Hello!

Nous voici dans un nouveau chapitre que j'ai failli couper plus tôt, mais qui finalement fait 19 pages word xD
J'avais simplement pas d'endroit fluide où m'arrêter avant, et finalement c'est pas plus mal comme ça.

Que dire sinon qu'il y a plein de trucs que j'avais pas vraiment prévu, et que la plupart des révélations de Vivian sur ses émotions sont des révélations que j'ai en écrivant les passages en questions? Par là je veux dire que j'ai écrit des choses et que je me suis dit "Oh, mais c'est ça! C'est évident!".

Bref.
Je tiens à remercier celleux qui m'ont laissé des reviews, et qui m'en laisseront encore :p

Le prochain chapitre mettra sans doute davantage de temps à arriver, parce que je vais être assez occupé.e jusqu'à fin Septembre (y aura peut-être un chapitre avant, hein, mais je sais pas trop ce que ça va donner.)

Bref, je vous laisse donc avec le chapitre, et des révélations intéressantes!
Enjoy and review!


Lorsque nous arrivons au manoir émeraude, Fredy nous accueille dans le jardin où nous atterrissons. Le froid et le crachin tout à fait britanniques me font frissonner d'instinct, mais s'accordent étrangement à mon humeur. J'ai l'impression d'être en deuil, même si je ne sais pas vraiment pourquoi. Ewald effleure mon esprit, m'envoyant un sentiment de réconfort, mais ne cherche pas à communiquer avec moi, ce dont je suis reconnaissante. Je n'ai pas vraiment envie de parler. Arthur et Alphonse, eux, sont en train d'échanger leurs impressions sur Quentin, et sur la journée qui vient de s'écouler. Ils me lancent des coups d'œils réguliers, sans doute pour savoir ce que je pense, mais j'ignore leur manège.

Dès que nous arrivons à l'étage des chambres, je déclare que je suis épuisée et que je veux me doucher et dormir.

« On discutera demain, d'accord ? Je suis crevée et j'ai besoin de calme.

-Ce serait sans doute mieux que tout le monde se repose, oui. » appuie Ewald. « Demain, il nous faudra discuter de la suite des événements, et de ce qui est arrivé pour que Vivian se retrouve parmi nous. »

Personne ne proteste après ça. Je crois qu'Arthur et Al' sont impatients de connaître le fin mot de l'histoire. Pour ma part, je ne suis toujours pas certaine que ça soit une bonne idée de les mettre dans la confidence, mais je doute qu'ils ne nous laissent le choix. Et de toute façon, pour l'instant, c'est un peu le dernier de mes soucis. J'ai trop à penser, après aujourd'hui. Mon cœur me tiraille comme il ne l'a pas fait depuis longtemps, et mes émotions sont à fleur de peau. Je ne sais pas ce que je pense, je sais juste que j'ai besoin de calme pour m'effondrer. Je me dirige vers la douche sur un « Bonne nuit ! » lancé à la ronde, après avoir récupéré mes affaires dans ma malle. Évidemment, Ewald m'emboîte le pas. Il attend que nous nous soyons un peu éloignés des autres pour me demander :

« Tu as envie de parler ?

-Non. » je réponds fermement, mais sans méchanceté.

Ewald hoche la tête, et nous poursuivons notre route en silence.

Une fois enfin seule, sous la douche, je relâche un peu mes barrières intérieures, m'autorisant à voir à quel point mon esprit est chaotique ce soir. Pêle-mêle je trouve mes pensées en vrac et mes sentiments en désordre. Je ressens tant de choses que je ne sais pas comment les nommer. Je m'assois dans la baignoire, laissant le jet d'eau chaude tomber sur moi comme une cascade, essayant de comprendre des bribes de sentiments. C'est peut-être plus simple si je me concentre sur des points précis.. ? L'occlumencie est censée aider à ordonner son esprit, mais je suis loin d'avoir le niveau de maîtrise suffisant, encore moins ce soir. Alors, je fais de mon mieux, à ma manière. Ça n'aide pas de savoir que je n'ai pas beaucoup de temps. Si je reste ici trop longtemps, Ewald va s'inquiéter et me déranger.

Ewald… Je croyais être en colère contre lui et les autres, et je l'ai été, mais je crois que je suis trop fatiguée pour le rester. Résignée. Je ne suis même plus capable de leur en vouloir. Je me sens juste trahie. Dans le même temps, je suis heureuse d'avoir revu Quentin. Quentin… Je ne peux pas penser à lui pour l'instant, tout est trop complexe. Néanmoins, penser à lui me fait penser à Alphonse. Al' qui a bravé la loi pour organiser ce rendez-vous. En toute connaissance de cause, il a fait quelque chose qu'il n'a jamais osé pour son amour. J'ai du mal à savoir ce que je pense de ça. Je crois que j'éprouve du respect quelque part, et le sentiment d'avoir reçu un cadeau pas du tout mérité. Il n'aurait pas dû prendre tant de risques. Une pensée me transperce : à quel point lui, et les autres, étaient désespérés pour mettre en place ce plan ? Mon sentiment de trahison recouvre cette pensée, rapidement, mais en atténue tout de même l'impact. Ils se sont véritablement comportés en amis. Je le sais. Quentin semblait vraiment être reconnaissant pour ce qu'ils ont fait… Mais je suis toujours incapable de penser à lui.

Je respire profondément, et j'essaye de comprendre ce que je ressens. Tellement d'émotions se bousculent que je n'arrive pas à les différencier. Les sentiments se teintent les uns les autres, se mélangeant sans suivre aucune règle. Le soulagement et la peine. La reconnaissance et le sentiment de trahison. L'amour et la douleur. Et toujours ce putain de sentiment de deuil que je ne comprends pas… À présent que j'ai revu Quentin, le sensation de manque est exacerbée, même si elle est couplé d'une forme étrange de paix. Exacerbée, parce que sa présence a ravivé le souvenir de notre temps ensemble. Mais, dans le même temps, je ressens cette paix à l'idée de l'avoir revu, à l'idée d'avoir pu parler avec lui. Qu'il sache que je suis en vie… Je n'aurais jamais fait ce pas vers lui. Je ne suis toujours pas sûre que ça soit un bon choix, et ce qui est sûr c'est que j'aurais aimé avoir décidé. J'ai l'impression que mon sentiment de deuil est lié à Quentin, et je me demande si c'est aussi lié à ce manque de choix, justement… Un frôlement à la lisière de mon esprit rompt ma réflexion. Ewald.

Fermement, je dresse mes murailles occlumentiques. Je n'ai pas envie de lui parler, pas envie de parler tout court. Je veux juste de la paix pour faire le tri dans mon esprit. Et, même si je n'arrive plus à ressentir ma colère pour ça, il m'a trahie. Lui et les autres. Je ne veux pas lui ouvrir mon âme après ça. Peu importe qu'ils aient eu de bonnes raisons (au moins selon eux), peu importe la reconnaissance de Quentin, ma joie de le revoir. Peu importe même le fait que ça aie peut-être été une bonne décision, d'une certaine façon (et je repousse cette pensée dès qu'elle me vient). Ils ont tout de même trahi une confiance que j'ignorais placer en eux, et ça entache ma relation avec eux. Ils n'en ont pas encore conscience, peut-être. Moi même, je ne sais pas à quel point c'est grave pour moi. Mais le fait demeure, et je ne peux pas l'ignorer.

« Vivian ?! » demande la voix alarmée d'Ewald

« Je vais bien ! » je grogne, avant d'ajouter « Je ne suis pas en train de me couper ou quoi que ce soit que tu sois en train d'imaginer. Tu peux me foutre la paix ? »

J'aurais aimé que ma colère ne transparaisse pas, mais c'est trop tard. La voix d'Ewald me parvient à nouveau, plus près de la porte, avec un ton désagréablement raisonnable :

« Je ne voulais pas te déranger, mais tu comprends bien que je m'inquiète. Aujourd'hui… A été riche en émotions pour tout le monde, je pense, et tu es restée silencieuse très longtemps. Étant donné la situation, je ne peux pas juste te laisser tranquille, et j'en suis désolé. »

Je ne prends pas la peine de répondre à ça, et sors de la douche rapidement. Je ne pourrai plus réfléchir en paix pour le moment. Je suis un peu frustrée et dans le même temps infiniment lasse. Heureusement, j'ai encore une lame dans ma malle si besoin. Peut-être que ça m'aidera à penser plus clairement ? J'ai un reniflement de dépit, intérieurement. Je me coupe depuis trop longtemps pour me mentir. Ça me calmera, peut-être. Mais ça ne fera qu'ajouter d'autres pensées conflictuelles et le souci de cacher les marques. Peu importe, je le ferai quand même. C'est pas comme si j'en avais quoi que ce soit à foutre.

Ewald a au moins le bon goût de ne pas chercher à faire la discussion sur le chemin qui retourne aux chambres. Il se contente simplement de me demander, quand on arrive :

« Tu veux que je demande à un elfe de rester avec toi cette nuit, ou tu préfères que ce soit moi ? »

Je souffle fortement par le nez, agacée.

