Chapitre publié le 12 mars 2023.

Chapitre 36 : Un choix cruel

« Un appât », répéta Kairi.

Les mots résonnèrent dans la salle à manger, si grande et si sinistre. Riku se tourna vers elle, son visage indéchiffrable :

« Oui. Tu comprends ce qu'on a l'intention de faire ? »

Oh, elle pensait n'avoir que trop compris. Ce n'était pas le problème. Kairi croisa nerveusement les bras, ses doigts se crispant sur son coude alors qu'elle laissait glisser un sourire crispé sur son visage et soutenait son regard.

« Je ne sais pas... ça m'a l'air... On est obligé d'utiliser la ruse ? Je préférerais...

-Un état d'esprit qu'on pouvait s'attendre de toi, interrompit DiZ, mais malheureusement, nous ne pouvons nous payer le luxe de faire preuve d'honnêteté et de diplomatie, désormais.

-C'est vrai, Kairi, dit Riku à voix basse. Eux, ils n'ont pas hésité à employer toutes les bassesses possibles. Je comprends que ce genre de procédés puisse te gêner, mais nous n'avons pas d'autre choix. A la moindre erreur, ils pourraient reprendre le dessus sur nous. Ils sont bien plus nombreux... Malheureusement, si on ne veut pas se faire prendre, il va falloir ruser.

-Bien plus nombreux, et bien plus vicieux, ajouta DiZ. Nous allons devoir les prendre de vitesse sur ce terrain si nous souhaitons réussir. Quel est le plus important, la protection des mondes ou s'accrocher aussi futilement à des valeurs puériles telles que faire preuve d'honnêteté envers ses ennemis ? »

Piquée, Kairi rétorqua aussitôt :

« Pour ma part, je pense que c'est une erreur de jeter à la poubelle ces « valeurs puériles » dès la première complication. Je pense aussi que ça ne peut faire qu'empirer les choses. Et puis, vous savez, je connais Roxas. On a beaucoup discuté ensemble. Il n'est pas méchant. C'est juste qu'il ne se rend pas compte de... ce dans quoi il s'est retrouvé. L'Organisation est la seule chose qu'il connaît, vous savez. Il n'a pas de souvenirs de... avant. Je suis sûre qu'on pourrait lui parler. »

DiZ émit un rire sarcastique et Kairi ravala sa frustration. D'accord. Elle craignait devoir faire face bien vite à un conflit inévitable. Pour le moment, elle décida de passer l'éponge.

« Quel va être le plan, au juste ? reprit-elle d'un ton plus calme.

-Je suis ravi de vous l'entendre demander, dit DiZ. Ce ne sera rien de très compliqué, et j'ose même espérer que cela nous permette de trouver un terrain d'entente et de satisfaire vos états d'âme, d'une certaine manière. Alors... Roxas risque de reconnaître immédiatement Riku à cause de... une tentative ratée de le récupérer, et il ne tombera sans doute pas dans le panneau une seconde fois.

-Oui, je me souviens de ça, confirma Kairi avec un regard de biais vers Riku qui demeurait impassible.

-Certes, s'il est au courant que son amie Xion est partie avec Riku, il est fort possible qu'il tente tout de même de l'approcher, ne serait-ce que pour savoir ce qui est arrivé à son amie, mais je doute qu'il soit seul. Maintenant que Xion a disparu, Roxas est la carte maîtresse des plans de l'Organisation. Ils ne le laisseront pas sans surveillance. Il y a fort à parier qu'il sera accompagné, et alerte ses camarades immédiatement. Mais... ce ne serait peut-être pas le cas s'il apercevait Xion, plutôt. »

Les yeux de DiZ se portèrent sur elle, et Kairi comprit aussitôt sa question.

« Je ne sais pas, réfléchit-elle. Mais je sais qu'il se fait beaucoup de souci pour ses amis.

-Ça ne m'étonne pas, murmura Riku avec un léger sourire. Comme celui qu'il était avant. Sora ne changera jamais.

-Attention, Riku, reprit DiZ. Attention à ne pas confondre cette chose sans cœur avec ton ami. Je crois qu'on a déjà eu cette conversation, n'est-ce pas ? C'est le meilleur moyen de tomber dans les pièges de ces créatures. Ton ami dort en lieu sûr, ici-même. Ne l'oublie pas. »

Riku ne répondit pas, et Kairi décida d'ignorer les paroles de DiZ et de poursuivre :

« C'est possible qu'il tente de parler à Xion en tête-à-tête, sans mettre les autres au courant. Il n'est pas totalement... il se rend bien compte que les autres ne sont pas des enfants de chœur. Peut-être... peut-être que je pourrai le convaincre de venir me parler seul.

-Et réussir à l'entraîner à l'écart de ses protecteurs ? insista DiZ.

-J'imagine. » Fronçant les sourcils, Kairi croisa plus étroitement les bras, trahissant son inconfort. « On peut faire ça, mais laissez-moi lui parler d'abord, avant d'intervenir. Sinon, il risque de ne pas comprendre.

-Je ne peux malheureusement pas faire de promesse. Cela dépendra de la situation.

-Et... vous n'allez pas lui faire de mal, n'est-ce pas ? » Ses yeux passèrent de DiZ à Riku, et l'incompréhension mêlée à une certaine agitation gagnèrent du terrain au fur et à mesure que les visages des deux hommes, du moins ce qu'elle en voyait, demeuraient inexpressifs.

