Bonjour à toutes et tous !

Ca y est, c'est le mois de mai, le début de la saison des beaux jours, des fleurs, des mariages... Et en cette année un peu particulière, je suis moi-même de mariage dans quelques jours - celui de mon frère, pour tout vous dire. Bref, là n'est pas le sujet !

Nous voilà donc en ce 1er mai, et tout ça pour vous dire que, pour l'occasion et puisque je me sentais d'humeur pleine de love, je vous ai concocté ce petit OS en attendant mon retour!

Rien que de l'amour, de la guimauve et de la douceur (oui, oui, promis) juste pour vous… Bref, du ma manière à moi de vous apporter un peu de bonheur, j'espère.

Enjoy les petits loups !


PORTRAIT DE FAMILLE

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« L'amour recompose l'antique nature, s'efforce de fondre deux êtres en un seul et de guérir la nature humaine. »

Platon, le Banquet


Le soleil pâle a esquissé ses dernières lueurs à travers les branches nues et le crépuscule a enveloppé l'horizon. Derrière les fenêtres, les chandelles viennent de s'allumer, les flammes vacillent fébrilement dans l'obscurité comme des dizaines de lucioles.

Le vent balaye le domaine, il gifle la pierre grise de l'illustre manoir de son souffle glacé et bat les carreaux de verre poli. A l'intérieur, on entend son râle rauque tambouriné sans y prêter vraiment attention. Car l'intérieur, il fait doux et le feu qui crépite doucement dans la cheminée réchauffe les corps et l'âme.

- Putain de bordel de merde.

Cinq mots, trois insultes. Un nouveau record.

Un petit condensé d'effarement et de déni qui claque à travers le salon comme un éclair pendant l'orage. Bref, intense, inattendu.

Les regards se tournent vers elle et les visages affichent tous cette expression un peu confuse, mélange de surprise et de moquerie contenue, devant les seuls mots qu'elle se sent capable de prononcer. Elle expulse un soupir agacé et s'affale sur le canapé de velours anthracite. Hermione n'est pourtant pas vulgaire. Elle a été élevée dans la politesse, on lui a toujours inculqué le respect et la correction.

De toute façon, ce champs lexical n'est pas vraiment le sien, il a simplement été arraché de sa gorge sans qu'elle ne puisse le retenir. Aurait-elle cherché à le faire, d'ailleurs ? Elle se dit que non, la nouvelle l'a trop sonné. Elle est d'abord restée sans voix quelques secondes, ses yeux écarquillés passant alternativement d'une personne à une autre, interdite et contrariée. Et puis les cinq mots, trois insultes, se sont échappés contre son gré.

Elle entend le garçon émettre un ricanement sonore et particulièrement agaçant, tandis qu'il la rejoint sur la méridienne. Il lui tapote amicalement le bras et ce geste donne à Hermione l'envie de le gifler. Elle n'en fait rien, bien sûr, et se contente de jeter sur lui un regard des plus glacés. Ce regard qui n'appartient qu'à elle et qui a au moins le mérite de mettre un terme à son insupportable petit rire.

Elle croise ensuite les bras sur sa poitrine, dans une attitude boudeuse et infantile, et ne décroche plus un mot de la soirée.

Durant le repas, elle conserve le silence et, par principe, rechigne devant son assiette. Elle se contente de picorer distraitement du bout de sa fourchette, trempe à peine les lèvres dans sa coupe de vin italien et mordille nerveusement l'intérieur de sa joue sans chercher à participer à la conversation qui s'anime autour de la table. Elle refuse même la tasse de thé au citron qu'on lui propose après le dîner et se plonge dans la lecture d'un ouvrage qu'elle a pourtant déjà lu trois fois.

Personne ne lui reproche rien, tout le monde sait que Hermione Granger est fière et un brin têtue.

Elle lit un paragraphe. Et elle le relit encore. Et encore. Mais les mots couchés sur le papier ne franchissent pas vraiment la barrière de ses iris. Son esprit est encore trop accaparé par l'annonce qu'on vient de lui faire et, même si elle refuse de l'admettre, au fond d'elle, elle en est ravie.

Hermione est ravie de cette vie qui s'offre à elle, à eux, ravie de ce monde meilleur qui aurait pu ne jamais devenir, et ravie des surprises que le destin semble continuer de lui faire. Mais surtout, elle est ravie pour son père. Car William Granger mérite le bonheur et cet instant de félicité dont l'Univers lui fait cadeau.

Peut-être que ses yeux perdus dans le vide de la même page trahissent ses pensées car, quand elle relève enfin le nez, elle croise le regard du garçon. Il lui sourit de son air tout à la fois moqueur et bienveillant. Merlin ce qu'elle déteste quand il fait ça. Oui elle déteste Blaise Zabini. Autant qu'elle l'adore.

Alors elle roule un peu des yeux, laisse ses lèvres répondre à son sourire et replonge dans sa lecture pour ne pas lui donner trop raison.

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Ce même sourire de connivence, teinté de satisfaction et de soulagement, Hermione et Blaise l'échangent une nouvelle fois, huit mois plus tard, en faisant tinter leurs coupes de champagne l'une contre l'autre. Ils trinquent à la réussite de leur étonnante association, au hasard qui les a réunis et à l'amour. Surtout à l'amour. Le fait de ne pas avoir sombré dans la folie est également une petite victoire, mais ils ont la décence de ne pas le formuler.

- A William et Leona, dit le brun en levant sa coupe.

Il incline légèrement la tête avant de prendre une longue gorgée. Hermione l'imite et trempe les lèvres à son tour en couvant du regard l'étrange duo que forme désormais son père et la sublime Leona Zabini. Si elle a émis des doutes aux prémices de leur relation, le temps et l'amour évident qu'ils éprouvent l'un pour l'autre lui ont fait revoir sa copie.

Comme bien des choses ses dix dernières années.

Six mois la chute de Lord Voldemort, alors que le monde des sorciers pansait encore ses plaies, pleurait ses pertes et peinait à se reconstruire de la guerre, Hermione s'était rendue en Australie.

