Stiles était ailleurs. Il n'avait pas senti le moment où Scott avait commencé à perforer sa peau de ses griffes, ni quand il les avait retirées. Il savait qu'elles n'y étaient plus, c'était tout. La douleur, bien qu'assez légère, était comme… Anesthésiée. Oh, aucun loup ne la lui avait prise, il ne fallait pas rêver. Il ne la sentait simplement pas. C'était tellement le bordel dans sa tête que le reste n'avait plus vraiment d'importance. Il était toujours à genoux et la seule chose qu'il savait, c'était que la main de Scott n'était plus là. Pour autant, il ne bougeait pas, certain que son heure était simplement retardée. Peut-être qu'un autre loup prendrait la place de l'alpha, un loup qui le haïssait encore plus que son ancien meilleur ami. Alors il attendait simplement qu'on l'exécute, là, au milieu de tout le monde, sans remarquer l'agitation autour de lui. Son visage était complètement défait et ses yeux magnifiques rougis par les larmes qu'il continuait de retenir à leur maximum. D'un geste distrait et tremblant, il essuya la seule qui avait osé couler, cette traîtresse qui le dégoûtait. Il ne devait pas pleurer, il l'avait cherché. Cette mort-là était le prix à payer pour son mensonge.

Ah, Lydia s'était accroupie devant lui. Il la regarda de ses magnifiques iris vides de toute émotion ouvrir la bouche, la refermer et ainsi de suite. Elle parlait sans que ses paroles n'atteignent Stiles. Il ne l'entendait pas vraiment et ne cherchait pas à le faire. C'était sa manière à lui de se protéger, de ne pas s'effondrer complètement alors qu'on attendait simplement de lui qu'il meure. Autrement, pourquoi l'avoir fait venir ? Ces informations que la meute désirait… C'était du pipeau, rien de plus. Un mensonge pour l'attirer dans ce piège et mettre fin aux jours du traître. Il ne serait même pas étonné si Lydia sortait une dague d'il ne savait où, ou si elle utilisait son cri de banshee pour lui percer les tympans. Après tout, Scott avait bien cherché à l'égorger devant tout le monde et la raison pour laquelle il s'était arrêté lui échappait.

Sauf que Scott ne s'était pas stoppé volontairement.

Les yeux morts de Stiles n'avaient pas fait attention aux silhouettes qui s'étaient déplacées dès l'apparition des premières gouttes de sang au niveau de sa gorge. Lui, tout ce qu'il avait senti, c'était le bout des griffes de Scott sortir de sa peau désormais marquée par cinq blessures superficielles. Assez pour le faire saigner, pas assez pour le tuer. Dommage. Après, n'importe qui pouvait terminer le travail. Il leur facilitait la tâche : il restait sur sa décision de ne pas se défendre. Contre eux, il en était incapable. Stupide attachement.

C'était drôle comme sensation. Lydia avait ses mains posées sur les épaules de Stiles et celui-ci en était conscient, mais il ne les sentait pas. Savoir sans sentir. Elle continuait de parler, mais pour lui dire quoi ? Elle n'avait pas à lui sortir quoi que ce soit pour se justifier ou trouver une excuse au geste de Scott. A vrai dire, il n'y en avait pas. Tout ce qu'avait voulu l'alpha, c'était le tuer et ses sens empathiques étaient impossibles à tromper. Des pulsions meurtrières comme les siennes, il n'en ressentait pas tous les jours et elles étaient très marquées. Ses dons étaient plus précis et puissants que l'odorat de la plupart des loups : il pouvait aller plus loin dans l'analyse. Mais s'il avait fait plus attention, s'il ne s'était pas exclusivement concentré sur Scott, il avait sans doute remarqué que personne d'autres n'avait ce genre de pulsions. Comment utiliser avec justesse et objectivité ses dons lorsque l'on était détruit ?

