Chapitre publié le 12 août 2018

Chapitre 25 : Promesses

Il n'y avait que Ténèbres et silence, plongés au sein d'une grande tristesse.

Le garçon se tenait, solitaire, au sein de cette immensité. Elle ne voyait pas son visage, mais elle le connaissait. Il esquissa un geste et une vague de peur figea son corps. Elle voulut le supplier, lui crier de ne rien faire, mais elle ne pouvait trouver sa voix, ou bien peut-être ne l'entendit-il pas.

Le garçon sourit, d'un sourire large et enfantin qui pourtant ne dissimula pas complètement la mélancolie et l'anxiété qui l'habitaient. Elle voulut hurler, mais déjà il abaissait son arme vers son cœur. Une vive lumière l'éblouit brièvement, perçant les Ténèbres en s'échappant de sa poitrine, et elle ne put qu'observer avec impuissance comme il fermait les yeux, comme ses forces disparaissaient alors que la vie le quittait.

Il tomba en arrière, et elle se précipita pour tenter de le rattraper. Il lui semblait que la scène se déroulait au ralentis, mais elle était trop lente, beaucoup trop lente.

A l'instant où elle tendait les mains, sur le point de le toucher, il disparut sous ses doigts en une multitude d'éclats de lumière qui s'évaporèrent dans les Ténèbres, et ses mains se refermèrent sur le vide.

« Sora ! »

Kairi se réveilla en sursaut, à bout de souffle comme si elle venait de courir un marathon dans son sommeil.

Le silence et la lumière froide de sa chambre, inchangés quelle que soit l'heure de la journée, l'accueillirent avec indifférence. Elle regarda le mur opposé sans même le voir ; ses mains s'entremêlaient dans le drap froid qui la recouvrait, et elle ramena ses genoux contre elle dans un besoin de réconfort.

Elle était toute seule...

Elle savait ce que ce rêve signifiait. Ce n'en était pas un ; juste la réminiscence d'un autre souvenir qu'elle avait perdu. Elle enfonça son visage dans ses genoux ; ses cheveux vinrent la dissimuler aux yeux du monde.

Elle en était certaine à présent : quoi que ce puisse être, quelque chose d'horrible était arrivé à Sora. Quelque chose qui avait provoqué sa disparition et... elle devait se rendre à l'évidence non ? Yeul lui avait dit que Xion veillait sur Sora, du moins ce qu'il était devenu. Mais qu'avait-il pu lui arriver pour qu'il devienne Roxas, une autre personne qui lui ressemblait beaucoup mais qui était pourtant si différente de lui ?

Sora... comment as-tu perdu ton cœur ?

Comment pourrait-elle le sauver à présent ? La réponse gisait probablement au Manoir Oblivion, où que ce lieu se trouve. Elle devait la trouver.

Elle se remémora à quel point Roxas avait eu l'air heureux quand il lui avait présenté sa collection de trouvailles soigneusement et patiemment constituée, à présent son seul lien au monde. Elle n'avait voulu pour rien au monde que ce sourire disparaisse.

Je te promets que je te protégerai, Roxas. Je... te sauverai, je le promets. Je ferai en sorte que rien ne t'arrive.


Un vent léger venait balayer la cime des arbres, dispersant la chaleur de cette fin de mois de mai. Au-delà, elle apercevait quelques toits de la cité du crépuscule, surmontés par le clocher de la tour de la gare, minuscule dans le lointain. Le paysage endormi sous le ciel rougeoyant ne changeait jamais, mais Xion, pelotonnée sur le rebord intérieur de la fenêtre contre la vitre entrouverte, ne pouvait détourner le regard de cette vue devenue familière. Il y avait peu – quelques heures, ou quelques jours – des enfants de la ville étaient venus jusqu'aux grilles closes du manoir. Elle les avait déjà aperçus de loin quand elle était en mission dans la cité. Ils ne s'étaient pas attardés quand ils avaient compris qu'ils ne pouvaient pas aller plus loin et elle les avait regardés s'éloigner avec regret depuis sa fenêtre.

Que pouvait-elle faire d'autre ? Les jours avaient passé, sans amener avec eux quelque chose de nouveau. L'irritation la reprit momentanément. Elle en avait assez.

Un bruit près de la porte attira son attention. Riku... oh. Cela faisait longtemps. Où était-il passé ? Elle réalisa qu'elle était presque heureuse de le revoir mais sa réaction face à cette réalisation se perdit quand elle constata dans quel état il se trouvait.

