Derek aurait bien aimé être heureux de constater que Stiles était définitivement réveillé, mais il n'en eut pas vraiment le loisir. Son regard et son odeur l'avaient alarmé alors, pour éviter de prendre le moindre risque, il s'en était allé retrouver Moira en s'excusant mille fois de la déranger alors qu'elle était sur le point de se reposer. Fort étonnée puisqu'il ne s'était pas réveillé en sa présence, la M-Psi s'en était allée l'ausculter et était revenue vers Derek en lui disant d'un air presque perplexe que sur les plans physique et neuronal, tout allait bien. Elle lui avait fait passer un rapide scanner mental et tout fonctionnait, chaque partie de son cerveau remplissait son rôle, aucune n'était abîmée.
Et pourtant, songea Derek le cœur serré, tu ne dis rien. Il était de retour dans la chambre, tenant compagnie à un hyperactif qui n'avait pas l'air de le remarquer. Ou plutôt si, il l'avait remarqué : mais il l'ignorait sciemment. Et Derek s'efforça de ne pas laisser ce fait l'atteindre trop en profondeur. Il fit de son mieux, sincèrement. Par « chance », il avait de quoi l'aider.
Ses interrogations.
L'odeur de Stiles restait d'une fadeur insupportable, une fadeur telle que Derek n'entrevoyait qu'un seul semblant d'explication.
Stiles ne ressentait plus rien.
Sauf que… C'était impossible. Moira lui avait précisé, avant de repartir essayer de se reposer, que la partie de son cerveau qui s'occupait des émotions était intacte. Mais voilà : son odeur était fade au possible et son regard était littéralement vide.
Et surtout, il ne parlait pas.
Difficile alors d'avoir la moindre idée de son état psychologique, que Derek devina désastreux.
- Tu as faim ? Finit par lui demander le loup, au bout d'un long moment de silence.
Stiles tourna la tête vers lui, le jaugea un instant du regard, sans rien dire. Pire : ses yeux vinrent à nouveau fixer le vide sans qu'il n'ait prononcé un mot. Dérangé par ce silence qui n'allait pas à l'hyperactif, Derek insista :
- Tu as besoin de quelque chose ?
Nouveau regard, nouvelle ignorance. Et même si tout cela perturbait profondément le loup-garou, celui-ci ne s'avoua pas vaincu outre mesure. Quels que soient les motifs de Stiles pour agir ainsi, Derek savait qu'il se devait de faire des efforts. Les autres aussi, soit dit en passant. L'entièreté de la meute avait sa responsabilité quant à son abandon et même si certains, comme lui, s'étaient bien assez vite rendu compte que son éviction avait été prononcée trop rapidement, ils avaient gardé leurs pensées et opinions pour eux, dans le but de ne pas faire éclater leur clan en morceaux.
Et pourtant, quand il y réfléchissait, ils auraient dû. Bien évidemment, l'état de Stiles ne se résumait pas à la manière dont il avait été abandonné. Il y avait des choses, tant de choses. La mort de Noah, à laquelle il ne comprenait toujours pas grand-chose, était sans doute la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase, d'autant plus que Stiles lui avait porté le coup final. Derek nota mentalement qu'il devrait d'ailleurs interroger Moira à ce sujet : elle, plus que quiconque à part l'hyperactif, pourrait le renseigner. Le monde était vaste et les Psis existaient réellement. Il fallait s'y faire, tout comme il fallait apprendre à connaître cette espèce et vivre avec. Le seul problème à cela, c'était la manière dont ils détruisaient une partie des leurs. Les E-Psis. Et Stiles en était un. Un Empathe. Un Psi dont les émotions étaient la spécialité, un pouvoir dont il ne saisissait pas encore les tenants et les aboutissants.
Derek se permit un léger rapprochement et pour cause, il s'assit au bord du lit. Et tenta de le faire parler, encore et toujours.
En vain.
xxx
Deux jours plus tard et après plusieurs examens, c'est une Moira aussi désespérée que pouvait l'être une Silencieuse qui dit à Derek qu'elle ne comprenait rien. Disons que son abattement se sentait malgré son conditionnement. A vrai dire, Stiles Stilinski allait bien sur tous les plans : techniquement, rien ne l'empêchait de parler. De même, il devrait se montrer émotif, d'autant plus qu'il était un Empathe et qu'il ne pouvait, de fait, pas vivre sans ressentir d'émotions. C'était contraire à sa nature. Et pourtant, elle avait remarqué quelque chose d'inquiétant sur le Psinet, quelque chose qu'elle décida de garder pour elle pour l'instant.
