Chapitre 90

L'arrivée simultanée de JingYun, conduit par un Seimei ronchon et fatigué qui semblait avoir perdu en substance et du Yin Yang au sein du Domaine Intérieur avait causé, comme attendu, une frénésie quasi mystique chez les gardes du Seigneur Anbei et de Anbei Furen. Les deux corps d'armée étaient prêts à tuer quiconque aurait ne serait-ce qu'un regard malheureux envers un membre de la cour restreinte de leurs Seigneurs. Et on ne parlait pas des Shi qui étaient TOUS sortit de leur domaine à l'ouest de la Capitale pour se présenter en grande tenue. Même les plus jeunes, du haut de leurs cinq ou six ans étaient déjà en uniforme et armés. C'était aussi glorieux que vaguement terrifiant. Le regard des enfants assassin était le même que celui des adultes : fanatique. Bien que l'innocence y soit encore évidente, ils étaient déjà prêt à tuer des gens pour leurs Seigneurs.

Fangyue avait littéralement sauté au cou de Boya dès qu'elle avait pu pour le serrer très fort contre elle. Le jeune homme n'avait pu retenir la grosse bouffée d'affection pour cette femme qui avait été pendant quelques mois la seule mère dont il se souvenait vraiment. Comme tous les autres nordistes, elle se mis à le tâter sur les côtes pour vérifier qu'il n'était pas trop maigre.

"- Ha ! Tu commences enfin à te remplumer !" Zhuque lâcha un petit trille de satisfaction. Se remplumer, c'était le mot juste !

Boya se laissait faire avec la patience résignée de l'habitude. Au moins Zhong Xing était-il là aussi. Il n'allait pas venir lui trousser les robes pour vérifier sa couche de gras n'est ce pas ?

"- Bonjour Boya."

"- Zongzhu…"

"- Je ne suis plus ton chef de secte depuis longtemps." Rappela le vieux cultivateur avec un petit sourire.

Voir Boya aussi respirant de bonne santé était un soulagement.

"- Vous serez toujours mon Zongzhu."

Zhong Xing en fut touché. "Son" Zongzhu, hein ? Il ne put se retenir plus longtemps de serrer le jeune homme contre lui.

"- Comment vas-tu, Boya ? Le mariage et la paternité te vont au teint en tout cas."

Il était plus épanoui et souriant qu'ils ne l'avaient jamais vu.

"- Je suis heureux. Vraiment heureux." Pas d'hésitation cette fois. Pas même de question. "QingMing est un partenaire parfait ou presque, les enfants sont merveilleux, le Domaine Intérieur a apprit à filer doux et même la Capitale commence à plier."

Le rire de QingMing fit sursauter les deux humains.

"- Mon Boya va finir par prendre ma place sur mon trône à ce rythme."

"- Hors de question. J'aime trop avoir le temps de m'occuper de nos petits et m'entrainer avec mes hommes."

Les longues queues blanches du renard démon s'enroulèrent immédiatement autour du torse de son mari avec un possessivité touchante qui fit sourire Fangyue et Zhong Xing avant qu'ils ne s'inclinent devant le renard.

"- Seigneur Anbei. Vous aussi êtes particulièrement en forme !"

L'apparence du vieux renard s'était subtilement modifiée. Sa taille s'était légèrement épaissie, son torse s'était élargi mais il dégageait une sérénité qui n'avait jamais été la sienne. Le vieux Seigneur Démon n'avait jamais été un énervé mais son calme s'était transformé en autre chose. Un contentement absolu peut-être ? La totale sérénité d'une antique créature qui a enfin réussit à atteindre tous les buts de son existence et qui à trouvé quelqu'un avec qui la partager, peut-être.

"- Il parait oui."

"- Votre délivrance n'a pas été trop compliquée ?" C'était bien une question de bonne femme, ça. Zhong Xing s'était empourpré rien qu'a imaginer la chose.

"- Non, rapide et efficace." Ce qui était vrai. C'était après que ca s'était compliqué.

"- Vous m'en voyez ravi !" La sincérité de Fangyue était peut-être un peu exagérée mais elle s'imaginait déjà à la même place dans quelques mois.

"- Boya, où sont les petits ?"

"- Sha ShengShi surveille leur sieste."

Fangyue hocha la tête. A cet âge, la sieste représentait 80% du temps de vie d'un bébé. Sans doute était-ce la même chose pour des renardeaux.

