Chapitre publié le 26 septembre 2018

Chapitre 27 : Fuyons vers nos destinées (partie 2)

Naminé frappa à la porte. Ses coups peu assurés brisèrent le silence de la nuit. Elle joua nerveusement avec ses doigts en patientant, sans se soucier des rues désertes et de l'orée de la forêt obscure à proximité, ni de la nuit silencieuse, là où tout être humain aurait été anxieux voire effrayé. Elle savait ne courir aucun danger après tout.

La porte s'ouvrit sur Caius, toujours vêtu de ses mêmes habits noirs, qui la dévisageait d'un air froid. Cela semblait être son air habituel et elle fut incapable de dire si elle le dérangeait. Elle lui adressa un sourire timide un peu nerveux.

« Bonsoir... Je suis désolée de vous déranger si tard.

-Yeul t'a dit de te mêler à la population sans faire de vague, n'est-ce pas ? » répliqua-t-il, et elle pouvait entendre le reproche dans sa voix.

Ah, donc il n'avait pas spécialement envie de la voir. Elle ne se laissa cependant pas démonter.

« Je sais, mais... je dois voir Yeul. »

Il la dévisagea de haut, les bras croisés, l'air moins disposé que jamais à la laisser passer. Elle ne put s'empêcher d'en être intimidée, malgré sa volonté de voir sa requête acceptée.

Dans le couloir derrière l'imposante stature du gardien, une petite silhouette s'avança hors des ténèbres à pas feutrés. Naminé croisa le regard indéchiffrable de la jeune fille dont les longs cheveux bleus cascadaient autour de son visage, le plongeant dans l'ombre.

« Ah, Naminé. Bonsoir. »

Naminé lui rendit son salut tandis que Caius s'écartait sans un mot et se retirait dans l'ombre. Yeul lui sourit puis l'invita à entrer de sa voix douce.

« Entre, Naminé. Ne t'inquiète pas, tu ne déranges pas. J'avais le pressentiment que tu viendrais. »

Naminé obéit et franchit le seuil en lissant les plis de son habit d'une main distraite. Maintenant qu'elle y pensait, un vieux pyjama, à présent souillé de manière ostensible, n'était peut-être pas la tenue la plus appropriée pour rendre visite à la jeune sorcière, mais Yeul ne fit aucun commentaire quand elle passa devant elle pour verrouiller la porte, les plongeant toutes deux dans l'obscurité.

« Suis-moi, Naminé. »

Yeul la conduisit dans le salon, qui n'avait pas changé à l'exception de la cheminée qui était désormais éteinte. Deux tasses encore fumantes, à moitié remplies d'un liquide dont elle ne pouvait discerner la couleur dans la semi-obscurité de la pièce, étaient posées sur la table, et une odeur florale embaumait l'air.

« J'aime les fleurs, commenta à cet instant Yeul, comme ayant lu ses pensées. Avec le printemps, les prés sont de nouveau florissants. Quel dommage que je n'aie pas beaucoup de talent de jardinière. Mais, si tu veux, tu pourras passer le voir quand il fera jour. »

Yeul prit place dans un fauteuil et lui indiqua d'un geste lent la chaise voisine. Naminé suivit son geste du regard, hésita, debout au milieu de la pièce. Avec un sourire gêné, elle écarta les pans de sa veste, dévoilant la tache rouge sombre qui ne cessait de s'agrandir. Peut-être aurait-elle dû s'en occuper avant de venir, tout compte fait, mais Yeul ne cilla même pas.

« Ne t'en fais pas pour ça. Ce n'est pas un problème, lui indiqua-t-elle simplement.

-Bon, alors je m'assois. »

Ce qu'elle fit, le dos raide. Yeul l'observait avec des yeux bienveillants, pour finalement prendre la parole comme Naminé ne semblait savoir comment engager la conversation.

« Comment vas-tu ? »

Naminé baissa les yeux vers ses mains croisées sur ses genoux.

« Bien, avoua-t-elle. C'est surprenant, mais... Ces jours sont plus paisibles que ce que j'avais pensé. »

Yeul hocha la tête avec enjouement.

« Tu t'es fait des amis ? Tu n'es pas restée seule ?

-Oui, répliqua Naminé. Selphie a été très gentille avec moi. Et il y a les autres habitants, aussi. Ils ignorent tout de la vérité quant à ce que je suis », ajouta-t-elle avec un sourire triste.

S'ils savaient qu'elle n'était pas la Kairi qu'ils connaissaient et qu'ils aimaient mais tout juste l'ombre de cette dernière... elle ne tenait pas à y penser. Elle avait l'impression de les avoir dupés.

« Je suis désolée, reprit Yeul, mais j'ignore ce que font Kairi et Xion malheureusement. Mes pouvoirs ne me permettent pas d'avoir accès à des connaissances aussi précises par simple volonté. Cependant, je peux affirmer qu'elles vont bien et qu'elles sont sur la bonne voie. »

Naminé la considéra quelques instants.

« Je suis contente, dit-elle. Tant mieux.

-Oui. Tout ira bien : j'ai confiance en elles pour effectuer les bonnes décisions. »

Naminé demeura silencieuse quelques secondes. Des pensées nées de ses réflexions solitaires ces dernières semaines remontèrent à la surface.

« Yeul... était-ce vraiment par erreur que Kairi a été envoyée à la mauvaise destination et que Xion a été impliquée là-dedans ?

-T'aurais-je donné des raisons d'en douter ? répliqua Yeul en inclinant la tête sur le côté, l'air un peu amusée. Et Xion n'était-elle pas impliquée dans toute cette histoire depuis le début, mais sans le savoir ?

-... Que veux-tu dire ? » demanda Naminé d'une voix faible.

Yeul décroisa ses mains posées sur ses genoux à l'image de celles de Naminé et se leva. Elle s'empara de la carafe vide posée sur la table près des tasses et se dirigea vers un petit évier.

« Peut-être vous donner la connaissance à toutes les trois était ma volonté, même si je ne le savais... »

Elle se tut.

« Est-ce que tu veux un peu d'eau ? demanda-t-elle après quelques instants de silence. Tu as couru jusqu'ici, non ? Tu dois être fatiguée. »

Naminé accepta volontiers le verre d'eau que la magicienne lui proposait. Elle n'avait même pas remarqué à quel point sa bouche était desséchée. Quelques gorgées la revigorèrent et elle aborda la raison de sa visite.