Écarquillant les yeux et laissant échapper malgré elle une exclamation étranglée de surprise, Xion glissa à bas de son siège. Riku avait l'air plus amaigri, ses traits lui semblaient plus creusés. Il se tenait légèrement voûté en avant, comme s'il n'avait plus la force de se tenir droit, et de larges taches de sang maculaient son manteau noir, qui avait également collecté quelques estafilades. Sa manche gauche, du moins ce qu'il en restait, était relevée, dévoilant le large bandage rougeâtre grossièrement enroulé autour de son avant-bras. L'odeur du sang assaillit ses narines.

« Que... Qu'est-ce qu'il t'est... arrivé ? demanda-t-elle à mi-voix, sans cacher l'horreur dans sa voix.

-Ne t'en fais pas. » Les traits de Riku étaient tendus, comme s'il faisait tout son possible pour masquer sa douleur. « Ils ont failli m'avoir. Ils m'ont tendu un piège mais j'ai réussi à les semer. Je n'étais pas sûr, alors j'ai vagabondé dans plusieurs mondes pour brouiller les pistes avant de rentrer. Urgh... »

Ses jambes se dérobèrent et il ne se retint in extremis que d'une main sur le mur. Sous les yeux interdits de Xion, il haleta et entreprit de se redresser lentement, le dos tremblant.

« … Naminé... »

Xion n'osa s'approcher et fit un pas sur le côté, indécise, serrant ses doigts entre ses mains.

« Tu es vraiment dans un sale état », dit-elle à voix basse, partagée entre la défiance qu'il lui inspirait naturellement et une vague de pitié qui enflait en elle.

Il ne répondit pas, et étrangement, cela ne fit que l'agacer davantage.

« Il y a du matériel de soin dans l'armoire de la pièce à côté, l'informa-t-elle. Tu le sais, non ?

-...Oui. »

Le froncement de sourcils de Xion s'accentua, et elle détourna abruptement le regard.

« Alors allons-y. »

Elle contourna Riku et s'engagea dans le couloir sans s'assurer qu'il la suivait, mais bientôt elle entendit ses pas, d'ordinaire silencieux, qui traînaient sur le vieux plancher. Ce jour-ci, elle s'était installée dans l'autre aile du manoir, non loin de la bibliothèque. Elle poussa la porte de la pièce voisine, et une odeur de renfermé et de vieux papier vint l'accueillir. Entre deux bibliothèques poussiéreuses, un petit cabinet de bois clair était le seul meuble entretenu et dénué de poussière. Elle tira la porte vitrée et commença à farfouiller à l'intérieur, tentant de déchiffrer les boîtes de produits inconnus en fronçant les sourcils.

Riku clopina dans la pièce et s'arrêta à quelques pas derrière elle sans un mot. Finalement, il reprit la parole :

« J'y étais presque, tu sais. J'ai failli les avoir tous les deux. » La main de Xion serra un peu trop fortement l'emballage de pansements, en froissant le carton fin. « Mais l'Organisation avait tout prévu et elle m'a rattrapé. J'ai réussi à m'enfuir, mais je les ai perdus de vue. J'ai dû passer ces dernières semaines à fuir l'Organisation. Ils étaient... plus tenaces que prévu. »

Elle dénicha une pochette de bandages, du coton et une petite fiole opaque de ce qui semblait être une potion désinfectante. Elle regretta l'absence de potions, mais DiZ devait les garder sous clé dans sa propre chambre.

« Je suis revenu à la case départ, continua-t-il encore, la voix plus éteinte que précédemment. Je... Je n'ai pas encore vu DiZ. Il va être furieux. »

Elle lui jeta un regard par-dessus son épaule, sans pouvoir retenir quelques soupçons. Le voir dans un tel état de vulnérabilité était si étrange, si anormal, qu'elle ne put s'empêcher de se demander s'il jouait la comédie pour une raison quelconque. Mais... non, il se retenait d'une main au dossier d'une chaise, une grimace de douleur menaçant de se dessiner sur ses traits, le front trempé de sueur mêlée de crasse, et le regard soigneusement abaissé.

Avait... avait-il honte ?

Elle baissa les yeux à son tour, comme si son embarras était contagieux. Elle ne savait comment réagir après tout : elle ne voulait pas éprouver de la sympathie pour lui, encore plus maintenant qu'il venait d'avouer avoir tenté de s'en prendre à son meilleur ami !