Il fallait tout de même avouer que découvrir les réelles intentions de son ancien meilleur ami lui avaient porté un sacré coup. Il savait que sa présence ne le ravissait pas, aussi bien côté lupin que côté humain, mais de là à vouloir l'exécuter devant tout le monde… Pour les protéger, ou bien juste le punir. Ou les deux. Stiles ne savait plus vraiment quoi penser tant il allait mal. Tant son âme était en morceaux. Mais il n'y avait pas que ça : la tentative de Scott lui faisait graduellement perdre, seconde après seconde, le peu de confiance qu'il accordait encore à la majorité de la meute, y compris en lui-même. Son estime de soi descendit elle-même bien bas. Comment avait-il pu en arriver là, à s'offrir pour sa mise à mort ? A accepter volontairement de se faire tuer ? Son moi du passé essaya vaguement de se faire entendre, de le faire réagir. Ce n'était pas lui. Cette loque, ce n'était pas lui. Il valait un peu mieux que ça, tout de même ! Mais non. A leurs yeux, il ne valait plus rien, alors… Aux siens non plus. Son moi du passé mourut en silence sans que personne ne puisse rien deviner et Stiles décida qu'il ne servait définitivement plus à rien de chercher à se remettre de tout ça. De toute façon, on ne pouvait pas dire que ça servait à quelque chose lorsque l'on connaissait sa destinée.

Stiles vit Lydia tourner la tête d'un air affolé et ouvrir la bouche en grand, comme si elle élevait la voix ou criait. Comme si elle appelait quelqu'un. Bien, de cette manière, ça irait plus vite. Ce n'était pas parce qu'il n'était plus rien à leurs yeux qu'ils avaient le droit de le torturer mentalement de cette manière. Stiles ferma les yeux un instant mais lorsqu'il les rouvrit, ce n'était plus Lydia, devant lui. A vrai dire, elle était un peu en retrait. Face à lui, accroupi pour être à son niveau, Derek le regardait. L'hyperactif ne saurait pas comment décrire son regard et en fait, il ne chercha pas à le faire. Peu lui importait l'attitude de Derek, tant que celui-ci se dépêchait de faire ce qu'il avait à faire. Mais à ses mains, c'était toujours des ongles qu'il y avait, et non des griffes.

- Qu'est-ce que t'attends ? Ne put-il s'empêcher de demander d'une voix légèrement éraillée.

Derek prenait trop son temps. Pourtant, il n'était pas d'un naturel très patient : d'ordinaire, c'était lui qui accélérait les choses quand il considérait qu'elles traînaient. Cette fois-ci, les rôles étaient inversés. C'était Stiles qui trouvait que Derek était trop lent.

Derek haussa un sourcil, confus.

- De quoi, qu'est-ce que j'attends ?

Stiles l'entendait, il ne savait pas trop pourquoi. Et en lui, cette fragilité qu'il n'avait qu'en sa présence revint petit à petit. Il se sentit graduellement devenir toute chose, moins fort, moins sûr de lui. Il ferma les yeux un instant avant de les rouvrir et de les fixer dans les orbes clairs de Derek. Les mots qu'il articula alors lui passèrent en travers de la gorge, si bien qu'il eut du mal à les prononcer :

- Qu'est-ce que t'attends pour terminer le travail ?

S'il était sûr de lui quelques secondes auparavant, avoir Derek face à lui et l'entendre alors qu'il avait choisi de se fermer au monde extérieur le faisait chanceler mentalement. C'était fou comme il perdait toute son assurance quand le loup s'approchait de lui. En fait, il flanchait déjà et sa conviction de mourir vite tremblait tout autant que ses mains, qu'il serra en poings pour dissimuler ce trait de faiblesse.

Face à lui, Derek eut l'air complètement dérouté. Lydia aussi, mais il ne faisait pas attention à elle. Son monde ne s'ouvrait qu'au loup, même si Stiles aurait aimé le contraire. Parce que ça ne lui facilitait pas vraiment la tâche. Ce qui ne l'aidait pas non plus, c'était son pouvoir qui continuait de monter en lui et qu'il contenait encore de manière correcte. Pour combien de temps ? Il n'en avait aucune idée, mais Derek ne devait pas tarder. Alors, et même si c'était risqué, Stiles ne réfléchit pas, saisit le poignet droit de Derek et rapprocha sa grande main de sa gorge. Il pencha légèrement la tête en arrière, histoire de lui offrir un meilleur accès à l'endroit qu'il devait fendre de ses griffes. Les yeux écarquillés de Derek se fixèrent sur les quelques gouttes de sang qui coulaient sur sa peau claire. Certaines avaient déjà atteint ses clavicules.

- Mais qu'est-ce que… Entendit l'hyperactif.

- Sors tes griffes et vas-y.

