Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas.

Univers : Post-Spectre.

Note : Participation au SV31 (Sur votre trente-et-un) d'Almayen. Un couple/duo pour 31 prompts (les prompts serviront de titre de chapitres).

Note bis : Pour les personnes qui suivaient "A la recherche du temps perdu", je l'ai supprimé car le SV31 reprend des idées que j'avais en tête pour les prochains chapitres mais qui rentrent bien mieux ici.


Chapitre 1 - Improbable


Des vœux, Bond n'en fait plus.

Il a arrêté enfant, lorsque ses parents sont morts et qu'il a compris que cela ne servait plus à rien d'espérer. Il a souhaité pendant longtemps être heureux avec sa famille, croyant naïvement que ce serait possible, mais il s'est heurté à la triste réalité d'un monde froid. Perdre ceux qui lui étaient les plus chers a suffi à réduire en cendres son innocence.

Chaque année, entendre les gens autour de lui s'échanger des vœux lui tire un sourire amer. À quoi bon offrir de meilleurs vœux à des personnes qui vivront une année pire que la précédente ? Qui connaîtront la souffrance, la maladie, la mort et le deuil ? Pourquoi donc souhaiter tant de bonnes choses alors que le mal rôde si près ? Tout lui semble inutile, si futile.

Tout du moins, c'était sa vision de la vie avant qu'elle ne se retrouve brutalement chamboulée par des changements tout à fait imprévus.

L'arrivée d'un nouveau quartier-maître, en premier lieu. Jeune, sûr de lui et très doué. Habile à réagir à ses attaques verbales sans le moindre doute et à faire des traits d'humour même en retrouvant ses gadgets complètement détruits. Q a su lui prouver que l'âge n'est pas un gage de qualité et ils ont beaucoup appris l'un de l'autre, même si le double zéro ne l'avouera jamais.

Il y a ensuite eu l'attaque de Silva et la mort d'Olivia Mansfield, l'ancienne M, son ancienne patronne, celle qui était comme une mère pour lui. Une mère un brin tyrannique qui n'aurait pas hésité à le faire descendre en cas de grave désobéissance, mais une mère quand même. Sa disparition a eu l'effet d'un électrochoc chez l'agent de terrain, le poussant à entamer une vengeance en bonne et due forme, le menant presque jusqu'à l'insubordination.

En même temps, Gareth Mallory a surgi dans ses habitudes bien rangées. Dans son costume trois pièces taillé à la perfection, il s'est installé au poste d'Olivia, prenant sa place pour gérer d'une main de fer les affaires du MI-6. La cohabitation entre le porteur du permis de tuer et son nouveau supérieur n'a en rien été évidente mais elle a fini par se faire après des mois de différends et d'échanges chaotiques.

L'équipe est bien rodée désormais. Mallory a compris que Bond se doit d'agir de son côté sans forcément recevoir des ordres et qu'il parvient presque toujours à se rattraper pour éviter les ennuis. Q n'ignore pas que les piques acerbes et répétées du double zéro sept ne sont rien de plus qu'un jeu pour l'agacer mais sans le pousser jusqu'au-delà de ses limites. Moneypenny s'est habituée aux clins d'œil moqueurs de l'espion et à ses bouquets de fleurs réguliers quand il tient à taire quelque chose à leur patron. Tanner, quant à lui, a pu tester l'habileté de l'agent à enlever leur chef lorsqu'il lui faut avoir des conversations importantes en-dehors du MI-6.

En soi, il n'y a rien d'anormal, juste une routine qui s'installe peu à peu et qui semble durer depuis le retour de Bond en service actif. Partir avec Madeleine n'a été qu'une brève aventure dont il s'est lassé très vite, préférant retrouver l'adrénaline des missions pour le compte de Sa Majesté.

Tout paraît être calme. Jusqu'au jour où une bombe explose dans le nouveau quartier général des services secrets alors que James est à l'autre bout de la ville.