« As-tu pu faire des progrès de ton côté ? ...Non, bien sûr que non, c'est impossible. Excuse-moi, Naminé. »

Xion releva les yeux, mais le jeune homme évitait toujours son regard. Elle posa le paquet de bandages et la fiole sur une petite table à la surface rayée et déchira l'emballage du paquet de coton.

« … Tu ne dis rien ?

-... Tu ne voudrais pas rentrer chez toi ? » dit-elle d'un ton détaché en administrant de la potion désinfectante sur un morceau de coton. Ce qu'elle avait vraiment voulu dire tenait plus de lui demander de la laisser tranquille, mais il se méprit sur son intention.

« Je ne peux pas. Ou plutôt, je ne peux plus. Je... Regarde-moi. Comment pourrais-je regarder Kairi en face après tout ce qui est arrivé ? Sora, Kairi, et tous les autres... ils sont innocents. »

Xion lui tendit le morceau de coton, se demandant pourquoi elle se donnait la peine. A peine l'eut-il pris d'une main tremblante qu'elle laissa échapper les mots qui la mordaient.

« Je comprends, je crois, mais tu es stupide.

-Hein ? »

Il releva enfin les yeux vers elle, la surprise lisible sur son visage malgré ses yeux bandés. Elle le regarda en fronçant les sourcils, sentant toute sa colère face à sa propre impuissance, face à sa propre situation, menaçant de se manifester et de se libérer.

« Tu as des amis, et tu peux passer du temps avec eux. Tu es conscient que tu es le seul à t'en empêcher ? Et tu... tu laisserais passer ça ? »

Peu lui importait à présent qu'un tel ton et de telles paroles ne conviennent pas à cette Naminé dont elle prenait la place.

« Sora est... lui rappela-t-il, le front plissé. Je dois le protéger. Il est important pour les mondes. Alors...

-Ne... ne rejette pas la faute sur moi ! »

L'expression qui s'afficha sur son visage était impayable, mais ce n'était plus la colère qui glaçait le cœur de Xion à présent. C'était la peur. Une panique subite la saisit et elle s'enfuit de la pièce sans un regard en arrière, même quand Riku la rappela d'un ton confus. Elle n'alla pas s'enfermer dans sa chambre mais descendit quatre à quatre le vieil escalier et alla se perdre entre les haies sauvages du jardin.

Qu'est-ce qu'il lui avait pris ? Oh, elle s'en doutait : elle avait passé toutes ces journées enfermée dans ce manoir à ruminer en silence sa situation, et le poids de sa culpabilité, fardeau qui reflétait celui de Riku, avait fini par lui peser. L'entendre évoquer ses peurs et ses regrets, qui évoquaient les siens, elle n'avait pu le supporter : c'était insupportable de continuer à se prétendre une alliée, à le soutenir tout en sachant que sa disparition et celle de son ami le rendraient heureux.

Elle finit par interrompre sa course derrière un petit bosquet ombragé, jetant un regard fébrile derrière elle pour s'assurer qu'il ne l'avait pas suivie, mais le jardin était désert et elle était invisible depuis les fenêtres du manoir.

Elle ne voulait plus rien avoir à faire avec cette histoire. Elle ne pouvait plus rester ici, et elle pensait qu'elle avait un plan, élaboré peu à peu au fil de ses réflexions. Peu importait la raison pour laquelle elle avait atterri dans ce manoir, sous cette apparence, peu importait le but de l'Organisation en l'y envoyant – si elle l'y avait seulement envoyé.

Axel... Roxas... J'ai hâte de vous revoir. Attendez-moi ; je jure de vous rejoindre au plus vite.


L'eau se couvrit de mille rides quand la petite embarcation en fendit la surface, sans un bruit à part le clapotis régulier contre la coque. Une brise fraîche venant caresser son visage et écarter ses longues mèches rousses de son cou, Naminé se pencha par-dessus le bord de la barque, plongeant son regard dans les profondeurs de l'eau troublée, chatoyante de milles reflets sous le soleil de cette fin d'après-midi. La surface ondulante lui renvoya momentanément son reflet avant qu'un coup de rame ne le fasse disparaître.