Elle a longuement cherché un contre-sort capable de rendre à ses parents la mémoire qu'elle leur a arraché contre son gré. Elle a écumé tous les ouvrages de toutes les bibliothèques existantes dans l'espoir de parvenir à conjurer le maléfice. En désespoir de cause, elle est allée jusqu'à entrer en contact avec des guérisseurs et des Médicomages grecs et français, réputés pour leurs vastes connaissances.

Harry l'a accompagné dans chacune de ses recherches, chacun de ses déplacements à l'étranger. Il a soutenu son choix et sa volonté de retrouver sa famille, elle qui s'en était retrouvée séparée pour lui. S'il ne lui a jamais avoué ouvertement, Hermione sait que son meilleur ami s'est senti responsable de cette situation et de la tristesse qu'elle en a éprouvé.

C'est à Mourteri, une antique et minuscule cité grecque bordant la mer Egée, qu'ils ont enfin trouvé le sortilège d'annulation à l'Oubliettes. Deux jours plus tard, Hermione a rejoint l'Australie par Portoloin et rendu à ses parents leur mémoire disparue.

Les retrouvailles, les houleuses explications et les premières semaines qui ont suivies ont été difficiles. Mais Hermione n'a jamais ressenti un joie aussi intense que celle de pouvoir enlacer ses parents de nouveau. Elle a longtemps cru ne plus jamais les revoir, les serrer entre ses bras ou retrouver la douceur rassurante de leurs paroles.

Le bonheur, après cela, n'aura été que de courte durée. Mais c'est une autre histoire et elle préfère ne pas trop y penser.

Son regard balaye finalement l'assemblée et le lieu de réception, et Hermione ne peut que penser une nouvelle fois que l'endroit est idéal. Tout ici ne respire que le bon goût et l'élégance. Le Grand Salon a été aménagé pour l'occasion. Les murs et les fenêtres sont drapés de cette délicate soie blanche et les rayons de soleil qui filtrent à travers les tentures répandent une apaisante lumière mordoré sur les visages des convives.

Une multitude de tables rondes ponctuent la pièce, les éclats de voix et de rires s'élèvent sous le haut plafond et plongent l'espace dans une joyeuse cacophonie. Les jeunes mariés déambulent entre les tables, distribuant gracieusement embrassades, poignées de mains et remerciements à leurs invités.

Il flotte dans l'air une discrète musique, en arrière-plan de ce doux brouhaha. Des accords de violon, de piano et de harpe, dispensés par l'orchestre enchanté qui s'active sur la terrasse, de l'autre côté des fenêtres victoriennes. La juste dose pour égayer l'ambiance sans être tapageur.

Les serveurs, dans leurs tenues noires et blanches, remplissent inlassablement les flûtes de champagne et les verres de vin. Les plats vont et viennent, les conversations fusent au même rythme que les sourires.

Tout est absolument divin et voir le bonheur rayonner sur les visages de Will et Leo l'emplit d'un sentiment de plénitude si intense qu'elle pourrait en pleurer. Mais elle se retient, elle a déjà versé beaucoup de larmes au cours de la cérémonie et la soirée est loin d'être finie. Elle n'est pas vraiment certaine de parvenir à se modérer alors, pour se donner contenance, elle termine le contenu de sa coupe d'un cul-sec qui lui fait froncer doucement le nez.

Evidemment, Blaise s'en aperçoit et il ne cherche pas à cacher un énième ricanement auquel Hermione répond par ce fameux regard dont elle détient le secret.

Elle s'entend bien avec Blaise. Elle ne l'aurait jamais cru une seconde, si on lui avait dit ça dix ans plus tôt, mais là encore, Hermione a révisé son jugement. C'est un garçon intelligent, réfléchi et qui a beaucoup de recul en plus d'être toujours drôle. Il a été de bon conseil pour leurs parents tout au long des préparatifs du mariage et un soutien émotionnel sans faille pour elle. A de nombreuses reprises au cours de ces derniers mois, il a enduré son sale caractère et ses crises de nerfs à répétitions sans jamais se plaindre. Il s'est contenté de l'écouter et de poser une main affectueuse sur la sienne. Et puis Blaise a un grand cœur. Oh, il le dissimule le plus souvent derrière une raillerie mal placée, un humour incisif et un air de façade, mais c'est pourtant le cas, et une fois que l'on a gratté un peu la surface, on découvre un homme doux et attentif aux besoins des autres.

Et depuis ce soir, il fait partie de sa famille, de toute façon.

Les assiettes de fromages viennent d'être disposées sur les tables par les serveurs et Hermione sent son estomac se nouer. Le fromage, c'est son signe. Une fois qu'il aura été dégusté, ce sera son moment et, ce moment, elle le redoute. Elle se l'imagine, dans le film pétrifiant de son esprit, depuis des mois déjà. Le voir se profiler ne fait qu'accroître l'angoisse qu'elle essaye tant bien que mal de camoufler.

Elle échange un regard hébété avec Blaise. Heureusement pour elle, il saisit son trouble et désigne la terrasse d'un petit signe de tête. Il finit par un peu trop bien la connaître, c'en est presque perturbant, mais à cet instant elle lui en est reconnaissante.

Elle s'excuse discrètement auprès des convives attablés avec eux et s'éclipse en prenant garde à ne pas marcher sur les pans de sa robe. Une sublime robe fourreau satinée, d'un tendre jaune pastel qui sied à merveille avec sa peau hâlée par l'été. Lorsqu'elle a observé son reflet dans le miroir, ce matin, Hermione s'est sentie belle, elle s'est sentie puissante. Mais cet excès de confiance s'effrite un peu, à mesure que la journée continue de s'écouler.

La terrasse ? Non, bien trop de proximité avec le Grand Salon. Elle a besoin de s'éloigner un peu, de prendre l'air et surtout de se maîtriser.

Alors elle s'enfonce dans les couloirs du manoir et ses pieds, engoncés dans une paire de chaussures à talons bien trop hauts, la mènent inconsciemment vers la bibliothèque.