DiZ laissa échapper un long soupir dans lequel elle détecta aisément une once de mépris. Elle ressentit une bouffée de colère, comme si elle se retrouvait tout d'un coup dans le corps d'une enfant têtue grondée par un parent irascible.

« Jeune fille, je te dirai la même chose que je n'ai cessé de dire à Riku. Et encore, il a été capable de l'intégrer et de le comprendre bien vite, j'espère qu'il en sera de même pour toi. Ces Similis... ne sont pas des humains, comme vous et moi. Ils ne ressentent rien. Ils ont l'apparence d'humains, mais ce n'est qu'un leurre. C'est leur principale arme pour tromper les autres. Ne les laissez pas l'utiliser. »

Kairi détourna le regard, pressant les lèvres. DiZ avait peut-être de bonnes raisons de dire cela, mais... elle était persuadée au fond d'elle qu'il n'avait pas totalement raison. Non, elle le savait, et cette conviction lui donna la force d'insister.

« Mais pourtant j'ai beaucoup discuté avec Roxas. Je suis sûre que ce que je voyais n'était pas faux. Il... il a vraiment des sentiments. Il manifeste de la joie, de la tristesse, de la peur, de l'angoisse, et...

-Des leurres, juste ça ! coupa DiZ avec une véhémence qui faillit lui couper l'envie de continuer à défendre sa cause. Que ce soit clair : ce qui nous attend est une question de vie ou de mort. Nous ne pourrons nous permettre la moindre erreur, quand nous mettrons en jeu notre anonymat, notre refuge et la réussite de notre projet tout entier. Alors, s'il te plaît, veille à ne pas te laisser aveugler par de telles... réflexions sentimentales. »

Kairi ne répondit pas, cherchant comment formuler ses arguments de manière à traverser la barrière d'irascibilité de l'homme, quand il reprit, d'un ton plus conciliant :

« Je vais te donner un exemple concret. Tu as vu les Similis inférieurs, n'est-ce pas ? Ces créatures argentées sans esprit. Tes amis les Similis sont la même chose. Ils ont simplement réussi à conserver une apparence humaine, mais c'est bien toute l'étendue de leur humanité. Ferais-tu confiance à l'un de ces monstres ? Non ? Alors il doit en être de même pour les autres, en dépit de leur visage.

-Ansem... Ansem avait un visage humain, lui aussi, souffla Riku. Il n'en était pas moins le pire de tous. »

Kairi souffla, un peu piquée que son ami ne prenne même pas sa défense, mais ne répliqua pas.

« Bien. Ces considérations éthiques étant réglées, je suppose que nous pouvons passer à la suite. Quand nous ramènerons Roxas ici, il nous faudra faire vite. En effet, il est fort probable que nous aurons l'Organisation à nos trousses et que nous trahirons l'emplacement de cette cachette. Le temps sera contre nous. Nous n'aurons peut-être que peu de temps pour réveiller Sora avant qu'ils ne nous attaquent. Certes, les systèmes de défense que j'ai passé des années à perfectionner pourront les tenir à distance mais que pour une durée limitée, j'en ai peur. C'est pour cela que Naminé devra déjà être sur place – nous allons devoir la chercher avant, ainsi que cette sorcière Yeul, si possible. Nous ne pourrons pas lui demander d'inverser le sortilège avant de chercher Roxas, puisque nous avons besoin que Kairi garde l'apparence de Xion. Mais une fois qu'il sera entre nos mains, nous n'en aurons plus besoin.

-Kairi pourra retrouver son vrai corps, traduisit Riku.

-Oui. Ainsi que Naminé et Xion. Et ensuite, sans plus tarder, Naminé devra se mettre au travail pour retourner au Héros de la Keyblade ses souvenirs et ses pouvoirs.

-J'en avais parlé avec Naminé avant qu'elle ne disparaisse, dit Riku. Elle avait l'air de penser que ça prendrait un peu de temps. Déjà, il y a le problème qu'on risque de se faire attaquer, mais aussi... comment on fera pour maîtriser Roxas pendant tout ce temps ? »

DiZ eut un geste négligeant de la main.

« Il suffira de le placer dans la Cité Virtuelle. Il ne risquera pas de s'échapper.

-Et ça ne posera pas problème si les deux – Roxas et Xion – s'y trouvent ?

-Je ne vois pas en quoi. Leurs souvenirs seront altérés. Il n'y a pas de chance qu'ils se souviennent de quoi que ce soit immédiatement et tentent de s'enfuir, du moins pas sans intervention extérieure. »

La Cité Virtuelle ? Des souvenirs altérés ? Kairi les dévisagea l'un après l'autre, redoutant presque la réponse qui suivra sa question.

« De quoi vous parlez ? Quelle Cité Virtuelle ? Et... si Xion a atterri dans le corps de Naminé, alors où est...

-DiZ a conçu un monde virtuel avec son ordinateur, lui expliqua Riku. A l'image de la Cité du Crépuscule, mais il n'existe pas dans la réalité. C'est simplement un monde... dans son ordinateur.

-Oh. Comme un jeu vidéo ? Mais alors... ?

-C'est pas... tout à fait comme ça. Nous y avons mis Xion quand on s'est rendu compte qu'elle n'était pas Naminé.

-Qu'est-ce que tu veux dire ? insista Kairi. Comment vous avez pu l'envoyer là-bas, si ce monde n'existe pas ?

-D'une certaine manière, il existe, Kairi, répondit gravement Riku, même si ce n'est que dans une dimension alimentée par un ordinateur. Ce monde existe, je sais que c'est difficile à croire...