Assise à côté d'elle, Selphie babillait gaiement en plongeant sa propre rame dans l'eau avec une ardeur décidée, manifestement ravie de la proposition de la jeune fille de conclure ce vendredi en allant faire une petite promenade sur la petite île. Naminé, l'écoutant d'une oreille polie et distraite, se recula, profitant de l'air frais sur son visage et suivant des yeux les formes entièrement mémorisées de la petite île droit devant elle qui se rapprochait lentement. Elle connaissait ce paysage par cœur, alors même qu'elle n'y avait jamais mis les pieds en personne : c'était celui qui avait tant de place dans le cœur de Sora. Une bouffée de nostalgie l'envahit.

La forêt qui se dressait au centre de l'île, la plage où des bandes d'enfants s'égosillaient en pataugeant dans l'eau claire, et la silhouette solitaire de l'arbre Paopou sur son petit îlot de sable... rien n'avait changé. Comme si elle était Kairi, retournant sur les lieux avec ses amis après une autre journée paisible dans les îles.

Leur petite embarcation heurta rapidement l'un des piliers de bois soutenant les planches sableuses du petit quai construit dans un coin de la plage, déjà occupé par d'autres barques semblables. En quelques mouvements, Selphie avait tiré à elle la corde nouée à un des poteaux soutenant le quai et l'enroulait autour d'une boucle de fer fixée sur l'avant de la barque, avant de se tourner vers Naminé avec un grand sourire.

« Tu viens ? »

Précautionneusement, Naminé la suivit hors de la barque, acceptant de bon cœur sa main tendue pour se hisser sur le quai. Elle faillit glisser quand l'embarcation s'inclina sous son poids et Selphie laissa échapper un petit rire.

« Mon dieu, Kairi, depuis quand es-tu devenue si maladroite ? »

Naminé rit en retour, n'insistant pas, et les deux jeunes filles remontèrent le quai. Dès que les pieds de Naminé s'enfoncèrent dans le sable, une sensation de vertige la saisit. Elle leva une main pour se protéger du soleil éblouissant et s'immobilisa, laissant Selphie aller de l'avant sans s'apercevoir de son trouble.

Devant elle, s'étendait la plage tant familière, brillante sous le soleil et léchée par l'onde bleue que fendaient quelques poissons fins en des éclairs argentés. Un vieux ballon à moitié dégonflé traînait dans le sable, abandonné à quelques pas d'elle, tandis que plus loin, un groupe d'enfants s'amusaient à se poursuivre dans l'eau avec force rires et éclaboussures, leurs cris de joie se mêlant aux cris des mouettes. Elle les observa, se sentant curieusement étourdie. Elle avait envie de fermer les yeux et de se laisser tomber dans le sable. Le désir d'aller à leur rencontre, de retrouver quelqu'un sur cette plage, pointa en elle sans crier gare. Elle avait la curieuse impression que son essence se mêlait à celle de Kairi. Les cris des enfants résonnaient dans ses oreilles, et elle aurait juré distinguer parmi eux la voix de Riku et de Sora. Des images floues dansaient derrière ses paupières closes ; des images issues de souvenirs qu'elle n'aurait pas pu avoir.

Naminé rouvrit brusquement les yeux. Ce n'était pas qu'une impression : si elle ne prenait pas garde à protéger son identité, son ancienne nature menacerait de la reprendre. Elle aurait dû s'en douter. Elle se força à se reprendre, luttant pour garder les yeux ouverts et ne pas perdre de vue son objectif. Elle devait... ah oui. Elle était venue sur les lieux par pure nostalgie et curiosité, mais elle avait aussi souhaité examiner l'Antichambre, après les paroles curieuses de Serah.

Elle avait encore un peu le tournis quand elle s'aventura sur la plage, demeurant à l'ombre des palmiers, mais au moins elle n'avait plus la sensation qu'elle allait perdre son identité. Un élancement au creux de son ventre la saisit brièvement et elle grimaça : depuis quelques heures, elle était régulièrement taraudée par des crampes désagréables. Parfois, elle regrettait presque le corps presque immatériel, détaché de tout souci terrestre, que son identité de Simili s'était construit.

Elle aperçut immédiatement la cachette secrète, dissimulée dans l'ombre sous les bosquets, non loin de la petite cascade d'eau douce qui coulait près de la plage. Deux filles étaient assises sur la terre meuble, les pieds dans l'eau et riant bruyamment. Elles ne lui accordèrent aucune attention quand Naminé passa derrière elles.

Naminé s'agenouilla devant le boyau obscur qui s'enfonçait sous la terre entre les racines. Elle frissonna : elle pouvait ressentir l'aura de la Serrure et l'odeur de forces puissantes à peine contenues, qui pourraient la balayer telle une feuille dans le vent d'automne.