Elle pousse la porte et expulse un long soupir qu'elle n'avait pas cru retenir jusqu'ici.

La bibliothèque est aussi majestueuse que le reste de la bâtisse. Les ouvrages s'amoncèlent sur les étagères qui tapissent les murs. Des centaines de livres, peut-être des milliers, elle ne saurait le dire. Cette vision l'apaise presque instantanément. Hermione se sent bien au milieu des pages jaunies, dans l'odeur enivrante du papier vieilli. Ses doigts courent distraitement sur les reliures, un sourire béat ourle ses lèvres sans qu'elle ne s'en rende compte.

Le soleil est en train de se coucher, il déverse sur les étagères une lumière rougeoyante quasiment irréelle, et il attire son regard sur la baie vitrée. Prendre l'air, voilà ce qu'elle est venue faire. Elle ouvre la porte-fenêtre et se glisse à l'extérieur.

Le soleil a depuis longtemps amorcé sa descente, mais l'air est encore chaud, le vent est d'une tiédeur exquise. Elle inspire profondément par le nez en posant les mains sur la rambarde et ses paupières se ferment naturellement, tandis qu'elle s'enivre de l'environnement.

Au loin, elle peut entendre les remous de l'océan qui s'écrasent sur les falaises en contre-bas, derrière les magnolias en fleurs qui bordent le domaine. Oui, tout est absolument parfait ici. Dedans, dehors. Le manoir, le parc, la côte sauvage qui se confond avec l'horizon mourant.

Hermione se sent mieux, elle se prépare mentalement pour ce qui va suivre et, étrangement, la boule d'angoisse dans le creux de son ventre s'atténue.

- C'est donc là que tu te caches.

La voix s'élève dans son dos. Ferme sans être froide. Elle ne se retourne pas, elle la reconnaît immédiatement.

- Je ne me cache pas, répond-elle d'un ton qu'elle espère être assuré.

- A d'autres, Granger.

Le rire qui suit la remarque l'arrache finalement à sa contemplation. Hermione tourne la tête et dévisage la personne en pinçant les lèvres, de cet air qu'elle prend toujours lorsqu'elle est agacée. Ou qu'elle fait semblant de l'être.

Le perturbateur se tient là, nonchalamment adossé contre le chambranle de la baie vitrée, les jambes croisées au niveau des chevilles. Il porte sur elle un regard scintillant de moquerie, la défiant gentiment d'oser le contredire. Il ne lui laisse pas le temps de tenter de le faire et lève simplement la main vers elle, lui présentant une bouteille de cet excellent champagne qu'elle ne cesse de boire comme de l'eau depuis le début du repas. Il tient deux flûtes dans l'autre main. Comme s'il avait déjà prédit ce moment à l'avance.

- Besoin d'un peu de courage ? fait-il en connaissant déjà la réponse.

Hermione fronce un peu les sourcils. Lui aussi commence à la connaître un peu trop bien et elle n'est pas certaine d'aimer vraiment ça.

Il s'approche en silence, sans se départir de ce rictus vainqueur ancré au coin des lèvres et lui tend une des coupes dans laquelle il fait couler un peu du liquide doré et pétillant. Ni trop, ni pas assez, seulement la dose que la convenance autorise. Il y est habitué, bien plus qu'elle ne le sera jamais.

Il remplit ensuite la sienne avant de tendre le bras vers elle, le bout de ses doigts gracieusement enroulé autour du verre. Le cristal tinte doucement dans le crépuscule qui prend lentement possession du ciel.

- Ton frère te cherche partout, lance-t-il en s'accoudant à la balustrade.

- Je te préviens Malefoy, si tu redis ça encore une fois, je t'étrangle.

La menace aurait pu être prise au sérieux si les derniers mots ne s'étaient pas perdus dans un sourire. Depuis qu'ils ont annoncé le mariage de leur parents à leurs amis, Malefoy ne cesse de la taquiner avec cette blague. Et chaque fois elle rentre dans son jeu. Le blond ricane et prend une nouvelle gorgée.

- Une tentative meurtre risquerait de faire une mauvaise presse à ce mariage… Même s'il s'agit de moi, ajoute Malefoy.

Le ton de la plaisanterie est toujours là mais Hermione sait, tout comme lui, que ce n'est pas vraiment une. Une décennie vient de s'écouler et il semble qu'une part de lui continue à ne pas se sentir légitime.

Le chemin de la rédemption a été long et sinueux pour Drago Malefoy. Il a traversé les procès de sa famille, et le sien, il a enduré le jugement de l'opinion publique, celui des journaux sorciers à scandales mais par-dessus tout, il a fait preuve d'abnégation et d'une résilience étonnante. Harry, Ron et elle ont témoigné en sa faveur et en la faveur de Narcissa pour son concours durant la seconde guerre. Six mois plus tard, il s'est présenté à eux, humble et presque repentant, pour leur présenter des excuses dignes mais sincères.

Contre tout attente, Harry et Ron ont été les premiers à pardonner. Le travail a été plus compliqué pour elle mais les années ont fini par dissiper son amertume. Elle a tourné la page, fermé le livre et choisi de ne plus jamais l'ouvrir. Simplement.

Mais Drago reste enveloppé de cette aura de retenue. Un halo de pudeur noble qui flotte autour de lui comme les fantômes de son passé. Elle se demande s'il en sera toujours ainsi mais elle a la délicatesse, bien sûr, de ne pas lui poser la question. Au contraire, Hermione fait ce qu'elle fait toujours dans ces cas-là.

- C'est vraiment un endroit magnifique, dit-elle en laissant ses prunelles courir au hasard sur le paysage environnant. Merci d'avoir mis ce manoir à la disposition de leur union.

- Merci à eux d'avoir accepté. Ma mère était aux anges quand je lui ai annoncé.

- Leona est sa meilleure amie, il ne pouvait en être différemment.

