Chapitre publié le 16 mars 2024
Chapitre 38 : Les secrets de nos mondes
Elle abattit son bâton sur la tête de la petite créature de Ténèbres, qui disparut dans un nuage âcre.
Les membres tremblant légèrement de fatigue, Aeris s'adossa contre un énorme bloc de pierre, décombres qui entravaient le chemin menant au château. Elle ne saurait plus dire combien elle en avait éliminés à présent et elle tentait vaillamment de ne pas penser avec qu'elle avait été sotte de s'isoler dans ce coupe-gorge où les Sans-cœur pouvaient si facilement ne faire qu'une bouchée d'elle...
Pourquoi ? Que se passait-il... ? Non, elle connaissait parfaitement la raison de cette attaque soudaine. Parce qu'ils avaient aidé Kairi, qu'ils avaient défié pour elle l'Organisation XIII et désormais ils en payaient les conséquences. Ils le referaient sans hésiter, cela dit.
Mais elle ne pouvait s'empêcher de ce demander comment la situation avait évolué en ville depuis son départ. Les civils étaient-ils attaqués, eux aussi ? Très probablement. Elle espérait que la plupart des habitants avait pu se mettre à l'abri... et que Léon et les autres s'en sortaient.
Mais ce n'était pas le moment de désespérer. Si elle voulait les aider, alors il leur fallait réunir le plus de combattants aptes. Cloud était sans aucun doute introuvable, mais Tifa était au château, et si elle pouvait la rejoindre au plus vite...
A peine eut-elle formulé cette pensée que des taches noires naquirent sur le sol tout autour d'elle dans le chemin désolé, annonçant une nouvelle vague de Sans-cœur.
« Encore ?! Ça n'en finira jamais... »
Elle se redressa immédiatement, brandit son bâton, et se prépara à se battre.
« Hé, Léon ! »
Ce dernier prit le temps d'annihiler les quelques Ombres qui le menaçaient d'un moulinet de sa Gunblade, puis lui jeta un regard ennuyé par-dessus son épaule.
« Quoi ?
-Tu penses pas qu'on devrait aller jeter un œil au centre-ville ? s'écria Yuffie tout en portant le coup final à un Sans-cœur en forme de gros bonhomme bidonnant qui fonçait sur elle le long des remparts. On a déjà bien fait le ménage ici, non ?
-Fais le ménage ? T'es bien optimiste. »
Tous deux avaient fait le nécessaire pour battre les Sans-cœur qui affluaient dans les rues environnantes de leur quartier général, mais les ruelles étroites et bordées d'ombres, parfois encombrées de tonneaux, charrettes ou autres obstacles, n'offraient pas le terrain de combat idéal. Ce fut ainsi qu'ils avaient décidé de grimper au sommet des remparts les plus proches et d'y éliminer tous les ennemis qu'ils apercevaient. Jusqu'à présent, cela s'était révélé une bonne stratégie. Le terrain dégagé mais étroit leur offrait de bonnes capacités de défense, et les Sans-cœur ne disposaient que d'une surface limitée où se matérialiser. Ils ne pouvaient plus non plus fondre sur eux depuis une terrasse ou un toit en hauteur. Et de là, c'était un jeu d'enfant pour repérer les Sans-cœur sillonnant les rues en contrebas et faire pleuvoir sur eux boules de feu et éclairs nés de leurs matérias.
Mais les vagues ne faiblissaient pas et tous deux commençaient à ressentir fatigue et lassitude. Ils avaient beau tuer des dizaines de monstres, des dizaines d'autres prenaient immédiatement leur place.
Léon porta instinctivement la main au talkie-walkie qu'il utilisait pour communiquer avec Cid.
« Cid ne m'a pas parlé du centre-ville, marmonna-t-il. Et si on en croit notre théorie, ça devrait être ici que se passe l'action.
-Quoi ? Quelle théorie ?
-T'as pas suivi ? Ils sont là pour nous. A cause de ce qui s'est passé avant-hier.
-Ah, je vois... Mais alors, ça veut dire que Kairi a réussi à s'en sortir !
-Ne crions pas victoire trop vite. »
Des Sans-cœur ailés, semblables à des corbeaux, fondirent sur eux, soutenus par ces petits monstres volants en forme de pots qui, ils l'avaient appris à leur dépens, étaient de bien puissants magiciens en dépit de leur forme menue. Aussi ne leur laissèrent-ils pas le temps de passer à l'action et se précipitèrent-ils aussitôt sur eux.