La voix de Stiles s'était mise à trembler toute seule alors que courage s'en allait à une vitesse prodigieuse. Affronter la mort, pas de souci. Mais qu'on le fasse attendre de la sorte était un supplice. Une torture à laquelle il avait besoin de mettre fin. Soit on le tuait, soit on le laissait en vie. Mais la seconde option était trop improbable à ses yeux. Il était un traître, quelqu'un qui avait caché sa nature surnaturelle pour survivre, au détriment de ses amis. Et voilà qu'il déformait l'histoire, rongé par sa culpabilité exacerbée par la tentative de meurtre de Scott. Il avait raison, il fallait le supprimer. C'était de sa faute s'il en était là, de sa faute s'il allait mourir.

- S'il te plaît. Sois rapide.

Derek leva un nouveau regard vers lui. Stiles n'avait pas ouvert la bouche, mais il avait pourtant entendu sa voix de manière claire et distincte. Oublié le brouhaha et les cris qu'il entendait provenir de la cuisine, des autres bêtas qui engueulaient Scott. Oubliée Lydia derrière lui, en retrait. Seule comptait la voix de l'hyperactif dont le ton suppliant n'était pas normal. L'adolescent ne devrait pas non plus tenir ainsi son poignet, sa main près de sa gorge parsemée de quelques gouttes de sang là à cause de Scott. Stiles ne devrait pas être résigné de la sorte, s'offrir de cette manière. Où était passé le vrai Stiles, l'adolescent impétueux qui ne se laissait jamais faire ? Ses yeux, son regard… Comment pouvait-on avoir un si beau regard et transmettre autant de souffrance ? Parce qu'elle n'était plus seulement dans son odeur. Il avait complètement laissé tomber cette fausse neutralité.

Et en plongeant ses yeux dans les siens, Derek finit par comprendre que Stiles s'était bel et bien exprimé sans ouvrir la bouche. Il lui avait parlé directement, dans sa tête, par… Par télépathie. Son regard s'était assombri, il tirait vers le bleu foncé, le doré foncé, l'argenté foncé et des étoiles blanches commençaient déjà à apparaître. Et malgré les larmes qu'il semblait encore contenir autant qu'il le pouvait, ses iris restaient superbes et exprimaient une souffrance telle que Derek était complètement bouche bée. Mais une chose était certaine.

Il ne sortirait pas ses griffes. Il ne tuerait pas Stiles. En fait, cela n'avait jamais fait partie de ses intentions, ni même de celles des autres membres de la meute.

- Je ferai rien, finit-il par lui dire d'une voix rauque.

- Tu devrais, articula douloureusement Stiles. Tu devrais, parce que… Qui sait, cette chance ne se représentera peut-être pas de sitôt.

Par là, il entendait le fait qu'il risquait de mourir bien avant que l'on puisse retenter de le tuer.

- C'est pas une chance, Stiles, rétorqua Derek, horrifié par les propos du jeune homme.

- Bien sûr que si, parce que tu pourras te targuer d'avoir réussi à tuer un X-Psi, répondit Stiles en esquissant un sourire sans joie.

C'était peut-être seulement la deuxième fois que Derek entendait ce terme, mais il ne savait toujours pas ce qu'il désignait. Néanmoins, c'était un détail, pas grand-chose par rapport au reste.

- Tu ne te défends pas… Lui rappela-t-il.

- C'est vrai, et c'est aussi pour ça que tu devrais en profiter.

Ses doigts tenaient toujours son poignet et Derek sentait parfaitement bien les bandages des mains de Stiles râcler sa peau.

- Non, refusa-t-il en reprenant un peu brutalement sa main.

Il regarda alors l'hyperactif qui serra les poings avant de les ramener sur ses genoux. D'un coup, il sembla s'affaisser et releva des yeux implorant en sa direction.

- J'aurai pas toujours le cran d'accepter ça, Derek. En réalité, ça me terrifie. Je ne sais pas si je serai capable d'accepter à nouveau un jour si on… Si on me demande de me laisser faire.

- Mais personne ne te l'a demandé, rétorqua Derek.

Toujours en retrait, Lydia fronça les sourcils. Elle n'avait pourtant pas vu, ni entendu Stiles parler.

- Le but de ta venue ici, c'était pas ça, l'informa le loup sans se soucier de l'étonnement de la banshee, qui picotait pourtant son nez. L'idée, c'était que tu viennes et que tu nous donnes des informations sur ton… Peuple.