« Je suis capable de dormir sans babysitter. Mais tu fais comme tu veux, hein, c'est pas comme si j'avais le choix de toute façon, hein ? C'est pas comme si j'avais un seul putain de choix ! »

Instantanément, je m'en veux d'avoir crié. Je rentre dans ma chambre sans attendre de réponse, et à ma grande surprise, Ewald ne me suit pas. Je respire profondément pour essayer de me calmer. Je me doute bien que je ne vais pas m'en tirer à si bon compte. J'ai été surprise par ma colère, peut-être même davantage que le Serpentard. Je n'avais pas compris que j'en ressentais encore.

Comme je le supposais, on frappe à ma porte quelques minutes plus tard, et Ewald rentre dans la pièce. Sans un mot, il vient s'asseoir dans un fauteuil plutôt que sur mon lit comme il en a pris l'habitude.

« Vivian… Je suis désolé que tu doives subir ces contraintes. Mais je pense que tu comprends pourquoi elles sont là. Tu dis que tu n'as pas de choix, mais le problème c'est que certains des choix que tu as fait me font trop craindre pour ta vie pour que je puisse te laisser tranquille. Nous ne voulons pas te perdre, mais nous ne voulons pas te trahir non plus. Si tu as des suggestions, je suis prêt à les écouter.

-Qu'est-ce que tu penserais d'aller tous vous faire foutre ? Tu dis que vous ne voulez pas me trahir alors que c'est précisément ce que vous avez fait ! J'espère que ça vous amuse au moins ! »

Oups. On dirait que je n'ai pas réussi à me calmer, au final. Le visage d'Ewald devient une façade neutre. Il occlude. Peut-être que je l'ai blessé, peut-être pas. Je n'aime pas le voir avec ce masque sur son visage.

« Tu considères qu'impliquer Quentin était une trahison ? » sa voix est calme, sans émotion. Je déteste ça, ça sonne raisonnable, ça m'insupporte. Comme si ce n'était pas évident.

« Bien sûr que c'est une trahison ! Après, c'est ma faute hein, je ne sais pas pourquoi j'ai cru que vous garderiez mes confidences pour vous. Même avec toutes ces années, faut croire que je suis toujours aussi conne. » je finis ma tirade avec dépit.

La confiance trahie fait toujours aussi mal. Je n'avais pas réalisé que c'était ça, le nœud du problème. Ils m'ont trahi, comme Mélanie avant, comme Jérémy, comme Quentin dans une moindre mesure. Je ressens un mélange de douleur et de colère. Le pire, c'est que ma colère est surtout dirigée envers moi même. Il y a une raison pour laquelle je ne dois faire confiance à personne. Dès que je romps mes règles, j'en paie le prix. J'ai envie de pleurer, parce que ça fait mal, et j'ai envie de me couper, parce que je me hais.

À la place, je dresse mes propres murailles occlumentiques, et j'offre le visage le plus neutre que je peux à Ewald, qui n'a pas encore répondu.

« Vous n'auriez pas dû l'impliquer, alors qu'il avait fait son deuil et qu'il vivait sa vie en paix. Ce n'est pas juste pour lui. Il a l'air d'encore tenir à moi. Qu'est-ce que ça va lui faire, vous croyez, le jour où on va retrouver mon cadavre, hein ? »

Ma formulation est une forme de mensonge, parce que je suis sûre qu'il tient encore à moi. Je le crois. J'en douterai peut-être plus tard, mais pas maintenant, pas après cette après-midi.

Ewald me répond après quelques secondes de silence, d'une voix qui parvient à sonner à la fois raisonnable et peinée.

« Nous étions démunis. La situation ne pouvait pas rester comme ça, ni pour nous ni pour toi. Nous ne pouvions pas te surveiller en permanence, et tu souffrais de tout ça. Pour autant, nous ne voulions pas te trahir en parlant de toi aux adultes. L'alternative proposée par Alphonse a semblé être un bon compromis, même si il était désespéré. »

Lorsque je ne réponds pas, Ewald continue son argumentaire, d'un ton raisonnable qui m'horripile.

« Il y avait peut-être d'autres façons de faire, mais nous n'y avons pas pensé. Nous étions pressés par le temps. Peut-être qu'on aurait dû simplement lui dire que tu étais en vie, qu'on a eu tort de lui exposer plus de détails. Rétrospectivement, je pense que c'est plutôt comme ça qu'on aurait dû agir, et il est déjà trop tard. Je suis désolé pour ça, effectivement. Mais je ne suis pas désolé d'avoir fait tout ce que je pouvais pour t'empêcher de mourir, tout en faisant de mon mieux pour respecter ta vie privée. » Le Serpentard pousse un long soupir qui craquelle un peu sa façade avant de poursuivre. « À choisir entre Quentin et Mme Pomfresh, je suis persuadé que je connais ton choix. C'est pour ça que c'est celui là qui a été fait. Je te demande pardon de n'avoir pas pensé à ne pas lui dire tout ce que tu nous as raconté. Mais c'est je ne m'excuserai pas pour le reste. C'était nécessaire. »

Le silence retombe entre nous, que je ressens comme hostile. Je ne réponds rien. Rationnellement, je comprends leurs raisons, mais ils ont tout de même piétiné ma confiance, et ce sentiment de trahison ne se laisse pas silencier facilement, même par de belles justifications. J'ai eu tort de donner ma confiance, c'est sûr. Mais ils n'avaient pas à la trahir. Ewald ne dit plus rien, semblant attendre une réponse de ma part. Je finis par lui dire, froidement :

« Je prendrai l'elfe de maison comme surveillant, merci. »

Le Serpentard semble hésiter à ajouter quelque chose, mais finit par se lever sans un mot. Une fois à la porte, il se retourne et me dit :

« Bonne nuit, Vivian. »

Je marmonne un bonne nuit en réponse, et il sort enfin de la pièce.

Je garde mon masque neutre bien en place alors que je fouille dans ma malle à la recherche de mon pyjama. Je récupère aussi discrètement ma dernière lame de rasoir, puis je me change sous mes couvertures, glissant la lame sous mon oreiller. Je m'allonge comme pour dormir, et je commence ma longue veille. Penser pouvoir dormir après aujourd'hui aurait été terriblement naïf. Au début, j'essaye de ne pas penser. Je me coupe le plus discrètement que je peux, au torse à défaut de mieux. Je ne peux pas laisser Ewald savoir que j'ai encore une lame. J'en ai besoin. Les coupures m'apaisent à peine. Je tiens le plus longtemps que possible, mais mes pensées tournent en boucle dans ma tête, et je commence à pleurer. La trahison fait si mal. Je le savais, et j'ai quand même laissé d'autres gens savoir qui je suis. Je le savais, et je n'ai pas suivi mes règles. Tout le monde finit par te trahir. Certains par ignorance, d'autres parce qu'il n'y accordent pas d'importance, et à priori d'autres aussi parce qu'ils sont persuadés de bien faire. Je suis tellement stupide ! Et c'est tellement solitaire, de ne faire confiance à personne ! Mes sanglots prennent de l'ampleur, et j'essaye de les étouffer dans l'oreiller avant que l'elfe n'aille chercher Ewald.

Je dois échouer, car je sens une légère poussée mentale sur mes boucliers. Je refuse le contact à Ewald. Je l'entends s'asseoir devant la porte à l'extérieur de la chambre, doucement. Il ne dit rien, mais il reste là. Sa présence fait taire mes sanglots, d'instinct, à croire que profondément enfouie en moi est la nécessité absolue de pas laisser voir mes faiblesses, plus puissante encore que mon chaos mental. Il y a quelques jours, il m'aurait entendue pleurer. Putain, il y a quelques jours je lui aurais peut-être même fait un câlin pour me calmer. Mais il a basculé dans le clan des traîtres, et c'est viscéral. Il ne verra rien. Parce que je me rappelle, maintenant, de ne pas donner ma confiance. Je me demande si l'elfe de maison me surveille toujours. Peut-être que non, peut-être qu'il n'y a qu'Ewald pour l'instant. Peut-être que je pourrais planter ma lame dans ma gorge pour en finir. Comme je suis moi, je pense instantanément à un moyen de vérifier. Il me suffirait de faire mine de vouloir utiliser les draps pour me pendre. Et si personne ne m'arrête, et bien...

Est-ce que je vais vraiment oser ? Avec Ewald juste de l'autre côté de la porte ? Je ne pourrais pas vraiment me pendre, de toute façon, car il entendrait. Mais ma lame, elle, est silencieuse. Si je ne suis plus sous surveillance, à part sous celle du Serpentard, alors j'ai une chance. Il suffit qu'il ne comprenne qu'un poil trop tard, et la magie ne pourra plus rien. J'ai un sentiment étrange en cet instant, peut-être une forme de culpabilité à l'idée d'agir, de trahir Ewald bien plus qu'il ne m'a trahie. J'en sais assez sur lui pour savoir qu'il ne se le pardonnera jamais, si je meurs comme ça, de l'autre côté de la porte qu'il garde. Je connais assez Arthur pour savoir qu'il s'effondrera, persuadé comme il est de la beauté du monde et de la puissance de l'amour. Al'… Il sera en colère. Lui, il me haïra sans doute. C'est sans doute le mieux, ce qui lui fera le moins de mal et que je mérite.