Ce jour-là, il fait un vœu. Le premier depuis la mort de ses parents. Le premier qu'il adresse pour protéger une personne qui lui est chère. Il souhaite que tout aille bien pour ses collègues restés sur place, que tout aille bien pour la charmante secrétaire de M, que tout aille bien pour le quartier-maître, que tout aille bien pour le chef d'état-major. Et, plus que tout, que Mallory soit vivant.

C'est étrange ce coup du sort qui pousse les uns et les autres à prendre conscience de leurs sentiments uniquement au moment où un drame se produit. Il suffit d'un petit rien pour qu'un cœur se serre et que son propriétaire comprenne enfin qu'il a au fond de lui cette peur de perdre quelqu'un. Et c'est exactement ce qui arrive à James en entendant l'explosion et en apprenant l'endroit où elle a eu lieu. Lui qui croyait que rien ne pourrait plus l'atteindre, que sa carapace était assez solide, doit bien admettre qu'il s'est fourvoyé.

Son souffle est régulier lorsqu'il parvient aux portes du MI-6. Les secours commencent déjà à s'amasser dans le bâtiment et il peine à traverser le premier couloir. Il jette des coups d'œil dans certaines pièces, reconnaissant des visages familiers. Pour l'instant, ils sont tous en vie. Salement amochés, c'est un fait, mais au moins toujours vivants, ce qui le rassure. Ses pas le mènent à l'étage supérieur, puis encore plus haut, avant de le porter vers un chemin devenu habituel avec le temps.

Faites qu'il ne soit pas mort, se répète en boucle le double zéro. Si un Dieu existe, qu'il le sauve.

Après tout, on peut bien lui accorder la réalisation de ce vœu, n'est-ce pas ? Il n'a plus rien souhaité depuis des années et cherche seulement à garder en vie quelqu'un qu'il respecte.

Quand il arrive enfin à destination, il n'y a personne. James ose espérer que Moneypenny soit ailleurs, en sécurité, en voyant le désastre lié à l'explosion. Des morceaux de meubles sont dispersés dans tous les coins, complètement noircis, et les murs ont été touchés au point de s'effriter dangereusement. Il franchit la lourde porte censée protéger l'entrée du bureau de son supérieur, remarquant l'état dans laquelle elle se trouve, craignant de plus en plus de découvrir une scène insoutenable.

À sa plus grande surprise, il n'y a aucun corps, ce qui l'étonne tout en le soulageant quelque peu. Faire face à un vide complet est bien mieux que de tomber sur le cadavre de son patron mais il sent que la situation n'est pas normale. L'explosion a tout balayé, il le voit nettement, mais il y a des signes qui ne trompent pas, comme le fait qu'il y ait des éléments qui ne devraient pas être là.

Le téléphone portable intact posé en évidence sur les décombres du bureau de M est une preuve flagrante. L'appareil n'a subi aucun dommage, il est comme neuf, et tout porte à croire qu'il a été mis là afin d'attirer son attention. Il en a la confirmation dans la minute qui suit son observation, lorsqu'une sonnerie retentit dans la pièce. Ce ne sont que quelques notes de piano, rien de bien spectaculaire, mais cette mélodie sonne comme un glas aux oreilles de l'espion. Il tend la main vers le téléphone, n'y lisant qu'un numéro inconnu, puis décroche, même si son esprit lui hurle de jeter au loin l'appareil.

« Toujours aussi rapide, James. »

Son poing libre se serre lorsqu'il reconnaît le timbre désagréable de Blofeld. L'homme à la tête de Spectre s'est échappé de sa prison sécurisée quelques jours plus tôt, alertant l'ensemble des services militaires de l'Angleterre. Des recherches internationales ont été lancées pour le retrouver mais il a des ressources illimitées qui lui ont permis de rester dans l'ombre.

« Que me vaut le malheur de t'entendre ? demande l'espion en tentant de garder une voix posée.

— J'ai une petite surprise pour toi. Vois-tu, il se pourrait que ton précieux M ne soit pas venu travailler ce matin. C'est étonnant, n'est-ce pas ?

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? »

Un trémolo perce dans ses paroles alors que le double zéro songe à son supérieur. Il a déjà échoué à protéger Olivia, il ne tient pas à revivre le même scénario une fois encore.