QingMing avait un sourire tendre aux lèvres. Plus les jours passaient et plus Sha ShengShi se transformait de son valet de pied en nounou pour leurs petits. Il s'y épanouissait comme jamais le renard démon n'aurait pu l'imaginer. C'était un rôle que QingMing lui laissait prendre avec autant de reconnaissance que de tendresse. Il s'était attaché au jeune démon comme à un petit frère. Quand Sha ShengShi n'aurait plus besoin d'un maitre pour ne pas s'effondrer, il lui proposerait de rester à demeure auprès de lui comme membre de sa maisonnée. Si seulement il acceptait.

"- Ne restons pas sur le perron." Finit par inviter le Seigneur Anbei. "Entrons voulez-vous ? Quelqu'un vous attends."

Zhong Xing pâlit légèrement alors que Fangyue s'empourprait légèrement.

"- He Shouyue va bien ?"

"- Boya a lavé le sol avec ses gencives mais il va bien. Il fait preuve d'une grande délicatesse en nous évitant."

Boya eut une grimace. S'il avait comprit l'évitement systématique de He Shouyue au début, il commençait à le regretter chaque jour un peu plus. Boya était sans doute un idiot mais… Il avait commencé à lui enseigner a se battre avant cette débâcle entre eux. He Shouyue avait demandé pardon. Il pensait vraiment ses excuses. Il avait grandit. Il avait changé. Il travaillait chaque jour à améliorer son caractère. Les espions qui le surveillaient assuraient à Boya qu'il avait toujours un sale carafon mais il luttait contre. Et puis, Boya aussi avait un sale carafon. Il était connu pour avoir massacré des centaines de démons mais le Domaine et ses habitants l'avaient acceptés bien facilement malgré sa réputation. Ils avaient même trouvé la force ? La bêtise ? la générosité ? pour l'aimer comme l'un des leurs. Qui était-il pour ne pas tenter de tendre la main au gamin ? Il n'était pas forcé de tout lui passer. Juste de lui offrir la même générosité que les démons dont il avait massacré les frères, les sœurs et les parents lui avaient donné. Alors il culpabilisait. Il lui avait offert une place dans le Domaine Intérieur pourtant. Il avait espéré qu'il comprendrait. Ou alors He Shouyue était-il encore plus repentant que Boya ne le pensait ? Il s'en serait arraché les cheveux.

"- Je suis sur qu'il sera heureux de vous voir." Assura Boya.

"- Je peux les conduire, Boya."

L'ancien chasseur n'hésita qu'une seconde. Il avait prit sa décision avant même d'y réfléchir vraiment.

"- Je vous accompagne. Il faut que je lui parle de toute façon."

Il ne vit évidemment pas l'inquiétude sur le visage des deux humains et la fierté sur celui de son mari. Les queues qui l'entouraient le relâchèrent légèrement.

"- Anbei Furen ! Seigneur Anbei…" Le chef de la Garde de Boya s'inclina rapidement.

"- Xie Weizhe ? Qu'est ce qui se passe ?"

"- Les membres de JingYun viennent d'arriver."

"- Envoie les dans le jardin de mes appartements. J'arrive." Soupira Boya. "Je vais devoir retarder ma discussion avec He Shouyue. QingMing…"

"- Je lui dirais que tu veux lui parler. Va t'occuper de ta famille pendant que je m'occupe de celle là."

"- Merci A-Ming."

Comme à chaque fois, le vieux renard s'empourpra de plaisir.

"- Je t'en prie mon bel oiseau."

Zhuque était resté silencieux jusque là ou presque. Il caqueta son accord, sauta de l'épaule de Boya sur celle de QingMing pour frotter sa joue contre la sienne avant de reprendre sa place sur Boya.

L'ancien chasseur renifla avec amusement.

"- Tu fais des câlins à d'autres que moi, maintenant ?"

"- Ton mari m'appartient presque autant que toi après tout !"

"- Lâcheur."

"- Jaloux."

"- Absolument !" Souriait Boya en s'éloignant, une main sur le bras de Xie XXX pour qu'il le guide sans se fatiguer.

QingMing attendit que Boya soit hors de vue.

"- Allons, voulez-vous ? "

Fangyue retint le Seigneur Démon d'une main légère posée sur son poignet.

