Stiles déglutit bruyamment et fit un pas en arrière tandis que l'angoisse se peignait clairement sur son visage. La pensée fusa toute seule sans même qu'il la contrôle :
- Non, pas toi, c'est hors de question… !
Derek haussa un sourcil tant le ton légèrement paniqué de Stiles lui paraissait étrange, tout comme son refus apparent quant au fait qu'il servait de cobaye.
- Et pourquoi pas moi ? Tu as demandé un volontaire, tu en as un devant toi. Pourquoi tu râles ?
Autour d'eux, on fronça les sourcils. Stiles n'avait pourtant pas ouvert la bouche, pourquoi Derek lui répondait-il ? L'hyperactif ne sembla pas se rendre compte de la perplexité de la meute, tout comme le loup qui n'avait pas l'air surpris de parler alors que Stiles ne lui avait absolument rien dit… En apparence.
- Tu peux pas, Derek, tu… La guérison de ton handicap est trop récente, ton cerveau est encore fragile. Je peux pas faire ça.
- Et pourtant tu vas le faire, parce que je te le demande, rétorqua Derek, sans se soucier d'aucune manière des gens qui les entourait.
Stiles le regarda et ne put rien cacher de la manière dont il était déboussolé. Il ne s'attendait absolument pas à une telle motivation de la part de Derek. En fait, il s'attendait à ce que tout le monde refuse, parce que personne n'avait confiance en lui – ce qu'il comprenait tout à fait – mais certainement pas à une demande aussi impérieuse de la part de l'ancien alpha. Ne devrait-il pas le détester, comme les autres ? Comment pouvait-il vouloir servir de cobaye au seul membre de la meute à les avoir trahis en cachant sa nature surnaturelle ? Non, définitivement, Stiles ne comprenait pas. Se rendait-il au moins compte que ce qu'il devait lui faire n'était pas une chose des plus agréables ? L'hyperactif devait leur prouver qu'ils étaient impuissants mentalement face aux Psis : ce serait simple, mais il ne savait pas encore comment procéder, ce qu'il comptait faire exactement. Avec ses capacités actuelles, il pouvait tout autant lancer des déferlantes télépathiques qu'effectuer une action de compression sur le cerveau de Derek, mais… Le but n'était vraiment pas de lui faire du mal. Et puis, il ne fallait pas que la meute croie qu'il essaie de les entourlouper pour les détruire de l'intérieur. Lui, tout ce qu'il voulait, c'était les aider, en les empêchant notamment de se mettre en danger inutilement.
En soi, l'opération s'avèrerait un tantinet délicate. Il s'agissait de montrer sans blesser réellement. Stiles allait avoir besoin d'exercer un contrôle parfait sur ses capacités et son mental pour ne pas causer de dommages cérébraux au loup qui se tenait devant lui et qui continuait d'insister pour lui servir de cobaye. L'hyperactif lui lança une nouvelle fois un regard perplexe alors que de l'extérieur, c'était plus sa peur qui ressortait.
Alors, il finit par capituler tandis que la meute autour d'eux ne comprenait pour ainsi dire... Rien. Seule Lydia commençait à faire le lien avec sa rapidité d'esprit hors du commun. Enfin, disons qu'elle faisait attention aux détails sur lesquels pas grand-monde s'arrêtait. Si Derek n'arrêtait pas de répondre à Stiles qui n'ouvrait pas la bouche, la conclusion était simple à ses yeux : celui-ci parlait directement dans son esprit. Même si c'était encore un peu difficile à croire pour elle, la jeune femme se devait d'accepter qu'il s'agissait bien de la réalité et que Stiles, malgré ses mensonges, restait le jeune homme qu'elle avait connu. Pourtant, il n'avait plus grand-chose à voir avec le lycéen hyperactif et impétueux, à parler à tort et à travers à chaque heure de la journée. Il était devenu craintif, triste, s'effaçait come pour réparer une faute qui n'était pas la sienne. Son mensonge n'était pas un mensonge de confort, c'était surtout une manière de survivre, pour son père et lui. Si les Psis étaient aussi sanguinaires et intolérants que cela, Lydia comprenait bien mieux son silence quant à ses origines.
- Avant toute chose, les prévint Stiles en levant ses mains blessées devant lui, je tiens à vous dire que mon but n'est pas de vous faire du mal, seulement de vous montrer que… Que vous êtes impuissants. Si après ce que je vais faire à Derek, vous n'êtes pas convaincus, vous pourrez prendre sa place…
Il n'aimait pas dire ça, comme il n'aimait pas leur proposer de servir de cobaye. En fait, il aimerait ne pas avoir à leur prouver que son espèce était réellement dangereuse.
Autour de lui, on hocha la tête et si l'on n'était pas très serein, l'on pouvait fort bien deviner que Stiles l'était encore moins. Cette situation lui mettait une pression de dingue et à cela s'ajoutait sa peur, toujours là, de se faire tuer au premier faux pas. Il savait Scott à l'étage : il ressentait sa négativité à une puissance telle qu'il était obligé de l'ignorer sciemment pour ne pas s'effondrer. Le souvenir de ses griffes contre sa gorge était toujours là, douloureux. Il continuait de creuser un trou béant dans son cœur, trou qui lui envoyait des décharges mentales douloureuses. Être un Empathe, ce n'était pas seulement percevoir les émotions des autres, c'était aussi ressentir les choses avec plus de puissance, et cela marchait aussi avec la douleur.
