Chapitre publié le 23 avril 2022

Chapitre 29 : Sur les traces des disparues

« ...Qu'est-ce que tu veux ? »

Riku demeura silencieux pendant un instant. Naminé n'avait pas bougé, toujours blottie près de la fenêtre close quand il avait ouvert la porte. Pelotonnée contre la vitre dans l'obscurité de la chambre, les bras enroulés autour de ses genoux remontés contre sa poitrine, elle gardait obstinément le regard tourné vers les profondeurs de la nuit. Ce n'était pas surprenant, mais il ne put s'empêcher de ressentir brièvement une pointe de déception.

Il referma la porte derrière lui.

« Je veux juste te parler. »

Naminé n'eut aucune réaction bien qu'il savait très bien qu'elle l'avait entendu, puis, toujours sans le regarder, elle fit un petit mouvement de menton qui pouvait passer pour un hochement de tête. Il l'interpréta comme l'autorisation de s'approcher et alla s'asseoir sur une chaise, en prenant soin de conserver une certaine distance pour ne pas risquer de la mettre mal à l'aise. Devant lui, sur la longue table blanche, il remarqua un éclat de couleur terni : le carnet de dessin de la jeune fille, qu'elle n'avait plus touché depuis des semaines, reposait toujours ouvert à la page qu'elle avait laissée, recouvert d'une fine couche de poussière.

Le silence s'éternisa pendant quelques minutes, durant lesquelles ni l'un ni l'autre ne bougea. Cela ne le dérangeait pas attendre n'était rien pour lui, et il voulait lui donner le temps nécessaire sans la brusquer. Même s'il était peut-être en train de perdre son temps.

Il reporta son regard sur Naminé et la surprit en train de lui adresser un coup d'œil en coin. Elle détourna rapidement le regard.

Riku décida d'ouvrir la conversation.

« Est-ce que tu te sens mieux, Naminé ? demanda-t-il doucement. Est-ce qu'on peut parler ? »

Elle ne répondit pas et il réprima un soupir.

« Je... je suis désolé. »

Cela lui tira une réaction, même si cela n'avait pas été le but premier de sa déclaration. La jeune fille ne put s'empêcher de tourner légèrement la tête vers lui et il aperçut un éclat surpris dans son regard.

« Je... pourquoi... ?

-Je pense que c'est ma faute, expliqua-t-il tandis que les traits de Naminé se durcissaient à nouveau, alors qu'elle le jaugeait d'un regard critique qu'il ne lui connaissait pas. Je n'aurais pas dû autant hésiter pour Roxas et Xion. Si je te les avais amenés dès que j'en avais l'occasion, tu ne te serais pas retrouvée dans cette situation, tu ne te serais pas sentie obligée d'agir toi-même, et te mettre en danger... Pardonne-moi. »

Riku leva les yeux vers la lune étincelante, immense, dans le ciel nocturne. Il faisait doux. La nuit était agréable. Souvent, dans ces cas-là, il dormait à la belle étoile. Il se demanda si Naminé avait l'occasion d'en profiter, elle aussi, parfois.

« Et... après tout, toute cette situation était ma faute pour commencer. Si je n'avais pas cédé aux Ténèbres...

-Ça n'aurait rien changé, le coupa Naminé d'une voix tranchante. L'Organisation aurait quand même voulu le pouvoir de Sora. »

Un léger silence s'ensuivit. Elle ne le regardait plus, mais ne s'était pas non plus détournée vers la nuit comme pour l'ignorer à la place, la jeune fille fixait le vide, les yeux dirigés vers ses pieds posés devant elle sur le rebord de la fenêtre où elle était assise. Riku se demanda à quoi elle pouvait bien penser.

« Tu sais, commença-t-il en se laissant aller contre le dossier de sa chaise, je n'ai jamais vraiment... considéré toute cette situation de ton point de vue. Je dois m'en excuser aussi. Ça vaut pour eux... pour Roxas et Xion aussi. » Il sentit les yeux de Naminé revenir sur lui. « Je me demande comment est leur vie dans l'Organisation. Est-ce qu'ils ne se sentent pas déboussolés, loin de Sora, forcés de se battre pour un but étranger à eux ?

-... C'est la seule chose qu'ils connaissent, répondit Naminé d'une voix basse.