« Je suppose que tu sais déjà pourquoi je suis venue, commença-t-elle avec un vague geste vers ses cuisses.

-Oui. N'aie crainte : c'est un phénomène normal dans la vie d'une humaine.

-Mais c'est justement ça qui n'est pas normal », répliqua Naminé en se penchant en avant. Elle s'humecta les lèvres. « Ce... ce corps n'a pas connu ses règles depuis mon arrivée ; je sais que c'était parce que mes énergies étaient en décalage avec celles de ce corps parce qu'il... parce qu'il ne m'appartient pas. »

Reconnaître cette vérité lui provoqua un pincement de cœur qu'elle ne parvint pas à masquer totalement. Yeul l'observait, impassible, attendant patiemment qu'elle finisse ce qu'elle avait à dire. Mais c'était si difficile, de nier son existence, quelque chose qu'elle avait toujours désiré posséder. Elle aurait dû se souvenir qu'elle n'avait pas le droit de se faire des espérances.

« Le corps de Kairi s'habitue à mon énergie.

-C'est normal, il était le tien à toi aussi après tout, compléta Yeul. Tu deviens plus humaine.

-Je... je m'approprie le corps de Kairi », rectifia Naminé, la voix plus aiguë que d'ordinaire.

Elle prit un moment pour se calmer et cligna les yeux avec surprise quand une main se posa doucement sur la sienne, le contact pareil à la touche d'un papillon.

« Tu ne dois pas culpabiliser pour ça, lui dit-elle, penchée vers elle avec un sourire rassurant. Ce corps est autant le tien que le sien. Et il n'y a rien que tu aurais pu faire pour empêcher ça ; c'était la décision de Kairi qui t'a placée dans cette position. »

Naminé renifla.

« Mais elle ne savait pas ce qui allait se passer », répliqua-t-elle en baissant les yeux.

Yeul se recula dans son propre fauteuil.

« Tu sais, je t'envie, déclara-t-elle soudain en se versant de l'eau dans son propre verre. Moi, je ne peux pas saigner comme tu le fais à présent parce que je ne suis pas ancrée dans la réalité terrestre comme tout être humain. Je suis la prophétesse du Monde ; cela me donne de grands pouvoirs et un rôle important, que je ne voudrais pas renier... Mais parfois, j'aimerais aussi connaître les choses de la vie humaine, comme vous autres. »

Naminé releva la tête et la dévisagea avec curiosité : Yeul souriait toujours mais elle avait l'air vaguement... mélancolique ? Elle se reprit néanmoins très vite et adopta un ton plus neutre :

« Je te préviens cependant que l'échange sera d'autant plus difficile à effectuer en sens inverse que tu auras parfaitement fusionné avec ce corps. Oh, ce ne sera pas impossible, ajouta-t-elle quand Naminé ouvrit la bouche, les yeux écarquillés, mais il serait... préférable pour vous deux que Kairi ne revienne pas trop tard. »

A ces mots, Naminé se souvint de ce qui l'avait réellement réveillée et elle manqua de souffle pendant une fraction de seconde.

« Kairi ! s'écria-t-elle soudain. Je veux dire... Est-ce qu'elle ira bien ? J'ai fait un cauchemar : tu dis qu'elle va bien, mais je suis toujours liée à elle après tout, et je suis sûre que... que quelque chose ne va pas. Je le sens. »

La sensation horrible qu'elle avait ressenti en voyant Kairi disparaître et leur lien se dissoudre dans le néant lui pesait à nouveau sur l'estomac, et elle porta sans y penser une main à sa bouche comme pour prévenir une nausée.

Le visage de Yeul ne changea pas, mais Naminé crut la voir hésiter.

« Son corps est en effet instable, finit par concéder la magicienne. Kairi n'y est pour rien ; c'est la nature du corps qui l'héberge qui, inachevé, ne peut supporter une âme entière, dotée de ses propres valeurs, souvenirs et convictions. Il la rejette, mais elle ne peut le quitter, alors il ploie sous son poids et sa lumière.

-C'est ça ?! lança Naminé qui comprit aussitôt les implications de ce que la voyante venait de dire. C'est horrible ! Il faut faire quelque chose ! Tu … tu dois la ramener ici !

-Je ne peux pas faire ça. » Yeul ne détourna pas le regard et soutint le sien sans une once de remords. Elle comprit alors que toutes ses supplications ne pourraient la détourner de sa volonté.

« Les dés sont jetés, continua Yeul de sa voix égale. Maintenant que vous connaissez toutes les trois le poids de votre destin, que choisirez-vous ? Vous êtes libres d'effectuer la décision que vous souhaitez. Si tu souhaites un certain futur, tu peux te battre pour l'obtenir.

-Mais... !

-J'ai vu le futur, lui confia Yeul avec une légère inflexion de ses lèvres, comme le début d'un sourire. Vous ne pourrez pas toutes y parvenir. Je me demande, maintenant que le cours de l'histoire a été ébranlé, qui de vous y parviendra ? La fille qui était à l'origine ? Son reflet dotée d'une existence propre ? Ou son souvenir né des pensées d'un autre ? Mais peut-être que chacune d'entre vous pourra réaliser son souhait. »

Naminé la dévisagea. Elle comprenait. Malheureusement, il n'y avait pas grand-chose qu'elle puisse faire. Elle reposa son verre et se leva en évitant de croiser le regard de la sorcière.

« … Merci pour ton accueil, dit-elle sans y penser. Je vais rentrer. Il vaut mieux que mes par– que les parents de Kairi ne voient pas que je suis sortie. »

Yeul laissa échapper un petit son de gorge pour lui signifier qu'elle l'avait entendue et Naminé se dirigea vers la sortie, sentant ses yeux dans son dos. Alors qu'elle franchissait le seuil du salon, Yeul parla à nouveau, ce à quoi elle s'était à moitié attendue.

« Naminé, est-ce que tu veux redevenir une partie de Kairi ? »

Naminé baissa les yeux. Elle contempla sans les voir les chaussures de Kairi qui s'accordaient parfaitement à ses pieds.