Je pense à tout ça avec un certain détachement. J'ai conscience de l'impact que ma mort aura sur eux, mais je sais que ce n'est pas suffisant pour m'empêcher de me tuer. Pas après ce qu'il s'est passé aujourd'hui. J'ai trop mal, je n'ai jamais voulu vivre, et je n'ai tout simplement pas envie de subir encore l'acharnement de mes amis à me faire renoncer à mourir. Les connaissant, je n'aurai pas beaucoup d'occasions. Et aussi, il faut être lucide, je me doute bien que si ils ne voient pas d'amélioration après aujourd'hui, si ils ne sont pas certains que je ne présente plus de risque, ils vont finir par en parler aux adultes. Et à ce moment là, je pourrai dire adieu à ma liberté pour de bon. Je suis juste le fantôme d'une autre époque, d'un autre monde, qui n'aurait jamais dû se retrouver là. Revoir Quentin n'a fait que renforcer ce sentiment. Pour lui, je suis véritablement un fantôme. Sa meilleure amie morte qui n'a jamais grandi. J'ai bien senti, en lui parlant, qu'il était devenu Adulte. Moi, je n'ai jamais vraiment évolué. Un fantôme dans un corps d'enfant. Un corps qui aurait dû marcher, rire, pleurer et être heureux avec sa famille, mais qui au lieu d'apporter la joie à mes parents est devenu moi. Ils m'aiment, sans doute, mais le lien n'est pas ce qu'il aurait dû être. Je ne sais pas. Dans tous les cas, ces gens là ne m'importent pas réellement. Ceux qui importaient ne me comprennent pas, et refusent de me laisser partir.

Je pense à tout ça, avant de passer à l'action. J'y pense, parce que si je dois agir, je dois le faire résolument, savoir précisément ce que je veux, ne pas hésiter. Parce que je n'aurai pas beaucoup de temps. Mais j'y pense, en sachant très bien que je ne peux pas laisser passer une telle chance. Est-ce que c'est un piège ? Je ne sais pas. Rationnellement, je pense qu'il y a peu de chances. Je finirai bien par le savoir. De toute façon, qu'est-ce qu'il peut se passer si je me fais attraper ? Le pire serait qu'ils me dénoncent aux adultes, mais jusqu'à présent ils n'en ont rien fait. Et puis, je pourrai toujours dire que je ne voulais pas réellement mourir, en faisant mine que c'est une révélation pour moi, parce que j'aurais choisi une méthode trop lente et bruyante pour me tuer, en sachant qu'Ewald était là. C'est un peu tiré par les cheveux peut-être, mais je calcule froidement que ça pourrait marcher, surtout avec Ewald. Quitte à y sacrifier ma lame de rasoir, pour prouver que j'aurais pu me tuer plus efficacement.

C'est avec un sentiment diffus de tristesse et de culpabilité, mais avec une détermination tranquille que je dissimule ma lame dans mon oreiller, au cas où je serais sous surveillance, pour ne pas la perdre si ce n'est pas vital. Je rassemble mon drap et noue un nœud coulant aussi silencieusement que je peux. Pour l'instant, rien ne bouge. Je me lève ensuite le plus discrètement possible sur le lit, ramassant le drap, me mettant sur la pointe des pieds pour atteindre la poutre du baldaquin. J'y accroche l'extrémité du drap, positionnant le nœud à la bonne hauteur. Si je dois être interrompue, c'est très bientôt. Pourtant, je passe le nœud autour de mon cou sans être arrêtée. Je me sens presque euphorique.

« Vivian ? »

Je me fige, mon cœur rate un battement. Ewald a parlé à voix basse, mais je l'entends parfaitement, alerte comme je suis.

« Oui ? »

Il n'a pas encore ouvert la porte. Tout n'est pas perdu.

« Tout va bien ?

-J'essaye de dormir. » je répond, essayant d'injecter de l'agacement dans ma voix pour rendre ma réplique plus crédible.

Dans le même temps, silencieusement, je retire ma tête du nœud, essayant de remettre tout en place au cas où il entrerait.

« Tu veux que je vienne te tenir compagnie ?

-Je veux que tu me laisses tranquille.

-Très bien. » me répond-il, d'un ton neutre.

J'entends Ewald se redresser de l'autre côté du mur, et je panique. Si il part, l'elfe reviendra sans doute.

« Ewald ! » je me reprends, gommant la panique de ma voix du mieux que je peux. « Reste là où tu étais, s'il-te-plaît. »

Pendant un instant, je crois qu'il va me trouver suspecte et entrer, ou partir parce que je l'aurais blessé. À la place, il se rassoit doucement, et je parviens à détacher le nœud coulant, maintenant que mes mains sont moins crispées.

« Merci. Bonne nuit ! » je lui lance, doucement.

Je me hais de le tromper ainsi.

« Bonne nuit. » il me répond, avec autant de douceur.

Il ne suspecte rien.

Je retire le drap du baldaquin, pour que tout aie l'air normal si il devait ouvrir la porte. Je me rallonge dans le lit. Je récupère la lame. Lorsqu'elle se pose sur mon cou, je suis un peu désolée de mourir ici, de penser au moment où Ewald va trouver mon corps, mais il ne m'a pas laissé le choix. Si je pouvais, j'aurais choisi un autre endroit. Mais je dois mourir ici, tant pis. Je prépare mon bras, et je presse la lame contre mon cou, commençant à tirer.

« Qu'est-ce que ça va lui faire, vous croyez, le jour où on va retrouver mon cadavre, hein ? »

Je me fige. La lame a à peine entamé ma peau, mais je suis incapable d'aller plus loin. Parce qu'il y a Quentin. Quentin, à qui j'ai dit qu'on se reverrait. Quentin, qui sait que je suis en vie, qui m'a clairement dit qu'il ne me voulait pas morte. Je ne peux pas traiter ses sentiments avec autant de mépris. Je ne peux pas mourir.

Mais je veux mourir, je veux disparaître, je ne veux pas exister ! Je ne supporte plus tous ces jours semblables qui se suivent et ces nuits qui s'enchaînent sans m'apporter le moindre réconfort. Je n'en peux plus de la douleur, de rester dans mon esprit où mes démons s'en donnent à cœur joie ! Et tout d'un coup, alors que j'ai enfin l'occasion que j'attends depuis une semaine, je ne peux plus me tuer ? Il n'y a personne pour arrêter mon bras, personne d'autre que moi.

C'est au moment où je perds tout espoir que je réalise que j'en avais encore en moi.

Jusqu'à présent, j'avais de l'énergie, j'avais un but. Certes, tous mes espoirs, toute cette énergie, étaient tournés vers la mort. Mais ce but m'animait. Soudain, même cette liberté est hors de portée, parce que mon putain d'esprit accorde trop d'importance à un ancien ami. Un ancien ami qui a habité mes songes et mes réflexions pendant onze ans, certes. Un ancien ami qui pourrait paraître insignifiant, à côté de mes amis de Poudlard, mais qui représente trop de choses pour moi pour être laissé pour compte. Un ancien ami qui m'a déjà perdu une fois. Un ancien ami qui pourrait bien toujours tenir à moi et souffrirait trop de m'avoir revue juste pour que je lui sois à nouveau arrachée. Je me hais. Je me hais tellement en cet instant. Je hais aussi Alphonse, Arthur et Ewald pour m'avoir fait revoir Quentin. Sans eux, je serais enfin morte.

Mais bien vite, tout comme mes espoirs, ma haine se délite. Un rire fou menace de s'échapper de mes lèvres. Je suis réellement brisée, cette fois. Les autres peuvent se réjouir, ils ont trouvé la laisse parfaite. Je suis à présent incapable d'attenter sciemment à ma vie. Je retiens mon rire, à peine, pour ne pas qu'Ewald ne soit alerté. Je ne sais pas à quoi ça rime encore de préserver mes secrets et les apparences, mais mon instinct pour ces choses là est fort.

Je m'allonge juste dans mon lit, tailladant mes cuisses, encore et encore, dans un geste aussi vide que moi. Par réflexe, je coupe à des endroits peu visibles. Par habitude, je m'assure que le sang ne tâchera rien. Quelle comédie absurde ! Je me coupe aussi aux bras, je ne m'arrête que quand mon corps entier brûle, parce que tout ça ne sert à rien. La voici enfin, l'explication à mon étrange sensation de deuil ! Sans le savoir, je faisais le deuil de mon ultime liberté…

xxx

Des coups à la porte me réveillent le lendemain matin. Je n'ai pas vraiment dormi, à peine somnolé par ci par là. La voix d'Arthur me parvient à travers le bois :

« Debout Vivian, c'est l'heure du petit déjeuner !