-Tu as sans doute raison. Mais c'est dommage, poursuivit-il, laissant ses pensées le rattraper, si la situation était différente, on aurait pu être amis. Je ne pense pas qu'ils soient mauvais, juste...

-... Qu'ils sont entourés des mauvaises personnes, n'est-ce pas ? » fit Naminé, et ce n'était sans doute qu'une impression, mais Riku jura qu'il avait perçu quelque chose de hautain dans son ton. Elle ne pouvait pas avoir assisté à sa première rencontre avec Xion, n'est-ce pas ?

Les souvenirs de cette dernière refirent surface et il sentit ses lèvres former un sourire sans joie.

« Oui. Tu te souviens, je t'avais raconté quand j'avais rencontré Xion pour la première fois, il y a quelques semaines ? J'avais eu un peu pitié d'elle je l'avais laissée partir d'ailleurs. C'est vrai que sa ressemblance avec Kairi m'avait... fait un choc. Mais elle... elle est tellement protectrice envers ses amis, et elle me regardait comme si j'étais leur ennemi, ce que je suis, je suppose. » Il laissa échapper un petit rire amer. « J'avais l'impression d'être le méchant. Ce n'est pas complètement faux, à vrai dire. Mais si c'est ce qu'il faut pour protéger Sora... »

Naminé ne disait rien mais Riku savait qu'elle l'écoutait.

« Et c'est vrai qu'elle est plutôt attirante. Mais... »

Remarquant le regard bizarre que lui lançait Naminé, il se tut et fronça les sourcils. Il se leva de son siège, coupant court à cette conversation qui tenait plus du monologue.

« Je vais devoir repartir, annonça-t-il avec un regard en arrière alors qu'il se dirigeait vers la porte. Fais attention à toi, d'accord ? Et surtout... fais attention à DiZ. Il est loin d'être bonne humeur en ce moment, je suppose que tu l'avais remarqué, alors ne le mets pas en colère. »

La porte se referma derrière lui et il retrouva l'odeur de poussière du couloir obscur. Naminé ne le rappela pas.


Naminé releva la tête et essuya son front moite d'un revers de main. Elle jeta un coup d'œil à sa gauche : Selphie demeurait concentrée, le front plissé, la tête baissée vers son cahier tandis qu'elle mâchonnait le bout de son stylo. La plupart des autres étudiants qui occupaient la majorité des sièges de la bibliothèque étaient dans un état semblable.

Ce dimanche 7 juin, l'air était brûlant. La grande bibliothèque municipale était certes plus fraîche, mais même tous les dispositifs mis en œuvre pour préserver la fraîcheur avaient leur limite quand la salle était occupée du matin au soir par des hordes de lycéens nerveux qui révisaient pour leurs examens imminents. Cela dit, elle n'était pas mécontente d'avoir accepté l'offre de Selphie de réviser ensemble la grande salle de la bibliothèque, avec ses murs aux couleurs douces, ses larges allées offrant de l'espace pour arpenter les rayonnages et ses tables immenses où étaler manuels et cahiers, était un cadre agréable pour travailler. Le silence régnait autour d'elle, seulement troublé par les pas sur le carrelage et le froissement de pages tournées.

Ce n'était pas facile, de devoir rattraper en quelques jours la masse de savoirq qu'ils se devaient de savoir, surtout comme elle avait manqué la majeure partie de l'année. Elle avait parfois l'impression que son cerveau allait exploser. Mais elle devait passer ces examens pour Kairi. Si elle ne pouvait même pas faire ça, elle se sentirait vraiment inutile. Et puis, son cerveau avalait rapidement les informations. Mais ce n'était pas sa seule préoccupation. Les demandes de vœux pour l'année suivante avaient été lancées et, même si elle aurait préféré ne pas y répondre car le choix de son avenir appartenait à Kairi, les profs se faisaient insistants.

Qu'est-ce que Kairi voudrait faire plus tard ? Elle avait été elle, non ? Peut-être qu'elle pouvait trouver la réponse en elle...

Mais plus elle y réfléchissait, moins elle était certaine. Et elle, qu'est-ce qu'elle aimerait devenir ? Elle n'y avait jamais songé. Elle était une Simili et n'avait pas d'avenir. Mais si, par un miracle auquel elle n'osait espérer, un venait à lui être accordé, que choisirait-elle ?