- Mais Scott… Reprit l'hyperactif à voix haute.

- Scott est un idiot, cracha Derek.

Repenser aux doigts du latino prêts à égorger son soi-disant meilleur ami le faisait frissonner. Pour le moment, il n'était pas encore en colère contre lui, parce que le choc n'était pas encore passé. La manière qu'avait eu Stiles de lui offrir sa mort sur un plateau ne l'aidait pas vraiment… Lui qui était toujours calme et prenait son temps pour réfléchir n'y arrivait tout simplement pas. Il se passait beaucoup trop de choses en peu de temps. Entre les révélations sur la véritable nature de Stiles et son père, tous ces morts qui ne cessaient de s'enchaîner, l'émergence hors de l'ombre de cette espèce que lui-même ne connaissait pas, son angoissant handicap qu'on lui avait guéri rapidement… A cela s'ajoutait maintenant la tentative de meurtre de Scott sur la personne de Stiles… Définitivement, c'était un peu trop pour lui. Il essayait d'assurer comme il pouvait.

Stiles baissa son regard toujours larmoyant. Toujours à genoux, il avait l'air complètement détruit et en soi, c'était clairement compréhensible. Son ancien meilleur ami, en plus de le traiter comme un chien, avait essayé de le tuer. Il l'avait voulu et désiré. Même si ses plaies étaient légères, elles témoignaient de l'intention claire de Scott. Et cette odeur qu'il dégageait… Elle le poussa à prendre une décision, même si elle ne lui appartenait pas réellement. Mais là, il ne pouvait décemment pas laisser Stiles ici, alors que Scott se faisait rabrouer par la quasi entièreté de la meute dans la cuisine… Ses envies de meurtres avaient choqué. Si la plupart de membres détestait Stiles à cause de ses mensonges, le tuer ne leur avait jamais, ô grand jamais traversé l'esprit. Et puis, n'était-ce pas Scott qui prônait le fait qu'on pouvait toujours trouver une solution, une alternative au meurtre ? Alors oui, Derek pouvait le dire, il avait envie de protéger Stiles, d'une certaine manière. Ses mensonges étaient certes conséquents, jamais il n'avait mérité un sort pareil. Il avait failli être égorgé par son meilleur ami mais l'humiliation était déjà là. Stiles était toujours dans la même position, à genoux. D'un coup d'un seul, Derek passa un bras autour de lui et l'aida à se relever sans même lui demander son avis. Son corps, même à travers son haut, lui paraissait un peu trop chaud mais ce n'était pas grave, c'était sans doute un détail. Complètement dérouté, l'hyperactif se laissa faire.

- Rentre et soigne-toi, lui intima Derek en le lâchant après avoir attendu qu'il se stabilise sur ses jambes légèrement tremblantes.

Ce n'était pas grand-chose, mais c'était tout ce qu'il pouvait faire pour le moment. Il ne pouvait pas quitter le loft, pas encore, pas alors que Scott avait failli commettre d'énormes atrocités sous son toit. Derrière lui, Lydia approuva et lui assura que personne d'autre ne chercherait à le tuer. Stiles ne dit rien, ne tourna même pas la tête vers elle, comme s'il ne l'avait pas remarquée. Comme s'il ne voyait que Derek. Il finit par hocher fébrilement la tête et lui demanda d'une toute petite voix, en s'excusant, s'il pouvait lui emprunter une paire de lunettes de soleil. Il perdait ses moyens, c'était visible et tout son courage quant à sa potentielle mort avait tout bonnement disparu. C'était encore un autre Stiles qui se tenait devant lui, celui du bunker. Pas du tout sûr de lui, agissant comme s'il était un indésirable, fait qui était exacerbé en raison de ce qu'il venait de vivre. Pour lui non plus, le choc n'était pas encore passé.

- Si on me voit avec ces yeux-là, je… Je serai tout de suite grillé… Précisa-t-il en tirant sur ses manches, la voix tremblante.

Derek accepta sans problème et une fois la paire de lunettes en question sur le nez, Stiles s'en alla sans autre forme de procès, complètement perdu et mal en point mentalement. Ce ne fut que lorsqu'il ne sentit plus son odeur nauséabonde qu'il tourna la tête vers la cuisine et que son regard devint mauvais. Une chose était certaine, il ne comptait pas faire sortir Stiles de sa vie, encore moins de cette manière.