Dans son champs de vision périphérique, elle le perçoit vaguement hausser les épaules avec ce détachement et cette prestance qui lui sont propres. Alors elle tourne légèrement la tête vers lui. Son profil se découpe au fusain dans le couchant, ses cheveux coiffés avec soin réfléchissent un éclat d'or complètement surréaliste et sa joue droite est creusée par son inlassable rictus.

- Que dirait le grand Lucius Malefoy s'il apprenait qu'on vient de célébrer un mariage sorcier-moldu dans l'une de ses propriétés, dit Hermione sans réfléchir.

Le ciel d'azur dans les yeux de Drago paraît s'assombrir et il flotte entre eux un instant de silence. Elle se demande une seconde si elle n'a pas poussé la blague un peu trop loin et ressent le besoin de se gifler mentalement, mais il arque un sourcil et laisse son regard glisser sur elle.

- Je crois qu'il se retournera dans sa cellule quand il l'apprendra, lui répond simplement le blond dans un sourire qu'elle décèle aisément.

Le fond de l'air est toujours aussi doux et elle ne sait pas vraiment pourquoi, mais ses bras se couvrent d'une multitude de petits frissons. Elle ignore si son trouble est dû à la brise marine qui court sur sa peau ou au frôlement de la main de Drago contre la sienne lorsqu'il lève son verre pour prendre une nouvelle gorgée.

Elle se souvient alors de son anniversaire, qu'ils ont tous célébré au début du mois de juin. Elle se souvient de la soirée du nouvel an, de son propre anniversaire, et de tous ces moments volés passés ensemble. Ces moments dont ils ne parlent jamais et qui n'appartiennent qu'à eux, dans la bulle vaporeuse de leurs souvenirs. Car il existe un lien étrange entre eux et sur lequel Hermione est bien incapable de mettre des mots. Ces cinq dernières années, elle ne croit pas être parvenue à se sentir plus proche de quelqu'un que de lui. Etonnement.

Cette question la perturbe suffisamment pour qu'elle en oublie la raison de sa présence sur la terrasse. Et suffisamment aussi pour qu'elle ne prête pas attention au bruit des pas qui s'élève dans la bibliothèque.

- Ah vous êtes là ! Dix minutes avant la pièce-montée !

Ils se retournent vers Blaise, suivit de près par Harry, et le visage de la jeune femme s'illumine aussitôt. Les deux hommes s'avancent et, sans s'embarrasser de la politesse, s'emparent de la bouteille de champagne posée sur la rambarde pour boire directement au goulot.

Ni l'un ni l'autre ne semble étonné de les trouver là, isolés du reste du monde. Ils finissent peut-être par y être habitués. Ou peut-être que cet instant ne représente pas grand-chose à leurs yeux, en dehors d'une conversation entre deux anciens ennemis qui n'en sont plus.

Harry dépose un baiser sur sa joue avant de se tourner vers elle.

- Tout est prêt de ton côté ?

- Si on veut, répond Hermione incertaine.

Il lui sourit tendrement, ses doigts venant serrer les siens pour lui transmettre tout son soutien et son courage.

De courage, Hermione n'en manque pas. Elle l'a assez souvent prouvé comme ça, mais elle redoute, plus encore que d'affronter le plus grand mage noir de tous les temps, les prises de paroles en public et les élans d'émotions qu'elle n'est pas sure de pouvoir contenir.

Son discours, pourtant, est écrit depuis des semaines. Elle l'a appris par cœur, exactement de la même manière qu'elle apprenait ses cours avec ardeur lorsqu'ils étaient encore à Poudlard. Elle s'est entraînée à le réciter devant le miroir de sa salle de bains, devant Ginny, même devant Blaise, qui a eu le bon sens de ne pas se moquer.

Mais elle ne se sent toujours par à l'aise. Car aujourd'hui ils ne sont plus des enfants, elle ne lève plus la main sans arrêt pour déblatérer ses connaissances et, surtout, il s'agit de son père. Et elle aimerait lui fait honneur. Elle aimerait se rattraper et effacer un peu ce sentiment de culpabilité qui la tient depuis huit ans.

- Fais-toi confiance Hermione, William sera enchanté par tes mots, lui souffle Harry comme s'il lisait dans son esprit.

Comme toujours, Harry sait parfaitement trouver les paroles pour la réconforter. Sa seule présence suffit à l'apaiser et le regard bienveillant qu'il pose sur elle lui rappelle une fois de plus pourquoi il est son meilleur ami.

Blaise écarte le revers de la veste de son smoking noir, en extirpe un petit rectangle cartonné et glisse une cigarette entre ses lèvres mattes qu'il allume d'un lacarnum inflamarae. Hermione fronce dangereusement les sourcils et fait un pas en arrière pour s'éloigner du nuage de fumée blanchâtre et âcre que le jeune homme expire par la bouche dans une attitude de drogué en manque.

- Ce n'est pas très sorcier, ça, fait remarquer Hermione.

- Ouais… un peu comme ton père, rétorque-t-il du tac-au-tac.

Elle hésite une micro seconde, le foudroyant du regard, avant d'éclater dans un rire cristallin auquel les trois jeunes hommes se joignent rapidement. C'est de bonne guerre, après tout. Et chacun a appris à composer avec l'humour plus ou moins noir des autres.

- Je vous jure, la tante Ghita va me rendre dingue avant la fin de la soirée, reprend Blaise en passant une main sur l'arrière de son crâne. Vous saviez vous, qu'on ne prononce pas « pARmiggiano » mais « parmiGGiano » ?

- Tu n'es pas supposé être italien ?

- Par Salazar, je n'ai jamais mis un foutu pied dans ce pays, comment le saurai-je ?

Une nouvelle salve de rires déchire le calme qui entoure le manoir. D'ici, de l'autre côté de la demeure, on entend à peine la musique diffusée par l'orchestre. La légèreté de la conversation et la présence des garçons à côté d'elle, une poignée de minutes avant son grand discours, lui fait plus de bien qu'Hermione ne l'aurait cru.

- Trois minutes ! prévient Harry après avoir consulté sa montre.