Je ne sais pas.


Les brindilles et feuilles mortes craquaient sous ses pieds. Xion regardait autour d'elle, tous ses sens en alerte : de jour, la forêt de la Cité du Crépuscule était si épaisse que sous les arbres au feuillage inconfortablement bas peu de lumière filtrait. De nuit, elle avait l'impression de se retrouver dans les bois autour du château de la Bête, seulement en plus oppressant. Elle ne voyait rien à part les silhouettes épaisses des troncs, qui guidaient son chemin ; elle n'avait pas vraiment peur, elle était habituée, mais le manque de vision et, surtout, l'absence de réponse de ses pouvoirs, la rendaient vulnérable d'une manière qui ne lui plaisait pas. Elle se sentait terriblement exposée avec ses bras nus déjà constellés de griffures de branches basses.

Elle se retourna pour ce qui lui semblait être la vingtième fois en cinq minutes, mais il n'y avait qu'obscurité derrière elle. Impossible de dire si quelqu'un était à ses trousses ; si ce n'était pas le cas, ce ne tarderait pas. Elle fléchit et défléchit ses doigts, brûlant d'envie d'invoquer sa Keyblade.

Oh, sa Keyblade... Comment allait-elle pouvoir expliquer ça... ? Non. Elle se reprit immédiatement. Elle ne rentrerait pas à la citadelle. Elle voulait juste... elle irait juste rejoindre Axel et Roxas.

Et après ? Elle n'y avait pas réfléchi, mais que se passerait-il après ? Elle ne...

Un craquement sinistre retentit soudain, perçant le silence dense de la forêt et elle sursauta violemment. Bondissant sur le côté, Xion se retourna et assaillit les environs de regards nerveux. Elle ne voyait rien, mais un Sans-cœur pouvait très bien se dissimuler dans l'ombre, voire tout près d'elle, et elle ne se rendrait compte de rien. Elle demeura quelques instants immobile, le cœur battant et les yeux écarquillés, avant de se décider à bouger.

Elle se sentit incroyablement soulagée et libérée d'un grand poids quand elle franchit enfin le trou dans le mur épais qui marquait la limite entre la forêt et la cité. Les rues étaient silencieuses, uniquement éclairées par des réverbères et elle erra d'abord au hasard, heureuse de pouvoir arpenter à nouveaux ces pavés familiers qu'elle avait souvent parcourus en mission, ou quand elle allait manger une glace au sommet de l'horloge... Elle sourit avec nostalgie à ce souvenir.

En attendant, elle ne pouvait pas rester ainsi à découvert. Riku était probablement à sa recherche, et il la repérerait aussitôt. Et elle ne tenait pas non plus à être découverte par l'Organisation. Elle regarda autour d'elle et repéra une petite ouverture étroite entre deux maisons, invisible pour qui ne le cherchait pas. Elle l'avait découvert et utilisé à plusieurs reprises lors de sa fugue, il y avait une éternité, quand elle avait perdu l'usage de sa Keyblade et n'osait plus rentrer. Et maintenant, elle se retrouvait dans une situation similaire. Deux marches y descendaient et le recoin effectuait un angle à un mur, formant une petite cachette occupée seulement par une vieille caisse de bois. Elle s'y glissa et s'assit à même le couvercle de la caisse. De là, elle était invisible de l'avenue, mais en avançant la tête, elle pouvait tout voir. Parfait.

Elle n'avait rien d'autre à faire alors elle ouvrit son petit sac et sortit une pomme. Elle n'était pas très bonne – trop farineuse – mais Xion la mangea distraitement. Elle n'avait même pas faim. Une boule lui obstruait la gorge, et elle était comme traversée par une agitation nerveuse qui ne cessait pas.

C'était la perspective de les revoir qui la rendait comme ça ?

Xion soupira et s'adossa au mur de la ruelle, forçant ses yeux à se fermer, tentant de trouver un peu de sommeil.

Elle se demanda ce que ses amis avaient fait pendant son absence. S'étaient-ils inquiétés ? Bien sûr, ce devait être le cas... L'avaient-ils cherchée en vain ? Cette pensée la réconforta un peu. Elle aurait presque aimé qu'ils la trouvent mais... elle soupira et mit un terme à la suite de ses pensées : elle ne savait toujours pas ce qu'elle devait faire, mais elle était certaine d'une chose : elle ne devait pas laisser l'Organisation s'approcher de Sora.


Kairi marqua une pause et s'accorda le droit de s'adosser à un mur. Elle se frotta les yeux : elle ignorait depuis combien de temps elle parcourait ces corridors – deux heures ? Trois ? Le temps existait-il seulement dans ce lieu ? - mais la blancheur pure omniprésente commençait à entraver sérieusement ses sens. Pas sa volonté de continuer à avancer, non, mais chaque pas devenait plus difficile, et à chaque fois qu'elle poussait une porte pour découvrir une autre pièce vide, longue et blanche, elle pouvait presque sentir ses forces diminuer d'un cran.

Elle regarda autour d'elle : une autre salle rectangulaire aux murs éclatant de blancheur, sans la moindre trace de poussière, dont seuls se détachaient quelques piliers sculptés le long des murs et trois portes identiques aux battants de blanc et d'or, dont l'une qu'elle venait d'emprunter. Elle regrettait l'absence totale de fenêtre, bien qu'elle était certaine d'en avoir aperçues de l'extérieur, pour s'aider à se repérer dans ce dédale. D'un autre côté, il était évident que l'intérieur était beaucoup plus spacieux que ce que l'extérieur laissait penser, et même de façon surnaturelle.

Elle se frotta à nouveau les yeux. Une douleur sourde commençait à poindre derrière ses yeux, même si elle avait l'impression que son cerveau avait commencé à s'accommoder à ce monde de blancheur : on aurait presque dit que ces murs blancs aspiraient quelque chose en elle, lui arrachaient quelque chose de vital. La blancheur la distrayait, lui faisant perdre sa concentration, et elle s'était un peu trop souvent à son goût retrouvée à devoir se reprendre, ayant momentanément perdu de vue son objectif. Comme si... comme si le manoir essayait de la changer en feuille blanche, se repaissant de son individualité, à l'image de ces pièces et de ces corridors. Deviendrait-elle une poupée sans âme si elle restait trop longtemps ici, condamnée à errer sans but dans ce labyrinthe ? Elle eut l'image soudaine de se faire dévorer vivante par le manoir et elle frissonna.