Selphie, qui avait passé du temps à admirer ses dessins, lui avait dit en plaisantant qu'elle devrait faire dessinatrice, bien entendu. Sans le vouloir particulièrement, Naminé avait donné quelques réflexions à sa suggestion. Elle aimait dessiner, certes... Mais de là à y consacrer sa vie entière ? C'était ce que DiZ, ce que l'Organisation, avaient attendu d'elle.

Naminé se reprit. Ces révisions n'allaient pas se faire seules. Elle écarta ces pensées de son esprit et tourna machinalement la page du livre posé devant elle tout en parcourant des yeux la longue table occupée par de nombreux autres élèves.

« Tiens, je me demande où est Serah », laissa-t-elle échapper tout haut, ce qui lui valut quelques regards distraits.

Maintenant qu'elle y pensait, la jeune fille ne s'était pas montrée en classe depuis plusieurs jours, ce qui était incongru pour quelqu'un qui semblait si studieux. Selphie releva la tête, le front plissé.

« T'as dit quoi ? chuchota-t-elle du plus fort qu'elle put.

-Je me demandais où était Serah, répondit Naminé sur le même ton.

-Maintenant que j'y pense... répliqua Selphie après un instant de réflexion, se tapotant le menton du bout des doigts, ça fait plusieurs jours que je n'ai pas eu de nouvelles. Je lui avais envoyé un SMS, rien d'urgent, mais elle aurait dû me répondre et... » Elle sortit prestement son téléphone de son sac et y jeta un coup d'œil. « Toujours rien. Vraiment bizarre.

-Peut-être qu'elle est malade ? On devrait peut-être aller la voir, au moins pour lui apporter les cours, s'inquiéta Naminé.

-Oh, c'est Vanille qui s'en occupe d'habitude. Pas la peine de s'en faire pour ça. Tu veux qu'on lui demande comment elle va ? Je crois que j'ai vu Vanille tout à l'heure par ici, ajouta Selphie en se redressant pour regarder par-dessus la tête des lycéens studieux. Tiens, la voilà. Tu m'accompagnes ? »

Naminé hocha la tête et lui emboîta le pas.

Vanille se trouvait assise à un petit bureau, entre deux rayonnages. Quelques cahiers étaient ouverts devant elle, mais elle était occupée à consulter son téléphone, ses doigts s'agitant sur les touches. Elle les aperçut immédiatement quand les deux jeunes filles s'approchèrent d'elle.

« Hello ! les salua-t-elle sans particulièrement se soucier de baisser la voix.

-Salut, Vanille. » Selphie lui retourna la politesse, puis entra immédiatement dans le vif du sujet. « On cherche Serah. Comme elle n'est pas venue en classe cette semaine, on se demandait... »

Naminé avait immédiatement vu les traits de la jeune rouquine s'affaisser et son regard se figer dès que Selphie avait évoqué le nom de Serah. Elle abandonna très vite son attitude insouciante habituelle, et Selphie s'interrompit au milieu de sa phrase.

« Tu veux dire... tu n'es pas au courant ? » souffla Vanille.

Selphie échangea un regard avec Naminé.

« Euh... au courant de quoi ?

-Quelque chose est arrivé ? » intervint Naminé, curieuse et un peu inquiète. Elle pouvait sentir que quelque chose n'allait pas dans l'expression réservée de Vanille, qui se leva soudainement et se pencha vers elles.

« Allons dehors pour pouvoir parler tranquillement », chuchota-t-elle avant d'ouvrir la voie vers l'issue de la salle sans attendre leur réponse.

Une fois dans le couloir désert à l'extérieur de la salle principale, Vanille se tourna vers elles, affichant une expression ouvertement inquiète.

« Vanille, tu sais comment va Serah ? demanda Naminé. Est-ce qu'elle est malade ?

-Elle n'a pas répondu à mon message, renchérit Selphie en brandissant son téléphone.

-Hé bien, en réalité, non, je ne sais pas comment elle va. » Ce n'était pas annoncé sur le ton de la plaisanterie. Vanille avait baissé les yeux et se tenait nerveusement le bras. « Je suis passée la voir mardi pour lui amener les cours et prendre de ses nouvelles. Elle ne répondait pas à mes messages non plus, et je commençais à m'inquiéter. Mais ses parents m'ont dit... qu'elle n'était pas là.

-Pas là ? Elle est partie en voyage ? » avança Selphie, un peu naïvement, tandis que Naminé fronçait les sourcils.