Mais aussitôt la vague de stress qu'elle est parvenue à occulter un moment s'empare à nouveau d'elle. Elle sent ses doigts trembler fébrilement autour de sa coupe désormais vide et son cœur tambouriner avec violence dans sa cage thoracique. Elle se demande pourquoi elle a soudain si chaud, pourquoi sa bouche devient si sèche et si elle est réellement en mesure de prendre la parole devant cette assistance qui n'attend pas moins d'elle qu'une allocution inoubliable, magique.

Blaise éjecte le mégot, brasse l'air autour de lui dans de grands gestes inutiles et s'engouffre dans la bibliothèque en jurant dans sa barbe après Harry.

- Respire Granger, et si jamais tu hésites, tu n'as qu'à les imaginer tous à poil.

Elle se contente de sourire. Le bon goût n'est vraisemblablement pas de mise, même si la blague a le mérite de la dérider un peu. Mais il la regarde fixement de ses yeux rendus gris par la nuit qui tombe silencieusement autour d'eux et elle se sent vaciller. Parce que ce regard-là, celui qu'il semble n'adresser qu'à elle dans ces moments suspendus hors du temps, la trouble plus que de raison.

Dans sa poitrine, son cœur manque un nouveau battement, elle croit même un instant qu'il vient de s'arrêter.

- Après toi, lui dit-il dans un souffle, alors qu'il pose une main légère dans le creux de ses reins.

Si Hermione a cru défaillir, la sensation de ses doigts sur elle achève de la perturber. Elle dodeline de la tête en priant tous les vieux sorciers de ne rien laisser paraître de sa confusion et ils regagnent le Grand Salon sans un mot de plus.

Lorsqu'elle met un pied dans la salle maintenant éclairée par les dizaines de bougies suspendues aux trois imposants lustres, Hermione a l'impression que sa gorge est prise dans un étau. Elle n'accorde que peu d'attention au petit serveur chauve qui la bouscule avec une pile d'assiettes, ni aux exclamations qui s'élèvent à travers les tables au moment où la pièce-montée apparaît enfin.

Elle se contente de rejoindre sa place, prise par ce malaise qui ne la quitte pas, et déglutit difficilement en se servant une énième coupe de champagne. C'est peut-être la pire idée qu'elle ait eue, mais elle s'accorde à croire que l'alcool l'aidera un peu. Du moment qu'elle parvient à articuler.

Une part du gâteau atterri devant elle sans qu'elle ne sache vraiment comment, les conversations reprennent et bientôt Leona et son père se lèvent, main dans la main, pour s'adresser à leurs convives.

Hermione n'entend qu'un mot sur deux, le sang bat tellement fort contre ses tempes qu'elle est incapable d'entendre autre chose. Elle ne voit pas non plus les heureux mariés s'embrasser avec tendresse et passion, elle n'arrive à visualiser que les mots qu'elle doit prononcer.

Et en arrière-plan, comme une bouée de sauvetage au milieu d'un océan déchaîné, des iris métalliques braquées sur elle. Elle tressaille, rien qu'à les croiser.

Elle se redresse en lissant nerveusement le tissu de sa robe, une fois que les applaudissements ont diminué. Blaise fait tinter sa flûte avec une cuillère, il se racle bruyamment la gorge, et pose sur elle le regard le plus encourageant qui soit.

Au cours d'une infime seconde qui lui parait néanmoins s'étendre comme une année, elle s'interroge intérieurement sur la raison qui la plonge dans cet état d'appréhension incontrôlé. Sûrement est-ce parce qu'elle doit parler d'amour et que c'est l'un des rares domaines qu'elle ne maîtrise pas. Ses relations amoureuses se sont toutes soldées par un échec. Le plus souvent en raison de son propre fait, moins d'autres fois. La brève aventure qu'elle et Ron ont partagé à la fin de la guerre n'a été que la première sur la longue liste des déboires par lesquels elle est passée. En quelques sortes. Ils étaient bien meilleurs amis qu'amants, en tout cas. Pour les autres, Hermione ne s'est jamais réellement sentie investie et elle avoue sans honte n'avoir fait que peu d'efforts en ce sens. Trop occupée, trop studieuse, pas suffisamment attachée, pas suffisamment amoureuse. A la fin, toujours la séparation pour conclusion.

Alors, l'amour, qu'en connaît-elle dans le fond ? D'ailleurs, existe-t-il quelqu'un en ce monde qui sache vraiment quoi ce soit à ce propos ?

Cette pensée la fait frémir et la rappelle à la situation qui l'entoure.

- On dit souvent que l'amour est impalpable, commence-t-elle avec douceur. Qu'on le ressent plus qu'il ne se voit, et qu'essayer de le toucher, même du bout des doigts, relève un peu du rêve. Et je dois vous avouer que je l'ai longtemps cru, moi aussi. Mais l'amour, quand il est pur, vous transcende et irradie à travers chaque parcelle de votre être. L'amour, c'est l'alchimie des sens, la part de magie du cerveau. Et cette magie, je la vois chaque jour sur le visage de mon père depuis le matin où il a posé croisé le regard de Leo.

Elle marque une courte pause, essayant maladroitement de contrôler le débit de ses paroles. Car les mots courent sur sa langue et Hermione peine à croire qu'ils peuvent être teintés par tant de mièvrerie. Pourtant, elle les a elle-même choisis. Mais sa voix lui semble un peu rauque et elle a cette désagréable impression qu'une fois encore, ce discours ne lui appartient pas tout à fait. Elle n'a aucune envie de paraître fausse, de sonner creux.

Elle incline la tête sur la droite, croise le regard profondément ému de son père et inspire profondément. Ses pupilles brillent légèrement, peut-être est-ce dû au champagne, mais Hermione préfère penser que les larmes qui bordent le coin de ses paupières lui sont adressées à elle. Parce qu'il la chérie, qu'il est heureux, et que ce trop-plein de sentiments doit trouver un moyen de s'exprimer. Et cette lueur de tendresse à son égard la galvanise.