- Bon, tu fous quoi ? Commença à s'impatienter Malia.
Encore une fois, la remarque n'était pas méchante. La coyote était nerveuse, tout cela la dépassait complètement et pour elle, il était difficile d'accepter quelque chose qu'elle ne pouvait pas voir directement. Et c'était bien là le problème : les pouvoirs des Psis étaient psychiques et non physiques à proprement parler. Le cas de Stiles était un peu particulier, puisque l'une de ses capacités était à mi-chemin entre les deux, mais de cela, il ne leur avait rien dit.
Stiles jeta un regard à son ex petite-amie, un regard perdu, avant de finalement fixer à nouveau Derek avec un manque d'assurance flagrant.
- Il… Il faut que je me concentre, articula-t-il d'une voix un peu rauque.
Son aplomb présent quelques minutes plus tôt avait déjà disparu. Chaque fois qu'il se retrouvait face à Derek, ses véritables émotions prenaient le dessus. Mais ce n'était pas le moment.
- Je ne veux pas te blesser, lâcha-t-il sans se rendre compte qu'il était à nouveau passé par la voix de la télépathie pour parler au loup.
Cette fois, Derek ne répondit pas, ayant capté un peu plus tôt le malaise de la meute. Personne ne savait réellement que Stiles lui parlait d'une autre manière, manière qu'ils ne comprenaient pas encore vraiment. Il n'empêche que c'était fascinant. L'ancien alpha trouvait cela perturbant, mais diablement fascinant. En tous les cas, il hocha la tête de manière quasiment imperceptible, essayant de lui faire comprendre par là qu'il n'était pas inquiet. Et c'était la vérité : c'était Stiles. Alors, il n'avait pas peur de ce qu'il pouvait se passer. Il avait cette étrange impression qu'il pouvait lui faire confiance malgré ce mensonge, sans doute le plus important de sa vie. Son instinct lupin lui soufflait depuis le début que c'était une bonne personne : qu'il soit d'une espèce autre qu'humaine ne changeait pas sa nature la plus profonde.
- Je te préviens, ça ne va pas être agréable mais lorsque tu sens que… Que ça ne va plus du tout, tu m'arrêtes, d'accord ? Dit Stiles en repassant à l'oral, le regard cette fois-ci rivé à ses pieds.
La précaution était inutile, puisque l'hyperactif saurait d'instinct quand s'arrêter. Et puis, la douleur, il savait très bien la percevoir. Il fallait qu'il avance, qu'il fasse comprendre à la meute que c'était du sérieux, tout en s'arrêtant au bon moment. Après que Derek eut hoché la tête, Stiles demanda un petit temps de délai à la meute, le temps qu'il se concentre réellement. La chose en elle-même était loin d'être difficile à réaliser. Ce qui l'était, c'était de le faire sans déraper. Dans son état mental actuel, c'était un peu dangereux pour Derek. En effet, ses émotions étaient en vrac, sa peur se battait avec sa souffrance et la honte de son semblant d'exécution quelques temps plus tôt se rappelait sans cesse à lui. Il était cassé, irrémédiablement cassé. Mais il pouvait y arriver.
Stiles ferma son œil ambré en même temps que son homonyme, tricolore. Cette fois, son masque de Silence ne servirait à rien. Ce qui fonctionnerait par contre assurément, c'était quelque chose de bien plus radical. C'était douloureux pour quelqu'un comme lui, mais il ne le garderait pas longtemps. Il se concentra, fit le plus possible le vide à l'intérieur de son esprit avant de se retirer profondément dans sa psyché. De là, il coda rapidement un système mental bien connu des Psis qui lui permettrait de s'occuper de Derek et des potentiels autres volontaires en leur faisant courir le moins de risques possibles. Peu à peu, les lignes entourèrent son esprit lumineux et transpirant d'émotions jusqu'à le serrer à lui faire mal. Cette cage réduisit alors rapidement la taille et l'intensité de ses émotions, au point qu'il fut bien vite impossible de les détecter dans son odeur.
Et Stiles ne put empêcher une grimace de déformer son visage alors qu'il était observé par l'entièreté de la meute. C'était une réaction minime par rapport à ce qu'il ressentait à l'intérieur de lui, parce qu'il se contrôlait comme il le pouvait.
Parce que ce système était diablement douloureux et la douleur montait au fur et à mesure qu'elle l'obligeait à réprimer de manière drastique la puissance de ses émotions.
On l'appelait la Dissonance.