-Ça c'est sûr...

-... mais DiZ a aussi mis au point un système permettant d'y envoyer des êtres vivants, en les digitalisant. Ne t'inquiète pas, c'est sans danger. Toi et moi pourrions y aller et en revenir sans aucun risque.

-Et pourquoi Xion n'en sort-elle pas, alors ?

-Le seul moyen d'en sortir est en activant une commande sur l'ordinateur de DiZ, ou...

-C'est comme une prison, alors...

-...ou en utilisant un Couloir Obscur, mais je ne suis pas sûr que Xion sache comment faire maintenant qu'elle est dans le corps de Naminé. C'était une compétence que Naminé ne maîtrisait pas vraiment. Si ça avait été le cas, elle se serait échappée depuis longtemps.

-De toute manière, renchérit DiZ, le logiciel a altéré sa mémoire quand elle a été digitalisée. Ainsi, elle a oublié qui elle était, et se pense une simple habitante de la Cité du Crépuscule. Elle n'essaiera pas de s'échapper. »

Riku détourna les yeux. Kairi sentit quelque chose lui tirer le cœur et tordre son ventre, une sensation amère et écœurante.

« Vous lui avez... effacé ses souvenirs ?!

-Ce n'est que temporaire, dit Riku comme pour la rassurer ou se justifier. Ça ne peut pas marcher indéfiniment. Au bout de quelques jours, elle finira par retrouver son identité, ou par se rendre compte que le monde dans lequel elle se trouve n'est pas...

-Mais quelques jours seront plus que suffisants, je l'espère, pour la contenir le temps que la situation rentre dans l'ordre », ajouta DiZ.

Kairi détourna à nouveau les yeux.

« C'est... ça me met mal à l'aise. Vraiment. J'ai pas l'impression qu'on soit... »

Elle allait finir par « si différent de l'Organisation », mais estima que sa comparaison un brin exagérée pousserait simplement DiZ à lui rire au nez.

« Vous les relâcherez après, n'est-ce pas ? » dit-elle, futilement, déjà consciente de la propre naïveté de ses attentes.

DiZ émit un rire rocailleux.

« Les relâcher ? Qui y aura-t-il à relâcher ? Pour que le Héros de la Keyblade se réveille, son âme doit être intacte. Pour cela doit lui être rendu ce qu'on lui a arraché, et cela comprend l'entièreté de Roxas, son Simili. Il devra retourner à Sora, pour que ce dernier soit enfin complet et puisse s'éveiller.

-Mais... n'est-ce pas triste ?

-En quoi est-ce triste ? Il retournera simplement d'où il vient. Ce sera aussi un progrès pour lui. Quant à Xion... Son corps... » Il pointa un doigt sinistre vers Kairi qui eut un mouvement de recul, mais se refusa à de nouveau détourner les yeux. « ...a été conçu à partir des souvenirs de Sora. Même en considérant qu'elle ait pu se créer une conscience qui lui est propre, bien que je pense que vous la surestimiez dans ce domaine, son corps devra reprendre sa véritable forme et retourner, également, au Héros de la Keyblade. Et inutile de dire que sans corps, je vois mal comment elle peut survivre.

-Alors, vous comptez les tuer, dit Kairi avec colère. C'est ça.

-Je doute qu'on puisse parler de « tuer » pour ce genre de créatures. »

Kairi se leva brutalement.

« Excusez-moi. »

Elle avait le sentiment de se comporter en gamine capricieuse, mais l'indignation était trop forte, et elle quitta la pièce à grands pas, claquant la lourde porte derrière elle avec un vacarme à en réveiller les morts.

Une fois dans le hall plongé dans son habituelle pénombre, elle considéra ses options. Et maintenant ? Si elle ne suivait pas les plans de DiZ, Sora ne se réveillerait sans doute pas, mais oh, comme elle détestait chaque mot qui avait été énoncé dans cette conversation !

Non, il devait bien y avoir une autre solution. Peut-être... peut-être qu'en parlant à cette Naminé, qui semblait, d'après ce qu'elle avait compris, l'experte de la situation, peut-être trouveraient-ils autre chose qui n'implique ni kidnapping, ni séquestration, ni lavage de cerveau, et encore moins de … meurtre...

« Kairi... »

Elle se retourna. Sans surprise, Riku l'avait suivie, et refermait sans un bruit la porte de la salle à manger derrière lui.

« Tu as entendu ce qu'il a dit ?!

-Oui. Je...

-Ne me dis pas que tu as l'intention de l'aider dans son plan?! » Les mains sur les hanches, Kairi toisa son ami qui eut la décence de détourner le regard.

« Ça ne me plaît pas plus qu'à toi, commença-t-il, mais DiZ a raison sur un point. Le temps nous est compté. A cause de cela, j'ai bien peur que nous n'ayons pas vraiment d'autre choix que de faire des sacrifices...

-Ah oui ? » L'indignation devant le fait que Riku décide de prendre la défense d'un individu arborant de telles convictions, et non celle de sa meilleure amie, enflamma sa voix. « Hé bien, je crois que vous vous trompez tous les deux.

Elle se planta devant lui, l'obligeant à la regarder.