"- Seigneur Anbei. Un instant. Soyez honnête. Comment va Boya ? Et vous-même ? Et… notre fils ?"

Le renard fixa longuement l'humaine. Il y avait quelque chose chez elle qui le perturbait. Il lui fallut un moment avant de réaliser que son odeur avait changé sans qu'il ne se l'explique.

"- Nous allons tous aussi bien que possible, Fangyue. Mieux que jamais je dirais. Vous n'avez pas à vous inquiéter. Mais je pourrais vous retourner la question. Vous semblez différente."

L'humaine rosit soudain. Une main se porta par reflexe à son ventre avant qu'elle ne baisse les yeux. Le renard démon resta interdit un instant, stupéfait.

"- Fangyue ? Vraiment ?"

"- Il semblerait."

"- Voulez vous que je demande à MiChong de vous consacrer un peu de temps ?"

"- Ce serait un soulagement, Seigneur Anbei."

QingMing s'attendait à tout, mais certainement pas a ce que le couple ait un petit après aussi longtemps. Après ce que Fangyue avait fait pour avoir He Shouyue, elle n'aurait jamais du pouvoir en avoir. Et pourtant….

"- Félicitations à tous les deux." Il était réellement content pour eux.

"- Merci Seigneur Anbei." Zhong Xing semblait bien moins content que son épouse.

Xie Weizhe avait envoyé un de ses hommes chercher les membres de JingYun.

Weilan s'était quasi matérialisé près de son maitre, histoire de ne pas le laisser seul avec des gens qui avaient voulu sa peau.

"- Shifu."

"- Boya ! Je ne suis plus ton Shifu depuis bien longtemps."

"- Vous serez toujours mon Shifu." Souriait Boya en une réponse miroir à celle qu'il avait fait à Zhong Xing.

Le temps lui avait donné une famille qu'il n'aurait espéré avoir. Une famille un peu bizarre, un peu tordue et bancale, mais elle fonctionnait pour lui. C'était pout ca aussi qu'ils étaient là. Pour rencontrer les deux nouveaux ajouts à cette famille.

Les frères survivant de Boya vinrent timidement le saluer. Certains ne l'avaient pas vu depuis son départ de JingYun.

"- Tu as tellement grossis !" S'extasiaient-ils avec fascination.

"- Le tour de taille est devenu aussi un étalon de l'état de santé ?" S'amusait Boya.

"- Ben… On a à manger autant qu'on veut maintenant !" S'extasiait un des plus vieux.

Entendre cette fascination étonnée d'enfant dans la bouche d'un quadragénaire bien entamé avait de quoi serrer le cœur de n'importe qui. Tànli serra les mâchoires. Il aurait du agir bien avant. Il aurait du agir tout court en fait. Il n'aurait pas perdu Boya. Quoique… à le voir aussi lumineux, aussi heureux… Il avait subit bien des épreuves mais en avait été récompensé au delà de tout ce qu'il pouvait espérer.

Boya avait largement sourit. Il reconnaissait la voix de ses frères.

"- Vraiment Wen Zhu ? C'est une excellente nouvelle !"

"- Shifu est Zongzhu maintenant. Il a décidé de tout changer."

"- Les autres anciens n'ont pas protestés ?"

"- Quels anciens ? il n'en reste presque plus tu sais. La guerre civile qui a suivit ton départ a été mortelle."

Le sourire de Boya disparu. Bien sur qu'il le savait. Mais entre les rapports papiers et ses frères ? Ce n'était pas pareil.

"- Mortelle à quel point ?

"- Deux clans ont été détruits et éteints. Un autre est au bord de l'extinction. Les Wei sont ceux qui s'en sont le mieux sortit mais eux…" Ceux qui géraient l'administratif et les archives savaient se cacher pour survivre. Comme ils n'étaient pas des guerriers par tradition, personne ne s'attaquait à eux quand les purges ravageaient les couloirs. Ceux qui mourraient étaient ceux qui avaient la malchance de tomber au milieu d'un nettoyage. Alors se cacher ? Ils savaient faire.

"- Et nous ?"

"- Quelques morts en plus de ton départ et de la mort de nos frères. Nous avons beaucoup recruté parmi les survivants des autres clans." Il n'était pas rare de rafler les plus jeunes shidi"

"- Shifu a décidé de supprimer la Dette. Il a supprimé aussi les Couts. Il ne reste à payer que ce qui est hors paquetage de base. Et a des prix normaux ! Même l'Infirmerie est gratuite maintenant."