Vanille secoua la tête.

« Non ! Elle a disparu ! »

Naminé ne put s'empêcher de penser que si Vanille n'avait pas été aussi inquiète de la disparition d'une de ses meilleures amies, elle aurait été ravie d'être la première à leur annoncer cette nouvelle inattendue, qui manifestement était une première dans le quotidien tranquille des Îles.

« Disparue ? Mais où elle aurait pu passer... ? commença-t-elle tandis que Selphie laissait échapper une exclamation de surprise.

-Ses parents m'ont dit qu'elle n'était pas rentrée dimanche soir. Ils l'ont cherchée partout, mais ils n'ont aucune nouvelle. Ils m'ont dit qu'ils m'appelleraient quand ils en auraient mais...

-Et la police ? Ils sont allés voir la police ? demanda brusquement Selphie, penchée en avant comme si elle mourait d'envie de se lancer immédiatement à la recherche de leur amie.

-Bien sûr ! La police la cherche en ce moment. En plus... » Vanille soupira et baissa les yeux vers le sol. « Sa sœur fait partie de la police, tu sais, et elle est déterminée à remuer les îles de fond en comble pour la retrouver. Vous ne connaissaient pas Lightning ? Croyez-moi, elle fait peur quand elle s'agit de Serah. Vous ne voulez pas vous en prendre à sa sœur devant elle.

-J'ai entendu parler d'elle, fit Selphie avec un mouvement d'épaule. Et je l'ai croisée une fois, mais elle n'avait pas l'air très sympa. C'est bizarre... Serah n'est pas du genre à fuguer... Oh ! » Elle parut soudain réaliser quelque chose et ses yeux s'éclairèrent. « Elle serait pas chez son amoureux ? Elle me disait que Lightning désapprouvait leur relation parce qu'elle ne le supportait pas, alors c'est peut-être ça ! Elle a dû filer en douce chez... »

Vanille sourit tristement et Selphie se dégonfla aussitôt.

« Bien entendu, c'est le premier endroit où Lightning s'est précipitée. Mais lui non plus n'a pas vu Serah depuis la semaine dernière. Il a décidé d'aider les recherches avec son euh... son gang, mais... Dites, Serah était souvent avec vous ces derniers temps ! Vous auriez pas une petite idée d'où elle pourrait être ? reprit-elle d'un ton plein d'espoir.

-Euh... » Selphie se gratta le crâne puis jeta un coup d'œil vers son téléphone, parcourant rapidement les messages. « Dimanche, elle m'a dit qu'elle allait sur la petite île. Vous savez, celle où on va le week-end.

-Mais ça, on le savait... Elle a déjà été fouillée. »

Vanille prit une mine déçue, mais Naminé se figea. La petite île ? Elle ne serait quand même pas... Non, ce n'était pas possible. Ce monde était sauf depuis la disparition d'Ansem. Même l'Organisation ne s'y était pas intéressée.

« Pourquoi... Est-ce qu'elle a dit pourquoi ? demanda-t-elle néanmoins.

-Euh, non, mais...

-Ils ont déjà fouillé l'île, répéta Vanille en soupirant. Elle avait dit à ses parents qu'elle y allait, alors c'est l'un des premiers endroits où ils sont allés chercher. »

Naminé ne dit rien.


Roxas avala goulûment de longues gorgées d'eau fraîche avec soulagement. Il ne prêtait même plus attention à ce qui l'entourait, trop occupé à apaiser sa soif. Après tout, ils avaient bien mérité une petite pause comme l'avait dit Axel il avait d'abord rechigné à accepter, marmonnant que ce n'était qu'une perte de temps, mais il ne s'était pas rendu compte à quel point il était assoiffé et épuisé.

Aujourd'hui était censé être un jour de repos, mais ils avaient mis à profit ce temps libre pour partir à la recherche de Xion, explorant tous les mondes où leur amie pourrait se trouver. Axel avait refusé de l'emmener au Manoir Oblivion il y était allé lui-même, seul, et lui avait affirmé que Xion ne s'y trouvait pas. Roxas avait dû se résoudre à le croire. Cependant, le jour tirait vers sa fin et ils n'avaient toujours pas trouvé la moindre trace de leur amie disparue.