Alors, mue d'une passion qu'elle ne se connaît pas, elle oublie les mots qu'elle a préparé et reprend.

- Papa, je vois l'amour dans ton sourire, à chaque moment passé en compagnie de Leo. Je le vois dans chacun de tes gestes, du petit-déjeuner trop copieux que tu lui prépares assidûment tous les matins, jusqu'à cette habitude que tu as toujours de replacer une mèche de cheveux derrière son oreille. Je l'entends aussi, tu sais ? Dans tes paroles, quand tu t'adresses à elle ou quand tu parles d'elle en nous parlant à nous, à moi. Je ne t'ai jamais vu aussi heureux, aussi sûr de toi, que depuis ce jour de mars, il y a cinq ans. Je crois que l'amour vous entoure quoi que vous fassiez, où que vous soyez, et vous êtes chanceux d'avoir su vous trouver. Je suis persuadée que tout le monde ici, ce soir, vous envie pour ce lien si exceptionnel qui vous unis. Vous étiez merveilleux séparément, aujourd'hui vous resplendissez ensemble et la seule chose que je vous souhaite, c'est de briller ainsi jusqu'à la fin des temps.

Sa tirade se termine dans un murmure et à son tour, Hermione se sent submergée par ce sentiment d'euphorie. En arrière-plan, elle croit entendre le tonnerre d'applaudissements que l'assistance porte à son discours mais tente, tant bien que mal, de ne pas trop s'en préoccuper.

Elle voit les larmes embuer les yeux de son père, de Leo, mais elle n'est plus vraiment sûre, peut-être sont-ce ses propres larmes qui troublent si outrageusement sa vue. Tout ce qu'elle comprend, c'est que William la prend dans ses bras et la serre si fort qu'elle en a le souffle coupé, dans l'étreinte paternelle la plus puissante qu'ils n'ont jamais partagée. Une autre preuve d'amour, s'il en faut, se dit-elle en ravalant ses sanglots étouffés.

Elle se remet difficilement de ses émotions et ne parvient qu'à déguster sommairement sa part de gâteau qu'elle sait pourtant être un délice pour les papilles. Jusqu'à la fin du dîner, Blaise n'a de cesse de la faire rire et de la taquiner, roulant insolemment des yeux à chacune des remarques lancées par sa tante Ghita.

La complicité entre eux n'est plus à prouver.

Si Hermione a une fâcheuse tendance à le nier, par simple esprit de contradiction, il n'en reste pas moins le frère qu'elle n'a jamais eu. Et elle est la sœur que Blaise n'aurait jamais espérée.

Ils ne retrouvent un semblant de sérieux, cessant leurs babillages avec les autres invités, que lorsque William et Leona Granger-Zabini ne commencent à danser. A nouveau, ils rayonnent, s'embrassent tendrement et se sourit mutuellement avec une intensité poignante. Là, sous la lumière ambrée des projecteurs braqués sur eux, ils ne forment plus qu'un, dans la grâce d'une danse qu'ils n'ont même pas pris la peine de répéter.

La musique d'ouverture se termine et ils voient le couple se diriger vers eux, l'œil plein de malice, pour les prendre l'un et l'autre par le bras pour une nouvelle valse. Blaise avec sa mère, Hermione avec son père, naturellement.

- Merci pour tout ce que tu as dit tout à l'heure, lui glisse gentiment William. Et merci d'avoir voulu prendre la parole, je sais bien que tu n'es pas à l'aise avec ça.

Si le sourire qu'elle lui offre en guise de réponse est empreint de gratitude, son père sait reconnaître la pointe de tristesse qui trahit le fond de sa pensée. Alors il l'encercle de ses bras et Hermione y trouve suffisamment de réconfort pour se confier.

- J'aurai aimé que maman fasse l'effort d'être présente aujourd'hui, dit-elle sans chercher à minimiser son amertume.

- Oh ma luciole…

Une petite perle salée s'accroche au bord de ses cils maquillés et instinctivement, il la chasse du bout des doigts.

- Tu sais que j'aurai toujours de l'affection pour ta mère, n'est-ce pas ? Nous avons été heureux de longues années ensemble, nos chemins se sont simplement séparés. Tu dois arrêter de penser que notre séparation est ta faute…

- C'est un peu le cas.

- Pas du tout, rétorque-t-il d'une voix douce. Nous rendre nos souvenirs a été la chose la plus courageuse que tu aies pu faire au cours de ta vie. Et Dieu sait si tu as du faire preuve de courage… Ta mère et moi t'aimons de tout notre cœur. Et une part de moi l'aimera toujours, elle m'a offert le plus cadeau possible dans cette vie.

- Moi ?

- Oui ma luciole, toi.

Alors elle resserre leur étreinte et laisse sa joue se poser contre l'épaule rassurante de son père en se disant qu'il n'y aucun autre endroit sur Terre où elle se sente plus chez elle. Ils tournoient lentement encore quelques secondes, jusqu'à ce que les dernières notes de violon finissent par se confondre avec la rumeur vague qui règne dans le Grand Salon.

- Vous permettez que je vous l'emprunte, monsieur Granger ?

Cette voix. Elle la reconnaît si facilement qu'elle n'a pas besoin de lever les yeux. Cette voix, elle survient à chaque fois qu'Hermione se sent bouleversée, comme un mirage se dessine fébrilement au-dessus des dunes d'un désert aride. Et cette voix, elle l'ébranle encore un peu davantage à chaque fois.

- Bien sûr. Je vais aller chercher ta mère Drago. Il ne serait pas convenable de pas offrir une danse à notre admirable hôte.

Son père glisse une main autour de son cou et dépose un bref baiser sur son front devenu étrangement moite et s'éloigne dans un sourire qu'elle ne saisit pas.

Hermione daigne enfin relever la tête vers Drago qui lui tend une main qu'elle ne peut décemment pas refuser. Qu'elle ne veut pas refuser.