Au moins, elle n'avait pas à s'inquiéter de l'obscurité : les murs, le sol, et le plafond émettaient une lumière constante et égale, dont elle ne parvenait pas à discerner la source précise. Et il était rassurant de constater qu'elle n'avait pas croisé l'ombre d'un Simili depuis son arrivée : il était vrai que ce lieu était abandonné désormais, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir comme une aura de menace qui planait dans ces salles vides, et plus elle avançait, moins la crainte que la prochaine salle ne soit pas déserte quittait son esprit.

Mais pour le moment, la jeune fille n'avait eu à affronter rien de plus qu'une succession de salles, de couloirs et d'escaliers, dans un silence pesant et sinistre. Elle avait l'horrible sensation d'être une intruse indésirée, outrepassant des limites sacrées.

Kairi ferma les yeux et refoula l'envie de pleurer. Ce serait pour plus tard. Si elle ne se remettait pas en route rapidement, elle se retrouverait à contempler le mur opposé sans se souvenir de la raison de sa présence ici, la tête vide de toute volonté, comme elle s'était déjà surprise à faire, un peu plus tôt. Avec un lourd soupir, la jeune fille se décolla du mur et reprit sa route, resserrant les pans de son manteau. Qu'est-ce qu'elle ne donnerait pas pour avoir une carte...

Elle continua à marcher jusqu'à ce que ses pieds brûlent.

Ses genoux tremblèrent et se dérobèrent sous son poids. Kairi se laissa tomber à genoux, accueillant le sol avec soulagement. Elle se trouvait dans une énième salle blanche – elle avait arrêté de compter. Un brouillard fatigué enveloppait ses pensées. Pourquoi n'avait-elle pas eu l'idée d'emmener des provisions ? Oh, c'est vrai, elle ne savait même pas où se trouvait la cuisine de la citadelle. Ou s'il y avait une cuisine d'ailleurs.

Elle regarda la sol avec envie. Il lui paraissait bien frais. La pensée de faire un petit somme s'imposa à elle – qu'y perdait-elle ?

Petit à petit, la jeune fille se laissa glisser sur le sol. Sa joue trouva la fraîcheur du sol avec soulagement, et elle se blottit en position fœtale. Ce n'était pas très confortable, mais...

Venait-elle d'entendre des rires d'enfants ?

Non, ce devait être son imagination. Elle ferma les yeux.

Il lui semblait entendre le bruit des vagues qui venaient caresser le sable de la plage. Elle sourit dans son état brumeux. Elle pouvait presque s'imaginer être de retour aux Îles comme ça...

Kairi sursauta et son esprit fut aussitôt rappelé à la réalité. Elle en était certaine, elle avait entendu quelque chose. Mais comment pouvait-ce être possible ?

La jeune fille se redressa péniblement et écarta les cheveux noirs de ses yeux. Un éclat de couleur perça la blancheur dans la périphérie de sa vision et elle tourna vivement la tête, pour apercevoir comme la vision d'un groupe d'enfants disparaître dans l'air. Des enfants des Îles, elle les reconnaissait.

« Allons, j'ai des visions maintenant ? » soupira-t-elle.

Apparemment le manoir se nourrissait de ses souvenirs, les tiraient à la surface et les faisaient émerger dans la réalité de ce monde. Alors qu'elle s'efforçait de se remettre sur pieds, elle aperçut quelques autres images flotter brièvement sur les murs avant de s'évaporer : des images qu'elle connaissait, surtout des paysages des Îles. Elle crut même apercevoir le visage de Selphie.

Une bouffée de nostalgie s'installa dans son estomac, et elle se força à quitter la salle.


Xion fut réveillée à l'aube par un cri perçant. Elle réagit à l'instinct, sursauta et sauta sur ses pieds, les cheveux dans les yeux et la main tendue pour invoquer sa Keyblade, si concentrée sur le danger inconnu qu'elle ne ressentait même pas les douleurs de son dos causées par sa nuit contre le mur rêche.

Quand elle passa la tête par-delà l'angle du mur, elle demeura interdite, ses pensées encore endormies. Le cri était le fait d'un groupe d'enfants qui se poursuivaient en riant dans l'avenue, un large cartable sur le dos. Ah, bien sûr. Elle se sentit un peu ridicule et baissa aussitôt sa garde, se laissant retomber contre le mur.

Elle avait dormi plus facilement et plus longtemps qu'elle n'avait espéré. Heureusement, elle n'avait pas été attaquée mais... Riku et DiZ savaient forcément qu'elle leur avait faussé compagnie, n'est-ce pas ? Quoique... DiZ ne se souciait apparemment pas d'elle et ne se donnait jamais la peine d'aller voir ce qu'elle faisait. Honnêtement, s'il avait une qualité, c'était qu'il l'avait laissée tranquille la plupart du temps. Quant à Riku... Lui, il était imprévisible. Il était la plupart du temps en expédition, mais il prenait toujours soin de venir la voir avant de partir, ou quand il rentrait. Elle se demanda vaguement quelle pouvait être la relation entre Naminé et lui.

Quoi qu'il en soit, la jeune fille s'astreignit à la prudence. Elle quitta sa cachette quand elle s'assura qu'il n'y avait pas l'ombre d'un manteau noir, de Riku ou de l'Organisation, dans la rue qui s'animait lentement. Elle se mêla à la petite foule qui avait rempli la rue. La plupart des habitants partaient pour leur travail, mais l'ambiance de la Cité du Crépuscule était toujours calme et sereine : aucun n'avait l'air particulièrement pressé, et beaucoup discutaient entre eux en riant, s'arrêtant à la terrasse des cafés pour un petit déjeuner ou devant les stands qui vendaient des repas rapides, comme des sandwiches et des beignets. Quelques enfants et adolescents en bandes faisaient de même, peu soucieux d'arriver à l'heure à l'école.