Ils avaient déjà exploré le monde du Château de la Bête, sur lequel pour une fois le soleil régnait. Le château au cœur de la forêt lugubre avait tout de suite semblé bien plus accueillant, mais ils n'avaient pas eu le temps d'en admirer l'architecture. A peine étaient-ils entrés qu'ils avaient été repérés, non pas par le maître des lieux – cela, Axel ne l'aurait jamais permis et même Roxas n'était pas assez inexpérimenté pour se faire avoir ainsi – mais par une armoire visiblement douée d'une conscience, ce qu'ils n'auraient pu en aucun cas prévoir. S'était ensuivie une course-poursuite dans les couloirs, mais ils n'avaient eu aucun mal à semer le meuble qui ne pouvait monter les escaliers qu'avec peine. L'expérience avait cependant contrarié Axel.

Roxas lui avait parlé de la fille vivant au château, une certaine Belle, avec qui il avait cru entendre Xion converser il y avait des mois de cela. Il avait jadis pensé avoir mal entendu – elle savait pertinemment que tout contact non nécessaire avec des habitants des mondes était interdit – mais après l'avoir vue pendant les missions se mêler à la population sans sourciller, il n'en était plus aussi sûr. Il en avait informé Axel, et tous deux avaient décidé que vérifier si leur amie ne se cachait pas chez cette Belle ne coûterait rien. Ils avaient trouvé la chambre de cette dernière, complètement déserte. Ils avaient rapidement vérifié le reste du château, en vain. Belle était seule, prenant tranquillement son petit déjeuner sans aucune compagnie.

Par la suite, ils avaient fait un tour au Colisée. Il n'avait guère été surpris de ne pas l'y trouver, seulement un peu plus inquiet. Des héros, tous grands et forts, qui s'entraînaient sur les lieux, s'étaient déclarés volontaires pour l'aider à chercher son amie après que le satyre l'ait bruyamment interpellé alors qu'il tentait de se faufiler derrière la foule. En vain. Roxas les avait remerciés puis avait rejoint Axel, qui avait pris soin de ne pas se mêler à eux et de faire sa propre enquête en douce.

Après cela, ils avaient eu la malchance d'être pris en chasse par une troupe de pirates au Pays Imaginaire. Oh, ils n'avaient eu aucun mal à s'en débarrasser, mais Axel avait fait remarquer que leur arrivée n'aurait pas pu être plus voyante. Si Xion se cachait d'eux – et l'estomac de Roxas se serra à cette pensée – alors elle devait déjà avoir quitté les lieux. Ils avaient croisé la petite fée que le jeune garçon commençait à bien connaître. Quand il lui avait décrit de son amie, elle avait penché la tête de côté sans sembler savoir de qui il parlait, et ils n'avaient pas tardé à quitter les lieux.

La chaleur d'Agrabah les avait étouffés, comme d'ordinaire, et ils avaient dû avoir de surcroît affaire à ces Sans-cœur qui se déguisaient en tonneaux pour leur fondre dessus à leur approche, écrasant tout sur leur passage. Les rues portaient encore les traces de la dernière tempête de sable, mais non de Xion. Aucune fille en manteau noir n'était en vue.

Ils étaient maintenant perdus au cœur d'une jungle immense, dont les arbres gravissaient les cieux, les enserrant dans un océan confus de verdure et de vie. Des chants d'oiseaux au plumage coloré s'élevaient au-dessus de leur tête, et les fourrés étaient agités de mille sons. Un épais tapis de mousse et d'herbes recouvrait la terre meuble, s'enfonçant légèrement sous leurs pas. Ils n'avaient aucune chance de retrouver Xion là-dedans : Roxas ne pouvait guère voir plus loin que quelques mètres devant lui, car les rideaux de lianes, de feuilles et de branchages voilaient le reste du monde à ses yeux. Il faisait très chaud aussi, presque aussi chaud qu'à Agrabah, et il sentait la sueur s'accumuler sous son manteau noir.

Avec un soupir abattu, il baissa à nouveau la tête vers le filet d'eau qui s'échappait de rochers couverts de mousse pour décrire un arc de cercle dans les airs et atterrir en glougloutant joyeusement dans la petite mare au pied des rochers, qui se déversait ensuite en un ruisseau boueux. L'eau fraîche lui fit du bien, mais ne fit rien pour alléger ses pensées moroses.