Elle s'engagea dans le passage à quatre pattes. L'odeur de la terre la réconforta, et ses yeux s'habituèrent très vite à l'obscurité, guidés par un fin rayon de lumière qui perçait les ténèbres loin devant elle. Derrière elle, les bruits de la plage et les cris d'enfants s'éteignirent rapidement, presque non naturellement.

Le boyau s'élargit très rapidement et elle put se redresser. Elle regarda autour d'elle avec fascination : l'Antichambre, la Salle de la Serrure, était une petite caverne entre les racines de la jungle, éclairée par un unique rayon perçant la voûte ; ses murs irréguliers étaient couverts de dessins d'enfants à la craie, chaque génération apportant son lot d'œuvres : cet endroit avait souvent été fréquenté au fil des années et Riku et Sora n'avaient pas été les premiers à l'avoir découvert. Elle nota avec intérêt la présence d'un dessin qu'elle n'avait pas prévu, qui ne figurait pas dans les souvenirs de Sora : le dessin que Sora avait réalisé juste avant le début de son aventure avait été modifié pour figurer un lien réciproque, et elle savait qui en était l'auteur.

Mais ce qui intéressait surtout la jeune Simili et attira rapidement son regard, tel un aimant, était la Porte de l'autre côté de la caverne, dans la pénombre : un simple panneau de bois encastré dans la roche, mais dont il émanait une force puissante qui la repoussait et l'attirait à la fois. Elle s'approcha lentement, avec l'impression fascinante qu'avec chaque pas supplémentaire elle risquait de se faire avaler par la Porte et de tomber dans un gouffre sans fond. Survivrait-elle ? Les Similis étaient condamnés à se dissoudre dans le Néant mais elle n'était pas une Simili ordinaire. Et elle avait le corps d'une Princesse de Cœur, même si elle n'en avait plus le cœur...

Elle colla son oreille contre le battant. Il lui semblait que la Porte pulsait d'une énergie terrifiante, ni hostile ni alliée, menaçant de s'ouvrir. C'était effrayant et vertigineux, comme si elle se tenait au bord du vide. En théorie, elle ne risquait rien, elle le savait, mais... Les battements de la force s'accordaient à ceux de son cœur. Elle avait l'impression... elle avait l'impression de se fondre au monde, de perdre ce qui faisait d'elle un être de chair et de sang, comme si son essence désirait se mêler aux énergies du monde, des mondes, du Monde... Naminé ferma les yeux.

Derrière le battant de bois, elle pouvait entendre des petits craquements en se concentrant. Comme des griffes... qui raclaient contre le panneau, désireuses de faire céder la barrière et que la Porte leur livre passage, avides des cœurs lumineux que protégeait l'autre côté... Une volonté inébranlable, une ardeur qui ne cesserait pas tant qu'ils n'auraient pas atteint l'autre côté...

Scratch scratch

Un petit effort, encore un petit effort, et la Porte céderait... Et les Ténèbres à nouveau se déverseraient...

Scratch scratch scratch

Le battant lui semblait si mince et le bruit si proche de son oreille...

« Kairi ! Ah, tu étais là... Mais qu'est-ce que tu fais ? »

Naminé rouvrit les yeux, revenant à la réalité. Le bruit des griffes craquant le bois s'évanouit aussitôt. De l'autre côté de la caverne, Selphie se redressait lentement en époussetant ses genoux couverts de terre, regardant autour d'elle avec une curiosité un peu inquiète.

« C'est ça votre cachette secrète ? Je croyais qu'on avait décidé d'y aller ensemble, remarqua-t-elle d'un ton boudeur. Heureusement que je t'ai vue te glisser là-dedans, j'aurais été incapable de trouver cette galerie toute seule ! C'est rudement bien caché ! Comment l'as-tu trouvée ?

-En fait, c'est Sora qui l'a trouvée, expliqua Naminé en se décollant à regret du battant. Il l'a montrée à Riku, qui me l'a montrée quand je suis arrivée sur les Îles.

-C'est bizarre qu'un endroit comme ça existe ici, fit Selphie en regardant autour d'elle d'un air précautionneux, comme si elle s'attendait à voir un monstre surgir de l'ombre des rochers. Quel endroit étrange ! Et ça, qu'est-ce que c'est ? »

La jeune fille la rejoignit devant la Porte. Naminé la regarda faire avec curiosité, se demandant si elle pouvait elle aussi ressentir la force de la Serrure, et entendre les Sans-cœur qui s'évertuaient à tenter de pénétrer dans le monde.