Parce que l'étoile de Stiles, autrefois marquante par ses couleurs aussi chatoyantes qu'éclatantes, était… Blanche. Blanche, comme toutes les étoiles des autres Psis. Des Psis Silencieux. Or, le double Cardinal ne pouvait être Silencieux : le conditionnement ne pouvait s'acquérir aussi vite et surtout, il le détruirait. Imposer le protocole Silence à un E, c'était lui arracher son identité et ce simple fait pouvait lui faire perdre la tête. Un Empathe sans émotion était incapable de vivre sans que la folie ne finisse par le gagner. Les enfants étaient plus faciles à mater parce qu'ils n'avaient pas le temps de s'habituer à une vie dite « normale », puisqu'on les formait au conditionnement dès deux à trois ans. Mais Stiles avait passé l'équivalent de toute une vie à vivre, ressentir, aimer, détester : il était, par définition, incapable d'effacer sa réelle personnalité en un claquement de doigts.
Mais alors, comment faisait-il ? Que lui arrivait-il ? Le plus perturbant dans tout cela, c'était que tout fonctionnait bien chez lui. Il entendait et comprenait ce qu'on lui disait, se levait, marchait, mangeait… Et là encore, il y avait un problème. Jusqu'à maintenant, il n'acceptait rien, à part les barres protéinées dont se nourrissait Moira. Cette nourriture-là, elle était réservée aux Silencieux car sans goût, sans odeur, sans saveur. Une nourriture faite pour ne rien réveiller d'instinctif. Un simple outil pour subsister. D'autant plus que Stiles ne parlait pas : il se servait ce dont il avait besoin et ne répondait jamais aux questions de ses amis ou de la M-Psi. A vrai dire, il les écoutait, les regardait, puis se détournait. Était-ce un effet secondaire de la déconnexion puis de la reconnexion ? Pour le coup, Moira n'en savait rien. C'était la première fois qu'elle faisait cela, d'autant plus qu'elle n'aurait jamais cru qu'un tel prodige était possible.
Le lendemain, il eut une attitude contrastant nettement avec les jours précédents. Toujours sans prononcer un mot, il s'en alla voir Moira de son plein gré alors qu'elle se brossait les cheveux dans l'une des salles de bain du manoir. La meute avait définitivement accepté de lui accorder l'asile tant elle se donnait pour surveiller l'état d'Isaac, de Derek – elle n'oubliait pas ce qui lui était arrivé – et… De Stiles. Ainsi, puisqu'elle devait elle aussi faire profil bas, on la laissait rester. Bien évidemment, Derek avait malgré tout été très clair avec elle : à la moindre incartade, on la renverrait et tant pis pour elle. Jamais il ne l'avait toutefois directement menacée de mort, pas même de lui arracher la gorge avec ses dents. Disons que sa mise en garde était plus pour la forme qu'autre chose. La répéter, c'était surtout pour se donner l'impression qu'il pouvait faire quelque chose alors qu'en réalité, elle pouvait les mettre au tapis en un claquement de doigts, tous autant qu'ils étaient. Néanmoins, elle semblait éprouver une réelle forme de respect vis-à-vis de Stiles, dont l'état continuait d'être étrange.
Alors forcément, la M-Psi elle-même ne comprit pas lorsqu'il vint la voir alors qu'elle passait un peigne dans ses cheveux pourtant sans nœuds. Elle faisait plus cela pour le geste, la forme, plutôt que parce qu'il avait une réelle utilité. Dans un sens, elle prenait soin d'elle et utilisait ses habitudes pour garder une certaine ligne de conduite. Cependant, elle déposa le peigne sur le bord du lavabo et se tourna complètement vers le double cardinal. Ses yeux restaient noirs et mouchetées de blanc. Ce simple fait n'était pas normal en lui-même puisqu'il durait depuis son réveil « officiel ». En somme, cela signifiait qu'il utilisait certains de ses pouvoirs en permanence et Moira ne trouvait pas ça de très bon augure dans la mesure où elle ne connaissait absolument pas son état d'esprit actuel. Son Silence semblait bien trop parfait, tant et si bien qu'elle ne percevait rien, et les loups non plus. Là encore, ça n'allait pas : un E-Psi ne pouvait pas supporter Silence. Il s'agissait alors d'autre chose, mais quoi ? Le choc ? Un traumatisme à cause de ce qui était arrivé avec son père ? C'était possible, grandement possible, mais… A ce point ? Elle l'imaginait plus se renfermer sur lui-même, s'isoler.
