Epilogue

(Ayez, c'est finit)

Le jeune prince était curieux.

Depuis plusieurs jours il avait l'impression que quelqu'un le surveillait.
Son père l'avait rassuré. Il était en sécurité dans le Palais. Mais ce n'était pas de la crainte que le jeune prince éprouvait. Juste de la curiosité. Comme son père, il n'avait jamais vraiment ressentit la peur de l'inconnu. Quelque chose jusque dans ses os lui assurait qu'il n'avait rien à craindre, qu'il était assez fort pour faire face à tout ou presque.

Leur grand-père, l'Empereur, assurait que ça venait d'un coté de la famille sans en dire davantage. Lorsqu'il le murmurait, il avait un petit sourire à la fois amusé et un peu triste, du genre de sourire qu'on aurait pu craindre sur les lèvres d'un Empereur. Mais son grand-père avait toujours été extrêmement affectueux avec tous ses petits-enfants. Même lui, qui n'était pas vraiment le sien.

Le jeune prince était très jeune quand il avait appris que l'Empereur n'était pas le père biologique de son père, mais que le père de son père était un cousin éloigné. On lui avait montré l'arbre généalogique impérial avec la place du Prince qui l'avait engendré. L'enfant n'était pas idiot. Si ça ne dérangeait pas l'Empereur ni son propre père, c'était que ce n'était pas un problème ni une surprise pour eux. Alors, ça ne l'avait pas vraiment dérangé non plus. C'était un secret qu'il fallait taire. Un de plus dans la grande marche de l'Empire. Même à son jeune âge il l'avait déjà compris. Son grand-père biologique était un vrai Prince de la lignée et était reconnu comme tel dans les archives, ça lui suffisait. Ca suffisait à toutes les personnes concernées. Personne ne le savait à part l'Empereur lui-même, l'Impératrice, son papa et lui-même.

Et le garde du corps de son père.

Shi Gui lui apprenait à se battre comme il avait appris à son père quand il avait son âge. Le garde commençait à prendre de l'âge mais restait bon pied bon œil. A plus de soixante-dix ans, il était plus solide et dangereux que bien des soldats du tiers de son âge. Quand il décidait de vous ficher une branlée, vous n'aviez que vos yeux pour pleurer. Le jeune prince avait plus d'une fois pleuré.

Shi Gui lui avait appris l'humilité comme il l'avait apprit à son père au même âge. Heureusement pour eux, le vieux guerrier était aussi farouchement protecteur qu'il était bon professeur. Il n'aurait eut aucun problème à égorger un autre membre de la lignée pour protéger ses deux charges. C'était ce qui expliquait aussi pourquoi son père n'avait plus qu'une seule épouse. Il en avait eut plusieurs après sa naissance mais plusieurs d'entre elles s'étaient entendu pour le faire tuer. Quand Shi Gui l'avait apprit, il n'avait rien demandé à personne. La boucherie avait été aussi rapide qu'efficace et remarquable. Son père n'avait même pas protesté. Le massacre avait été passé sous silence mais l'enfant se souvenait encore du sourire fou de l'assassin quand il était venu reporter ses actes à l'Empereur et son père, très fier de lui. Depuis, son père n'avait plus que des concubines en plus de son épouse, mais aucune épouse secondaire.

"- Jeune Prince ?"

Shi Gui était aussi tranquille qu'à son habitude malgré l'ambiance délétère de la capitale. L'Empereur était malade depuis des semaines et s'affaiblissait de plus en plus. Tout le monde savait qu'il n'en avait plus pour longtemps. Après un règne de près de quarante ans, il laissait derrière lui un Empire plus stable que lors de la mort de son propre père. Il était un peu plus petit que lorsqu'il avait prit le pouvoir, mais l'Empereur ne considérait pas comme une perte l'abandon de quelques provinces trop pauvres et sans habitants. Il avait préféré se concentrer sur la population que sur les kilomètres. Certains lui en avait voulu. Alors il les avait envoyé reconquérir eux même les Marches perdues. Etrangement, ils n'étaient jamais revenus.

"- votre père vous demande de venir."

L'enfant de douze ans sauta sur ses pieds. Il avait oublié sa curiosité pour filer prendre la main du vieux soldat qui le conduisit jusqu'à son père. Le Premier Prince avait le teint blême et les traits tirés.

Tous les héritiers présomptifs étaient présents. Il était le seul enfant mâle de son père. Aucune des épouses secondaires et des concubines de l'Empereur n'avait produit un autre fils vivant. Plusieurs étaient mort à la naissance. Il avait une écurie de sœurs, mais aucun frère.

"- A-die ?"

"- Shhht."