« Une porte ? Ça veut dire que cet endroit est artificiel ? Mais où est-ce qu'elle mène ?

-Je crois qu'elle est condamnée. On n'a jamais réussi à l'ouvrir, commenta Naminé en la regardant se démener pour trouver une poignée quelconque avec amusement.

-Ça m'étonne pas, il n'y a pas d'habitation par ici. Peut-être que c'est une ancienne remise, comme celles sur la plage ? Mais quand même... C'est étrange. » Selphie fixa la porte pendant quelques secondes puis esquissa un mouvement de recul, la tête rentrée dans les épaules. « Je crois que je comprends de quoi parlait Serah. Dis, on peut partir ? Cet endroit me donne la chair de poule. »


Kairi jeta un coup d'œil rapide dans la pièce par l'embrasure de la porte. Personne. S'efforçant de ne faire aucun bruit, et après un rapide regard vers le couloir désert, elle se faufila à l'intérieur et referma la porte derrière elle.

Elle devait faire vite, elle en avait conscience. L'excitation née de la intrusion en territoire interdit faisait battre son cœur à toute allure et lui mettait les nerfs à vif. Elle déglutit et regarda autour d'elle, les mouvements fébriles, prête à sursauter au moindre son.

Était-ce vraiment une bonne idée ?

Quelques minutes plus tôt, alors qu'elle se rendait à la bibliothèque dans l'espoir peu assuré d'y dénicher quelque renseignement utile sur le manoir Oblivion, elle avait croisé Demyx dans le couloir, qui avait l'air de très bonne humeur.

« Hé salut, Xion ! Ça se passe bien ? l'avait-il abordée avec un large sourire.

-Comme d'habitude, je suppose, avait-elle répondu en lui rendant son sourire, qui était contagieux. Tu as l'air de bonne humeur, ce soir. »

Elle n'avait fait remarquer cela que dans le but de faire la conversation mais le sourire de Demyx s'était élargi et il s'était rapproché d'elle, l'air conspirateur.

« T'as remarqué, hein ? Tu veux savoir pourquoi ? » Elle avait hoché la tête, à moitié curieuse et à moitié par politesse, et il avait baissé d'un ton, plus pour se donner un air mystérieux que par réelle utilité comme le couloir était désert. « J'ai rendu mon rapport à Saïx. Maintenant, il ne pourra plus dire que je n'ai rien fait de la journée !

-Tu t'es donc décidé à travailler ? » l'avait-elle taquiné.

Il avait secoué la tête, l'air fier de lui.

« Bien sûr que non ! Mais tu vois, si tu connais le truc, tu peux éviter de te faire prendre ! »

Elle lui avait lancé un regard interrogatif qu'il avait savouré avant de se décider à lui expliquer.

« Je sais comment m'introduire dans l'ordinateur de Saïx. Tu sais qu'il y recopie tous les rapports qu'il nous force à remplir ? J'ai juste à aller voir les miens, quelques clics, quelques modifications, et hop ! Le tour est joué. C'est comme si j'avais accompli les objectifs de mission ! Il n'y voit que du feu. »

Kairi avait considéré ses mots, son intérêt éveillé. L'ordinateur de Saïx ? Ce devait être le premier dont elle entendait parler dans cette forteresse.

« Bien sûr, avait poursuivi Demyx, il ne s'agit pas de le faire trop souvent, ou il finira par se douter de quelque chose. Et il vaut mieux qu'il ne me surprenne pas en train de le faire sinon... Mais ça en vaut la peine, non ? Au moins il va me lâcher pendant quelques jours maintenant.

-Et cet ordinateur, il se trouve où ? avait-elle lentement demandé, réfléchissant rapidement.

-Je me doutais que tu serais intéressée ! Ok, je veux bien te le dire, mais tu m'en dois une, d'accord ? Je peux même te donner le mot de passe, une chance qu'il le change jamais... »

Hé bien, songea-t-elle en regardant autour d'elle, le bureau personnel de Saïx avait triste allure : la salle de taille moyenne était complètement vide à l'exception d'une étagère remplie de dossiers près d'un bureau occupé par un ordinateur solitaire, poussés contre le mur opposé de la pièce. Au moins, ça lui faciliterait la tâche.