« Moi, j'ai passé beaucoup de temps avec l'Organisation. Notamment avec Roxas. Il est pas du tout comme ce que dit DiZ, crois-moi. C'est un être humain comme toi et moi, alors on lui doit un minimum de... de je ne sais pas moi, de décence, pour commencer ? Si c'est une partie de Sora, alors raison de plus pour le traiter comme un ami, tu ne crois pas ? Et même si ce n'était pas le cas... Écoute, Riku. Il m'a aidée quand je suis arrivée dans l'Organisation, sans Keyblade. Lui, et Axel, aussi. C'est vrai, insista-t-elle quand Riku tiqua. Ils ont menti aux autres pour me protéger, pour que les autres ne découvrent pas que « Xion » avait changé. Ils avaient aucun intérêt à faire ça, pourtant. Ils se ramènent des cadeaux de leurs voyages. Et puis, ils allaient tout le temps papoter autour d'une glace après chaque mission. Rien ne les poussait à faire ça, mais ils le faisaient quand même. Parce qu'ils sont sincèrement amis, pas parce qu'ils essaient de s'en donner l'illusion. Riku... j'ai fait la promesse de protéger Sora, hier. Et ça s'étend aussi à Roxas.

-Et si tu ne peux pas protéger les deux ? murmura soudain Riku, après de longues secondes de mutisme. Et si on va devoir faire un choix ?

-Hé bien, je refuse ! » Kairi lui lança un regard de bravoure ostentatoire, tellement semblable à celui de la petite fille qui jouait à l'exploratrice des îles avec les deux garçons, que Riku ne put que l'écouter jusqu'au bout. « On va faire en sorte qu'on n'ait pas à faire un choix, justement ! Roxas... Il est trop gentil, Riku. De toute façon, il faut qu'il quitte l'Organisation, parce qu'elle l'utilise pour de mauvaises choses. Elle finira par le détruire. Je crois qu'il s'en rend compte, mais comme j'ai dit tout à l'heure, l'Organisation est la seule chose qu'il connaisse. Il n'a pas d'autre ami ou... de famille. C'est pour ça que je suis d'accord pour aller lui parler et essayer de le convaincre de se joindre à nous, mais je pense pas que ce soit nécessaire de l'enfermer et de lui enlever ses souvenirs. Riku... Roxas reste une partie de Sora. »

Kairi était si occuper à plaider pour Roxas qu'elle n'aperçut pas DiZ, qui avait entrouvert la porte de la salle à manger, et les observait sans un mot.

« Sora n'aurait jamais voulu qu'on sacrifie des gens pour lui », termina-t-elle, espérant toucher quelque chose dans le cœur de Riku.

Elle eut un léger succès. Quelque chose s'adoucit sur son visage, une ombre de sourire sur ses lèvres.

« C'est vrai. Il est plutôt du style à se sacrifier pour les autres. »

Kairi sourit largement et rouvrit la bouche...

« Ces mots sont très émouvants, jeune fille. » Elle s'interrompit et referma la bouche, prise au dépourvu. Elle n'avait même pas aperçu l'homme. « Mais malheureusement, ce ne sont que des mots. Je ne suis toujours pas convaincu de la réalité de ces propos. Enfin... si ça peut te satisfaire, je vais te laisser tenter de convaincre Roxas de ton point de vue aussi longtemps que possible, sans intervenir tant que la situation ne le demandera pas.

-C'est vrai ?

-Tu as ma parole. Cependant, que les choses soient claires. Dès le moment où un autre membre de l'Organisation menacera de s'en mêler, ou dès le moment où Roxas fera preuve de la moindre hostilité, je reprendrai les choses en main. Et pas d'une manière qui te plaira, j'en ai peur. »

Kairi lui adressa un regard de défi.

« Très bien. Ça me va. Je... j'y arriverai.

-Je t'aiderai, bien sûr, ajouta Riku à mi-voix. J'espère, vraiment, que les choses se passeront comme tu le souhaites.

-Bien sûr ! » Kairi s'étira longuement. « Bon ! On attend quoi pour aller chercher Naminé ? »


Un léger toc toc tira Roxas de ses rêveries. Le nez dans son placard, le jeune garçon était en train de contempler la petite barquette contenant sa collection de potions et autres liquides vitaminés, vérifiant que son stock ne désemplissait pas. Le bruit se reproduit, lui arrachant une moue surprise. Pourquoi tant d'insistance ? Il n'était pourtant pas en retard pour la distribution des missions.

Refermant son armoire, Roxas tira la fermeture de son manteau, vérifia qu'il était présentable, puis alla ouvrir la porte.

Axel se tenait derrière et lui adressa un salut plutôt mitigé.

« Coucou, dit-il à mi-voix, son sourire une ombre de son enthousiasme habituel.

-Salut, Axel, répondit Roxas, soupçonneux. Qu'est-ce qui se passe ? Je ne suis pas en retard, non ? »

Axel eut un long soupir qui ne présageait rien de bon, les mains sur les hanches et la tête basse. Roxas se tendit immédiatement.

« C'est Xion ? C'est...

-Beaucoup de choses se sont passées. Je peux entrer ? On doit discuter. »

Roxas marqua son assentiment d'un hochement de tête et recula de quelques pas pour le laisser passer. Pendant quelques secondes, Axel demeura silencieux, évitant délibérément son regard, rivant ses yeux vers le sol glacial.

Finalement, le jeune garçon trouva le courage de se jeter à l'eau et de demander :

« Tu l'as trouvée ?

-Oui. » Roxas se tendit, soudain alerte. S'il l'avait trouvée, alors... pourquoi n'était-elle pas avec lui ? Ils... ne l'aurait pas reprise tout de même ?