« Serait-ce de l'inquiétude que j'entends dans ta voix, James ? s'amuse Blofeld. Craindrais-tu pour la vie de Gareth Mallory ?

— Dis-moi ce que tu lui as fait, répète l'agent avec colère.

— Rien de bien méchant, il vit toujours. Mais il va vite devenir un ennemi public à abattre pour la sécurité nationale. Vois-tu, c'est assez suspect d'être absent le seul jour où une bombe explose. »

Le plan de Blofeld est limpide dans l'esprit de l'espion. M n'a jamais quitté son poste depuis qu'il est à la tête du MI-6 et voilà qu'il ne répond pas présent au moment-même où un attentat a lieu dans son bureau. Bien que ce ne soit pas une preuve complètement indiscutable, les autorités ne chercheront sans doute pas plus loin pour trouver un coupable.

« Pourquoi as-tu fait ça ? s'enquiert Bond. Toute cette histoire, c'est entre toi et moi uniquement. Mallory n'est pas impliqué.

— Au contraire. Il a commencé à se mettre en travers de mon chemin à l'instant où il t'a apporté son aide. Et c'est quelque chose qui m'agace prodigieusement. La confiance qu'il t'accorde est stupide, il n'a pas compris la leçon que je t'ai adressée par l'intermédiaire de Silva. Quiconque sera lié à toi en payera le prix, James. Comme il semble que Mallory soit plus attaché à toi qu'à ses autres agents, il souffrira le premier. »

Sur ces paroles presque prophétiques, Blofeld raccroche, laissant le double zéro dans un état d'angoisse qui le paralyse. Il devrait déjà être en train de courir jusqu'aux bureaux de Q pour identifier la source de l'appel et régler l'affaire mais il ne bouge pas, le cœur battant. Son regard est fixé sur l'écran d'un ordinateur qu'il n'a pas vu en entrant et sur la vidéo diffusée avec une grande qualité d'image.

Un homme qu'il reconnaît comme étant M se trouve sur une chaise, presque endormi, sans entrave, les vêtements ensanglantés, la tête penchée en avant, ses traits dissimulés par les ombres de la pièce. Pourtant, James n'a aucun doute sur son identité et il tente d'ignorer la peur de plus en plus pesante qui l'envahit. Une quantité aussi importante de sang n'est pas rassurante, d'autant plus que son patron semble avoir été maltraité. La caméra passe à un plan moins rapproché, dévoilant le petit salon d'un appartement avec de nombreux papiers au sol et quelques matériaux utiles à la préparation d'une bombe. L'objectif s'éloigne encore un peu pour révéler à l'espion britannique un corps sans vie transpercé de plusieurs balles. La seconde qui suit, tout devient noir.

Sans pouvoir se retenir, James donne un coup dans l'ordinateur qui tombe et se fracasse au sol. L'impuissance est en train de gagner du terrain dans son esprit et il maudit Blofeld pour ses actes. Il comprend tout le scénario mis en place par son ennemi, toutes les fausses preuves accumulées afin de présenter Mallory comme le coupable idéal. La victime, le sang, le nécessaire pour faire des explosifs, tout a été pensé pour le désigner comme unique responsable de l'attentat survenu au MI-6.

Chassant les sentiments négatifs qui l'empêchent de réfléchir, le double zéro sept se met à faire les cent pas. Avec un peu de chance, l'appartement visible sur la vidéo est celui de M, ce qui lui garantit la possibilité de le retrouver. Même s'il ne lui a jamais dit, James a pris la liberté de récupérer l'adresse de son supérieur, comme il l'avait déjà fait avec Olivia. Avoir un coup d'avance sur la personne qui est détentrice de l'autorité peut parfois se révéler utile. Dans ce cas-ci, c'est surtout sa destination première, bien que le reste du plan soit encore flou dans sa tête.