Kairi se hâta de rejoindre l'ordinateur et l'alluma aussitôt, trop nerveuse pour s'asseoir dans le siège vide devant le bureau. Elle pouvait être découverte à tout moment... mais elle avait confiance puisque Demyx n'avait apparemment jamais été découvert, aussi étrange soit-il de placer sa confiance en Demyx. Saïx devait encore être occupé à rassembler les derniers rapports de la journée de toute manière.

Elle tapa le mot de passe avec des doigts fébriles, priant pour que Demyx ne se soit pas moqué d'elle. Un écran de chargement s'afficha pendant une seconde avant de laisser place à l'écran d'accueil de l'ordinateur, un simple fond de couleur bleu.

Kairi hésita, puis dirigea la souris vers la barre de recherche en bas de l'écran et tapa « manoir oblivion ». Quelques dossiers aux noms obscurs lui furent aussitôt proposés mais quand elle tenta d'ouvrir le premier, elle se heurta à un refus de la machine qui lui réclamait un mot de passe.

« Ne me dites pas que les dossiers sont protégés... »

Elle essaya les autres, pour obtenir la même réponse. Peut-être que Saïx, qui ne se donnait pas la peine de changer son mot de passe, ne s'était pas non plus donné la peine d'en utiliser plusieurs ? Mais quand elle tapa le mot de passe de l'ordinateur, rien ne se passa, et elle sentit la déception envahir son cœur.

« Je n'ai vraiment pas de chance... C'est frustrant. »

Mais alors qu'elle allait se résoudre à abandonner et éteindre l'ordinateur, elle remarqua une icône sur l'écran d'accueil, simplement intitulée « carte ». Carte ? Se pourrait-il que... Elle hésita une seconde, mais elle ne perdait rien à essayer, non ?

Kairi cliqua sur l'icône. Aussitôt apparut devant ses yeux ce qui ressemblait à un plan en trois dimensions de... Était-ce l'ensemble des mondes découverts et explorés par l'Organisation ? Elle se pencha en avant, tentant de comprendre ce qu'elle avait sous les yeux. Les mondes étaient représentés par de petites bulles fluorescentes, et de multiples et incompréhensibles courbes et droites aux couleurs différentes occupaient l'espace. Une barre de recherche clignotait en haut à droite. La jeune fille saisit une fois encore les mots « manoir oblivion ». La carte réagit immédiatement quand une bulle se mit à clignoter en réponse. Une petite fenêtre s'ouvrit.

Manoir Oblivion. Centre de recherche. Zone restreinte. Zone abandonnée.

Suivaient ce qui semblaient être les coordonnées du monde, un ensemble de chiffres et de lettres qui n'avaient aucun sens pour elle.

Elle zooma sur la carte, tentant d'assigner la moindre signification à ce brouillard de lignes, de courbes et de chiffres sans queue ni tête.

« Et comment je suis censée y comprendre quelque chose, moi... »

Kairi laissa échapper un soupir frustré avant de jeter un coup d'œil à l'imprimante posée à même le sol. Avec un haussement d'épaule, elle cliqua sur la commande d'impression. Il ne serait pas prudent de s'attarder plus longtemps et elle serait plus à même de déchiffrer ces cartes au calme dans sa chambre.

L'imprimante s'alluma avec un ronronnement et entreprit de tirer plusieurs feuilles les unes à la suite des autres avec une rapidité impressionnante. Kairi se retrouva ainsi avec une demi-douzaine de portions de carte, chacune hautement détaillée. Elle les rassembla en un petit tas bien net et se redressa quand elle entendit un très léger son de l'autre côté de la porte.

Écarquillant les yeux, la jeune fille eut à peine le temps de se précipiter de l'autre côté de la pièce, derrière la porte, avant que celle-ci ne s'ouvre d'un geste direct, manquant de peu son visage. Saïx entra dans la pièce, passant à deux mètres d'elle sans la voir comme elle était maintenant partiellement masquée par la porte. Retenant son souffle, Kairi le regarda s'avancer dans la pièce : elle ne pouvait pas voir son visage mais quand il s'arrêta brusquement, elle comprit qu'il avait remarqué l'anomalie.

Elle ne devait pas rester là. En silence, prenant sur elle pour ne pas s'enfuir et trahir sa présence, elle contourna la porte et franchit le seuil sans le quitter des yeux. Saïx se dirigeait à présent droit vers l'ordinateur qui aurait dû être éteint. Ah quel dommage... il allait se douter de quelque chose. Serrant les lèvres, Kairi lui jeta un dernier regard puis s'engouffra dans le couloir, disparaissant à l'angle du mur. Elle attendit d'avoir pris quelques mètres d'avance avant de s'enfuir le plus rapidement possible, cherchant à mettre le plus de distance possible entre elle et le bureau de Saïx.