Elle ne se sentait pas vraiment à sa place et plutôt mal à l'aise ; c'était contre tout ce qu'on lui avait enseigné de se laisser voir par des civils, mais hélas, elle ne bénéficiait plus de ses pouvoirs pour se téléporter dans un lieu désert. Au moins, avec sa robe blanche toute simple, elle n'attirait pas les regards curieux et haussements de sourcils que son manteau noir lui aurait amenés.

Elle s'éclipsa cependant dès qu'elle aperçut l'entrée d'une petite ruelle déserte.

Celle-ci menait dans l'un des nombreux recoins de la Cité du Crépuscule. C'était ce qu'elle aimait dans ce monde : les rues de la ville fourmillaient de ce genre d'endroits, minuscules cours, places et impasses dérobées au regard des citadins, éparpillées un peu partout dans la ville, un vrai refuge pour qui savait où chercher. Celle-ci, à son ravissement, était dotée d'une fontaine murale : de trous percés dans le mur un rideau d'eau coulait silencieusement dans un petit bassin de pierre en contrebas, formant comme un miroir où elle put contempler son reflet. Elle se désaltéra aussitôt, réalisant seulement maintenant à quel point sa gorge était sèche – comme une sotte, elle n'avait pas pensé à emporter de l'eau. Mais en même temps, comment aurait-elle pu en transporter ? Elle ne se souvenait pas avoir vu de gourde ou de bouteille propre. Ceci fait, elle dévisagea son reflet : c'était toujours étrange de voir ces cheveux blonds cascader sur ses épaules et ce teint un peu trop pâle. Heureusement, cette Naminé n'avait pas une apparence trop différente de la sienne ; c'en était même sinistrement curieux. Xion fronça les sourcils : elle ne comprenait toujours pas ce qu'il lui était arrivé, mais ça attendrait qu'elle retrouve ses amis.

Elle fit un brin de toilette, s'arrangea un peu les cheveux, puis rejoignit l'entrée de la ruelle où, restant soigneusement cachée dans la demi-pénombre, contempla l'activité de la cité qui se réveillait.

Comment allait-elle trouver Roxas et Axel ? D'habitude, ils venaient tous les soirs manger une glace en haut de la tour de l'horloge, après les missions. Elle pouvait toujours attendre qu'ils se montrent... En attendant, elle ne devait pas se faire repérer mais... elle observa les clients attablés au café d'en face et son estomac la rappela à l'ordre. Elle ne dirait pas non à un petit déjeuner.

Xion s'étira et soupira.

« Allons-y alors. »

Elle traversa la place et alla faire la queue devant le comptoir bondé de la boutique. L'animation du lieu la rendait un peu nerveuse ; tout ce bruit et cette foule qui se pressait dans l'espace étroit rendraient plus difficile de repérer une menace. Quand vint son tour, elle annonça d'une voix un peu sèche sa commande – le premier menu proposé sur les grandes pancartes affichées au-dessus du comptoir – et tendit l'argent d'un geste raide. Elle n'osa pas regarder l'employé dans les yeux quand il lui tendit un croissant encore chaud enveloppé dans un papier brun et un jus d'orange dans un grand verre en carton, comme saisie par la crainte irrationnelle qu'il la puisse la reconnaître. Finalement, elle s'installa sur la terrasse, à une table à l'écart où elle était à moitié dissimulée par les autres, et sirota son jus de fruits en suivant des yeux les passants.

Tout avait l'air si paisible... Eux devaient mener une vie simple et assurée, songea-t-elle. Elle n'avait jamais accordé beaucoup d'attention aux habitants des mondes, mais elle se sentait soudainement envieuse.

Elle avait l'impression de n'avoir sa place nulle part. C'était un sentiment affreux, de se croire mise ainsi à l'écart. C'était normal : quoi qu'elle soit, tout comme les Similis, le Monde ne lui avait pas réservé de place.

Elle se sentait trop exposée, aussi finit-elle rapidement son petit déjeuner et quitta le café.

Alors, que devait-elle faire maintenant ? Il ne lui coûtait rien de parcourir un peu ce monde : après tout, peut-être qu'Axel ou Roxas y était ? Les chances n'en étaient pas infimes. Et elle devait l'avouer, cela lui faisait du bien de savourer l'air frais et de pouvoir à nouveau se dégourdir les jambes, loin de la présence sinistre du manoir abandonné. Quoique cette nouvelle forme semblait moins sportive que son ancienne.

« Madame, madame ! »

Xion se retourna. Un enfant se tenait devant elle, avec un sourire incertain, se tenant nerveusement les mains.

Elle fut un bref instant décontenancée par son manque de vigilance. Elle avait tenté de demeurer à l'ombre des maisons pour passer inaperçue en se fondant dans la pénombre... oh, c'est vrai. Elle avait oublié qu'avec ses cheveux blonds et sa robe blanche, elle était plus visible que jamais désormais.

Une brève étincelle de panique naquit en elle quand elle comprit que la retrouver serait un jeu d'enfant pour Riku si elle restait ainsi.

« Madame... Est-ce que... vous êtes un fantôme ? »

Pendant un instant, Xion ne sut que répondre.

« Euh, non... Pourquoi tu dis ça ? » bafouilla-t-elle.

L'enfant ne parut pas davantage rassuré.

« Je ne vous ai jamais vue ici, et vous êtes toute blanche... Maman dit que les fantômes ont la peau pâle et qu'ils sont habillés en blanc. »

Xion se détendit un peu et sourit. La situation était plutôt drôle.

« Je suis juste de passage en fait, expliqua-t-elle. Je t'assure que je ne suis pas un fantôme ! »

Le petit garçon hocha la tête en la dévisageant avec curiosité, puis lui rendit son sourire.

« D'accord ! Mais tu sais... » Il se pencha en avant d'un air conspirateur, comme s'il voulait lui révéler un grand secret. « Il y a vraiment des fantômes ici, j'en ai vus !

-Tu parles des mystères de la ville ? devina-t-elle, faisant référence à la légende locale.