-J'arrive. » je réponds, parce que c'est ce qu'il attend de moi.

Je m'habille rapidement, choisissant un tee-shirt à col roulé pour dissimuler la blessure sur mon cou. La lame n'a pas eu le temps de se plonger trop profondément dans ma peau, mais a tout de même laissé une entaille peu discrète sur le côté de ma gorge.

Bouger est douloureux, après toutes les coupures que j'ai faites cette nuit. Ça ne m'arrache même pas une grimace. Je suis beaucoup trop dissociée.

Arthur m'accueille avec un grand sourire, et me demande comment je vais. Je lui dis que je suis fatiguée, et il continue la conversation en parlant de Quentin, en me demandant si je suis contente de l'avoir revu, si on a prévu de se revoir, etc. Mes réponses doivent être plutôt molles, parce qu'il finit par me demander à nouveau si ça va. Je noie le poisson en lui disant que j'ai juste eu du mal à dormir, et il semble accepter la réponse. J'agis de même au petit déjeuner. Je mange suffisamment pour qu'on me fiche la paix, je réponds quand on me parle, je ne fais pas de vagues. Je suis même bruyante, je fais des blagues, pour détourner l'attention. Rosemary déjeune avec nous, et nous demande comment était notre séjour en France. Je suis toujours dissociée. J'étais exactement pareil, au lycée, avant de rencontrer Quentin.

Après le petit déjeuner, nous nous retrouvons entre jeunes dans la bibliothèque. Je suis un peu plus attentive à ce qu'il se passe, à peine. Après tout, c'est le grand moment de la révélation sur l'homme qui m'a forcée à revivre. Ewald me demande si je veux raconter, mais je lui fais signe de résumer, prétextant qu'il a un meilleur esprit de synthèse que moi. J'ai l'impression qu'il marche un peu sur des œufs avec moi. Il a peut-être peur que je sois encore en colère ? Comme si je pouvais encore l'être. On n'est pas en colère, quand on est une coquille vide.

Arthur et Alphonse réagissent de façon étonnamment similaire au récit d'Ewald. Ils veulent tous les deux trouver celui qui a fait ça et le traduire en justice. Le problème, c'est qu'on ne sait toujours pas qui il est.

« Son visage me disait vraiment quelque chose, mais je n'ai pas encore réussi à retrouver qui il est. » dit Ewald « Néanmoins, grand-mère a accepté de me laisser accéder à sa pensine. Peut-être qu'en revoyant le souvenir plus précisément, je pourrai identifier cet homme. Et puis, je pense que ce serait bien qu'on aie tous en tête à quoi il ressemble. »

Il nous explique brièvement à quoi sert une pensine, et à quoi s'attendre si on s'en sert. Les deux autres se tendent, intéressés. Je ne suis pas surprise d'apprendre que la grand-mère d'Ewald aie un tel artefact magique en sa possession. Le Serpentard se tourne vers moi.

« Bien sûr, nous ne ferons ça que si tu es ok avec, Vivian. J'ai conscience de t'en demander beaucoup, et je comprendrai si tu n'as pas envie de partager tes souvenirs. On peut aussi utiliser mes souvenirs de tes souvenirs, si besoin, même si ce sera moins précis... »

Je hausse les épaules.

« Pas de problème, allons-y. »

Le Serpentard me lance un regard aigu, surpris peut-être que je n'aie même pas de conditions à poser. Néanmoins, nous nous mettons tous en route vers la dépendance habitée par la grand-mère d'Ewald. En chemin, je sens Alphonse vibrer d'une énergie nerveuse. Je crois qu'il veut vraiment en découdre. Moi, j'essaye d'emplir mon esprit de neige, et j'essaye de profiter du silence alors que les autres ne cessent de le rompre.

L'apparition de la grand-mère d'Ewald sur son porche calme instantanément les ardeurs d'Alphonse. Arthur la salue gracieusement, tandis que le Gryffondor se montre étrangement respectueux. Il doit vraiment être reconnaissant pour la pensine. Je me fends aussi d'une salutation polie et neutre, et la vieille dame prend le temps de nous dévisager avant de nous autoriser l'entrée dans sa demeure.

« Essuyez vous bien les pieds en rentrant. Ewald, je vous ai installés dans mon cabinet personnel. Il va sans dire que je te tiendrai pour responsable pour tout débordement. Je serai dans le salon d'hiver. Préviens moi lorsque vous aurez fini.

-Bien, grand-mère. »

Nous entrons tous respectueusement à la suite du Serpentard, essuyant soigneusement nos chaussures pour ne pas apporter de neige fondue à l'intérieur. La dépendance (qui a tout d'un petit manoir) est assez sombre, éclairée par des chandelles. Nous suivons Ewald jusqu'à une pièce au premier étage qui ressemble à une bibliothèque avec un bureau. Derrière celui ci, de hautes fenêtres offrent une vue un poil lugubre sur le parc qui résonne avec mon humeur. Des squelettes d'arbres enneigés pointant leur branches nues vers le ciel gris. Sur le bureau, la pensine nous attend. Je n'y prête sans doute pas autant d'importance que je devrais, et je trouve presque la vue du dehors plus intéressante.

Une fois que nous nous sommes tous entassés dans la pièce, nous formons une ronde autour du bureau. Ewald me dévisage à nouveau, semblant chercher une trace de doute en moi.

« Tu veux toujours le faire, Vivian ?

-Dis moi juste comment procéder. », je soupire.

Arthur se tortille, un peu mal à l'aise. Je crois qu'il a remarqué quelque chose. Ewald, lui, sort sa baguette de sa poche et m'explique qu'il va s'en servir pour extraire mon souvenir, et que tout ce que j'ai à faire, c'est d'y penser. Il me demande si je suis prête, puis approche la pointe de sa baguette de ma tempe. Je ressens une vague émotion, un peu étrange, à me voir ainsi menacée par une arme. Même si il n'y a aucune intention hostile de la part de mon ami, je prends une forme de plaisir à fantasmer sur lui lançant un sort sur moi pour me tuer. J'aimerais qu'il me tue.

L'extraction de souvenir est rapide et étrange. Je sens le souvenir défiler rapidement, et une forme de double s'en détacher pour suivre une traction invisible qui le ferait sortir de mon crâne. Je regarde le fin filament argenté suivre la baguette d'Ewald avec un léger regain d'intérêt. À ce stade, Arthur a une expression un peu solennelle et le Serpentard a l'air concentré, mais c'est à peine si Alphonse ne trépide pas d'impatience. Le filament de mémoire entre en contact avec la surface de la pensine, s'y dissolvant, faisant tournoyer des images évanescentes dans le courant surnaturel formé dans le récipient.

Sur de dernières recommandations d'Ewald, nous entrons tous, tour à tour, dans le souvenir. Plonger la tête dans la pensine est étrange. Le contact avec le liquide à l'intérieur n'a pas de substance, si je devais le décrire ce serait comme traverser un rayon de soleil, une zone plus tiède, plutôt que de toucher un liquide. Je suis brièvement désorientée tandis que je prends la mesure du décor. Mon souvenir, autrefois corrompu, se lance alors que les autres se rassemblent autour de ma silhouette solitaire dans un couloir de Poudlard. Je me joins au groupe et j'observe mon double avancer de quelques mètres, arriver à un croisement, et être interpellée par un homme qui m'appelle Aurore.

Dès qu'il le voit, Arthur s'exclame :

« Je connais cet homme ! C'est le docteur Kayns ! »

Ewald se tourne vers lui avec vivacité, en s'exclamant :

« Mais bien sûr ! Je comprends pourquoi il était familier !

-C'est qui ? » demande Alphonse

« On t'expliquera après, ils vont entrer dans la salle, regardons la suite du souvenir. »

Alphonse a l'air mécontent, mais ne proteste pas, et nous entrons dans la salle de classe à la suite de mon double et du docteur.

À partir de là, je dissocie de plus en plus, alors que l'homme me rend violemment mes souvenirs et que je réalise tout ce qu'il s'est passé. Que je réalise que je peux mourir. La Vivian de mon souvenir a encore sa liberté, a encore des chances de pouvoir en finir. Arthur semble avoir du mal à regarder quand la Vivian du souvenir se coupe pour garder la mémoire de ce qu'il se passe. Alphonse vibre d'une tension mal contenue, et l'énergie qu'il met à se taire et rester là est presque palpable. Ewald, lui, observe tout. Lorsque son regard se pose sur moi, il pâlit un peu.

« Vivian ? Tout va bien ? »

Je hausse les épaules

« Oui, pourquoi ? »

Les autres se sont aussi tournés vers moi, et sursautent

« Tu es presque transparente ! S'exclame Alphonse

-On va s'arrêter là. » dit fermement Ewald. « Je ne sais pas ce qu'il se passe. »

Joignant le geste à la parole, il fait… quelque chose, et nous nous retrouvons à nouveau dans le bureau de sa grand-mère, vaguement essoufflés.