« Il y a deux jours, compléta Axel. Elle était dans la Forteresse Oubliée, mais je l'ai perdue de vue du côté du château. Je l'ai fouillé dans tous les sens pendant un jour, et puis je l'ai retrouvée hier, mais... l'Imposteur est arrivé avant moi.

-Comment ça ? s'écria Roxas. Et ensuite ? L'Imposteur l'a attaquée ? »

Axel marqua un temps d'hésitation et Roxas fronça les sourcils. Il n'allait pas encore lui mentir et lui cacher des choses, n'est-ce pas ?

Mais Axel semblait avoir retenu la leçon et décida de faire preuve d'honnêteté.

« Non. Elle est partie de plein gré avec lui. Mais je sais pourquoi. C'est sûr qu'après avoir découvert toute la vérité sur ce que l'Organisation lui a fait, elle avait de quoi se jeter dans les bras du premier venu qui...

-Mais... elle est en danger alors ! s'écria Roxas. N'est-ce pas ? Qu'est-ce qu'on attend ? Pourquoi tu ne.. ! »

Non. Il ne s'en prendrait pas à Axel. Serrant les mâchoires, Roxas parvint à se contenir et changer d'angle d'attaque.

« Qu'est-ce qu'on attend pour aller l'aider ?

-Et comment ? » lança Axel en levant les bras dans un geste de frustration. « T'as vu quelque part l'adresse de l'Imposteur ? Bah pas moi. J'ai aucune idée de où ils sont partis. On vient de recevoir l'ordre d'écumer tous les mondes à la recherche de l'Imposteur. Ça remplacera nos missions habituelles.

-Très bien, lança Roxas, le visage résolu. Je viens avec vous. Je suis prêt. »

Il fit de son mieux pour ignorer l'élan de désespoir qui faisait rage dans son cœur. Si Xion était avec l'Imposteur, alors... qu'allait-il lui arriver ? Et si elle était blessée ? Ou pire ? Non. Ça ne faisait qu'une journée. Et si elle était partie de plein gré avec lui, peut-être, peut-être qu'elle savait ce qu'elle faisait...

« A propos de ça... » Axel hésita, l'air gêné, mais une nouvelle voix lui épargna le devoir de lui annoncer la nouvelle.

« Ton enthousiasme est remarquable, Numéro Treize, mais j'ai bien peur de devoir refuser. » Tous deux sursautèrent et se retournèrent, l'air de deux enfants pris la main dans le sac. Saïx se tenait dans l'embrasure de la porte, les toisant de son habituel regard froid qui paraissait considérer que ceux qu'il avait devant lui valaient à peine qu'il leur adresse la parole.

« Pourquoi ? » se rebiffa Roxas sans chercher à garder son sang-froid. Il en avait plus qu'assez de Saïx, de son attitude, et de toutes ces cachotteries. « Xion est mon amie, pourquoi je peux pas...

-Parce que ça ne concerne plus Xion, voilà pourquoi. » Saïx entra à son tour sans se donner la peine de demander la permission. « Nos ennemis ont entrepris de nous retirer nos plus grandes armes pour nous affaiblir, c'est-à-dire ceux portant la Keyblade. Nous avons perdu Xion, nous ne pouvons leur permettre de les laisser te prendre, toi aussi.

-Je ferai attention, lança Roxas. S'il vous plaît...

-Oh, comme tu as fait attention lors de ta précédente altercation avec l'Imposteur ? Je ne crois pas me souvenir que tu aies fait preuve d'une belle performance ce jour-là », rappela Saïx.

Roxas serra les dents. Axel soupira profondément.

« Ahh, la situation est vraiment gênante. Pour une fois, tu dis pas un truc stupide, Saïx. » Ce dernier tourna un regard brusque vers lui, mais Axel ne tiqua pas. « Désolé, Roxas, je comprends que ce soit pas facile à entendre, mais...

-Cela dit, il est fort probable que tu nous sois utile à un moment ou un autre, interrompit Saïx. Ne serait-ce que pour faire sortir l'Imposteur de sa cachette.

-Oui ! Si ça permet de retrouver Xion, alors, alors je... je veux bien servir d'appât », dit immédiatement Roxas, sautant sur l'occasion.

Axel soupira à nouveau.

« Bien. Axel, je crois que tu as une mission...

-Ouais ouais j'y vais...

-...mais avant cela, je voulais vous parler, à tous les deux. » Par ces paroles, il capta immédiatement toute leur attention, et poursuivit : « Il est évident que retrouver l'Imposteur et ses éventuels complices est la priorité. En raison des récents événements, il est très probable qu'il se trouve avec la Quatorzième. Nous ne savons pas où l'Imposteur se réfugie, mais peut-être l'un d'entre vous a une idée d'un lieu où la Quatorzième aurait voulu aller. » Son regard passa de l'un à l'autre, scrutant chaque trait de leur visage. « Réfléchissez bien. Toutes les pistes, même d'apparence futile, peuvent être importantes. »

Le silence retomba dans la salle alors qu'Axel et Roxas se plongeaient tous deux dans leurs réflexions. Puis Roxas secoua la tête :

« Non... Elle m'a rien dit. Mais... » Le nom de la Forteresse Oubliée avait évoqué quelque chose en lui. « … je sais qu'elle allait voir des amis à elle à la Forteresse Oubliée. Peut-être qu'elle...

-Des amis à elle ? répéta Saïx en plissant des yeux.