-Non, non ! Ceux-là, je les ai vus moi-même. Ceux-là, ils sont habillés tout en noir, comme des sorciers. Ils se promènent dans les ruelles et dans les coins où il n'y a personne. Je suis sûr que ce sont des esprits de la mort. Fais attention, ou sinon ils t'emporteront dans leur royaume ! »

Le garçon s'éloigna ensuite sans attendre sa réponse, rejoignant ses camarades qui l'appelaient. Xion demeura figée sous la surprise. Et bien, finalement il semblait que l'Organisation elle-même n'était pas aussi prudente qu'elle l'affirmait. Qui sait, peut-être qu'elle était elle-même l'un de ces esprits de la mort auxquels il faisait référence.

Le soleil poursuivit sa course dans le ciel aux couleurs crépusculaires. La jeune fille suivit son conseil et demeura à l'ombre des petites ruelles qui couraient entre les maisons, en toutes sortes de tours et de détours tortueux. Elle ne pensait à rien de particulier, se contentant de savourer distraitement la sensation de liberté.

Soudain, ses yeux attrapèrent un mouvement dans une ruelle en contrebas, une silhouette qu'elle reconnut aussitôt. Elle se pencha par-dessus la rambarde et cessa de respirer : oui, c'était bien Roxas, dans la ruelle une demi-douzaine de mètres plus bas. Elle ne put l'apercevoir qu'une fraction de seconde avant qu'il ne disparaisse à l'angle d'une maison aux fenêtres condamnées.

« Ro... ! »

Elle se reprit aussitôt. Elle ne devait pas attirer l'attention.

Son cœur s'emballa, et un grand sourire de joie étira ses lèvres. Elle n'avait pas réalisé à quel point il lui avait manqué avant ce moment.

Sans perdre une seconde, craignant de le laisser disparaître à nouveau, la jeune fille enjamba la barrière et se laissa tomber en contrebas. Elle – aïe. Elle avait oublié que ce corps n'était pas très sportif. Elle faillit tomber face contre terre mais se rattrapa de justesse, les chevilles tremblantes, s'éraflant les genoux contre le mur. La légère douleur ne l'arrêta pas ; elle se releva aussitôt et se précipita à la suite de Roxas.

Le chemin par lequel il avait disparu ouvrait sur un réseau de ruelles si étroites qu'elle ne pourrait étendre les bras latéralement. Les toits réduisaient encore l'espace par lequel pouvait entrer la lumière, plongeant les chemins dans une pénombre un peu sinistre. Il n'y avait pas âme qui vive ; les rares portes perçant la muraille étaient toutes dénuées d'ouverture et aucune fenêtre ne donnait sur la rue. À part quelques vieux emballages abandonnés depuis longtemps sur le sol, rien ne témoignait que cet endroit soit très passant.

Xion hésita. Elle ne voyait pas Roxas et aucune trace n'indiquait la décision qu'il avait prise. Elle tourna au premier croisement, tendant l'oreille en vain.

Il s'avéra qu'elle avait pris la bonne route. La ruelle déboucha sur un cul-de-sac, mais ce n'était pas un mur qui lui barrait la route, mais une petite balustrade de métal rouillé. Elle s'avança, clignant des yeux comme la lumière du jour la frappa de plein fouet. Un murmure de voix familières parvint jusqu'à elle, et elle baissa les yeux : en contrebas, s'ouvrait une cour un peu plus ouverte bien que tout aussi abandonnée. La fontaine en son centre était à sec, et toutes les portes menant aux bâtiments qui ceignaient la cour étaient condamnées.

Axel et Roxas se tenaient au centre de la cour.

Il était évident qu'ils étaient plongés dans une discussion houleuse, bien qu'ils s'efforçaient de murmurer. Le fait qu'ils ne l'aient pas remarquée alors qu'il était maintenant difficile de la manquer l'affirmait, de plus que leur ton précipité. Leur air était tendu ; bien que Roxas n'avait jamais caché ses sentiments quand il était inquiet, elle n'avait jamais vu Axel aussi agité, quoiqu'il tentait de le cacher.

Curieuse, Xion tendit l'oreille. Ils n'avaient pas l'air d'être en mission, avec leurs armes non matérialisées. Étaient-ils en train de la chercher ? Depuis le temps qu'elle était partie, ils n'avaient pas abandonné...

Axel haussa le ton et elle put enfin comprendre la raison de leur discussion :

« … mais je pense pas qu'elle soit ici, Roxas.

-Et pourquoi tu penses ça ? répliqua Roxas, criant presque, et plissant des yeux d'un air soupçonneux. Tu es... bizarrement silencieux depuis ce matin... Est-ce que tu sais où Xion est allée ?

-Chut ! Roxas, baisse d'un ton ! Tu sais qu'on est supposé être en mission, les autres ne doivent pas savoir qu'on cherche Xion. Et je te parie qu'on est surveillé ! »

Oui, ils étaient bel et bien en train de la chercher ! Xion sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Ils avaient dû s'inquiéter horriblement pour elle... Elle avait hésité à les aborder aussi soudainement, à cause de son changement d'apparence mais surtout à cause de ce qu'impliquait tout ce qu'elle avait découvert, mais la vue de ses deux meilleurs amis effaça aussitôt cette réticence. Une envie folle de les retrouver s'anima en elle, et elle esquissa un pas en avant...

Une main s'abattit sur son épaule, en douceur mais avec fermeté, l'empêchant d'aller plus loin. Elle sursauta et ravala un cri de surprise ; son coup se tordit pour apercevoir son agresseur tandis que son corps tentait de s'écarter brusquement et de s'arracher à sa prise d'acier.

A sa grande horreur, Riku se tenait juste derrière elle, à moitié dissimulé dans l'ombre de la ruelle, le visage indéchiffrable.

« Qu-que... lâche-moi ! » lui murmura-t-elle avec fureur en tentant de lui faire lâcher prise.

Il avait une poigne plus puissante qu'il n'y paraissait. Il fronça les sourcils.

« Qu'est-ce que tu fais ? » murmura-t-il, l'air sincèrement confus.

Xion ne prit pas la peine de lui répondre. Alors qu'elle réfléchissait au meilleur moyen de lui faire lâcher son épaule, elle entendit vaguement Roxas reprendre la parole d'une voix calme, étrangement résignée :

« Elle n'avait pas l'air en forme ces derniers jours, mais... elle ne voulait rien me dire. On aurait dû se rendre compte que quelque chose n'allait pas. Si on avait réagi plus tôt...