L'enfant la boucla immédiatement. Lui avait des frères et sœurs. Une écurie même. Même s'il était l'ainé du haut de ses douze ans, il avait déjà onze frères et six sœurs. Son grand père n'avait pas été très productif. Son père à l'inverse était aussi enthousiaste et efficace qu'il le fallait à un héritier du trône.

"- L'Empereur veut vous parler." L'eunuque qui s'occupait de l'Empereur fit entrer le Prince Héritier dans la chambre de l'Empereur.

Le vieil homme était encore solide six mois plus tôt. La fluxion de poitrine qui lui rongeait les poumons depuis l'hiver allait le tuer, ils le savaient tous.

"- Approche, mon fils."

L'héritier et son fils s'approchèrent.

"- Tu monteras sur le trône dès que je ne serais plus. Je n'ai aucune envie que tes cousins ou tes oncles tentent de prendre le contrôle de l'Empire." La voix de l'Empereur était encore solide même si sa respiration était superficielle et sifflante. "Attends-toi à une visite venue du Nord." Le Prince se raidit mais hocha la tête.

Le regard de l'Empereur se porta sur Shi Gui qui suivait toujours ses maitres à la trace.

L'homme s'inclina à moitié. Il n'y avait que devant ses deux maitres qu'il était respectueux.

"- Ils sont déjà là."

Ca ne paru pas surprendre l'Empereur mais la main de son Héritier sur l'épaule du petit prince se fit presque douloureuse. L'enfant jeta un coup d'œil à son père. Il était blême et le tirait près de lui comme s'il avait peur qu'on veuille le lui prendre.

"- Ils pourraient peut-être vous sauver, père."

L'Empereur renifla doucement.

"- Aucun intérêt pour eux." Qui étaient ces "eux" ? le petit prince s'accrocha à son père. Malgré ses douze ans, il était totalement perdu. Si le garde du corps de son père n'avait pas été si détendu, il aurait eut peur. "Un autre sera là pour lui ?"

Shi Gui hocha la tête.

"- Bien sûr."

"- Et les autres ?"

"- Il est le seul du sang."

L'Empereur comme son fils parurent soulagés. Encore une fois, le gamin ne comprenait pas.

"- Fils."

Le prince héritier avait les yeux rouges. Malgré la distance forcée entre un Empereur et ses rejetons, il y avait une réelle affection entre eux. L'Empereur avait été un vrai père pour son fils. Autant que ses devoirs lui en avait laissé le temps en tout cas. Le Prince Héritier se souviendrait toujours avec tendresse des heures passées sur ses genoux à apprendre à écrire, à monter à cheval devant lui sur sa monture et aux siestes qu'il avait pu faire dans ses robes quand il était petit. Il avait essayé de faire la même chose avec son ainé. Ses autres enfants étaient… différents. Son ainé avait quelque chose qui le qualifiait comme au-dessus des autres depuis sa naissance dans la masse des gamins qui hantaient les nourriceries du palais. Comme lui-même avait été différent des autres.

"- Père."

"- Je te remets le sceau impérial dès maintenant." L'eunuque apporta l'énorme cube de jade blanc.

Le Prince Héritier le prit avec révérence. L'Empereur eut un pauvre sourire de soulagement. Cet enfant né d'une relation commerciale serait parfait pour son rôle. Et s'il n'était pas de ses reins, c'était lui qui l'avait élevé et avait fait de lui l'Héritier parfait qu'il était.

"- Quand Ils viendront, salue les de ma part, veux-tu ?"

Son fils hocha la tête, la gorge serrée. Il prit la main de son père quand il la lui tendit et la garda très fort dans la sienne jusqu'à ce qu'il sente tout tonus musculaire la quitter.

Le médecin impérial s'approcha pour vérifier ce qu'il savait déjà.

"- Sa Majesté nous a quitté."

Le nouvel Empereur hocha la tête, au bord des larmes.

"- Fils ?" L'Enfant de douze ans pleurait en silence. Il aimait son grand père. "Nous avons beaucoup à faire pour honorer le départ de ton grand père."

Le fils de Boya allait monter sur le trône. D'ici quelques jours, quelques semaines au plus, son géniteur et son époux viendraient le saluer. Ils auraient avec eux un garde du corps Shi dans leur suite pour son fils comme ils en avaient eut un pour lui quand le précédent Empereur avait commencé à avoir peur de lui. Il se souvenait encore de son géniteur et de son formidable époux. Il ne les avait rencontré que plus tard, à l'adolescence, sans savoir qui ils étaient.

Le renard blanc géant et l'énorme oiseau noir et rouge aux plumes de feu lui avaient fait peur malgré son âge. Quand on lui avait expliqué que l'oiseau était son vrai père, il n'avait pas compris jusqu'à ce que les deux créatures prennent forme humaine.