Aussitôt, les autres se tournent tous vers moi, cherchant du regard quelque chose d'étrange qu'ils ne semblent pas trouver.

« Tu te sens bien, Vivian ?

-Euh… oui ? Je ne vois pas trop ce qu'était le problème.

-Tu nous voyais dans le souvenir, non ? On était tous comme tu nous vois maintenant. »

Docilement, je hoche la tête.

« Toi, tu étais presque invisible, tu ressemblais à un fantôme. »

À part moi, je me dis que c'est parfaitement approprié. Le regard d'Ewald se fait scrutateur.

« Tu n'as rien bu d'étrange ou de dangereux, n'est-ce pas ?

-Pas à ma connaissance. » je réponds, haussant les épaules avec une nonchalance qui a l'air d'agacer le Serpentard. Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais je commencerais presque à trouver la situation rigolote. Ce n'est pas le cas des autres, et Ewald demande à Arthur :

« Tu as appris à lancer un sort de diagnostic, il me semble ?

-Oui, je fais ça tout de suite. » répond le Poufsouffle avec empressement.

Évidemment, personne ne me demande mon avis. Je ne dis rien de toute façon, je doute que protester serve à quelque chose, à part peut-être à me rendre plus suspecte. Arthur se concentre, et lance le sort. Des données lumineuses apparaissent dans les airs, flottant au niveau de ses yeux. Il les plisse pour mieux lire ce qui est écrit. Intéressant comme concept, le sort de diagnostic qui donne une migraine au lanceur du sort. Finalement, le Poufsouffle prend la parole, tirant ses conclusions à voix haute.

« Il n'y a rien d'anormal, à part… Vivian, tu t'es coupée ? » demande Arthur d'une voix peinée.

Étonnamment, je ne ressens pas grand-chose, mon cœur a à peine un raté lorsque je suis percée à jour.

« Possible ! » je réponds, avec un petit rire qui semble énerver mes interlocuteurs. En tout cas, Alphonse pousse un juron. Je suis beaucoup trop dissociée pour me soucier de ça.

« Je vais te soigner. » dit Arthur, semblant prendre sur lui pour rester calme.

« Non merci. » je réponds d'un ton presque gai, avant de me tourner vers Ewald. Je viens d'avoir une révélation.

« Je pense que j'ai une théorie sur pourquoi j'étais transparente. »

Apparemment, cette annonce est suffisamment intéressante pour que les autres se taisent quelques instants et me fichent la paix avec mes coupures.

« Nous t'écoutons. » répond calmement le Serpentard.

« Je veux d'abord savoir qui est ce docteur Kayns.

-Comprendre ce qu'il t'arrive est plus important. »

Une pointe d'agacement perce en moi. Je n'ai pas vraiment envie de parler de ça devant tout le monde.

C'est marrant, je n'aurai aucun problème à le mentionner devant chacun individuellement, mais quand il s'agit d'en parler « au groupe » je suis freinée. L'agacement s'efface vite néanmoins, comme le reste, parce que ça demande trop d'énergie. Du coup, je me contente de répondre, pour qu'on me foute la paix :

« Mon esprit n'était qu'à moitié là, parce que j'étais en train de dissocier. »

-Ça veut dire quoi, ça ? » demande Alphonse.

Ewald ne dit rien, mais j'ai l'impression que lui aussi l'ignore. C'est bien ma chance. Avec son cursus vaguement médical, seul Arthur a l'air de savoir de quoi je parle, ou peut-être à cause de sa rencontre avec le pédophile. Je n'ai pas vraiment envie d'expliquer, mais comme toujours je n'ai pas vraiment le choix.

« En gros ça veut dire que mon esprit fait comme s'éloigner de la réalité, elle a moins de relief et moins de... réalité justement.

-C'est grave ? » Demande Al', d'un ton inquiet.

« C'est un mécanisme de défense naturel, intervient Arthur. Ça permet de se distancier de certaines émotions, ou de certains traumatismes. Ce n'est pas quelque chose de magique, juste la façon dont le cerveau fonctionne. Les moldus sont beaucoup plus avancés que nous sur ces sujets là.

-Et tu penses que ça explique ce qu'il s'est passé dans la pensine ? » demande Ewald, en se tournant vers moi.

« J'étais assez dissociée, alors que vous étiez tous, je pense, très concentrés sur ce qu'il se passait.

-Hmm. » fait Ewald, semblant réfléchir à ma théorie. « Il faudra que je me renseigne sur ça, mais je suppose que c'est possible. Tant que tu n'es pas sur le point de mourir, c'est l'essentiel. »

Arthur n'a pas l'air d'apprécier la formulation, et Alphonse demande avec un brin d'impatience :

« Alors, qui est cet homme, ce docteur ? »

À mon grand plaisir, la question de mes coupures passe à la trappe pour l'instant, même si je n'ai pas la naïveté de penser qu'Ewald a oublié. À nouveau, c'est Arthur qui prend la parole :

« C'est un scientifique ! C'est un ancien médicomage qui fait exclusivement de la recherche, il a créé plusieurs inventions super utiles ! C'est un génie !

-Nous l'avons rencontré en Novembre dans le cadre de rencontres professionnelles pour nous aider à choisir une orientation, explique Ewald. Si je me souviens bien, c'est la première fois qu'il se déplaçait pour un tel événement.

-C'est ça ! Il est connu pour rester isolé, à se concentrer sur ses recherches.

-Mais il a dû avoir besoin d'un prétexte pour entrer à Poudlard, pour pouvoir examiner Vivian. » réfléchit Ewald.

-Ce serait logique. » admet Arthur, l'admiration dans sa voix disparaissant peu à peu alors qu'il reprend conscience de pourquoi nous parlons de cet homme.

« Et on fait quoi, du coup ? » demande Alphonse « On le dénonce à la police ? »

Je me glace en entendant ça. Si il balance Kayns, il me balance aussi. Comment le monde magique va réagir en apprenant ce que je suis ? Je n'ai pas envie de finir enfermée dans un labo. Je n'ai pas envie d'être connue et observée comme une bête curieuse. En plus, si ce Kayns est aussi admiré que je soupçonne après avoir entendu le discours d'Arthur, alors il aura des soutiens, et sans doute pas mal de moyens de se défendre. En plus, pour ce qu'on en sait, il a fait quoi ? Sauvé ma vie ? Peut-être au détriment de l'âme du corps dans laquelle il m'a mise, peut-être pas. On ne sait rien de ce qu'il a vraiment fait, et avec les informations qu'on a on risque de juste le faire passer pour un saint, tout en détruisant le peu de vie privée qu'il me reste. Heureusement, je n'ai pas le temps de continuer à paniquer, parce qu'Ewald intervient.

« Pour l'instant ? On va enquêter. On va se renseigner un maximum sur lui. On va préparer le terrain. On ne sait pas ce qu'il a fait, précisément. On sait peu de choses sur lui. Il est connu et respecté. On ne peut pas l'accuser avec aussi peu de preuves, et il faut savoir de quoi on veut l'accuser, aussi. »

Mouché, Alphonse garde le silence. Arthur intervient doucement :

« Il faudra réfléchir à comment en parler, aussi, une fois qu'on aura plus d'informations. Je n'ai pas vraiment envie de jeter Vivian en pâture aux journalistes.

-Et je n'ai pas la moindre envie de finir disséquée par des scientifiques curieux, hein, au cas où quelqu'un se soucie de mon avis. » j'ajoute, avec une pointe de venin qui passe par dessus la tête du Poufsouffle, mais qui fait hausser un sourcil à Ewald.

« Bien sûr qu'on se soucie de ton avis ! » s'écrie Alphonse.

Un petit rire m'échappe malgré moi, que je parviens à dissimuler en détournant la tête.

« Je n'en doute pas une seule seconde. » je réponds, d'un ton neutre. Je n'ai pas l'énergie de me disputer avec le Gryffondor pour le moment.

En tout cas maintenant je peux être certaine qu'Ewald aura une petite discussion avec moi dès qu'il pourra me parler seul à seule. Je suis surprise qu'il n'aie pas encore tenté de communiquer télépathiquement avec moi, d'ailleurs.

« Nous ne pourrons sans doute pas progresser beaucoup dans nos recherches tant que nous seront ici. » reprend le Serpentard « Mais je parlerai avec ma grand-mère. Elle aura peut-être des informations.

-Tu penses qu'ils prennent régulièrement le thé ensemble ? » demande Alphonse, qui a l'air de ne toujours pas être fan de la vieille femme

« Grand-mère siège au Magenmagot, et fréquente beaucoup de gens haut placés. J'aurais tendance à penser qu'elle risque d'avoir des informations inconnues du grand public.

-Pas bête. » admet Alphonse.

« Je poserai des questions pendant mes volontariats à l'infirmerie, quand on sera de retour à Poudlard ! » ajoute Arthur

« Et nous regarderons ce que la bibliothèque a à nous offrir comme informations. Ce sera déjà bien pour commencer. Ensuite, on avisera. »

Après cette tirade, Ewald se tourne vers moi.