-Hé. »

Xion se tordit le cou à nouveau pour regarder la scène en contrebas. Riku, lui aussi, s'était complètement figé.

« Tu n'y es pour rien. » Axel avait posé des mains rassurantes sur les épaules de Roxas, qui avait baissé le regard vers le sol, les sourcils froncés et l'air sombre. « On la retrouvera, je te le promets. Mais en attendant, il faut que tu me fasses confiance. Je... Il est possible que je sache où elle est allée, mais je dois vérifier quelque chose avant. »

Elle ?

Qui était-ce, elle ? De qui parlaient-ils ? Pourquoi parlaient-ils d'elle comme si elle venait de disparaître il y avait peu ?

Tout comme... tout comme elle se faisait passer pour cette Naminé, y avait-il quelqu'un qui se faisait passer pour elle ?

Roxas ne dit rien pendant un long moment. Seul s'élevaient les bruits lointains de la ville, quelques rues plus loin. Finalement, il releva la tête et lâcha d'une voix un peu étranglée, mais assurée :

« D'accord. Mais tu me diras quand tu auras la réponse, d'accord ? »

Axel hésita un peu puis hocha la tête.

« Bien sûr.

-On devrait y aller, reprit Roxas en se détournant avec un lourd soupir. Saïx le saura sinon. Peut-être qu'on croisera Xion, qui sait. »

Un Couloir des Ténèbres s'ouvrit au centre de la cour, et il s'y dirigea sans un regard en arrière. Axel ne bougea pas, le suivant du regard ; Xion ne pouvait pas voir son visage. Puis il poussa un soupir, se passa la main dans les cheveux et lui emboîta le pas.

Avant que Xion ait pensé à appeler à l'aide, tous deux avaient disparu et le couloir s'évanouit dans les airs.

Riku la lâcha enfin.

« Je ne sais pas à quoi tu as pensé, mais il faut rentrer, dit-il. DiZ était furieux quand je lui ai dit que tu avais disparu. Et on risque de se faire repérer par eux », ajouta-t-il avec un mouvement de tête en direction de la cour.

Xion se retourna vers lui et le fusilla du regard avec tout le soin dont elle était capable, mais cela n'ébranla pas l'inexpressivité de son visage, ce qui eut le don de l'agacer davantage.

Pourquoi avait-il fallu qu'il s'en mêle ?!

« Laisse... Laisse-moi tranquille ! » se rebiffa-t-elle.

Elle le poussa ; pas très fortement, mais il ne s'y attendait pas et son dos vint frapper le mur derrière lui. Il ouvrit la bouche sous le choc, et elle eut la satisfaction de lui avoir tiré de la surprise.

« Pourquoi est-ce qu'il a fallu que tu viennes t'en mêler ? » s'écria-t-elle, sentant des larmes de fureur perler au coin de ses yeux. Elle les essuya d'un geste rageur. Elle détestait ça, cette sensation d'impuissance. « Si tu n'étais pas intervenu, j'aurais pu...

-Tu... tu ne dois pas aller avec eux ! insista Riku, le ton un peu plus expressif. Ce ne sont pas tes amis, Naminé ! Ils ne nous aideront pas, tu le sais ! »

Elle ne répondit pas et se détourna en reniflant. La rancœur montait à nouveau en elle, et des flash-back de leur première rencontre flashèrent devant ses yeux.

Riku n'avait pas l'air de savoir comment réagir. C'était étrange de le voir presque désemparé.

« Naminé... rentrons, d'accord ? » dit-il en s'avançant d'un pas, levant une main rassurante.

Xion ferma les yeux. Ses jambes fatiguées ployèrent sous son poids et elle se laissa lentement tomber dans la poussière.

« Je... je...

-...Naminé ? »


« Hé, réveille-toi ! Réveille-toi, espèce de fainéant. »

Le jeune garçon maugréa dans son sommeil alors qu'il était tiré contre sa volonté de ses rêves. Il bâilla, s'étira paresseusement, puis sursauta violemment à la vue de la jeune fille penchée sur lui, qui l'observait en haussant les sourcils.

« Wouah ! Kairi, tu m'as fait peur ! »

La fille rit.

« Dis donc, Sora, dit-elle d'un ton malicieux. T'étais censé nous aider pour le radeau ! Tu crois que Riku et moi on va tout faire tous seuls ?

-Hein ? Mais non ! J'étais juste allé chercher une corde pour attacher les voiles !

-T'avais vachement l'air de chercher, là. »

En silence, Kairi observait son elle plus jeune rire aux éclats en taquinant le garçon petit aux cheveux bruns hérissés. Elle tenta d'ignorer les sentiments bizarres qui serraient son cœur.

Sans doute ne devrait-elle pas regarder... Sans doute devrait-elle poursuivre sa route. Mais...

Tout en riant, les deux enfants s'éloignèrent puis disparurent sans un regard vers elle.

Elle cligna des yeux au bout de quelques secondes, puis reprit son chemin – où allait-elle déjà ? Ah oui, la porte au bout du long couloir blanc – mais elle avait à peine fait deux pas qu'une autre scène prenait forme autour d'elle, courant sur les murs et s'en échappant pour se mêler à l'espace tout entier.

Elle ne devrait pas regarder. Mais sans même en avoir conscience, elle ne put s'en empêcher.

Des jours ensoleillés se mêlant aux jours plus sombres. Des images tranchantes, l'effleurant et la déstabilisant avant de s'étioler dans le néant. Des rires d'enfants, des larmes, toute une palette d'émotions qui attiraient son regard et captivaient son attention. Elle esquissa un pas, mais sans le moindre but ; où allait-elle, elle ne le savait pas.

Deux garçons et une petite fille qui exploraient une caverne aux odeurs de terre humide. Des promesses de voyages lointains sous le crépuscule. Une grande maison et une nouvelle famille, dans ces îles qu'elle n'avait jamais vues. Une petite fille qui courait, les habits sales et le visage ravagé par les larmes, tandis qu'autour d'elle, la cité d'eau et de lumière qui était son foyer tombait en ruines dans les flammes et les cris...

« Stop ! » s'écria-t-elle.

Kairi eut du mal à réaliser qu'elle avait crié, mais elle avait déjà plaqué ses mains contre ses yeux pour bloquer les images, se repliant sur elle-même.