"- Etrangement, il y a moins de morts maintenant." Railla un des autres."

Boya renifla avec amusement.

Il était heureux pour ses frères. Il était heureux de ces changements. JingYun allait peut-être survivre maintenant.

"- C'est une bonne chose. J'aurais été peiné de savoir la secte de ma jeunesse détruite par son propre hubris."

"- Tu connais des mots compliqués maintenant." Se désola un des plus jeunes maitres.

"- Je suis Anbei Furen maintenant. Je dois donner le change." Répondit Boya sur le même ton.

Les chasseurs gloussèrent.

"- Boya… Tu as retrouvé la vue ou…" le ton était hésitant. Boya ne se comportait pas comme quelqu'un qui n'a plus ses yeux. Il avait même arrêté de porter son bandeau quand il était dans le Domaine Intérieur. De plus en plus, il pouvait laisser son troisième œil ouvert pour de longues périodes. D'ici quelques années, il resterait ouvert en permanence.

"- Oui et non. Mes yeux sont morts pour de bon."

Après ce qu'il avait fait pour soigner son époux, il avait tenté de se soigner lui-même en jouant sa propre Harmonie. Il avait arrêté très vite. Son instinct l'avait prévenu que ca n'en valait pas le coup. Même si QingMing avait Chanté l'Harmonie de son Nom, ca n'en aurait pas valu le coup. Et c'était sans compter que Boya avait la trouble impression que son Nom changeait en ce moment. Après sa quasi-mort et sa survie uniquement due à Zhuque, il n'en était pas trop étonné. Il sentait toujours le qi de Zhuque dans ses veines. Sans lui, il s'effondrerait. Mais comme son qi le maintenant en vie, il laissait le temps à sa propre énergie de soigner ses plaies. Il n'avait plus de cœur en tant que tel mais il avait autre chose. Le qi solidifié de Zhuque dans son torse avait une fonction similaire. Petit à petit, elle était remplacée par la sienne propre. Le maitre et le shishen, si cette distinction entre eux avait encore une signification, n'en avaient pas discuté mais Boya n'en avait pas besoin. Il avait compris ce qui lui arrivait. Le qi de Zhuque l'avait changé en esprit de force parce que c'était sa seule chance de survie. D'ici que son propre qi ait remplacé celui de Zhuque, il serait si bien adapté à l'énergie de Zhuque qu'il serait devenu comme lui. Son corps, le temps et son qi rendaient son corps assez malléable pour faire de lui un phénix. Cela prendrait des années, bien sûr. Mais d'ici quelques temps, son renard aurait un phénix comme époux. Alors Chanter son Nom pour guérir ses yeux ? Ca ne servirait qu'à ralentir le changement.

"- Je n'ai plus besoin de mes yeux." Assura Boya à ses frères.

Il avait ouvert son troisième œil pour les fixer tranquillement. Il savait que ce regard mystique était perturbant. Vertical, bleu, en perpétuel mouvement, il voyait au delà de la vue humaine.

"- B… Boya ?"

"- Je vous vois. Même si ma vue est différente de la vôtre mais je vous vois."

"- Incroyable."

"- Impressionnant !"

"- Tu pourrais nous apprendre ?"

Boya hésita.

"- Je… Je n'en sais rien."

Tànli mis le holà à l'excitation de ses élèves.

"- Boya, tu ne nous dois rien. C'est ta technique. Elle t'appartient."

"- … J'y réfléchirai." Promis quand même l'ancien chasseur.

Ça soupira un peu mais les membres de JingYun pouvaient comprendre. Boya était la Reine d'un Domaine Démoniaque maintenant. Ils étaient des tueurs de démons. Il n'allait pas leur donner de quoi massacrer plus facilement encore ceux qui étaient sous sa protection.

"- … Tu es vraiment la femme d'un démon alors ?"

"- son mari, plutôt. Si l'un des deux peut être "la femme" de l'histoire, ce serait plutôt mon renard. C'est lui qui a mis bas après tout." Et encore trouvait-il ces différentiations vaguement insultantes.