« Je chercherai un moyen de faire appel aux autorités sans te compromettre. Ce qu'a dit Arthur est juste. »

Je me retiens de hausser les épaules. Les décisions semblent être prises sans moi pour l'instant, et il n'y a pas de danger immédiat, alors je n'ai pas vraiment l'énergie de lutter. Je lui dis merci, parce que j'ai l'impression que c'est ce qu'il veut entendre.

Ensuite, nous quittons la pièce, Ewald ne voulant pas prendre le risque d'une deuxième plongée dans la pensine sans être certain que c'est sans danger pour moi. De toute manière, nous avons tous l'information cruciale, le nom du docteur Kayns.

Lorsque nous atteignons le manoir, Arthur demande :

« Vivian, tu veux bien te promener un peu avec moi ? J'aimerais qu'on parle. »

Je suis doublement surprise. Déjà, que ça soit Arthur qui essaye de me coincer en premier, et ensuite qu'il me demande mon avis. Je ne suis pas vraiment pressée de discuter avec Ewald, alors j'accepte sans faire de difficultés. Je doute de réussir à l'éviter éternellement, on ne retourne à Poudlard que dans trois jour, mais bon… Alphonse et Ewald nous laissent partir dans le jardin, rentrant au manoir pour faire je ne sais quoi.

xxx

Au début, nous marchons en silence. Je me contente de suivre Arthur, qui se concentre sur le chemin. J'ai l'impression qu'il sait où il va. Le monde alentour est silencieux, froid et paisible. Nos pas nous amènent au bord de la mare, où mon compagnon élimine d'un sort la neige qui dissimulait un banc. Il lance un sort chauffant sur nous deux avant de s'asseoir. Docilement, je prends place à ses côtés, attendant la suite. Je suis vaguement tendue, je crois, derrière mon brouillard de dissociation. J'essaye de me concentrer davantage, pour ne pas que mon interlocuteur ne réalise que je ne suis pas vraiment là. Il laisse quelques temps s'écouler encore, les yeux rivés sur l'eau gelée de la mare avant de me demander.

« Comment tu vas, Vivian ? J'ai remarqué que tu ne parlais pas beaucoup aujourd'hui. »

Je hausse les épaules.

« Je n'avais pas grand-chose à dire.

-Je trouve ça plutôt étonnant, étant donné le sujet que nous avons abordé. Est-ce que tu penses que c'est dû à ton épisode de dissociation ? »

Mon « épisode » de dissociation. C'est qu'il serait presque drôle, le Poufsouffle ! Je dissocie en quasi permanence ! Mais il n'a pas forcément besoin de le savoir. Je ne vois pas ce que ça lui apporterait.

« Peut-être. » je réponds, pour ne pas le contrarier.

Il garde le silence quelques instants, semblant réfléchir, avant de croiser mon regard avec une expression déterminée :

« J'aimerais que tu me laisses soigner tes coupures, s'il-te-plaît.

-Je pense que tu n'as pas envie de voir ça. »

Ce n'est ni un oui, ni un non. Qu'est-ce que ça pourrait bien changer de toute façon. Je ne me soucie même pas de perdre les ancrages que sont mes blessures. Je pense sincèrement qu'il n'aimera pas ce qu'il verra, et je ne vois pas l'intérêt de le blesser. D'habitude, c'est Ewald qui s'en occupe, et il est… plus dur qu'Arthur. Je pense qu'il peut mieux encaisser, d'une certaine façon.

« Je me sentirai mieux si je te soigne, Vivian. »

Je hausse les épaules.

« Comme tu veux, alors. »

Je remonte ma manche gauche. À sa décharge, Arthur ne réagit presque pas, sa tristesse ne s'exprimant qu'au travers d'une légère grimace. Il s'empresse de lancer un sort de soin, promenant sa baguette le long des croisillons sur mon bras pour les refermer. Là où le sort fait effet, je ressens une impression de chaleur et une forte démangeaison qui heureusement ne dure pas. Il agit délicatement, avec une douceur qu'Ewald n'a pas, comme si il avait peur de me blesser. Il ne me fait pas de reproche.

« Je ne comprends pas vraiment pourquoi tu fais ça. Je n'ai pas eu l'occasion de te poser la question avant, mais j'aimerais bien que tu m'expliques… »

Je soupire, dénudant mon deuxième bras pour qu'il puisse continuer à me soigner.

« Ça me soulage. »

Il relève la tête, semblant attendre d'autres explications. Lorsque je garde le silence, il demande :

« Comment te faire mal peut te soulager ? »

« Je ne peux pas vraiment te dire. C'est quelque chose sur quoi se concentrer, une façon d'extérioriser aussi.

-J'en avais un peu entendu parler lors de mes sessions avec ma psychomage, à l'époque. Surtout parce qu'elle avait une fois eu peur que je ne fasse ce genre de choses. »

Je ressens une pointe de tristesse diffuse en entendant ces mots.

« Je ne t'ai jamais reparlé de tout ça. Comment tu l'as vécu, l'après coup, après la colonie ? »

Arthur a un sourire léger, teinté d'une tristesse infinie.

« C'était… étrange. J'avais l'impression que tout était normal, et en même temps rien ne semblait avoir du sens. Ranger ma chambre, faire mes devoirs, alors que quelqu'un avait tenté de me violer avant de mourir sous mes yeux. Je dissociais pas mal à l'époque, aussi, quand la violence de mes souvenirs ne trouvait aucune cohérence dans la réalité. J'ai passé un mois à aller voir la psychomage plusieurs fois par semaine. Mes parents marchaient un peu sur des œufs avec moi. Mon frère a même fait une crise de jalousie. On ne lui avait pas dit exactement ce qu'il s'était passé, et il ne comprenait pas pourquoi les parents étaient aux petits soins avec moi. »

Arthur prend le temps de chercher ses mots, et je reste silencieuse.

« On a fini par lui dire la vérité, plus tard. Mais à ce moment là, je me sentais un peu coupable, et je n'étais même pas sûr d'avoir besoin d'être autant entouré. Je peux te dire maintenant que c'était nécessaire. Néanmoins, je pense que retourner à Poudlard m'a aussi aidé. Passé le premier choc, ça a été bénéfique d'être à un endroit où personne ne savait rien, d'avoir plein de classes à suivre et de devoirs à faire. J'ai continué à voir la psychomage une fois par semaine pendant un an et demi, quand même. Mais maintenant, ça n'impacte plus ma vie.

-Tu n'as rien dit à Ewald, à l'époque ? »

Arthur a un petit rire.

« J'ai dû tenir trois jours après la rentrée avant qu'il ne me coince près du lac pour me faire parler. Tu sais comment il est. »

Je laisse échapper un reniflement de dépit.

« Oui, j'imagine bien la scène.

« Et toi du coup ? Tu ne peux pas avoir bien vécu ce qu'il s'est passé. »

Je tressaille un peu, intérieurement. C'est pour ça que je n'en avais jamais parlé avec lui auparavant. Parce que lorsqu'on pose une question, il faut s'attendre à la réciproque. Mais maintenant, il en sait déjà beaucoup trop, alors je peux bien lui répondre.

« Comment dire… Non, je ne l'ai pas bien vécu. Mais ce n'était pas mon premier traumatisme, alors j'avais des moyens de le gérer. Je sais, des moyens que tu n'approuves pas. Peu importe. Mais cet événement m'a aussi apporté du positif.

-Comment ça ? »

Je me tortille un peu les mains avant de répondre.

« Grâce à ça, j'ai appris que la magie existait. Je tournais pas mal en rond sur la question de pourquoi j'étais en vie, et ça m'a donné un nouvel espoir de comprendre ce qu'il s'était passé. »

Une pensée me vient, que j'hésite à exprimer, mais il est bien trop tard de toute façon pour changer ce qui a été, alors j'avoue :

« Je crois que si j'avais découvert la magie dans un autre contexte, sans ce rappel traumatique, j'aurais pu vraiment l'aimer. J'aurais peut-être même renoncé à mourir, du moins temporairement. Mais la façon dont tout s'est passé n'a fait que sceller ma détermination. »

Arthur ne se précipite pas pour répondre. Lorsqu'il le fait, il le fait prudemment, doucement.

« Il n'est pas trop tard pour aimer la magie, Vivian. Tu n'es pas obligée de mourir. Peut-être qu'en prenant ton temps, justement, tu pourras laisser tout ça derrière toi. La magie peut faire des choses magnifiques, tu sais ? »

J'ai un petit rire amer, mais pas parce que, comme il l'imagine sans doute, je me crois obligée de mourir. Non, c'est parce que je sais que désormais mon bras est bloqué. Je ne peux plus me tuer.

« Tu me fais penser à Quentin, des fois.

-Comment ça ?