Le concept était simple : on l'utilisait pour forcer certains Psis à rester dans le droit chemin. Autrement dit, pour sanctionner les émotions. A chaque fois que l'une d'entre elle dépassait le seuil autorisé – proche de zéro –, un pic de douleur naissait au creux de la nuque pour se diffuser dans le cerveau ou dans le corps du Psi sous Dissonance. La souffrance était en général sous forme de charges électriques qui, selon le degré, pouvaient avoir différentes conséquences. L'avantage qu'avait Stiles, c'était qu'il était l'unique créateur de sa Dissonance : personne d'autre que lui ne pouvait la modifier. Ainsi, il définissait ses différents seuils de douleur et pouvait désactiver tout cela à tout moment. Ceux qui avaient leur Dissonance gérée par quelqu'un d'autre étaient généralement sujets à des surcharges de douleur, ou à un système interne complètement déséquilibré qui finissait par leur nuire assez rapidement.
Dans son cas, Stiles pouvait se gérer et même si massacrer ses émotions de la sorte pouvait le mettre dans de beaux draps, il savait que cela ne serait pas long alors… Il pouvait tenir. C'est ainsi que son odeur devint relativement vite fade. Lorsqu'il rouvrit les yeux, plus rien ne les éclairait, même pas la peur. Cette technique était efficace car pour éviter de souffrir, il fallait éviter de ressentir. Stiles n'était pas masochiste mais il avait monté son seuil assez haut, de sorte à être sûr de ne pas blesser Derek à cause de son trop plein d'émotion. Cette fois, le calme l'habitait. Même s'il était artificiel et plus que provisoire, il lui permettrait ainsi de faire extrêmement attention.
Ce changement qui lui paraissait minime fut drastique aux yeux de la meute. La majorité de celle-ci étant composée de métamorphes, le vide dans l'odeur de l'hyperactif leur fit tout drôle et l'inexpressivité de son regard les choqua. Derek n'hésita d'ailleurs pas à lui demander ce qui lui arrivait. Stiles répondit d'une voix monocorde que tout était normal et qu'il s'était mis en condition pour que tout se passe relativement bien. L'inexpressivité quasi-totale de sa voix contrastait tellement avec son trop plein d'émotion un peu plus tôt que la meute ne sut plus où se placer.
- Tu es prêt ? Demanda platement Stiles sans regarder Derek dans les yeux.
Il avait beau contrôler sa Dissonance, il y avait des limites. Malheureusement pour lui, la présence du loup près de lui continuait de le perturber. Son intérêt étonnant pour sa personne, son étrange « bienveillance » qui ne devrait pas être là… Pourquoi cela lui faisait-il de l'effet ? Une violente décharge électrique le secoua intérieurement, si bien qu'il dut faire appel à tout son self-control pour ne rien montrer de plus qu'une simple crispation accompagnée d'une légère grimace. Il devait se dépêcher.
Derek hocha la tête même si le comportement de Stiles le désarçonnait de plus en plus. Que signifiait ce cirque ? Ce manque d'émotion ne lui allait pas et correspondait bien trop à la description qu'il avait faite de son peuple. Stiles, ce n'était pas cette espèce de robot qui se trouvait face à lui. Stiles, c'était un torrent d'émotions à lui tout seul. Et puis, pourquoi semblait-il si crispé ? Pourquoi avait-il l'air d'avoir mal ? Il n'eut toutefois pas la moindre occasion de lui poser toutes ces questions parce que son souffle se coupa un instant alors qu'une violente douleur naissait dans son crâne.
Stiles avait lui avait lancé une déferlante télépathique tout en dosant sa puissance de manière à ce qu'elle ne lui cause pas de dommages irréparables. C'était sa priorité : ne pas le blesser. Juste… Lui faire comprendre que ne pas intervenir était la meilleure des choses à faire.
Derek chancela et prit sa tête dans ses mains en grimaçant fortement alors que la douleur s'en allait graduellement. Les réminiscences étaient là et son crâne le lançait, si bien qu'il vit plus qu'il ne sentit son oncle venir l'aider à tenir debout alors qu'autour de lui, les questions fusaient. On lui demandait comment il allait, ce que lui avait fait Stiles, qu'est-ce qu'il lui arrivait. On le chouchoutait, le prenait déjà pour l'emmener sur le canapé alors qu'il avait ses repères complètement bousillés. Il entendait, oui, mais pas beaucoup. Le seul sens qui allait plutôt bien chez lui, c'était sa vue. Pour le reste, il était complètement perdu. Pour autant, ce n'était pas comparable à ce qu'il avait ressenti cette fois-là à l'hôpital. Ce n'était pas insupportable, c'était désarçonnant, si bien qu'il oublia quelques secondes de penser à Stiles et à toutes ses inquiétudes le concernant.
Stiles, lui, ne relâcha pas sa Dissonance, pas alors qu'il en avait fini avec Derek. Pas alors que Malia lui sautait dessus en l'insultant pour avoir fait du mal à son cousin. Pas alors qu'elle n'avait rien compris par rapport à ce test, qui visait juste à montrer que même une simple attaque à une puissance modérée suffisait à mettre un métamorphe K.O. Alors oui, peut-être qu'un coup de griffe partit.
Mais Stiles resta de marbre.
En fait, il renforça sa Dissonance alors que son œil tricolore avait pris quelques secondes plus tôt une teinte abyssale marquée par une nuée d'étoiles blanches.