Comme si être "la femme" était dégradant. Enfin, c'était la pensée humaine après tout. Il ne pouvait pas y faire grand-chose. Il avait toujours eut un saint respect de la gente féminine. Maintenant, il se fichait totalement du genre et du sexe des gens. Sous son œil, tout ça ne correspondait pas forcement à la forme de la chair après tout. Et encore fallait-il que l'espèce concernée ait ce genre de différence à la base. Un démon de boue ne se posait pas la question de savoir s'il était une fille ou un garçon. Il était et c'était déjà pas mal. A l'inverse, d'autres comme La Multitude était tous les genres et tous les sexes en même temps qu'aucun. Il était plus simple d'accepter ce qui était que de s'arc-bouter sur des considérations purement humaines.

"- Ca n'a pas l'air de beaucoup te déranger."

Boya renifla doucement.

"- Me déranger en quoi ? A vivre avec des démons, on s'habitue très vite à ne pas se soucier de ce genre de détails insignifiant."

Ses frères le crurent sur parole. Ils n'étaient pas dans le Domaine Démoniaque depuis une heure qu'ils réalisaient qu'ils ne savaient rien d'eux à part comment les tuer. Jusque là, ils étaient juste "l'ennemi". Là, ils avaient la preuve qu'ils étaient aussi civilisés qu'eux. Si ce n'était plus. Ca avait quelque chose de perturbant. Mais dans une guerre, il était plus simple de rendre l'ennemi aussi inhumain que possible pour pouvoir le tuer plus facilement. L'empathie n'avait jamais sauvé personne sur le champ de bataille.

"- On pourra voir tes petits quand ?" Les plus jeunes étaient toujours bien plus intéressé par les faits que par le philosophie.

"- Bientôt."

Boya cornaqua son (ancien) clan jusqu'à la terrasse de ses appartements où attendaient quelques rafraichissements.

Ses gardes étaient visiblement présent pour surveiller les chasseurs.

Un sifflement échappa à Tanli.

"- Et ben ! Il s'est pas foutu de toi, ton poilu ! Tu mènes la grande vie !"

Les coussins sous leurs fesses étaient confortables, le thé de qualité, l'air vivifiant et léger, les cris des oiseaux apaisant et…. Zhuque se laissa tomber comme une pierre sur l'épaule de Boya qui grogna.

"- Tu es lourd, tu sais ?"

"- Moi aussi je t'aime, mon élu." Zhuque frotta sa tête contre la joue de son humain puis sauta par terre.

Il sautilla comme un corbeau vers les chasseurs.

"- Boya ?"

"- C'est mon premier shishen. Soyez gentils avec lui. Sinon, il risque de vous cramer la face."

Le phénix se redressa avec hauteur, très digne et fier de lui-même. Puis le gros poulet noir et rouge dépassa tout le monde au point de frôler le toit bien qu'il se soit couché sur ses pattes comme une poule sur son nid.

Les chasseurs avaient roulé boulé en arrière, les mains sur leurs armes sous la surprise.

"- BOYA ?"

"- Zhuque est parfois joueur."

"- Zhuque ? ZHUQUE ? LE ZHUQUE !"

"- Le dieu-gardien oui."

Pourtant, ils l'avaient déjà tous vu sous sa vraie forme ! Zhuque l'avait prise pour pouvoir le sauver. Avaient-ils oubliés ?

"- Disons que leurs sens ont été un peu perturbés par ma présence lorsque je me suis révélé pour te sauver, mon poussin."

"- Ho…"

L'esprit humain était très doué pour se tromper lui-même.

Les chasseurs s'étaient prosternés devant le Dieu-Gardien.

"- Salutation, Seigneur Zhuque."

"- Au moins sont-ils polis." Approuva le pigeon géant.

Puis il pécha Tànli du bout du bec pour le forcer sur ses pieds.

L'énorme œil rouge du dieu gardien le fixa froidement jusqu'à ce qu'il tremble dans ses bottes. Les autres chasseurs retenaient leur souffle. Zhuque pouvait tous les tuer d'un simple coup de bec. L'énorme chose était assez grande pour les couper en deux sans qu'ils n'aient le temps de se défendre.

"- Vous avez prit soin de votre mieux de mon poussin jusqu'à ce qu'il puisse ouvrir ses ailes, Yuan Tànli. Pour cela, je vous remercie."

Le voix profonde fit tressaillir le vieux chasseur qui ne s'attendait pas à l'entendre sous son crane.