Pour couronner le tout, il avait manqué se faire mordre par un serpent venimeux un peu plus tôt : il l'avait pris pour une autre liane tombante et avait esquissé un geste pour l'écarter, ce qui avait résulté en une attaque soudaine. Si Axel n'avait pas repoussé sa main, il se serait fait avoir.

C'était l'heure de rentrer à la citadelle. Et toujours pas de Xion.

S'essuyant machinalement les lèvres d'un revers de main, Roxas contempla son reflet troublé dans la petite mare. Il ne réagit même pas quand un lézard qui se promenait sur la mousse l'aperçut et disparut aussitôt entre les herbes.

Xion, où es-tu ? Qu'est-ce que tu fais ? Tu ne veux plus nous voir ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Il devait l'avouer, il ne pouvait s'empêcher de se sentir cruellement blessé par la disparition de leur amie. Xion était partie sans un mot, sans crier gare... Il ne savait pas ce qu'il lui était arrivé, la cause exacte de sa disparition, mais il aurait tellement souhaité... Pourquoi n'avait-elle pas pu leur parler ? Ne leur faisait-elle donc plus confiance ?

Il n'en avait rien à faire de la véritable nature de Xion. Elle restait leur amie. Et il voulait l'aider.

Roxas jeta un coup d'œil derrière lui, vers Axel qui se tenait adossé à un arbre voisin, les bras croisés et les traits impénétrables. Il avait perdu son attitude insouciante et taquine depuis quelques temps Roxas n'aimait pas ça. Ça lui faisait prendre conscience qu'il y avait beaucoup qu'il ignorait de lui – il savait depuis toujours qu'Axel aimait garder ses secrets, mais depuis quelques temps, il commençait à suspecter que même ce qu'il pensait savoir de lui n'était qu'une façade.

Axel prit la parole sans le regarder, comme par obligation de combler le silence pesant.

« Peut-être qu'elle est à la Forteresse Oubliée. Elle allait souvent y voir des... connaissances, n'est-ce pas ? »

Roxas baissa les yeux.

« Ouais... »

Axel le regarda finalement, l'air troublé.

« Ah ne te prends pas la tête avec ça. C'est normal qu'on ne l'ait pas trouvée immédiatement, tu t'attendais à quoi ? On finira par la retrouver. Ou alors elle viendra nous voir d'elle-même, quand elle s'en sentira la force. Laisse-lui le temps.

-Je sais ! C'est juste... » Roxas remua le pied dans la boue, irrité de ne pas savoir trouver les mots. « Elle est partie parce qu'elle a découvert qui... qui elle était, non ? Mais comment... »

Axel se contenta de hausser les épaules, reportant son regard sur la végétation environnante. Peu satisfait de cette réponse, Roxas bougonna :

« Je veux savoir. Je veux savoir ce qu'il lui est arrivé. J'espère... J'espère qu'elle a encore envie de nous voir. »

Et pourtant, même si elle avait eu l'air triste, elle avait eu l'air tellement ravie quand je lui avais montré ma collection...

Axel fut silencieux pendant quelques secondes.

« Dis, Roxas... Qu'est-ce que tu diras à Xion quand tu la retrouveras ? » dit-il finalement.

Surpris de la question, Roxas releva la tête vers lui, mais Axel évitait son regard.

« Qu'est-ce que tu veux dire ? Je lui demanderai ce qu'il lui arrive, c'est évident ! J'essayerai de l'aider !

-Tu es sûr ? Tu penses que c'est ce qu'elle voudra entendre ? Et si ça ne suffit pas ?

-H-Hein ? Hé, qu'est-ce que tu veux dire ! »

Roxas le regarda en fronçant les sourcils, l'air désapprobateur. C'était une facette d'Axel qui lui déplaisait et le mettait mal à l'aise. Dans ces moments-là, il ressemblait bien trop aux autres de l'Organisation à son goût.

Axel fixait toujours la végétation, ignorant l'air indigné de son ami.

« Roxas, dit-il soudain d'un ton neutre. Rentre à la citadelle. J'ai besoin de réfléchir un peu. Je te rejoins tout à l'heure. »

Roxas le dévisagea, ne comprenant pas pourquoi Axel mettait fin aussi soudainement à leur conversation, puis, comme son partenaire ne montrait aucun signe de répondre à sa perplexité, il soupira, et se résigna à obtempérer. Il jeta un dernier regard vers la silhouette solitaire de son ami, dont les cheveux rouges tranchaient dans le décor de verdure, avant que le Couloir des Ténèbres ne se referme.