Et voilà que des décennies plus tard, ils allaient revenir. Pour son enfant.

Le regard du nouvel empereur descendit sur son fils. De tous ses rejetons, il était le seul qui tenait de son grand-père.

"- Ils seront là pour les funérailles." Murmura soudain Shi Gui avec un petit rouleau de papier entre les doigts.

L'Empereur hocha la tête.

Il s'y attendait

Quand il sortit enfin des appartements de son père, les annonces avaient déjà été faites de part le palais. Il lui faudrait survivre maintenant. Une fois encore.

Le sourire sadique de son garde du corps était un soulagement. Vivement que son fils ait lui-même son propre nettoyeur.

Son géniteur devait l'avoir sélectionné avec attention.

De tout ce qui se passerait dans les années à venir, au moins, le nouvel Empereur n'aurait pas trop à s'inquiéter du Nord. C'était déjà ça.

"- He Shouyue"

Le prêtre impérial appointé depuis une décennie environ s'approcha.

"- Tout sera prêt, votre Majesté."

L'Empereur hocha encore la tête.

Quand il était plus jeune, il s'était pas mal battu contre lui après qu'il ait débarqué de nulle part, une lettre de recommandation du Yin Yang, de JingYun et une troisième du Nord en poche.

L'homme était bizarre, dangereux, sadique, avec un humour froid tordu mais invariablement résilient et efficace.

Le nouvel Empereur l'aimait bien finalement. Sans doute aussi parce qu'il avait insisté pour que le Prince le traite sans fioriture. Et peut-être aussi parce qu'il avait égorgé un émissaire d'un autre pays envoyé pour l'empoisonner, lui et sa famille, sans se soucier de salir ses robes blanches ni des conséquences diplomatiques.

Le nouvel empereur était fermement sur son trône depuis quelques semaines lorsque son garde du corps se pencha soudain vers lui à la fin d'une session de cours particulièrement irritante. On voyait sa prise de pouvoir rapide d'un mauvais œil alors même qu'il avait été dressé à ça depuis sa naissance ou presque.

Les querelles de succession étaient toujours sanglantes au mieux. Cette passation de pouvoir ne faisait pas exception à la règle. Plusieurs de ses oncles, frères et cousins étaient morts. Soit à sa demande directe, soit sous les coups de Shi Gui pour le protéger d'eux.

Contrairement aux autres prétendants au trône, il avait la chance que son garde du corps soit totalement incorruptible.

"- Ils sont là pour vous voir, Majesté."

L'Empereur se redressa. Il était prêt.

"- Qu'on les introduise dès qu'ils seront prêt."

La cour remarqua vite qu'il se produisait quelque chose.

Lorsque les deux grandes portes du grand hall de réception furent ouvertes avec violences, ils sursautèrent tous, sur la défensive. Il n'y avait pas eut de massacre pour la succession mais c'était encore une possibilité.

"- Sa Majesté, le Seigneur Anbei QingMing, du Domaine du Nord. Et son époux, Anbei Furen." Prévint la voix tremblante mais forte de l'eunuque en charge des annonces.

L'Empereur se sentit forcé de se lever de son trône pour accueillir ceux qui étaient par la force des choses, aussi puissant si ce n'étaient plus que lui. Et accessoirement, son vrai père et l'époux d'icelui.

Les souvenirs que l'Empereur avait de son géniteur étaient flous et lointains mais il le reconnu sans peine. Il ne semblait pas avoir vieillit d'un jour et être plus jeune qu'à l'époque. Avec ses vêtements noirs richement brodés, son bandeau sur les yeux, ce troisième œil bleu sur son front, il était impossible de le confondre avec quelqu'un d'autre. Et ces ailes… Il ne les avait pas quarante ans avant. De grandes ailes moirées sur un fond noir de Mars, avec des reflets presque métalliques, sagement repliées dans son dos, l'homme, s'il était encore un homme, était définitivement impressionnant.

A ses cotés, l'homme en blanc aurait été presque ordinaire n'eusse été l'aura de tranquille assurance qu'il dégageait. Ou ses queues trop nombreuses pour les compter alors qu'elles étaient en mouvement perpétuel. Ou ses petites oreilles blanches sur le haut de son crane à la longue chevelure blanche.

"- Tout doux !" Souffla soudain le tout jeune prince héritier qui venait de s'accrocher à une des queues comme s'il avait été attiré par une force implacable.

"- Certaines choses sont immuables, mon Boya." La voix du renard démon était aussi caressante que chargée d'amusement.