Pressé par cette situation qui risque de s'envenimer à n'importe quel moment, James s'élance dans les couloirs et retrace le chemin inverse, dévalant les escaliers dans la précipitation. Une fois dehors, il retourne à sa voiture, s'engage dans la circulation de Londres et maudit les automobilistes trop lents – trop respectueux du code de la route là où il aimerait pouvoir aller plus vite, contre les minutes qui s'écoulent, contre ce monde qui tourne encore, encore, encore. Plusieurs fois, il grille des feux rouges, tout en veillant à ne pas commettre d'imprudence ; ce serait ridicule d'être pris dans un carambolage alors qu'il cherche à sauver des vies.

Au pied de l'immeuble, il se rend compte qu'il ignore comment procéder. Rien ne lui garantit que des sbires de Blofeld ne s'y cachent pas, dans l'attente, armés et déterminés à l'éliminer. Cependant il ne recule pas, il n'est pas venu là pour se terrer et il est prêt à tuer tous ceux qui se mettront en travers de sa route. James enlève la sécurité de son pistolet avant de grimper dans les étages, jusqu'à atteindre celui où vit M. Il ne lui faut que peu de secondes avant de repérer la bonne porte, entrouverte, et de s'y faufiler sans prendre la peine d'inspecter les lieux.

« Mallory ? souffle-t-il. »

Sans réponse, il s'aventure dans le salon, presque identique à ce qu'il a aperçu dans la vidéo : de nombreux papiers jonchent le sol, un corps criblé de balles est abandonné là, à la différence que la chaise n'a plus d'occupant. Mallory est affalé à quelques pas de là, hagard, et il n'en faut pas plus à James pour se précipiter à ses côtés. À l'instant où leurs regards se croisent, M a un mouvement de recul avant de s'apaiser et l'agent devine qu'il ne l'avait pas reconnu.

« Que se passe-t-il ? murmure son supérieur.

— Je n'ai pas le temps de vous expliquer, il faut sortir d'ici. »

Le double zéro aide Mallory à se relever et avise son expression surprise à la découverte du cadavre qui gît non loin d'eux. Ils traversent l'appartement et, dans l'entrée, James récupère une veste qu'il tend à son supérieur, pour dissimuler un minimum son état mal en point. Par chance, ils ne croisent personne dans les escaliers mais l'agent reste sur ses gardes, son arme à la main. Ils se dirigent vers sa voiture lorsqu'un instinct pousse James à s'arrêter. La vision de ses pneus crevés suffit à changer ses plans, il ne prend pas le risque de s'en approcher et entraîne alors M vers l'exact opposé de leur position. Ils n'ont pas encore complètement franchi les limites du quartier qu'une explosion secoue les lieux ; Bond n'a pas besoin d'un coup d'œil en arrière pour savoir que son véhicule n'est plus que cendres.

Un instant d'inattention, un seul, et ce maigre équilibre bascule à nouveau. James entend le cri de douleur de Mallory, il voit l'éclat de la lame et le sourire vainqueur de leur adversaire. Sans réfléchir, il riposte, désarme l'inconnu et se sert de son poignard pour le neutraliser, non sans remarquer que derrière eux, à une dizaine de mètres, trois autres hommes viennent de surgir. Conscient que seule la rapidité les sortira de ce piège, James saisit la main de son supérieur et l'entraîne à sa suite, en prenant le risque de traverser la route sans se soucier de savoir si les voitures auront ou non le temps de s'arrêter – avec un peu de chance, peut-être leurs ennemis subiront la circulation de plein fouet.

Courir est désormais la seule solution s'ils veulent s'en sortir vivants. Les pas se font plus rapides sur le béton des rues, les souffles sont plus forts, la panique s'accroît. Jetant sans cesse des regards en arrière, James presse son supérieur, inquiet quant à la distance qui se raccourcit entre eux et leurs adversaires. Mallory ne peut qu'acquiescer, incapable d'articuler le moindre mot tant son corps le fait souffrir. La blessure à son flanc continue de saigner, l'affaiblissant, et il finit par supplier le double zéro de s'arrêter quelques instants. L'agent hésite mais, en voyant l'état fébrile de M, il capitule et ralentit la marche.

« Vous feriez mieux de me laisser et de fuir, Bond, murmure difficilement le plus vieux. Je suis un poids pour vous.