-Oh mais oui, bien sûr ! » Axel tapa du poing dans sa main. « Pourquoi j'y ai pas pensé ? Quand je l'ai retrouvée là-bas il y a deux jours, elle était accompagnée d'un groupe de gens... Des habitants, je crois, mais ils étaient de rudement bons combattants. Ils m'ont donné du fil à retordre. Cela dit, je pense pas qu'elle y soit toujours, hein, elle est partie par un Couloir Obscur... Mais peut-être qu'elle a évoqué ses projets avec eux ? Ils l'ont accompagnée au château.

-Très bien... Qui sont ces gens ? »

Axel eut un sourire penaud. « Désolé, j'étais plus occupé à essayer de retrouver Xion, et je m'en suis plus occupé après avoir réussi à m'en débarrasser. »

Ce fut au tour de Saïx de soupirer.

« Ça ne nous aide pas beaucoup... et, de plus, comment aurait-elle pu avoir des amis là-bas ? L'interdiction d'interagir avec les civils était trop compliquée pour elle ?

-Euh... je crois qu'elle a dit que c'était des gens qu'elle connaissait dans son ancienne vie, commença Roxas avant que les conséquences de ce qu'il venait de dire ne les frappent.

-Des combattants... murmura Axel. Qu'elle connaissait dans son ancienne vie... Que Sora...

-Ne serait-ce pas le... Comité de Restauration ? devina Saïx avec une dose de mépris dans sa voix. D'après nos informations, ses membres chassent nos Similis, quoiqu'ils ne représentent guère une menace. Mais, en effet, ils ont été les premiers à avoir regagné les lieux après la purification de ce monde, en même temps que le Héros de la Keyblade. Très bien. Si ce sont les dernières personnes que la Quatorzième a fréquentées avant de disparaître, alors il est probable qu'ils aient eu vent de ses projets. Ce ne serait pas inutile de les interroger. »

Il se tourna, prêt à quitter la pièce, puis s'arrêta sur le seuil.

« Axel, je ne sais pas pourquoi tu es toujours ici. N'oublie pas qu'on t'a donné une tâche à accomplir. Quant à toi, Roxas, reste ici jusqu'à nouvel ordre. Tu peux te déplacer à ta guise dans la Citadelle, mais tu n'es pas autorisé à en sortir, que ce soit par l'entrée officielle ou par un Couloir Obscur.

-Mais... !

-C'est un ordre, Roxas. »

Ce dernier chercha le regard d'Axel, mais ce dernier ne lui adressa qu'un regard mi-résigné mi-sévère et il finit par acquiescer, non sans douleur. Il dut réprimer l'envie de hurler la tempête qu'il nourrissait en lui quand les deux autres quittèrent la pièce, manquant ainsi le regard plein de sympathie d'Axel.


Xion s'arrêta net.

Intriguée et un brin désorientée, la jeune fille vacilla sur ses jambes. Qu'est-ce qui l'avait arrêtée ? Il n'y avait rien sous ses pieds, rien que le sable de la plage que venait lécher l'écume de la mer juste sur sa droite. Elle contempla l'horizon, la plage qui se poursuivait devant elle, jusqu'à l'infini aurait-on dit, et réalisa qu'elle n'avait plus l'envie de continuer à marcher.

Pourtant, ses jambes étaient encore remplies d'énergie. Alors pourquoi... ?

Xion fit un pas en avant... et s'arrêta de nouveau. Pas de doute. On aurait dit... on aurait dit qu'une force étrange venait de la repousser.

La jeune fille leva une main précautionneuse et la tendit derrière elle. Elle s'arrêta au bout de quelques centimètres. Elle insista, tentant de la pousser plus en avant... en vain.

« Mais qu'est-ce que c'est que... ? »

C'était comme si une barrière invisible se dressait devant elle, l'empêchant de continuer plus loin. Non, ce n'était pas juste ça. C'était comme si, quand sa main entrait au contact avec cette force invisible, elle perdait toute force et toute volonté de continuer.

Xion laissa retomber sa main, le souffle court.

Que se passait-il ici ? D'abord, cette plage étrangement déserte, et maintenant cette drôle de barrière... Où avait-elle mis les pieds ?

« C'est quoi cette histoire ? Comment c'est possible ? » murmura-t-elle tout haut. Le soleil éclatant avait-il eu raison de son esprit ?

Regardant nerveusement autour d'elle pour ne rencontrer, encore une fois, que la vue de la plage déserte s'étirant sous le ciel bleu, la mer limpide et immense où, en dépit des conditions idéales, ne se montrait pas le moindre bateau ou nageur, et les collines herbeuses, la jeune fille trouva sa décision. Elle était bien déterminée à résoudre ce mystère.

Partant sur sa droite, Xion entra dans l'eau, s'enfonçant dans la mer jusqu'à ce que l'eau atteigne ses genoux. Les flots clapotaient joyeusement autour de ses jambes, et la lumière qui s'y réfléchissait l'aveuglait. Une fois qu'elle jugea s'être suffisamment éloignée de son point de départ, la jeune fille entreprit de se retourner vers la gauche et de repartir dans la direction qu'elle prenait avant de se faire arrêter par cette chose mystérieuse dont elle était bien décidée à découvrir la nature.

Elle ne put que faire deux pas dans cette direction avant de se faire de nouveau arrêter.

