaient pleines de coupures, d'entailles plus ou moins grandes, allant de ses paumes à certains de ses doigts. Il regarda alors les morceaux de verre au sol. Du sang en maculait certains et quelques gouttes avaient coulé sur le carrelage froid. Ses yeux revinrent fixer ses mains. Il ne ressentait pas la douleur alors Derek ne la lui avait même pas prise. Stiles était tellement déboussolé qu'il resta là, quelques secondes, assis sur le sol, le regard sur ce sang qu'il perdait. Puis, il se rappela violemment de l'identité de celui qui était en sa compagnie et il se leva sans un mot. Tant pis pour le nettoyage, il fallait qu'il récupère le plus d'affaires possible.

Lorsqu'il arriva dans sa chambre, il ne perdit pas de temps : se saisissant de son sac, il commença à y enfourner ses vêtements sans faire attention aux pas derrière lui.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? Entendit-il.

Stiles ne répondit pas, continuant d'entasser le peu d'affaires qu'il avait dans ce sac trop grand, sans faire cas des taches de sang qu'il mettait sur ses vêtements. Les doigts de Derek s'enroulèrent une nouvelle fois autour de son poignet, ce qui l'obligea à se retourner vers lui. Même si le loup ne paraissait pas en colère, Stiles préférait être honnête tout en jouant la sécurité.

- Je fais ce que j'ai promis, je… Je pars…

- Mais tu n'as pas à partir.

- Je suis sur le territoire de la meute, lâcha Stiles, comme si ce simple fait expliquait tout.

- Et alors ? Insista Derek, ne comprenant absolument pas où il voulait en venir.

- Eh bien… Je n'ai pas le droit d'y rester, c'est logique, c'est normal, je… Derek, t'es dans le monde surnaturel depuis longtemps, depuis ta naissance en fait, tu sais bien que lorsqu'une personne doit quitter une meute, elle doit en quitter le territoire au plus vite, enfin… Tu le sais, non ?

Oui, il le savait, sa mère le lui avait appris. L'alpha d'une meute, lorsqu'il prenait la décision d'écarter l'un de ses bêtas ou autre de la meute, ressentait le besoin de faire en sorte que l'individu quitte son territoire, parce qu'il ne pouvait plus en supporter la présence. C'était viscéral, un comportement typique de loup-garou. Dans son cas, Scott voyait Stiles comme un traître et commençait à le haïr de manière de plus en plus marquée. La crainte de l'hyperactif était donc justifiée, même si Derek sentait bien qu'il y avait autre chose de bien plus profond qu'une simple question de territoire. Dans tous les cas, il allait commencer à agir. En voyant Stiles regarder à nouveau son sac, Derek décida d'intervenir :

- Ce bunker est à Deaton, pas à Scott. Tu peux rester là, Stiles.

- Je suis sur le territoire de la meute, répéta-t-il. Ça ne va pas leur plaire.

- Quelque chose dont ils ne sont pas au courant ne peut pas ne pas leur plaire.

Stiles eut l'air confus un instant et regarda le loup avec crainte.

- Je ne comprends pas où tu veux en venir…

- Je ne leur ai rien dit, le coupa vivement Derek. Ils ne savent pas où tu es et n'ont pas les coordonnées du bunker, que Deaton m'a données pour que je te ramène.

- Mais quand tu partiras, tu…

- Non, je ne leur dirai rien, promit-il.

Mais Stiles ne réussit pas à le croire, trop brisé pour se dire que Derek pouvait être réellement sincère. Il le suivit cependant lorsque le loup lui intima d'aller se soigner les mains et de manger un bout tout en lui expliquant le pourquoi du comment de sa présence ici. Très honnêtement, Stiles pensait que Derek connaissait déjà l'existence de ce bunker auparavant mais Derek le détrompa. Horrifié, il ne put empêcher sa boule au ventre de rester là, si bien installée qu'elle ne cessa pas de grandir lorsque le loup s'en alla après s'être assuré qu'il avait mangé quelque chose.

Durant les heures qui suivirent, Stiles ne cessa d'angoisser, s'attendant à voir débarquer la meute, en colère, aux portes de son abri provisoire. Mais il n'y eut personne. L'hyperactif remercia intérieurement Derek même s'il était certain que sa langue finirait par se délier rapidement. Il ne pouvait pas croire en la sincérité du loup, pas alors qu'il les avait tous perdus. Ils le haïssaient, tous. Derek ne pouvait pas être une exception. S'il l'avait ramené et était resté avec lui un moment, c'était uniquement parce que Deaton et le shérif le lui avaient demandé, rien de plus. Cette exception en resterait une et ne se multiplierait pas.

Regardant ses mains qu'il avait bandées à cause d'un manque de pansements suffisant, Stiles se jura de partir dans le plus tôt possible, lorsqu'il serait complètement remis d'aplomb physiquement.

Mais un étrange message qu'il reçut le lendemain l'obligea à changer ses plans.