— Je dois vous protéger, rétorque James. »

Son ton n'admet aucune protestation, implacable. Ils poursuivent leur chemin et s'engouffrent dans une vieille rame de métro, fermée depuis bien longtemps – James ne peut que remercier intérieurement Q de lui avoir appris à se repérer dans les souterrains de Londres lors de la fuite de Silva. Ils ne sont éclairés que par de rares lampes encore en état de marche, leurs silhouettes sont les seules qui se découpent sur les murs et il semble à l'agent que leurs opposants n'ont pas encore découvert cette cachette opportune. M en profite pour lâcher la main de James et s'asseoir, de plus en plus pâle, une main pressée contre sa blessure. À côté de lui, James s'agenouille, l'obligeant à retirer ses doigts pour observer l'étendue des dégâts. Tout ce qu'il voit, en premier lieu, est la quantité de sang, si importante, trop importante alors qu'ils n'ont rien sous la main.

« Connaissez-vous l'emplacement des planques du MI-6 ? s'enquiert James en dissimulant son trouble.

— Je ne sais même pas … où nous sommes, souffle difficilement Mallory. »

Le double zéro lui répond et attend, il note l'étincelle dans le regard de son supérieur, ce moment où M parvient à se rappeler avant de lui indiquer d'un geste vague de la main dans quelle direction ils doivent se rendre. James remet Mallory sur pied, pour reprendre la route, augmenter la distance, et enfin s'assurer une sécurité bien meilleure que cet interlude dans les souterrains. Ils avancent dans le silence, lentement, avec pour seule compagnie le bruit lointain de la circulation, les klaxons des voitures et la respiration hachée du chef de la section double zéro.

Parvenus à destination, James pousse la porte du refuge. Son pas est ralenti par le poids supplémentaire de Mallory qu'il amène difficilement jusqu'au canapé. Peu importe le risque d'imprégner le tissu avec le sang qui s'écoule de la blessure, les problèmes ménagers seront pour plus tard. Sans cérémonie, le double zéro retire la veste puis la chemise de son supérieur, tout en veillant à ne pas faire de gestes trop brusques. M bouge à peine à ce contact, plongé dans un état entre conscience et inconscience. James examine la peau à vif et la profondeur de la blessure, grimaçant en remarquant que c'est bien plus grave qu'il ne l'avait imaginé. Il enlève sa propre veste et remonte les manches de sa chemise pour se mettre un peu plus à l'aise avant d'aller chercher le nécessaire de soin.

Par chance, le refuge est encore équipé. James récupère ainsi du désinfectant, des bandes, des pansements, du fil chirurgical, une aiguille et de la pommade, regrettant de ne pas avoir de quoi anesthésier un peu son patron. Avec des gestes automatiques, assurés par des années à les répéter sur lui-même, l'agent veille à ce qu'il n'y ait aucun corps étranger dans la blessure puis il verse une bonne quantité de désinfectant, tirant un grognement de douleur à M. James ne tient pas compte de ce mouvement soudain, il poursuit sa manipulation en refermant la plaie. C'est au moment où il coupe le fil que son supérieur ouvre enfin les yeux, plongeant son regard bleu dans le sien.

« Je vous avais donné un ordre, Bond, murmure Mallory. Vous deviez me laisser sur place en cas de problème.

— Je ne pouvais pas vous abandonner en pleine rue alors que vous vous vidiez de votre sang, Sir. J'ai une certaine forme d'éthique qui implique de ne pas faire mourir tous mes supérieurs. »

Dans sa voix perce les dernières traces de douleurs dues à la disparition de la précédente M. Pour ne pas être submergé par ce souvenir malvenu, James reprend la parole, coupant ainsi les possibles réflexions de Mallory.

« Je vais avoir besoin de votre participation. Est-ce que vous pouvez vous asseoir ?