Le foisonnement des chants et murmures de la jungle reprit son cours.

Axel ne bougeait pas. Il était complètement immobile, les traits impassibles, le regard fixé droit devant lui, comme coupé du reste du monde, nonchalamment appuyé contre le tronc de l'arbre.

Puis, en un geste vif et fluide, il envoya un chakram ceint d'une tornade de flammes dans les fourrés à sa gauche, à quelques pas de la source à laquelle Roxas s'était désaltéré. Il ne regarda même pas quand l'arme s'enfonça dans la végétation avec une odeur de feuilles brûlées.

Cling !

Avec une vitesse impressionnante, le chakram lui fut aussitôt renvoyé, réémergeant du décor pour fondre droit sur lui. Il l'arrêta d'une main ferme sans broncher.

Axel se décolla paresseusement de l'arbre, et tourna son regard vers son adversaire qui sortait des fourrés, estimant que masquer sa présence était devenu inutile.

« Alors comme ça, tu nous espionnais ? Tu pensais que je n'allais pas me rendre compte de ta présence ? »

Son adversaire ne répondit rien et Axel leva les yeux pour croiser le regard voilé de Riku. Les traits impassibles, le jeune homme se tenait droit et silencieux, son arme pointée vers le sol. Il ne pouvait pas voir ses yeux, mais il savait que Riku surveillait le moindre de ses gestes.

Tchh. Enfin, il avait de la chance.

« Je me figurais que tu finirais par te pointer si je traînais Roxas un peu partout, dit Axel d'un ton léger en balançant son chakram sur son épaule, mais sans relâcher sa vigilance. Tu es plus prudent que la dernière fois. »

Riku ne répondit rien et Axel fronça les sourcils, perdant son sourire de renard.

« Je pense savoir où se trouve Xion, tu sais, continua-t-il, une note dangereuse dans la voix. Et... »

Son second chakram apparut dans sa main dans une gerbe d'étincelles et ses lèvres s'étirèrent en un sourire tranchant.

« … je vais m'assurer de ne plus te laisser t'approcher de mes amis. »

Sans crier gare, il fendit l'air, mais Riku semblait avoir anticipé qu'il allait passer à l'offensive. Il para juste au dernier moment un coup qui, s'il n'aurait pas été mortel, lui aurait fait subir de graves dommages, bondit en arrière, puis, comprenant que son adversaire était sérieux et que le combat était inévitable, leva son arme et attaqua à son tour.

Le choc des deux lames qui se rencontrèrent au cœur du champ de bataille résonna dans la forêt. Des étincelles naquirent autour d'eux et remontèrent le long de leurs bras, mais aucun des deux ne broncha.

Le sourire d'Axel s'élargit alors qu'il repoussait Riku, esquiva la lame qui s'abattait vers son visage, glissa avec souplesse sur quelques mètres pour se retourner vivement et envoyer un chakram enflammé vers son adversaire. Oui, ce n'était pas un jeu, et l'affaire était grave, mais bon sang, cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu un adversaire à sa hauteur en face de lui !

Il para la lame tordue de Riku. Ce dernier utilisa sa main libre pour lui envoyer une boule de feu noir, plus pour le distraire qu'autre chose. Il se baissa et balaya l'espace devant lui de son chakram, si rapidement qu'un œil humain n'aurait pu apercevoir son geste. Riku l'évita de justesse en sautant en l'air et s'abattit sur lui de toute sa force, son épée en avant. Deux chakrams arrêtèrent sa course et Riku se laissa repousser en arrière, pour aussitôt se jeter en avant quand Axel fit de même, chacun essayant de trouver une faille entre les offensives de l'autre.

« Tu sais, dit Axel sur le ton de la conversation tout en repoussant nonchalamment une attaque mortelle, ce serait plus simple si tu me disais simplement où elle est. »

Ses chakrams rencontrèrent une nouvelle fois l'épée de Riku et il le repoussa avec tant de force que l'autre homme faillit perdre l'équilibre. Axel bondit, d'un bond qu'un humain normal n'aurait pu réussir sans élan, et s'abattit sur Riku qui eut juste le temps de parer le coup et grimaça devant la férocité de l'attaque.

Axel laissa échapper un grognement frustré.

« Rends-nous Xion, ordonna-t-il, toute trace de sourire disparue de son visage.