-En vérité, tu me fais penser à lui depuis que je t'ai rencontré. Vous vous ressemblez un peu, physiquement, et en termes de personnalité aussi…

-C'est une mauvaise chose ? » me demande Arthur doucement

« Je n'en sais rien. Et quelle importance, n'est-ce pas ? »

Je fixe mon regard vers le ciel gris. Quelle importance…

Après quelques minutes de silence partagé, Arthur me demande :

« Il y avait d'autres coupures ? »

Il me prend au dépourvu, c'est peut-être pour ça que je réponds honnêtement.

« Les cuisses.

-J'aimerais bien te soigner, mais est-ce que c'est ok pour toi ? »

Parce qu'il m'a demandé, je réponds honnêtement.

« Je n'en sais rien.

-Il faut que tu sois soignée, de toute façon. Tu préfères que je demande à Ewald ? »

Je hausse les épaules.

« Tu peux le faire.

-Tu es sûre ?

-Je préférerais qu'on y touche pas, mais c'est pas comme si j'avais le choix, non ?

-Ça dépend. Je veux bien que tu me montres, et je déciderai si c'est nécessaire que je te soigne. »

Je ne proteste pas. Je baisse mon pantalon, juste un peu, laissant Arthur voir ce que j'ai fait. Je me fais la réflexion, en arrière plan, que je n'agirais pas ainsi si j'étais dans mon état normal. Mais aujourd'hui, je n'arrive pas à en avoir quoi que ce soit à foutre. Je suis trop détachée. Le poufsouffle ne s'attendait pas à ça, je crois, à ce que je baisse mon pantalon alors qu'on est dehors, dans la neige. Il ne se laisse pourtant pas démonter, examinant mes cuisses avec un air triste.

« Je vais devoir te soigner, Vivian. »

À nouveau, je hausse les épaules.

Il promène sa baguette au-dessus de mes plaies, prenant garde à ne pas me toucher.

« Qu'est-ce qui a fait que tu te sois coupée à ce point ? Ça t'a fait du mal, de revoir Quentin ?

-Je n'ai pas envie d'en parler. »

Arthur finit de me soigner en silence, et se tortille un peu avant de reprendre la parole.

« Tu as le droit de ne pas parler, mais je crois que vu la situation il faudra bien que tu le fasses. En ton temps, d'accord, mais tu ne peux pas recommencer à te murer dans le silence. »

Je hausse les épaules.

« Je serai là quand tu te seras décidée. »

Nous nous taisons pendant qu'il termine de me soigner.

« Il y en a à d'autres endroits ? »

Si je lui dis que non, est-ce qu'il serait capable de me relancer un sort de diagnostic pour vérifier ? Je ne dis rien, me contentant de remonter mon t-shirt pour révéler mon torse. Heureusement que je n'ai pas encore de poitrine. Cette seule idée me dégoûte un peu, pour être honnête. J'aime avoir le torse plat, en vrai. Au moins, pour l'instant, on ne voit pas cette partie de mon corps de façon sexuelle.

À nouveau, Arthur fait de son mieux pour garder un visage neutre, mais je sens son malaise. Sa baguette tremble un peu tandis qu'il fait disparaître les blessures que je me suis infligée. À un moment, il fait une tête étrange, comme si une réflexion lui était venue. Il continue à me soigner, mais j'ai l'impression qu'une question lui brûle les lèvres.

Une fois que j'ai remis mon t-shirt en place, il me demande :

« Il y en a d'autres ? »

Je secoue la tête. Je n'ai pas envie qu'il voie la coupure sur mon cou. Il pourrait en tirer des conclusions, et je n'ai pas envie de parler de ça en ce moment. Il me dévisage plusieurs secondes, semblant essayer de jauger si je lui mens ou pas. Il doit finir par décider que je lui dis la vérité, parce qu'il se contente de commenter :

« Je ne sais pas ce qui t'a poussée à te blesser autant, mais j'espère que tu te sentiras bientôt prête à en parler. J'ai vraiment peur pour toi, Vivian. »

Il semble se mordre la langue pour s'empêcher d'aller plus loin. Peut-être qu'il a enfin compris que je ne fonctionnais pas comme ça, qu'il n'obtiendrait rien en forçant. Quelque part, je suis un peu touchée par ses efforts. Mais ça ne me donne pas envie de lui expliquer pour l'instant. Ça demanderait beaucoup trop d'énergie.

Le regard d'Arthur se perd à nouveau sur la mare glacée. J'ai l'impression qu'il évite même sciemment mon regard, lorsqu'il demande d'un ton hésitant :

« Vivian, je me demandais… Pourquoi tu n'as pas essayé de te tuer plus tôt ? J-je veux dire, je suis heureux que tu ne l'aie pas fait ! Je ne veux pas que tu meures ! Mais j'imagine que tu as eu pas mal d'occasions de le faire avant ces derniers mois, alors pourquoi tu ne l'as pas fait avant ? »

Je sens l'amertume monter en moi. J'ai tellement été stupide. Je réponds tout de même, honnêtement :

« Je ne savais pas pourquoi j'étais en vie, mais j'avais peur que tout recommence si je me tuais, de me réincarner à nouveau et de perdre plusieurs années sans pouvoir me déplacer librement avant de pouvoir poursuivre mes recherches. Mais sans la découverte de la magie, j'aurais sans doute quand même essayé plus tôt.

« … Je vois. »

Arthur sonne presque déçu, et je me demande ce qu'il s'est imaginé. Que j'avais envie de vivre ? Que j'avais une motivation ? Après ça, le silence reprend à nouveau ses droits, jusqu'à presque devenir trop long. Au bout d'un moment, le Poufsouffle se tortille sur son siège et me demande :

« Est-ce qu'il y a quelque chose dont tu voudrais me parler ?

-Non. » je réponds, sans méchanceté

« Tu veux qu'on rentre au manoir ? »

Je hausse les épaules

« Comme tu veux. »

Arthur fronce légèrement les sourcils, mais se lève du banc, et je le suis. C'est bizarre de se déplacer sans le tiraillement des coupures, et ça me manque un peu. La seule que je sens encore, sur mon cou, me rappelle que je suis coincée. Je marche vers le manoir avec le sentiment d'être prisonnière de ma propre vie, enfermée dans du coton.

xxx

Le reste de la journée, je ne suis jamais seule. Nous mangeons tous ensemble au salon, puis passons l'après-midi à faire des jeux de société à la bibliothèque. Alphonse propose de sortir faire une bataille de boules de neiges, à un moment, mais je ne suis pas vraiment motivée et Ewald refuse de toute façon. Je fais mon possible pour ne pas me retrouver seule avec lui. Je ne peux néanmoins pas l'éviter éternellement et le soir, alors que je me prépare pour la douche, il m'arrête. Nous sommes seuls dans ma chambre, et je savais bien que ça finirait par arriver de toute façon. Il se plante devant moi, et me demande :

« Comment tu vas ? »

Je hausse les épaules.

« Je suis fatiguée. »

Il soupire.

« Je vais récupérer ta lame. »

Je ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Je la récupère, dans mon pyjama, et je lui donne.

« Tu en as d'autres. »

Ce n'est pas vraiment une question, alors je ne m'embarrasse pas à répondre. Devant mon absence de réaction, il lance un accio, sans succès. Il me demande alors d'ouvrir ma malle et je m'exécute. À quoi bon ? Il prend mon couteau, et s'assure méticuleusement de ne rien oublier. Il a l'air triste quand il me regarde. Il ne commente pas, craignant peut-être encore que je me mette en colère, et m'escorte jusqu'à la salle de bain sans chercher à discuter.

Après la douche, je réalise que mon pyjama laisse mon cou à découvert, et je m'en veux de ne pas avoir pensé à ça. Si je ressors avec mes habits de jour, il va comprendre qu'il y a quelque chose. Si je sors en pyjama, il verra sans doute la blessure. Je choisis de garder mes habits de jour. Lorsque je sors de la salle de bain, je lui dis que j'ai envie d'aller voir les étoiles, avant qu'il ne me trouve suspecte. Je ne suis pas sûre que ça marche, mais il ne me pose pas de questions. Il se contente de m'accompagner sur le perron. Là, il me lance un sort de chauffage lorsqu'il me voit frissonner, alors que je fais quelques pas à l'extérieur. Mon envie de sortir était un mensonge, mais c'est vrai que les étoiles sont magnifiques ce soir, aussi solitaires et froides que mon cœur.

« Tu nous en veux toujours ? »

La voix d'Ewald indique que ce n'est qu'à moitié une question, et je hausse les épaules, le regard toujours fixé sur le ciel.

« Mais tu comprends pourquoi nous avons agit comme nous l'avons fait.

-Je n'ai jamais dit le contraire. »

Le silence retombe quelques instants, puis il demande :

« Il n'y a pas que ça, n'est-ce pas ? »

Cette fois-ci, je me tourne vers lui.

« Tu croyais que revoir Quentin n'aurait aucun impact sur moi ? »

Mon reproche est une forme de camouflage. J'oriente ses pensées, pour ne pas qu'il comprenne exactement de quoi il retourne.