— Je pense que j'en suis encore capable, oui, réplique M sur un ton mordant. »

Le dire est une chose, le faire en est une autre, bien plus compliquée. James l'aide dans la manœuvre, avec une douceur inhabituelle. Une fois que le plus vieux se tient enfin sur son séant, l'agent se charge de bander la plaie sans trop serrer. Ils ont eu de la chance, la lame de leur adversaire aurait pu faire plus de dégâts, même si la blessure devra être surveillée avec beaucoup d'attention pour éviter une infection. L'espion débarrasse le matériel puis se lave les mains, fortement, hypnotisé par ce sang qui n'est pas le sien et qu'il aurait préféré ne pas avoir sur sa peau.

James passe par le petit espace cuisine du refuge où il récupère des biscuits périmés depuis des mois ainsi que des canettes de soda, assez fraîches pour les désaltérer après ce qu'ils viennent d'affronter. À son retour dans la pièce principale, il découvre que Mallory bataille avec sa chemise pour tenter de la remettre. Le plus jeune dépose son chargement sur la table basse, déniche un plaid troué dans l'unique armoire de la pièce et rejoint son supérieur. Il l'interrompt dans son mouvement, lui enlève une seconde fois sa chemise et pose sur ses épaules la couverture qu'il a en main. La gratitude sur le visage de M le touche bien plus qu'il ne l'imaginait et il s'autorise un sourire.

« Vous devriez dormir un peu, Sir, votre organisme a besoin de reprendre des forces.

— J'ignorais que vous aviez un côté mère-poule, Bond, déclare Mallory sur un ton amusé.

— Ce serait plutôt le rôle de Moneypenny. Je ne fais que protéger mon pays. »

Ses mots sonnent creux à ses oreilles et M n'est pas dupe de cette excuse. Mais James est soulagé dès l'instant où Mallory oriente la conversation vers un autre sujet, sans s'attarder. C'est la vérité sur les derniers événements qui intrigue le chef du MI-6, il n'a aucun recul sur leur situation, il a subi une attaque sans en connaître la raison, et l'agent lui raconte ce qu'il a vu.

L'explosion. Les blessés. Le bureau dans un piteux état. Le téléphone portable intact. L'appel de Blofeld. Puis l'ordinateur et sa vidéo. À cette pensée, le cœur de James se serre mais il poursuit ses explications, conscient que s'arrêter reviendrait à admettre à quel point il a été bouleversé. Mallory le remercie pour sa franchise avant de lui reprocher d'avoir débarqué chez lui sans en avoir reçu l'autorisation. Un nouveau sourire vient flatter les lèvres de l'agent, il s'attendait à cette remarque, si fidèle au caractère habituel de son supérieur.

« Merci d'être venu, souffle M. »

James ne répond pas, il devient avare de mots et se contente de hocher la tête. Puis Mallory, épuisé, accepte enfin de s'allonger sur le canapé, avant de sombrer dans les bras de Morphée, fatigué d'avoir lutté aussi longtemps contre la douleur. Le double zéro, de son côté, ne parvient pas à fermer les yeux. Son esprit est assailli par tous les événements survenus en moins d'une journée, le tourmentant sans répit. Il a cru que son besoin de protéger Mallory était uniquement dû à sa fonction mais il lui faut admettre que cette excuse ne rime plus à rien. Ce n'est pas parce que M est son patron que l'agent de terrain s'est démené pour le sauver, il y a autre chose et cela lui fait peur ; il l'a ressenti au moment de l'explosion et il y pense encore.

Le double zéro sept n'est pas connu pour son sentimentalisme, il agit pour le bien de la couronne, protège les pays, honore le sien et batifole lorsqu'il en ressent l'envie. Il ne s'attache pas – ou presque pas – et il a une liste de conquêtes plutôt conséquente. Il ne se définit pas lui-même comme quelqu'un d'émotif, habituellement, mais il a aujourd'hui l'impression que son âme entière souffre. Dès que son regard se pose sur les vêtements tachés de sang, sur la silhouette endormie de son supérieur ou sur n'importe quel objet de la pièce, la colère l'étreint, violente, et malvenue.