Et raté. Pour être honnête, elle n'y avait pas vraiment cru. Bon, elle pourrait avancer encore plus loin dans la mer pour tenter de contourner ce... mur invisible, mais elle n'avait guère envie de se retrouver en position de vulnérabilité. Aussi revint-elle sur la plage, se dirigeant cette fois par les collines de l'autre côté.

Peut-être en passant par là-bas...

Elle mit sa théorie à l'épreuve. Ses pieds mouillés s'enfonçaient dans le sable qui vint se coller sur ses chevilles, la démangeant distraitement. Bientôt, elle entreprit de grimper la pente douce de la colline en bordure de la plage, les herbes chaudes et sèches craquant sous ses pieds, quelques cailloux pointus s'enfonçant dans la plante de ses pieds. Elle avança aussi loin qu'elle en eut le courage, suant sous l'effort et le soleil brûlant.

Puis, elle se tourna sur sa droite et tenta d'avancer.

En vain.

Elle fut immédiatement repoussée. Ses jambes se vidèrent de toute énergie, et une profonde lassitude s'abattit sur elle, sapant toute volonté de continuer dans cette direction. Xion recula d'un pas et, aussitôt, retrouva toute sa détermination.

« Ouah... J'ai jamais vu quelque chose comme ça. »

Il devait forcément y avoir une explication logique à ce phénomène... Peut-être... peut-être était-ce une nouvelle arme militaire pour empêcher les civils de s'approcher de leur base ?

« Mais... il n'y a pas de base militaire, par ici... »

Bon. Le bon sens lui soufflait que rien ne servait d'insister. Elle allait rentrer... et elle reviendrait avec les autres. A plusieurs, ils trouveraient sans doute une explication.

Malgré cela, elle demeura de longues minutes sur place, fixant avec fascination l'espace inatteignable devant elle et tentant, encore et encore, de faire un unique pas en avant. En vain.

Oh, elle eut du mal à se détourner et à prendre le chemin du retour, redescendant vers la plage en direction de ses affaires, posées au loin. Le défi l'appelait, malgré la petite voix qui lui faisait remarquer qu'elle se trouvait seule, loin de la ville, et que de trop nombreux signes indiquaient que la situation, aujourd'hui, n'était pas normale.

« Demain, se promit-elle. Je reviendrai demain. »

Peut-être que demain, cette étrange journée ne sera plus qu'un rêve.


Naminé acheva la dernière bouchée de tartine, but les dernières gouttes de son jus d'orange, et emporta son couteau à beurre et son verre à l'évier. Elle les lava rapidement, passa un coup d'éponge sur sa place pour en ôter les miettes et traces de gras, puis sortit du petit sac posé à côté de sa chaise son carnet à dessin et sa trousse de crayons.

Assis de part et d'autre de la table de la salle à manger, buvant leur café sous le soleil matinal qui envahissait la pièce, ses parents reposèrent leur tasse pour la regarder.

« Regarde-moi ça, taquina son père. Elle est devenue une vraie petite artiste, notre fille. »

L'allégresse était plus que perceptible dans son ton. Il était évident qu'il était heureux que sa fille se soit trouvée une autre passion que pleurer la disparition de ses amis, ce que sa mère formula avec un peu moins de tact que lui.

« Oui, je vois ça. Je suis bien contente pour toi, Kairi. Même si Sora et Riku... enfin bref, tu vois ce que je veux dire. Tu remontes. »

Naminé sourit. Aucun d'eux ne se doutait de ce qui se jouait vraiment derrière l'image de leur fille sagement attablée et occupée à dessiner. Aucun d'entre eux ne savait qu'elle reconstituait peu à peu des fragments de la réalité qui avaient été oubliés. Et pourtant, elle avait déjà effectué son action sur eux, à leur insu. Les preuves que sa stratégie portait ses fruits commençaient à perler. Pour la première fois, le nom de Sora avait été prononcé.

« Qu'est-ce que tu as prévu de faire aujourd'hui, Kairi ? reprit sa mère, sans doute pour ne pas s'attarder sur la mention de ses amis « défunts ».

-Hé bien... Je vais aller voir des amis. On va aller sur la petite île, aujourd'hui.

-Des amis ? Selphie, Tidus...

-Oh oui, et aussi d'autres filles du lycée. »

Ses parents lui adressèrent un regard rayonnant.

« Super ! Tu as besoin de quelque chose ? Un sandwich pour midi ou...

-Non, non, je crois qu'on a déjà tout prévu, mais merci, répondit poliment Naminé.

-Ok, alors amusez-vous bien. Essaie de rentrer avant la nuit, comme d'habitude, d'accord ? »

Naminé hocha de nouveau la tête, se concentrant sur son dessin. Un petit garçon aux cheveux bruns hérissés attablé dans une cuisine avec une femme aux longs cheveux de la même couleur. Aujourd'hui, elle s'occupait de la famille de Sora, sa mère, Ifalna.

« Et n'oublie pas, ma chérie, si jamais tu veux inviter tes amies à la maison, c'est pas un problème, ce sera avec joie. Juste pense à nous prévenir un peu en avance...

-D'accord. Je ne sais pas encore ce qu'on fera cet été, mais je vous tiendrai au courant. »

Elle se cacha le visage derrière un voile de cheveux et continua à dessiner alors que ses parents se resservaient du pain et du café.

« Au fait, Kai... On n'en a pas encore discuté, mais ça commence à devenir important, continua son père, son ton empli de bienveillance. Il va falloir penser à ton orientation ! Et oui, tu es au lycée, maintenant, alors il n'est pas trop tôt pour s'y intéresser !