« Yuffie ! Je m'occupe des espèces d'oiseaux, débarrasse-nous des sorciers !
-Daccodac ! »
L'épée de Léon passa à un cheveu de sa tête alors qu'elle se jetait en avant – ah, il allait encore la sermonner et lui dire de faire attention, mais c'était lui qui avait insisté pour monter se battre dans un endroit aussi exigu ! - et deux des corbeaux descendirent en piqué sur elle, aussitôt cueillis par son camarade. Quant à elle, elle sauta avec un hurlement guerrier sur le premier « pot », le détruit d'un coup de shuriken avant de le décocher sur les deux suivants. Le premier fut brisé sur le coup, mais le second tomba par terre avec un clang sonore, guère plus qu'assommé. Elle récupéra aussitôt son shuriken et se débarrassa du Sans-cœur sans grande difficulté avant d'invoquer quelques éclairs pour abattre les deux derniers. Pfiou ! Il ne lui restait plus beaucoup de MP et elle n'avait pas pensé à se ravitailler en éthers.
Derrière elle, Léon acheva le travail et s'essuya le front d'un revers de main, tout aussi fatigué qu'elle. Yuffie lui lança un regard empli de sympathie tout en s'étirant.
« Dure journée, hein ?
-Tu parles comme si c'était fini, dit sèchement Léon. Ne te déconcentre pas, on en a encore pour un bout de temps.
-Je sais, je sais... Ah, Léon ! Regarde ! En bas ! »
Il tourna brusquement la tête pour suivre son doigt pointé. Dans les ruelles des faubourgs, en contrebas, s'élevaient soudain des hurlements perçants. Une demi-douzaine de citadins couraient comme si le diable était à leurs trousses, ce qui n'était pas totalement faux si on prenait en compte les Sans-cœur qui se jetaient avec avidité sur eux. Un homme et une femme se précipitèrent par la porte de la boulangerie la plus proche et la claquèrent derrière eux, s'arc-boutant contre pour la maintenir fermée.
« Ça sert à rien ! s'exclama Léon. Ils croient quoi, qu'une porte va empêcher les Sans-cœur de se matérialiser à l'intérieur du bâtiment ? »
Pendant ce temps, un vendeur de légumes derrière son étal adossé à la façade d'une échoppe, tentait en dépit du bon sens de sauver sa marchandise, qu'il finit par abandonner derrière lui en prenant la poudre d'escampette avec les autres fuyards quand les Sans-cœur se déversèrent sur eux.
« On y va ! » s'exclama Yuffie. Sans attendre la réponse, elle sauta à bas des remparts sur le toit d'une maison voisine et envoya siffler son shuriken dans la cohue. Elle eut la satisfaction de fendre en deux deux Sans-cœur qui n'avaient rien vu venir avant de sauter à terre et de se précipiter vers la scène de chaos.
« Allez vous mettre à l'abri, vite ! » hurla-t-elle aux habitants en récupérant son arme. En quelques mouvements, elle repoussa l'ennemi qui se jetait sur elle, mais ne fut sauvée que par l'intervention de Léon qui la rejoignait, l'air grognon. Ils parvinrent tous deux à éliminer les Sans-cœur sans trop d'encombre et la rue retrouva son calme.
« C'est bon, ils se sont tous mis à l'abri ? »
De l'autre côté de la rue, des visages inquiets les fixaient par la vitrine de la boulangerie, mais aucun d'entre eux n'osa sortir.
« Je crois bien, soupira Yuffie. Dis, tu penses que c'est fini cette fois... Qu'est-ce que tu regardes ? »
Son compagnon ne l'écoutait plus. Il avait les yeux rivés sur la forme effondrée d'un homme, semblait-il, immobile sur les pavés, un peu plus loin, là où la rue s'ouvrait sur une petite place entourée de commerces silencieux. Yuffie s'approcha lentement.
« Tu crois qu'il est blessé ?!
-Non... dit lentement Léon. Je pense que... »
Il n'acheva pas sa phrase. Sous leurs yeux pris de court, le corps se dissolut soudain en un nuage de fumée noire et disparut sans laisser de trace. Tous deux s'immobilisèrent, la gravité de la situation les percutant de plein fouet. Ils avaient souvent eu droit à ce genre de scène.
« On a pas pu arriver à temps, hein. Il est devenu un Sans-cœur...
-Je sais pas ce que tu crois, marmonna Léon. Il doit y en avoir plein comme ça en ville. On ne peut pas être partout. Surtout s'ils attirent les Sans-cœur en sortant se balader...