Gêné par la certitude qui se dessine peu à peu, l'espion quitte son fauteuil. Il s'éloigne pour aller se verser un verre d'eau, la gorge nouée. Ses muscles sont tendus, prêts à l'attaque, il déborde d'un besoin de combattre quelqu'un ou de libérer son énergie mais il n'a pas la possibilité de sortir du refuge. Appeler Q serait une alternative, le jeune homme leur est fidèle et n'hésiterait pas à les secourir mais James n'est pas certain de vouloir impliquer le quartier-maître.

« Bond ? »

La voix faible de M sort l'agent de ses pensées. Il repose son verre et rejoint son supérieur, alarmé par son ton. Mallory est assis sur le rebord du canapé élimé, le teint pâle, les yeux brillants de fièvre.

« Je suis là, murmure James en s'accroupissant devant lui. »

Spontanément, il prend les mains de l'autre homme dans les siennes, remarquant la chaleur qu'il dégage. Ce n'est pas un signe positif, pas après ce qu'ils viennent de traverser. L'agent essaye de garder une expression neutre mais il devine rapidement son échec en apercevant la surprise dans les pupilles de M.

« Je vais bien, Bond, j'ai juste pensé que vous étiez parti.

— Je n'allais pas vous laisser seul, conteste James en fronçant les sourcils. Je sais que je ne suis pas la personne la plus recommandable mais je ne prendrai pas le risque de vous perdre.

— Je ne suis pas Olivia, je n'ai pas besoin d'une protection constante. Je ne mourrai pas devant vous, si c'est cela qui vous dérange tant.

— Devant moi ou non, ce n'est pas le problème. Je ne supporterais pas ... »

Il n'est pas aisé pour lui de poursuivre ; comprendre qu'il éprouve des sentiments pour Mallory est déjà une étape importante mais franchir la suivante lui semble insurmontable. Tout en se redressant, il marmonne qu'il doit prévenir Tanner. Il lit de l'incrédulité dans les yeux de M mais il s'en détourne, soucieux. À force de veiller sur son supérieur, il en a omis les retombées des actes de Blofeld. James compose le numéro du chef d'état-major, avec une inquiétude croissante ; que fera-t-il si jamais Tanner est tombé dans le piège de son frère adoptif ? Mais il est rassuré dès que l'autre homme décroche et lui demande avec honnêteté comment se porte leur supérieur. L'agent double zéro lui résume la situation, bien plus vite qu'il ne l'a fait avec Mallory, et il s'assombrit à l'instant où Tanner lui confirme que des rumeurs commencent déjà à circuler.

Aucun plan ne se dessine pour eux, tout n'est que brume et incertitude. James ne comprend pas que le gouvernement ne prenne pas plus au sérieux l'évasion de Blofeld et soit aussi insensible à la présence de leur ennemi dans les rues de Londres – ou d'une autre ville, voire d'un autre pays mais ce détail n'est pas le plus important pour l'agent. Mallory a prouvé de nombreuses fois à la nation à quel point il est proche de la sécurité de la population et du monde entier, il a essayé de maintenir le programme double zéro à flots lorsque Denbigh a voulu les éliminer mais voilà que chacun semble oublier ces instants afin de passer la corde au cou du mauvais coupable.

Après une courte hésitation, Tanner leur conseille de rester dans leur planque et de n'en sortir sous aucun prétexte. Il annonce ensuite à mi-mot qu'il enverra Moneypenny leur apporter des provisions dans les prochains jours. Le chef d'état-major s'excuse ensuite de ne pas pouvoir en faire plus pour les aider mais James lui assure qu'ils sauront se débrouiller ; le double zéro n'ignore pas que Tanner aura sans doute beaucoup de mal à échapper à une stricte surveillance, d'autant plus qu'il aura la charge du poste de M en attendant un changement dans la direction de la section.

Quand il finit par raccrocher, James se sent à la fois inutile et impuissant. Tout cela s'est produit si vite, leur monde a basculé en une fraction de seconde, à cause de Blofeld et de sa vengeance. L'agent aimerait revenir en arrière, au petit matin, pour éviter l'improbable mais il est trop tard, il va devoir s'armer de patience et de détermination pour parvenir à ramener Mallory sain et sauf au MI-6, lui rendre sa place et se débarrasser de son frère adoptif dans la foulée.