Elle s'arrêta finalement quelques couloirs et une volée de marches plus loin, à bout de souffle. Elle n'était plus très loin de sa chambre ; rien de suspect à ce qu'on la trouve là. Elle contempla la liasse précieuse de plans qu'elle serrait dans sa main. Un sourire ravi étira ses lèvres et elle eut envie de sauter de joie.

« Ça y est, souffla-t-elle en les enfouissant dans la poche de son manteau. J'ai une piste... ! »

Elle reprit sa route, le pas léger tout comme son esprit. Mais alors qu'elle tournait à l'angle du couloir, elle eut un mouvement de surprise en apercevant Axel, nonchalamment appuyé contre le mur quelques mètres plus loin. Lui ne parut pas surpris de la voir et se décolla de la muraille à sa vue.

« Hello, Xion.

-Tu m'attendais ? demanda-t-elle, sans s'empêcher de se mettre aussitôt sur la défensive.

-Bah, ça te surprend ? Après tout, ça fait des jours que tu ne viens plus à la tour de l'horloge après les missions. Je dois bien te voir de temps en temps ! »

Il affichait un sourire plaisant mais Kairi n'était pas dupe. Elle s'appliqua à ne pas laisser voir son trouble. Savait-il ce qu'elle venait de faire... ? Non, c'était impossible.

Le jeune homme perdit soudain son sourire.

« Je sais ce que tu cherches à faire », dit-il soudain d'une voix neutre ne laissant pas deviner ses pensées.

Elle ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux. Que... ?

Son sang se glaça et elle attendit ses prochains mots, tous ses sens en alerte. Était-ce le moment de fuir ? Allait-il la dénoncer à Saïx ? Que savait-il exactement ?

Axel soutint son regard pendant quelques secondes sans prononcer un mot, puis, et elle en fut surprise, il abaissa les yeux et relâcha un profond soupir, comme soudainement très las.

« Je sais ce que tu cherches, répéta-t-il. Mais... tu ferais mieux d'abandonner, Xion. Je dis cela pour ton bien. Ce que tu fais... ça ne t'apportera rien. Tu ne gagneras pas ce que tu cherches.

-Bien... Je vais prendre cela en considération, répondit-elle lentement, avec l'impression gênante de marcher sur une fine ligne entre deux gouffres où elle pourrait trébucher à la moindre erreur. Tu es venu juste pour me dire ça ? »

Il la jaugea du regard. Elle lui renvoya un regard impassible, ayant compris qu'il était simplement venu lui adresser un simple avertissement et ne ferait rien de plus.

« Xion, si tu continues sur cette voie, tu le regretteras », dit-il enfin avant d'esquisser un geste de main gêné, ayant l'air de vouloir en dire beaucoup plus, avant de finalement tourner les talons.

Kairi le regarda disparaître en serrant la carte qui la mènerait vers Sora et la vérité au creux de sa poche. Il ne lui faisait pas peur ; après tout, bientôt, elle serait loin d'ici.

Sora... Je le jure, je te reverrai.

Prochain chapitre : Kairi et Xion passent à l'action.

Bon ça fait un bout de temps que je n'ai pas joué à KH, mais même quand j'y jouais, j'avais du mal à comprendre ce que la porte dans la grotte des îles représentait. C'était la serrure du monde, qui devait je crois mener au cœur de ce monde, mais ils ont dit aussi qu'elle menait dans le monde extérieur ? Et je crois me souvenir que des Ténèbres s'en échappent quand elle s'ouvre dans KH1 ? Alors elle mène où, au cœur des Îles du Destin, ou dans le monde extérieur (les Ténèbres) ? J'ai une théorie comme quoi les Îles du Destin où ils vivent sont le cœur de ce monde et que la Serrure protège donc ce cœur du monde extérieur (du coup, la porte mène bien au monde extérieur d'où viennent les sans-cœur). Ou alors, comme Kingdom Hearts se trouve dans le monde des ténèbres, le cœur des îles est aussi entouré de ténèbres, c'est pour ça que des Sans-cœur attaquent les îles quand elle est ouverte ? Qu'est-ce que vous en pensez ?

En tout cas, pour cette histoire, je pars avec l'idée que les Ténèbres se trouvent de l'autre côté de la porte et cherchent à entrer.