Elle rit brièvement lorsqu'il l'a fait virevolter sur elle-même avant de l'approcher de lui et de placer sa main dans le bas de son dos. Elle frissonne un peu et son rythme cardiaque s'agite malgré elle. Elle se dit que, ainsi serrée tout contre lui, il doit forcément percevoir les battements erratiques du petit organe respiratoire contre son torse.

Mais il a la noblesse de ne pas le faire remarquer, se contentant de mener la danse. Et Hermione, à cet instant, se laisse aisément conduire. La musique est douce, harmonieuse, et la lumière tamisée par la nuit et les chandelles donne à ce moment un caractère intimiste qu'elle apprécie.

- Je suis presque certain que ce que tu as dit n'avait rien à voir avec le discours que tu avais prévu, dit-il d'un air détaché. Je me trompe ?

- Disons seulement que je me suis un peu laissée emportée.

Elle lui adresse un petit clin d'œil entendu et fait glisser les doigts de sa main droite le long de sa veste de costume, là où saillent ses trapèzes accentués par le Quidditch.

Et Hermione plonge ses yeux dans l'océan qui la sonde fixement. Elle a l'impression de s'y noyer, tant et si bien qu'elle en oublie tout le reste. La musique, la valse des autres danseurs, l'odeur des pivoines qui ornent encore les tables. Il n'existe plus que le mercure impénétrable qui habille le regard de Drago, si profond, dans lequel elle a l'impression de discerner son propre reflet.

Cet instant, cet autre moment volé, il n'appartient qu'à eux. Le temps s'étire jusqu'à ne plus être soumis aux lois de la temporalité. Hermione sait que ça ne durera pas, alors elle accepte, pendant ces quelques minutes, de s'y perdre un peu. Juste un peu. Juste assez pour nicher sa tête dans le creux de son cou, contre cette clavicule qui se dessine sous sa chemise immaculée.

Et comme d'un accord tacite et parfaitement silencieux, Drago raffermit un peu sa prise autour de sa hanche, étreignant le satin de sa robe entre ses doigts.

- Ça ne fonctionne pas, tu sais ? murmure Hermione du bout des lèvres.

Elle le sent de tendre imperceptiblement, son corps toujours aussi prêt du sien.

- Les imaginer tous à poil, précise-t-elle dans un sourire. Je peux t'assurer que ça ne fonctionne pas.

- Ah non ?

La main de Drago remonte dans son dos, subtile, fluette, lui arrachant un frisson qui court dangereusement le long de son échine. La pulpe de ses doigts arrête sa course dans sa nuque, à la naissance de ses boucles brunes savamment relevées en un chignon. Il laisse ses doigts effleurer sa peau, si fine à cet endroit, et Hermione croit qu'elle va chavirer.

Mais cette sensation n'est rien en comparaison de son visage qui se penche lentement vers le sien.

- Pourtant tu vois Granger, moi je n'ai aucun mal à t'imaginer entièrement nue…

Ses mots se perdent alors que son souffle brûlant vient mourir dans le creux de son oreille. Et Hermione flanche. Ses joues se parent d'un rouge qu'elle ne peut contenir et le hoquet qui s'échappe entre ses lèvres ne laisse aucun doute quant à l'effet qu'il a sur elle. Il a déjà gagné. Elle n'a pas besoin de le regarder pour voir ses lèvres s'arquer en un rictus vainqueur.

De toute façon, elle en est bien incapable, son corps entier semble régi par une force invisible. Son pouls bat trop vite, sa respiration est trop courte, ses jambes flageolent trop fort. Elle pourrait se maudire de réagir de la sorte, si seulement ses pensées n'étaient pas toutes dirigées par la seule vision d'elle entièrement nue devant Drago. Et cette pensée… Elle éveille une chaleur dans son ventre, plus bas aussi, beaucoup plus bas et elle ne sait pas comment éteindre le brasier qui s'allume au fond d'elle.

Peut-être le sait-elle. Peut-être qu'en dehors cette bulle dans laquelle ils se trouvent, elle connaît déjà la solution. Mais là, il n'y a qu'eux au milieu de cette foule, insensibles aux regards que l'on peut poser sur eux, oublieux du mouvement des corps autour d'eux. Là, il n'y a qu'eux, cette phrase et les images indécentes qui défilent en boucle dans sa tête.

Lorsque les derniers accords résonnent, qu'il frôle délicieusement sa tempe de ses lèvres avant de disparaître en lui glissant un « À plus tard » chargé de tension, Hermione ne sait plus vraiment où elle se trouve. Elle n'est pas certaine de vouloir s'en rappeler, d'ailleurs. Elle sait seulement que les heures vont désormais s'allonger à l'infini, dans la lenteur la plus agaçante.

Durant le reste de la soirée, elle a du mal à se concentrer sur autre chose que sur le flot de ses pensées qui dérive. Elle sent seulement le poids de ces deux grandes prunelles opalescentes posées sur elle, elle les cherche, les croise et s'en détourne en rougissant.

Il ne lui semble reprendre contenance que bien plus tard, alors que la nuit a enveloppé le domaine, les falaises et l'immensité de l'océan, entre ses bras pleins de ténèbres. La lune règne désormais en maître au-dessus de la voûte célèste, elle se reflète à la surface de la mer qui ondule paisiblement dans l'obscurité.

Les mariés viennent de quitter le manoir dans un claquement bref et un sourire coquin, amoureusement enlacés l'un avec l'autre. La plupart des invités ont également quitté les lieux, la somptueuse réception, et emporté avec eux les souvenirs ensorcelants de cette sublime union.

Les derniers traînards, les plus insouciants, ceux que l'épuisement n'a pas encore tout à fait abattus, sont rassemblés à l'extérieur autour d'un ultime verre qui a la saveur de la gaité. Sur la terrasse qui longe le Grand Salon, désormais plongé dans un calme presque déroutant en comparaison de l'agitation qui y a régné toute la soirée, l'orchestre enchanté a enfin cessé de s'activer. L'atmosphère est apaisante, les conversations se font plus discrètes et les rires moins sonores.