-Je ne sais pas de quoi tu parles », répliqua Riku en tentant de contrôler sa voix alors qu'il tentait de contenir les coups rapides qui pleuvaient autour de lui.

Il envoya brusquement une attaque de ténèbres à la tête d'Axel qui écarquilla les yeux et se jeta sur le côté. L'attaque finit sa course contre un arbre, explosant la moitié de sa base. Avec un craquement sinistre et des odeurs de mort, l'arbre majestueux commença à s'incliner, dans la direction opposée des deux adversaires qui ne lui accordèrent pas un regard.

Axel s'était remis en garde, guettant le bon moment.

« Alors tu utilises toujours ces pouvoirs, hmm, fit-il remarquer. Bah, c'est le dernier de mes soucis. Je t'ai posé une question, et je n'ai pas eu de réponse. Où est Xion ? Et si je dois venir t'arracher la réponse... » Ses chakrams étincellèrent d'une lueur malveillante. « … Alors je n'hésiterai pas. »

Il n'attendit pas de réponse et repartit aussitôt à l'attaque, visant les jambes, les bras, le torse, le cou. Il devait reconnaître que Riku était habile et se défendait bien.

« Je te l'ai dit ! rétorqua ce dernier par-dessus le son du métal qui s'entrechoquait. Je la cherche moi aussi ! Elle n'est pas avec nous !

-Quoi ? »

Axel bondit avec grâce en arrière, surveillant l'autre jeune homme d'un regard suspicieux.

« T'es sérieux, gamin ? Tu penses vraiment que je vais croire ça ? Je sais ce que toi et tes copains lui veulent.

-Si j'ai bien compris, dit lentement Riku sans abaisser son épée, Xion n'est pas non plus avec vous.

-...Tchh. Quelle plaie. »

Ils se défièrent du regard, chacun surveillant l'autre au cas où il déciderait de repartir à l'attaque sans crier gare. La tension montait, tourbillonnant autour d'eux, éclipsant les sons de la forêt. Très jolie forêt, d'ailleurs. Beaucoup de verdure... Elle s'embraserait comme un rien si on venait à y mettre le feu. Oh, lui ne craindrait rien, mais Riku, d'un autre côté...

« Alors donc... reprit-il sur le ton faussement insouciant qu'il maîtrisait bien, tu comptes dire quelque chose ? Si je me souviens bien, on ne s'est jamais correctement présentés. Je regrette qu'on se rencontre dans des circonstances pareilles, mais...

-Tu ne devrais pas la chercher. »

Axel plissa des yeux.

« Tu penses pouvoir me dire ce que je dois faire ?

-Si elle est partie, continua Riku, imperturbable, c'est qu'elle a sans doute compris qui vous étiez, et ce qui était le mieux pour elle. Vous devriez la laisser partir. »

Riku parlait d'un ton neutre, pourtant, Axel ne put que sentir son irritation redoubler.

« Ah ouais ? Et tu penses que vous êtes mieux pour elle ? Tchh, ne me fais pas rire. Comme si vous vous souciez de ce qui est bon pour elle.

-Je ne suis pas son ennemi, contrairement à d'autres, rétorqua Riku. Nous ne lui ferions aucun mal.

-Bien essayé, gamin, mais ça ne prend pas avec moi », lança Axel, ses mains se serrant autour des poignées de ses chakrams. Il pouvait sentir en lui le feu qui le constituait crépiter, menaçant de rejaillir à la surface. « Il est impossible que je te fasse confiance.

-Nous avons besoin de Xion, tout comme de Roxas, rappela Riku.

-Raison de plus.

-Ne te mets pas en travers de son chemin. »

Axel balança son chakram dans sa direction. Le geste avait été si fluide, si rapide, et pourtant à peine ébauché, que Riku n'aurait pas dû être capable de l'éviter. Il tourna la tête pourtant, et le disque enflammé passa à quelques centimètres de sa joue.

« … Si je la trouve, dit-il en étendant son bras devant lui, je lui passerai le message que ses amis la cherchent.

-Tu penses que je vais te laisser te tirer comme ça ? »

Il avait peu d'espoir de le toucher, mais il lui lança tout de même son autre chakram pour faire bonne mesure. Mais le Couloir des Ténèbres dans lequel Riku venait de s'engouffrer s'était déjà refermé, et l'arme ne trancha que l'air.