"- J'ai fait avec lui ce que j'ai fait avec tous les autres" bafouilla Tànli.

Il avait eut pour Boya les même attentions qu'il avait eut ensuite pour He Shouyue. Lui aussi avait changé pour le meilleur.

"- Vous êtes un bon Shifu." Approuva encore Zhuque.

Le compliment du gros oiseau fit monter les larmes aux yeux du vieux chasseur qui se prosterna encore devant lui.

"- Merci."

Tànli avait toujours craint de n'en faire pas assez pour ses élèves. C'était aussi ce qui l'avait si longtemps empêché de participer aux gueguerres internes de la secte. S'il l'avait fait plus tôt…

"- JingYun va enfin s'épanouir sous votre règne, Yuan Tànli. Soyez certain que vous serez épaulé." Et surveillé.

Tànli posa encore le front sur le sol. Encore une fois, il prenait le compliment, la prédiction et… la trouble menace. Être surveillé était quelque part rassurant. Si JingYun avait été surveillé avant, il n'y aurait pas eut autant de morts.

"- Merci, Seigneur Zhuque. Nous vous en sommes reconnaissant."

Boya qui connaissait Zhuque perçu son étonnement. L'oiseau restait un oiseau. Les nuances du comportement humain lui échappaient souvent.

Puis le gros poulet retourna s'installer sur les genoux de Boya pour exiger des câlins.

Maintenant que le plus compliqué était passé, le petit clan avait un peu de temps pour juste boire du thé en bonne compagnie.

QingMing avait accompagné Fangyue et Zhong Xing jusqu'au grand jardin privé du Domaine Intérieur. Normalement, il était ouvert à tous mais ce jour, QingMing en avait fait refermer les portes pour accueillir leurs visiteurs.

Eux aussi attablés autour d'un thé, QingMing s'extasiait sur l'état de Fangyue comme s'il était lui-même le père ou presque, à l'irritation croissante de Zhong Xing jusqu'à ce que le vieux chef de secte explose.

"- Seigneur Anbei ! C'est MA femme et MON gamin alors arrêtez de la tripoter !" D'accord, on était dans le nord mais il y avait des limites aux palpations !

Le sourire du renard se fit torve.

"- Bon, finalement vous y tenez à votre famille. Je commençais à douter."

Zhong Xing était scandalisé. Tant et si bien qu'il fit fi de toute réserve. Fangyue était stupéfaite de se retrouver sur les genoux de son mari mais se garda bien de protester. Le Seigneur Anbei n'allait certes pas s'en irriter, bien au contraire. Si Boya avait été là, lui aussi aurait été sur les genoux de son mari.

Un silence un peu malaisant finit par envahir le jardin jusqu'à ce que Fangyue le brise enfin.

"- Comment allez vous pour de vrai, Seigneur Anbei. Vous avez prit de l'âge. Et je ne parle pas de la fatigue d'un jeune parent."

Le renard hésita avant de répondre. Fangyue pouvait comprendre, elle.

"- J'ai faillit défunter en couches. Sans Boya, je serais mort. Je n'ai pas encore reprit totalement toute mon énergie." L'Harmonie de son Nom jouée par Boya avait sucé beaucoup de ses forces pour le sauver.

QingMing se connaissait assez pour savoir que plusieurs de ses queues avaient été fortement drainées. Il lui faudrait des mois et beaucoup de méditations pour les remplir à nouveau. S'il n'en avait pas perdu une ou deux dans la bagarre, c'était uniquement parce que Boya avait pompé sur toutes en même temps.

Un frisson d'angoisse était remonté le long de l'échine des deux humains. Et si QingMing mourrait ? Jusque là, ils n'avaient jamais imaginé une seconde qu'il pouvait mourir. Il était là depuis si longtemps… il était là depuis… toujours ! Il ne pouvait PAS mourir ! Mais s'il mourrait quand même ? Dans quel état serait le Domaine ? QUI prendrait la relève ? Maintenant qu'il y avait des Héritiers, il faudrait encore qu'ils survivent jusqu'à l'âge adulte pour monter sur le trône de leur mère. Il y aurait une guerre de succession. Il y avait bien Boya mais il était humain. N'est ce pas ? Il tenterait bien sûr de prendre la régence pour leurs enfants. Mais y aurait-il assez de monde derrière lui pour le suivre ?