Elle ne le savait pas mais dans un sens, c'était exactement ce qu'il faisait.
- J'ai besoin de votre aide.
Entendre la voix de l'hyperactif la surprit, car c'étaient les premiers qu'il prononçait depuis ce jour funeste où elle l'avait reconnecté au Psinet. Et encore, il ne s'agissait que de télépathie. De toute évidence, il ne voulait pas être entendu par le moindre loup. Alors, elle le suivit.
- Tutoie-moi. De quoi s'agit-il ? S'enquit-elle en gardant les lèvres closes.
Le châtain n'eut aucune réaction physique, pas même un haussement d'épaule, mais il lui fit savoir, par une pensée, qu'il acceptait sa demande. Croisant les bras sur son torse, il n'attendit pas avant de mettre les choses au clair :
- J'aurais besoin que tu les gardes ici, au manoir, que tu les empêches d'en sortir.
- Pourquoi ? Demanda-t-elle sans montrer sa perplexité.
- J'ai fait un scan télépathique il y a dix minutes et j'en ai refait un juste avant de venir te voir. Nous ne sommes pas seuls.
- Des Psis ?
- Des Psis, répéta-t-il. Il y en a cinq. Ils sont encore à quelques minutes d'ici, mais ils ne tarderont pas à trouver le manoir. Il faut que je m'en occupe.
Moira garda tant bien que mal la face et, par la même occasion, son masque de Silence. Le niveau de télépathie du jeune homme, outre son rang, lui paraissait incroyable. Il faudrait qu'elle pense à déterminer son champ d'action, pour voir l'étendue de sa puissance télépathique. Cependant, pour l'heure, c'était loin d'être une priorité.
- Tu penses y arriver seul ? Demanda-t-elle.
Et pourtant, au fond d'elle, Moira connaissait parfaitement la réponse parce que même s'il n'en montrait rien, le double-cardinal rayonnait de puissance. Une puissance effrayante lorsque l'on savait comment la plupart des Psis de sa classification finissaient. Et puis, elle se souvenait parfaitement de ce qu'il avait fait contre le conseiller qui avait pris le contrôle du corps de son père : Stiles n'avait utilisé qu'une portion infime de son pouvoir mais avec une maîtrise inédite. Une maîtrise qui méritait qu'on s'attarde dessus. Moira l'étudierait, plus tard. Parce que ce qu'elle avait entrevu lui laissait entendre que l'hyperactif n'était pas un X comme un autre et ce simple fait pouvait changer la donne.
- Sans aucun problème, répondit Stiles sans hésiter.
Dans la tête de la M-Psi, la voix mentale du châtain était tranchante comme de la glace. Trop froide pour être celle d'un Silencieux, finalement. Ce simple fait alarma d'autant plus Moira qui décida, pour ne pas éveiller ses soupçons, de ne pas lui poser la moindre question à ce sujet. Une hypothèse commençait effectivement à prendre forme en elle, mais elle préféra prendre le temps d'y réfléchir.
- Très bien, finit-elle par dire, je m'occupe de les retenir.
- Parfait. Je ne sortirai pas par la porte, ce qui devrait nous faire gagner un peu de temps. Agis seulement lorsqu'ils se rendront compte de mon absence.
Moira hocha simplement la tête et regarda l'hyperactif s'éloigner… Un soupçon d'inquiétude cassa la froideur de son visage au teint hâlé. Parce qu'elle savait ce qu'il allait faire, tout autant qu'elle était consciente des risques qu'il prenait. Et il le voyait, tout simplement parce qu'il avait ses yeux rivés dans les siens. Des yeux emplis d'étoiles mortes. Mais il n'en avait que faire. A vrai dire, Stiles se fichait totalement de son apparence ainsi que de l'image qu'il renvoyait. Il s'était conditionné à ne pas avoir le moindre ressenti, qu'importe le sujet.
Et c'est ainsi qu'il s'évapora d'un coup, laissant quelques étincelles s'écraser au sol à quelques pas seulement de la M-Psi dont le rythme cardiaque s'emballa.
La téléportation était une bonne idée pour disparaître sans avoir à prendre le risque de se faire entendre en ouvrant une fenêtre, ou de se faire voir en passant par la porte. Oui, mais elle épuisait ceux qui l'utilisaient… Ce qui ne pouvait vouloir dire que deux choses.
Soit Mieczyslaw s'était, comme la fois dernière, vidé en utilisant cette technique… Soit il débordait d'énergie.
Et ce n'était pas forcément une bonne chose.