-Mais qu'est-ce qu'ils veulent à la fin ! rouspéta Yuffie en donnant un coup de pied à une petite cagette renversée sur les pavés. C'est pas bientôt fini, ce cirque ?
-Une excellente question, miss ! »
Tous deux relevèrent la tête et identifièrent aussitôt l'individu à l'origine des mots qui résonnaient entre les murs encadrant la petite place carrée. Un individu en manteau noir les observait depuis le toit d'une maison leur faisant face, hors d'atteinte – enfin... Yuffie avait confiance en la portée de son shuriken ! Elle sentit immédiatement Léon se tendre à ses côtés. Il devait détester se retrouver incapable de dire depuis combien de temps ils étaient observés.
Alors, on y était. Elle serra son shuriken entre ses doigts raides, passant mentalement en revue les matérias qu'elle possédait. Tous les combats qu'ils avaient menés jusque-là n'avaient été que le prologue. Maintenant, les choses sérieuses commençaient.
L'homme était seul, nota-t-elle. Pour le moment. Elle n'oubliait pas les recommandations de Cid. Il croisait ses bras massifs, les fixant par-delà l'obscurité de sa capuche relevée qui dissimulait ses traits. Même elle pouvait sentir la malice indifférente suintant de l'inconnu qui se dressait devant eux.
« Oui, une très bonne question ! continua l'homme d'une voix rauque. Vous savez, nous n'avons pas le temps, nous autres, de déployer autant d'efforts pour des insectes aussi insignifiants que vous. Alors ce serait bien qu'on passe directement à l'essentiel.
-Hé, Léon...
-Je sais, je les ai vus aussi. »
Ni l'un ni l'autre ne détacha leur regard de l'individu, mais aucun n'était aveugle aux Sans-cœur qui s'étaient matérialisés aux quatre coins de la place, en bloquant les diverses issues. Du coin de l'œil, elle avait repéré quelques Rondouillards et autres Sans-cœur imposants devant les axes principaux, accompagnés d'une armada d'Ombres et de Soldats. Quelques mouvements en hauteur lui indiquèrent la présence de monstres divers sur les terrasses et les toits, et sans doute derrière eux, s'il leur prenait l'envie de s'enfuir par la voie des airs.
« Qu'est-ce que vous voulez ? » lança sèchement Léon à l'homme en manteau noir.
Celui-ci ne paraissait guère pressé de répondre en dépit de ses paroles précédentes. Ses larges épaules furent parcourues d'un léger frémissement, comme s'il se moquait silencieusement d'eux.
« Je pense que vous devez déjà le savoir, dit-il enfin. Vous êtes bien le Comité de Restauration de la Forteresse Oubliée ? »
Aeris avait presque atteint le château quand elle trébucha et s'affala sur les pavés délabrés. Ce n'était pas surprenant ; elle en avait bavé pour arriver jusque-là et était à bout de forces. Mais ce qui l'inquiéta davantage fut que son bâton lui échappa des mains et alla rouler un peu plus loin, hors de portée, avec un tintement sourd.
Oh, ce n'est vraiment pas le moment, pensa-t-elle en se hâtant de se relever. Déjà, les créatures aux yeux jaunes surgissaient autour d'elle, pointant leur regard brillant et leurs griffes avides dans sa direction...
Elle évita la première, piqua un sprint sur ses jambes tremblantes, et ramassa son bâton au moment où les autres se jetaient sur elle. Non pas qu'elle eut besoin de s'en servir : un éclat lumineux fendit l'air, la jeune femme cilla, et une demi-douzaine de monstres s'évanouirent en fumée avec un cri déchirant.
Aeris tourna la tête, perplexe, et son cœur bondit de joie quand ses yeux tombèrent sur une silhouette familière mais inattendue, quelques pas plus loin. Un jeune homme aux cheveux blonds et aux habits sombres, qui abaissait lentement son arme.
« Ah, Cloud ! Tu es venu ! » s'écria-t-elle sans cacher son ravissement.
Fidèle à lui-même, il ne manifesta aucune joie mais elle nota comment les coins de sa bouche s'adoucirent quand il croisa son regard.
« On n'en a pas encore terminé », remarqua-t-il en repartant à l'attaque.
Revigorée, Aeris en fit autant et découvrit qu'elle n'eut aucun mal à se débarrasser des derniers Sans-cœur à coup de foudre. Bien vite, le calme retomba à l'ombre du château, et elle se tourna aussitôt vers son ami qui semblait sur le point de repartir.