Hermione jette sur ses amis un regard attendri, leurs visages à demi-éclairés par la lumière bleutée de l'astre lunaire qui semble les observer.

Blaise, tout d'abord, dont les yeux brillants trahissent la quantité de champagne qu'il a ingurgité au cours de la soirée.

- Celle-là, c'est la dernière, c'est promis ! assure-t-il une main sur le cœur et dans l'autre, une nouvelle cigarette qui se consume lentement.

Ils rient tous, aucun d'entre eux ne croient vraiment à cette promesse. Surtout pas Ginny, qui fronce le nez en se laissant aller contre le torse de Harry. Le Survivant empoigne passionnément son épouse et embrasse son épaule avant d'étouffer un bâillement. En dehors de Leo et son père, ils sont, aux yeux de la jeune femme, le coupe le plus évident qui soit. Harry et Ginny n'inspirent que la perfection dans son aspect le plus exemplaire. Sur le vaste prisme de l'amour, ils étincellent dans chaque couleur, diffusant leur propre lumière sur tous ceux qui ont la chance de les côtoyer. Ils s'équilibrent, se complètent, se comprennent sans avoir besoin de se parler.

Peut-être est-ce dû à l'avalanche d'émotions qu'elle vient de passer la journée à traverser, mais Hermione les contemple avec une sorte d'admiration nouvellement née.

Elle se dit qu'à cet instant précis, le portrait de ses amis, de sa famille, est décidément parfait.

Il ne manque que Ron pour parachever l'esquisse et en faire un tableau. Car même Ronald Weasley, contrairement à tout ce qu'elle a pu imaginer, s'est fait une raison et a fini par adopter les anciens Serpentard dans ce cercle d'amis. Mais Ron n'a pas pu se libérer professionnellement pour assister au mariage. Il avait un rendez-vous important à Salem, de l'autre côté de l'Atlantique, pour conclure l'ouverture d'une nouvelle boutique de farces et attrapes. Depuis qu'il s'est associé à Georges dans la gestion du magasin, l'enseigne n'a de cesse de se développer. Hermione est ravie pour eux et, naturellement, ne lui tient pas rigueur de son absence. Son ami lui manque, bien sûr, mais elle n'est pas égoïste au point de lui en vouloir.

Et puis, Ron est bien là, lui aussi, quelque part à travers ses pensées.

Le portrait est parfait.

Et elle ne pourrait en être plus sure lorsque, tandis qu'elle réprime un frisson, Drago la recouvre de sa propre veste sans même prononcer le moindre mot. L'odeur qui s'en dégage s'immisce instantanément dans ses narines et la bouleverse plus que de raison. Elle reconnaît la menthe, le musc et l'encens avec presque trop de précision. Ces notes, elle a trop souvent cherché à les humer dans l'air, depuis qu'elle les a senties sur lui. I y a bien des années.

Il presse légèrement son épaule, suffisamment pour l'arracher à ses souvenirs olfactifs et la ramener à la réalité qui les entoure.

- Nous allons y aller, annonce Ginny. Je n'ai pas envie de tenter le transplanage d'escorte avec un endormi.

Elle sourit en saisissant la main de Harry dont les paupières papillonnent de plus en plus régulièrement. Hermione sait qu'elle devrait se joindre à eux, que leur départ devrait, invariablement, engendrer le sien. Mais une main invisible la retient et elle accepte d'ignorer simplement la petite voix dans sa tête qui lui dicte d'être raisonnable et de rentrer.

- Je pars aussi, si je reste une minute de plus, je risque de briser le serment que je viens à peine de faire !

- Et tes poumons t'en remercient vivement, plaisante Drago.

Blaise écrase son poing contre le bras du blond et ils échangent tous une flopée d'embrassades pour se saluer. Deux craquements secs retentissent dans la nuit et bien vite, il n'y a plus que le silence. Il n'a rien de pesant, il n'existe pas de gène, rien que le bruit lénifiant de leurs respirations presque synchronisées et celui du vent qui souffle à travers les branches des magnolias.

Hermione resserre un peu les pans de la veste autour d'elle en s'adossant contre la rambarde. Lui n'esquisse pas le moindre mouvement, se contentant de la jauger de son regard à la fois amusé et pénétrant.

- C'était une magnifique réception, dit-elle.

Alors, elle le voit s'approcher. Un pas pondéré après l'autre. L'expression qui court sur les traits de son visage est indéchiffrable et elle sent bien qu'il se contient. Il se contient de lui montrer qu'il se délecte de la voir troublée, qu'il s'impatiente et que, tout comme elle, il refoule la nuées de questions qui le traverse.

- Certainement loin d'être aussi magnifique que tu ne l'es.

Pourquoi sa voix ne souffre-t-elle d'aucune hésitation ? Pourquoi semble-t-il si sûr de lui alors qu'elle se sent fondre si facilement ? Elle tente bien de s'interroger mais, prise par cet élan qui enflamme à nouveau tout son corps, elle décide de repousser ce questionnement à plus tard.

Car à nouveau, Hermione plonge dans ces yeux, sans chercher à y résister. Ils flottent un peu partout autour de son visage, dans sa nuque une seconde, avant de remonter et de s'ancrer sur ses lèvres qu'elle ne peut s'empêcher d'humidifier.

Alors il penche la tête et suspend son geste à une poignée de millimètres de la sienne. Il est si près maintenant qu'elle peut sentir sa respiration s'échouer sur sa bouche. Elle, elle a tout bonnement arrêté de respirer, en même temps que le monde a cessé d'exister autour d'elle et que le temps n'est plus soumis à aucune règle.

Il la regarde, l'air d'attendre de la voir initier le moindre geste. Tout comme elle, Drago sait que, s'ils osent, tout devient réel. L'hésitation, les instants volés, s'ils osent, tout devient factuel.

Hermione Granger tremble, expire silencieusement et, du bout des doigts, cherche la pommette de Drago Malefoy.

- C'est une nuit idéale pour passer de l'imagination à la réalité.


Fin ouverte, libre à vous d'imager la suite - ou pas.

A bientôt !