Son époux lui balança un coup de coude dans les cotes, s'attirant le rire si étrange et dérangeant des renards puis s'accroupit devant celui qui était de fait son petit-fils.

"- Salutation, jeune prince. Pouvez vous me rendre les queues de mon mari ?"

L'enfant eut un petit sourire d'excuse alors qu'il semblait juste réaliser son geste.

"- Ha ! Pardon…"

La garde se tendit lorsque leur jeune prince héritier se retrouva avec le main du monstre en noir sur l'épaule. Pourquoi l'Empereur ne disait rien ? Pourquoi n'ordonnait-il pas qu'ils détruisent ces monstres qui n'avaient rien d'humain ?

"- Bienvenue, Seigneur Anbei, Anbei Furen."

"- Salutation, Majesté." Souriait largement le seigneur démon.

Derrière lui, une petite armée de jeunes renards entre deux et trois queues les suivaient.

L'Empereur eut un coup au cœur de réaliser que ces jeunes démons étaient probablement ses demi-frères et sœurs.

"- Détendez-vous, nous sommes juste venu saluer et fêter l'accession au trône de notre plus proche voisin."

Ceux qui n'étaient pas au courant de la présence d'un seigneur démon si proche de l'Empire auraient pu paniquer si l'Empereur avait montré le moindre signe d'inquiétude.

"- Qu'on apporte du thé pour nos invités." Ordonna l'Empereur.

Il ne fallu que quelques minutes pour que des serviteurs sur les dents installent de quoi accueillir confortablement leurs visiteurs.

La cour fut invitée à quitter les lieux rapidement.

Un adolescent de seize ou dix-sept ans se glissa près du couple nordique pour murmurer à l'oreille de Boya.

"- Majesté, avant que nous n'allions plus loin, voici Shi Laoshu. Il a été sélectionné et entrainé pour être le garde du corps de votre fils." Pas besoin de spécifier lequel.

Shi Gui eut un large sourire.

"- Salut, Neveu."

"- Mon oncle…" Comme tous les membres de sa famille, l'adolescent était un fanatique. Il avait été éduqué spécifiquement par Boya pour se fondre plus facilement dans la société impériale humaine.

L'Empereur eut un soupir de soulagement. Pouvait-il refuser ? Sans doute. Mais il reconnaissait la valeur d'un tel garde du corps.

"- Merci." Il le pensait vraiment.

Le jeune homme s'inclina devant son jeune maitre.

"- Prince Ruhong. Je suis votre garde du corps. Je ne vais plus vous quitter maintenant."

Le gamin eut un large sourire.

"- Bonjour Laoshu ! On va être très amis j'en suis sur !"

Le sourire du jeune Shi était lumineux. Il avait son petit prince à protéger. Sa vie avait enfin un sens.

"- Seigneur Anbei, Anbei Furen."

"- He Shouyue. Tu as perdu du gras. Tes parents vont s'inquiéter."

"- Mes parents s'inquiètent toujours." Railla le Prêtre Impérial. Il semblait plus à sa place ici qu'il ne l'avait jamais été. Comme Boya, il avait trouvé le rôle de sa vie. "A l'inverse, tu es gras comme un furet en automne." Approuva le nordiste en détaillant Boya d'un coup d'œil.

"- Oui hein !"

L'Empereur attendit que les accointances finissent de tailler le bout de gras. Ils ne s'étaient pas vu depuis un bon moment.

Du coin de l'œil, il voyait les gardes du Seigneur Démon vider gentiment la salle de tous les humains à part lui et son fils.
Une fois seuls ensembles, l'attitude du couple de nordiste changea d'un coup.

Un portail s'ouvrit près d'eux. MiChong en sortit avec des aides pour installer un banquet express

"- Asseyez-vous Majesté ! C'est une fête de famille après tout ! Vous pouvez m'appeler Fuqin !" Souriait largement QingMing.

Ce n'était qu'une première main sur un nouveau Domaine après tout. Et celui là était colonisé par les reins de Boya.

L'ancien chasseur lui balança un coup d'aile sur l'arrière du crâne.

"- Ne fais pas attention, fils. Il est folâtre quand il attends des petits."

Comme si c'était un signal, les jeunes renards et les démons présents n'eurent aucun complexe à s'installer pour boire et manger.

Un Empereur ? Non, juste des petits de leur Anbei Furen. Ils les traitaient de la même façon.

He Shouyue secoua la tête, amusé, pendant que son shishen allait jouer avec les renardeaux venus avec leurs parents. Silencieux, il s'appuya contre une colonne avec un verre d'alcool à la main. L'Empereur s'y ferait. Ou pas. C'était de toute façon trop tard. D'ici quelques siècles, le Domaine aurait encore grandit.