Elle traversa le couloir sans plus regarder les murs.

Quelques portes plus loin, elle tomba sur quelque chose de différent.

Kairi ne s'en rendit pas compte immédiatement. Elle s'était résignée à accepter cette succession de salles désertes, aussi ne réagit-elle d'abord pas devant la salle où demeuraient, poussés contre les murs, encore quelques meubles, conçus dans l'éternel matériau blanc qui composait ce monde : deux lits aux draps immaculés et une petite table accompagnée de sa chaise. Elle demeura sur le seuil, interdite, puis cligna des yeux, s'assurant que cette vision était réelle et non une illusion comme les autres. Comme les meubles ne disparaissaient pas, elle prit le parti de s'avancer dans la salle.

Elle toucha timidement la surface de la table et s'assit sur un lit. Il était froid, mais bien plus confortable que le sol. Avait-elle découvert l'ancien dortoir de l'Organisation ?

L'envie de faire un somme ne l'avait pas quittée, mais... trois portes s'ouvraient dans les murs de la salle, et elle était certaine de toucher au but, si bien que l'excitation noya rapidement sa fatigue. Kairi considéra les trois portes puis se dirigea vers la première, celle perçant le mur de gauche par rapport à l'entrée. Les doigts fébriles, elle la tira et passa la tête par l'ouverture.

Il n'y avait rien de plus qu'une autre salle blanche... mais il y avait une unique chaise abandonnée dans un coin. Fronçant les sourcils, Kairi l'examina du regard. Étrange. A quoi pouvait bien servir cette salle ? À côté de la chaise était installée une cage à oiseau, mais il n'y avait rien à l'intérieur. Kairi choisit de se retirer et de refermer la porte : cette salle faisait naître en elle un sentiment de malaise qu'elle ne parvenait pas à comprendre et qui lui déplaisait.

Elle tenta ensuite sa chance vers la porte faisant face à l'entrée du dortoir. Celle-ci, elle remarqua, était plus imposante que les autres ; ses moulures décoratives semblaient plus détaillées. Elle n'eut aucun mal à l'ouvrir, pour découvrir de l'autre côté à sa grande surprise un couloir différent des autres : beaucoup plus large, elle devait se tordre le cou pour apercevoir le plafond et il s'enfonçait au loin dans la pénombre. L'air semblait soudain beaucoup plus compact et elle sentit les poils se dresser sur ses bras quand elle plongea son regard dans les tréfonds du couloir. Elle s'empressa de refermer la porte.

La troisième porte fut curieusement récalcitrante à s'ouvrir. Elle dut s'y reprendre à deux fois, pour ne découvrir qu'un autre corridor. Mais les décorations ornant les murs de celui-ci étaient plus abondantes, et il n'y régnait qu'une atmosphère austère, pas plus menaçante que le reste, aussi Kairi décida-t-elle de s'y aventurer. Il lui semblait plus lumineux aussi, comme si des fenêtres perçaient les murs pour offrir la lumière du jour.

Elle gravit les quelques marches menant à la porte au bout du corridor et hésita, les doigts sur la poignée, quand elle remarqua l'inscription gravée au sommet de la porte.

« ...Cœur du héros », lut-elle.

Sa voix perça lugubrement le silence comme si quelqu'un d'autre avait parlé, et elle se tut aussitôt, mais sans pouvoir détacher ses yeux de l'inscription. Cœur du héros... se pourrait-il que... ?

Elle tourna la poignée, le cœur battant.

La salle sur laquelle la porte s'ouvrit ne comportait pas d'autre porte. En fait, elle n'était occupée par rien d'autre que par un piédestal en son centre, sur lequel reposait ce qui ressemblait à un grand globe de cristal. Kairi s'avança et fit le tour de la boule, intriguée. Elle entendit vaguement la porte se refermer doucement dans son dos.

Elle avait atteint son but, elle le sentait. C'était comme si le manoir avait lu ses intentions et répondu à sa demande. La jeune fille s'arrêta devant le globe et plongea son regard dans les profondeurs de cristal.

Comme s'éveillant à son approche, des images brumeuses se matérialisèrent furtivement dans le cristal. Elle fronça les sourcils et se pencha en avant.

Ça doit être une sorte d'ordinateur, comme des espèces d'archives...

Enfin du moins c'était son hypothèse. Elle...

Kairi tressaillit et écarquilla les yeux. Un garçon brun brandissant une Keyblade venait d'apparaître. Elle ne discernait pas correctement ses traits, mais elle en était sûre.

« Sora ! »

Elle se pencha davantage vers le cristal et posa ses mains dessus. Elle ne pouvait plus détacher le regard de ce qu'elle voyait, tandis que les images emplissaient le cristal, ses yeux et sa tête. Il était là. Elle l'avait retrouvé.

Le garçon à la Keyblade accomplit des exploits, il est intéressant.

Ne serait-il pas favorable de l'avoir avec nous ?

Nous qui avons perdu notre cœur, nous pourrions le retrouver avec l'aide du Kingdom Hearts... Si seulement il nous prêtait sa force.

Il nous faut le garçon. Pour accomplir notre but.

Nous avons sa réplique, la projection exacte de son identité. Mais elle nous est inutile sans sa force.

Elle est inachevée. Mais il y en a un autre.

Le garçon a succombé aux ténèbres et il nous a laissé un précieux remplaçant.

Son nom est Roxas. Il est le XIIIe membre.

Tu n'es pas au courant ? Le garçon est revenu et il a sauvé les mondes. Ce qui signifie...

Naminé, tu es une sorcière qui contrôle le cœur des gens. Tu dois faire de Sora l'un d'entre nous. Charge-toi de ça.

Oui, mais il y a toujours un souvenir qu'il ne pourra oublier. C'est la fille qui est dans son cœur. Elle est sa lumière. C'est...

Son nom est Xion. Elle est la XIVe membre.

Ils sont une balance, maintenant que le Porteur de la Keyblade a disparu. En avoir deux de force médiocre n'a aucun intérêt. Seul le meilleur sera conservé.

Ce sera notre guerrier, qui nous apportera le salut.

Le Porteur, lui, n'est pas destiné à se réveiller.