"- S'il m'arrivait quelque chose, Boya prendrait le pouvoir après moi." Assura tranquillement QingMing. Sa nouvelle sérénité venait aussi de cette certitude. Même s'il mourrait, son Domaine et ses habitants aurait un défenseur. "Le Domaine est moins en danger qu'avant"

"- L'idée de vous voir mourir…" Zhong Xing frissonna. "Vous n'avez pas le droit ! le Seigneur Anbei fait partit des meubles. Il n'a pas le droit de mourir !"

Il y avait quelque chose de profondément puéril dans les protestations de Zhong Xing. Comme un tout petit qui refuse que ses parents le laissent tout seul. L'attachement évident des deux humains envers lui toucha le renard malgré lui. Ils avaient eut leurs défiances. Il avait du les remettre à leur place plus d'un fois. Pourtant ils l'appréciaient quand même. Ca faisait…. Du chaud dans son vieux cœur.

"- Je pensais… Maintenant que tout se calme, peut-être que nous pourrions reprendre les jeux l'hiver prochain ? Ca fait longtemps. Trop" Presque deux ans.

"- Les disciples en seraient heureux. Ca leur manque."

Et pas qu'à eux.

"- Alors préparez tout, Zhong Xing. Je viendrai avec ma cour et ma famille. Enfin, vous savez comment ca se passe." Il eut un petit signe négligeant de la main.

Une unité de la Multitude se faufila près de son maitre pour lui murmurer à l'oreille.

"- Ha ! les enfants sont réveillés. Voulez vous les rencontrer ?"

"- Nous sommes venus pour ça, QingMing." Gronda gentiment Fangyue, toute frémissante à l'idée de les voir enfin. Et son fils. Plus tard.

"- Venez." QingMing était fier de ses petits. C'était évident.

Les bruits d'un combat épique les accueillit dans le salon de réception.

Les deux renardeaux venaient de vaincre un ennemi supérieur en force et de le jeter à terre. Ils s'acharnaient maintenant sur lui pour le manger.

Hilare, Sha ShengShi repoussait gentiment les deux renardeaux. Ils avaient crut en force et en taille mais leurs crocs étaient encore de toutes petites aiguilles qui n'avaient aucune chance de traverser ses vêtements, encore moins sa peau de pierre.

"- Ils t'ont vaincu, Sha ShengShi ?"

"- Par KO technique, maitre. Ils se sont faufilés entre mes jambes. Soit je tombais par terre, soit je les écrasait."

"- De grands chasseurs."

"- Ho, je ne doute pas qu'il ne vont pas tarder à nous rapporter quelques poules."

Les renardeaux avaient lâchés leur jouet préféré lorsqu'ils avaient entendu la voix de leur mère pour se jeter dans ses jambes.

QingMing les ramassa pour les serrer contre lui. Les bébés cherchèrent immédiatement à se faufiler sous ses robes pour aller téter.

"- Ce n'est pas l'heure, mes trésors."

Les petits glapirent leur désespoir, déjà comédiens.

"- Arrêtez de chouiner." La voix de Boya était tendre mais autoritaire. Les oreilles des renardeaux s'écrasèrent sur leur crane.

"- Ce sont tes enfants Boya ? Mais… Ce sont des renards !"

Tànli ne croyait pas ce qu'il voyait.

"- Mon mari est un renard. Où est le problème ?"

"- Ce sont des… des…"

"- D'adorables petits bébés qui méritent tout l'amour du monde, comme tous les bébés." Coupa Fangyue. "Puis-je les prendre dans mes bras, Seigneur Anbei ?"

Le vieux démon les lui donna sans attendre.

Les deux petits reniflèrent la dame avec suspicion mais furent très vite détendus. Elle sentait la maman. Pas leur maman, mais une maman. Et puis, elle faisait bien les câlins et roucoulait des mots doux tout pile comme il fallait pour faire plaisir aux deux bébés.

Ils furent un peu moins content dans les bras de Zhong Xing. Même s'il s'était occupé de son fils et d'un nombre incalculable de bébés disciples, il restait pataud avec eux. Aussi se tortillèrent-ils très vite dans les bras de l'humain, juste pour l'embêter, allant jusqu'à lui mordiller les doigts pour le sentir tressaillir de douleur sans oser les repousser.