« Je pensais que ça te ferait du bien, au moins sur le long terme. Mais j'imagine que pour l'instant tu dois avoir beaucoup de choses à penser.

-On ne s'est pas vus pendant onze ans. Bien sûr qu'il y a des choses à penser.

-Tu as envie de partager tes réflexions avec moi ?

-Il n'y a rien à dire. Tout est beaucoup trop flou. »

Ewald n'insiste pas. Je ne sais pas si il est tombé à cent pour cent dans mon piège, mais pour l'instant on dirait que ça fonctionne. Nous restons encore quelques minutes sur le perron, avant de rentrer sans échanger un mot.

Une fois que nous arrivons dans ma chambre, il me demande :

« Tu veux un elfe de maison pour veiller sur toi cette nuit, comme hier ? »

Je hausse les épaules.

« Comme tu préfères. »

Il me dévisage, sans un mot, avant de dire :

« Je vais rester avec toi.

-Okay. »

Il sort pendant que je mets mon pyjama, et je m'assure de dissimuler ma blessure sous les draps avant de le laisser entrer à nouveau. Ça me force à monter très haut le drap jusque sous mon menton, ce qui est un peu étrange. Il rapproche le fauteuil du lit avant de s'y mettre. Je ne sais pas si c'est parce qu'il craint toujours que je sois en colère, ou si il agit ainsi parce qu'il me laisse le choix de prendre l'initiative de l'inviter à me rejoindre.

« Arthur m'a dit que tu t'étais beaucoup coupée. »

J'espérais qu'il n'insisterait pas. Son observation sonne neutre, mais je le connais suffisamment pour savoir quelle question elle cache : « Pourquoi ? ». Je n'ai pas envie de répondre, néanmoins, alors je me contente de dire :

« C'est possible. Après, tu sais, il est facilement impressionnable. »

Je ne sais même pas exactement pourquoi je ne veux pas que lui, ou les autres, sachent que je ne peux plus me tuer. Après tout, ils en seraient heureux. De fait, c'est sans doute précisément parce qu'ils s'en réjouiraient, alors que ça me détruit encore plus, que je ne veux rien leur dire.

Ewald secoue la tête à ma réponse, avant de choisir de rentrer dans mon jeu d'éviter le vif du sujet.

« Pour que ce genre de blessures apparaissent sur un sort de diagnostic, il faut que ça soit vraiment fait de façon importante. De plus, il m'a décrit un peu l'état de ton corps. »

Je ressens une forme de vulnérabilité à ces mots, mêlée de honte. Les deux s'estompent bien vite, heureusement, prises dans le brouillard de la dissociation. Je ne m'appartiens plus, ces temps ci, d'aucune façon, et ça ne fait que renforcer la distance que mon esprit prend avec la réalité.

« Vivian ? » le ton d'Ewald est vraiment inquiet, mais je ne vois pas ce que je pourrais bien avoir à répondre. « Dis moi ce qu'il se passe, s'il-te-plaît. »

Je hausse les épaules.

« Tu as pris mes lames, donc peu importe pourquoi je me coupais non ? Je ne peux pas recommencer de toute façon. »

Même à mes oreilles, je sens comme mon ton sonne indifférent. C'est sans doute une erreur, parce qu'Ewald m'a surtout connue en colère ou en larmes, mais pas apathique. Il a déjà des doutes, que je ne fais sans doute que renforcer.

« J'ai besoin de savoir ce qu'il se passe pour pouvoir t'aider, Vivian. Aujourd'hui, tu as été en retrait toute la journée, effacée, et je ne t'ai pas vue comme ça depuis qu'on s'est rencontrés. Tu as dit hier que tu nous en voulais pour Quentin, est-ce que c'est lié ?

-Tu aimes jouer aux devinettes ? »

Le serpentard se redresse dans son siège, surpris.

« Comment ça ? »

Je fais un geste évasif de la main, l'air de dire « laisse tomber ».

« Juste ta façon de poser des questions pour deviner à quoi je pense. Ça sert à rien de perdre du temps, non ?

-Tu peux en gagner en m'expliquant directement de quoi il retourne. Je peux faire des déductions mais… Ce que je vois m'inquiète vraiment. »

J'ai un petit reniflement de dépit, et je le regarde dans les yeux pour la première fois depuis le début de la conversation. Il est tendu. Il croise mon regard. Il y a tant d'attentes dans le sien… Je détourne les yeux. Je ne sais pas exactement pourquoi je ne lui ai rien dit, peu importe après tout qu'ils se réjouissent de mon malheur, lui et les autres, hein ?

« Hier soir, quand tu étais derrière la porte, il n'y avait plus d'elfe de maison pour me surveiller. »

Il se raidit si soudainement que j'ai presque peur, et son masque neutre tombe pour révéler une brève bouffée de panique. Il se ressaisit rapidement, mais reste très tendu.

« Qu'est-ce que tu veux dire ? Comment tu le sais ? »

Pourquoi je ne lui ai rien dit, déjà ? Par honte un peu, je crois, d'avoir failli me tuer à côté de lui. Honte de devoir lui révéler que je l'aurais fait, qu'il n'aurait pas compté assez pour m'arrêter. Honte de savoir que j'étais prête à le trahir. Par pudeur aussi, parce que cette blessure là est intime. Parce que je sais aussi que même si la conclusion va le réjouir, l'histoire va le blesser.

« Je pense que tu le sais.

-C'est à ce moment là que tu t'es coupée ? »

Sa question sonne comme une réalisation. Je hausse les épaules. Je pourrais m'arrêter là, mais il se demandera peut-être pourquoi je me suis pas tuée. Il se dira peut-être que je craignais un sort de surveillance, ou que je n'ai pas voulu lui faire ça… C'est cette dernière pensée qui remporte le débat, que j'ignorais avoir, dans ma tête. Parce qu'il mérite de savoir la vérité, de savoir qui je suis. De savoir que je l'aurais trahi, et que la raison pour laquelle je ne l'ai pas fait est indépendante de lui.

Je m'assure qu'il me regarde avant de détourner les yeux et de baisser le drap. Il se lève, s'assied au bord du lit. Il est pâle. Je le regarde dans les yeux. Son masque neutre est vraiment tombé.

« Tu peux être content, vous avez atteint votre but. »

J'aurais voulu injecter du venin dans mon commentaire, mais à quoi bon.

« Explique moi. »

Son ton se veut sans doute neutre, mais ça voix est instable. Il tend la main vers moi et je rapproche la mienne, au cas où. Il la prend. Ses doigts sont froids autour des miens.

« Je pouvais me tuer. Je pouvais enfin crever. Je l'aurais fait, en sachant ce que ça te ferait, en sachant ce que ça ferait aux autres.

-Pourquoi tu t'es arrêtée ? »

La voix d'Ewald a un éclat de froideur qui m'entaille le cœur. Je sais qu'à sa place, Arthur se serait réjouit démesurément, ne voyant que le fait que je ne sois pas allée au bout de mon geste. Mais Ewald, lui, ressent la trahison, parce que même si je me suis arrêtée, je l'aurais fait. Il me croit. Et maintenant, il sait aussi que j'ai jeté son aide aux orties, méprisé ses sentiments. J'accepte la froideur comme mon dû, et même à travers mon brouillard d'indifférence, elle me blesse. Il y a un étrange réconfort à savoir que je l'ai mérité. Néanmoins, le Serpentard m'a posé une question, alors je lui réponds :

« Je ne pouvais pas faire ça à Quentin. »

xxx

« Regardez moi vaciller au bord de la folie
Sans jamais comprendre ce que vous voyez
Là où vous n'entrevoyez que de la fantaisie
Mon esprit est depuis longtemps égaré

Laissez moi danser sur le fil du rasoir
Toujours tranchant, mon équilibre
Il se peut bien qu'un de ces soirs
Je finisse de me perdre en me pensant libre »


Et voilà pour ce chapitre!
Alors, vous en avez pensé quoi? Il flairait bon le drama, lui aussi, non?
Enfin le reveal du grand méchant! Vous en apprendrez davantage sur lui au fil de l'enquête, mais je suis déjà curieuxse de savoir ce que vous pensez du reveal.
Et aussi Vivian, qui ne peut plus mourir... C'était prévu depuis le début. C'est un chapitre tournant, à la fois pour le méchant, et pour ce blocage. Dans ma tête, c'était tout censé être plus simple. Je n'avais pas anticipé la colère de Vivian suite à la rencontre avec Quentin, et ma grosse révélation c'est ce sentiment de trahison.
Il me tarde d'avoir vos retours là dessus aussi. Pour moi, c'est logique que Quentin puisse l'arrêter, mais je suis curieuxse de savoir ce que vous en pensez, vous.

Fun fact: le chapitre était à la base surtout être axé autour de la révélation du méchant et des décisions prises autour, d'où le titre xD

Bref, j'espère que le chapitre vous a plu, et je vous dis à une prochaine!