-C'est que... » Naminé hésita. Elle ne pouvait révéler les vrais raisons de son hésitation, c'est-à-dire qu'elle ne pouvait se permettre de faire ces choix à la place de Kairi, des choix qui impacteraient la vie de cette dernière. Elle ne faisait qu'emprunter son corps, après tout. « Je ne sais pas encore. Avec tout ce qui s'est passé, ces derniers temps...

-Je sais, je sais, se rattrapa son père, mais pense à y réfléchir pendant les prochaines semaines, d'accord ?

-Qu'est-ce qui t'intéresse dans la vie ? demanda doucement sa mère. Le dessin ? » Elle glissa un regard vers le carnet que tenait Naminé. « Oh, tu sais que la boutique de vêtements du centre-ville risque de perdre des employés qui partent à la retraite dans les prochaines années ? Si ça te dit, peut-être que tu pourrais utiliser tes talents artistiques pour aider à la conception de vêtements ?

-Euh...

-Sinon, il n'y a rien d'autre que tu veux faire ? Je sais que tu voulais faire exploratrice quand tu étais petite, mais désolée, ce n'est pas vraiment un métier ! A part si tu deviens plongeuse, mais ça entre juste dans les compétences des pêcheurs ou des gardiens des îles, ça... »

Ce que elle, Naminé, aurait aimé faire... Elle aimait dessiner, c'est vrai, mais elle n'était pas encore certaine si c'était par passion ou par devoir. Dans le premier cas, elle aurait un choix de carrière tout trouvé. Dans le second...

Elle secoua légèrement la tête. Que pensait-elle ? Ces réflexions seraient la tâche de Kairi quand elle reviendrait.

« Ça va si on en parle plus tard ? Je vais devoir y aller, et...

-Ah. Bien sûr, rien ne presse, juste... penses-y, c'est tout. »

Le silence retomba, confortable. Naminé ajouta quelques traits de couleur à son dessin, le tendant devant elle et le tournant en des angles multiples pour en confirmer l'exactitude. Bon. Ce n'était pas parfait, mais ça passerait pour le moment.

Rangeant sagement ses crayons et son carnet dans son sac, elle aperçut soudain par la fenêtre une silhouette familière dans la rue.

« J'y vais, annonça-t-elle en se levant, passant la lanière de son sac sur son épaule. Selphie m'attend.

-Ok, amusez-vous bien, ma chérie ! »

Naminé enfila rapidement une paire de sandales puis s'envola par la porte d'entrée, son sac battant contre son dos. Adossée contre le portail de sa maison, Selphie leva la main pour la saluer.

« Coucou ! Pile à l'heure ! »

La jeune fille avait revêtu aujourd'hui une tenue aux allures d'aventurière : bermuda et haut confortable protégeant ses bras, casquette jetant de l'ombre sur son visage dégagé, cheveux réunis par un élastique dans son cou, hors d'état de gêner sa vision, et chaussures de marche tranchant avec les sandales estivales qu'elle revêtait habituellement. Elle aussi portait fièrement un sac à dos, et elle en exposa le contenu à Naminé dès qu'elle sentit les yeux de la jeune fille se poser dessus.

« Regarde ! J'ai pensé à tout ! Lampe torche, bouteille d'eau, crème solaire, pansements et désinfectant – on sait jamais, hein, les sentiers traversant l'île sont pas toujours très bien entretenus – biscuits, appareil photo, plan de l'île...

-Et ça, qu'est-ce que c'est ? demanda Naminé en remarquant un étui sobre enfoncé dans les profondeurs de son sac, à moitié masqué par un rouleau de papier toilette.

-Oh euh... » Selphie eut une grimace et jeta un rapide regard autour d'elle. « Je l'ai emprunté à mes parents... Regarde », murmura-t-elle.

Elle ouvrit l'étui, révélant un couteau à la lame étincelante, et redoutablement aiguisée. Naminé la fixa d'un regard inexpressif.

« On sait jamais ! s'écria Selphie, comme pour se justifier. On sait pas ce qui est arrivé à Serah... Imagine... qu'il y ait je sais pas moi, des animaux féroces, ou un truc comme ça, ou... »

Elle détourna les yeux tout en parlant, referma son sac, et le balança sur son dos.

« Comme ça, on est prêtes à faire face à toutes les situations ! continua-t-elle encore en levant le poing vers le ciel.

-Oh ok, se contenta de dire Naminé, qui n'avait pas d'opinion particulière sur le sujet. Alors, on commence par quoi ?

-On a rendez-vous avec les autres sur le quai ! Et ensuite, hé bien... direction la petite île ! C'est là que Serah s'est rendue avant de disparaître, alors, ça paraît logique qu'on commence par là... »

Les deux filles descendirent la rue, cheveux au vent alors qu'elles hâtaient le pas. Elles ne remarquèrent par les volutes de ténèbres qui se matérialisèrent dans le jardin que Naminé venait de quitter, pas plus que l'individu en manteau noir et au visage masqué qui en sortit n'accorda d'attention aux deux filles qui s'éloignaient. Demeurant dissimulé dans l'ombre, il se pencha légèrement pour examiner en toute discrétion l'intérieur de la maison par les fenêtres. Il fit de même pour chaque ouverture l'une après l'autre, sans un bruit, puis, ne trouvant manifestement pas ce qu'il était venu chercher, laissa échapper un infime son agacé avant de disparaître.

Pas pour longtemps, cependant.