Quand Boya voulu les donner à Tànli, les deux renardeaux lui mordirent pour de bon la main et y restèrent accrochés avec une évidente délectation. Leur premier ennemi vaincu pour de vrai !

Boya les retira du gant en cuir de son Shifu avec des plates excuses.

"- Au moins savent-ils naturellement qui peut être leur ennemi." Soupira l'homme avec un mélange d'amusement à reculons, de fascination et de résignation.

C'était les enfants de Boya. Des démons. Mais Boya n'était plus humain. Il avait épousé un renard démon. Il régnait sur son propre Empire auprès de son mari.

Tànli fixa longuement les renardeaux puis Boya.

Malgré tout, c'était toujours Boya.
C'était toujours le petit garçon qui avait pleuré dans ses bras. C'était le gosse à qui il avait offert son premier couteau. C'était le jeune garçon qui avait tué son premier démon à neuf ans. C'était l'adolescent timide qui avait utilisé son visage d'ange pour obtenir des informations dans le lit d'une noble de cinq fois son âge. C'était le jeune homme qui avait quasi payé sa dette avant d'avoir trente ans. C'était le fils qu'il n'aurait jamais et qu'il avait été fier et heureux de guider sur le long chemin de la vie au sein de JingYun si leur secte n'avait pas été un cauchemar immonde qui se nourrissait de la vie de ses disciples plus cruellement que bien des démons. Boya était toujours l'homme brisé mais encore combatif que Tànli avait confié au Yin Yang pour qu'il refasse sa vie au loin.
C'était l'ancien chasseur qui était devenu un seigneur auprès de son mari.
Et de tout ça, sans exception, Tànli était foutrement fier. De Boya autant que de tout ce qu'il avait fait.

"- Mes petits enfants sont aussi agressifs que leur père au même âge." Sourit soudain le chef de JingYun. Il tendit les bras pour les reprendre contre lui. Cette fois, il leur donna son gant à ronger qu'ils attaquèrent avec une furie remarquable pour des crottes poilues qui tenaient dans la main.

QingMing avait passé deux queues autour de la taille de son mari. Il comprenait ses yeux brillant de larmes. Même si Zhong Xing avait joué auprès de lui un rôle de père ces deux dernières années, son Shifu était celui qui l'avait élevé depuis qu'il était gosse.

Il avait fallu deux chefs de secte pour parvenir à produire l'homme remarquable que QingMing avait épousé. Et il était extrêmement fier de son mari pour avoir été aussi compliqué à gérer.

Les frères de Boya étaient plus dubitatif mais comme leur Shifu, ils se réchauffèrent rapidement devant les deux boules de poils. Parvenir à accepter qu'ils étaient les enfants de Boya était bizarre mais après tout… Leur vie était déjà tellement remplis de bizarreries, ce n'était qu'une de plus, alors…

Alors que MiChong servait le thé et des gâteaux pour tout le monde, les deux renardeaux hurlèrent de joie d'avoir plein de nouveaux jouets lorsque les plus jeunes membres de JingYun se roulèrent par terre pour jouer avec eux. Ils étaient en famille. Ils n'auraient même pas osé faire ça chez eux mais ici ? Dans cette ambiance détendue et familiale comme ils n'en avaient jamais eu, c'était facile de se laisser aller. Suffisamment pour qu'ils découvrent lentement qu'ils voulaient la même chose dans leur secte. C'était cette confiance facile qui leur plaisait. Vraiment, ils se battraient pour pouvoir continuer à réformer JingYun.

Boya quitta soudain les bras de son mari

"- He Shouyue, tu t'es fait attendre !" Souriait très largement Boya.

Cette fois, l'accueil réel et cordial de Boya toucha le jeune homme au cœur. Il se sentit sourire malgré lui.

"- Tes parents t'attendent. Tu peux aller discuter à l'écart si tu veux mais revient après, didi. J'espère que tu va rester encore quelques semaines."

He Shouyue avait les larmes aux yeux lorsque ses parents le prirent dans leurs bras. Même son shishen contre sa peau nue, enroulé contre lui était heureux. Il était… ils étaient acceptés, malgré ce qu'ils étaient, ce qu'ils avaient fait. Il n'en fallait parfois pas beaucoup pour résoudre les gros drames de cœur.

Il prit les mains de ses parents.

"- Venez !"

Il était heureux, lui aussi.