« J'ai été averti, dit-il, sentant son regard sur sa nuque. Les Sans-cœur ont attaqué la ville, n'est-ce pas ? »
Aeris hocha la tête, un peu déçue que ce soit tout ce qu'il avait à dire. Bah, les retrouvailles dignes de ce nom pourraient attendre la fin de l'attaque.
« Oui. Depuis tout à l'heure. Tu es bien informé !
-...Où est-ce que tu allais comme ça ?
-Au château, chercher Tifa !
-Hein ? » Il se retourna vers elle au nom de leur amie.
« On essaye de rassembler le plus de combattants possibles, précisa-t-elle avec un sourire. Ce serait gentil si... tu te joignais à nous. Je sais que tu as sans doute beaucoup à faire, mais...
Il soutint son regard quelques secondes.
« La situation est aussi grave ? Qu'est-ce qui a pris aux Sans-cœur ?
-En fait, ce sont ceux qui les contrôlent qui ont décidé de passer à l'attaque, précisa-t-elle. Tu sais, ces gars en manteau noir. »
Il hocha lentement la tête.
« Très bien », murmura-t-il, et il n'ajouta rien d'autre, dévalant à présent le chemin dans la direction par laquelle elle était venue. Aeris fit la moue, résistant à la tentation de lui courir après ou au moins lui crier dessus pour lui demander des explications. Finalement, cette seconde envie finit par triompher.
« Quoi, c'est tout ? l'apostropha-t-elle, les mains sur les hanches. Tout ce temps disparu on ne savait où, et c'est tout ce que tu as à dire ? »
Il se retourna, hésita. Parfois, il était tellement facile de le déconcerter.
« Qu'est-ce que tu voudrais que je dise d'autre ? répliqua-t-il d'un ton presque boudeur. On n'a pas le temps, non ? On doit protéger la cité. »
Aeris soupira.
« Tu veux pas m'accompagner chercher Tifa ? Yuffie, Léon et Cid ont la situation en main là-bas. Et puis, ça n'irait pas plus vite de se mettre à deux pour chercher ? »
Cloud détourna les yeux et elle soupira à nouveau. Oh, Cloud. Les choses seraient plus simples si tu ne les rendais pas inutilement compliquées.
« ...Je vais rester ici défendre l'entrée, finit-il pas concéder. Va chercher Tifa. Dépêche-toi. »
Aeris battit des mains, ravie.
« Très bien, alors je compte sur toi, cria-t-elle en se détournant pour courir dans le couloir sombre qui s'enfonçait dans la muraille du château. Et t'as intérêt à tout nous raconter après ! Hors de question de t'enfuir comme un voleur comme la dernière fois, tu m'as entendue ! »
« ...Et alors, et si c'est bien nous ? répliqua Léon. Qu'est-ce que ça vous fait ? »
L'homme en manteau noir s'esclaffa. Yuffie haussa les sourcils tandis que Léon demeurait de marbre. Il n'avait pourtant rien dit de drôle !
« Pfiou ! Ah, Xaldin, c'est pas trop tôt ! »
Un Couloir des Ténèbres s'ouvrit à quelques pas de l'homme, sur le toit, et une seconde silhouette en manteau noir en sortit. Yuffie et Léon accusèrent le coup. Deux ? Ça n'allait pas être du gâteau, aussi Yuffie commença-t-elle à élaborer mentalement une stratégie de fuite.
Léon, de son côté, jaugea immédiatement le nouveau venu. De proportions moins menaçantes que le premier, presque gringalet, il ne dissimulait pas son épuisement, plié en deux, les mains sur les genoux. C'était peut-être une ruse, mais... Vu la manière dont le premier se tourna légèrement vers lui, un spasme impatient traversant ses mains, il en conclut qu'il n'était pas impossible que le second soit simplement moins expérimenté, ce qui se retrouva confirmé par les mots du premier :
« Ne m'appelle pas par mon nom devant nos ennemis, imbécile.
-Désolé ! Désolé ! » La voix qui émanait du visage obscurci du nouveau débordait d'une insouciance juvénile.
« Qu'est-ce que c'est que ces gars ? » dit tout haut Yuffie, ramenant sur eux l'attention de ces derniers.
Le nouveau venu leur fit un signe de la main. Le grand sourire qu'il arborait sûrement sous sa capuche fut particulièrement perceptible quand il s'exclama :
« Hello ! Vous vous demandez sûrement ce qui se passe en ce moment, non ?
-Vous êtes l'Organisation derrière les attaques de Sans-cœur, dit sèchement Léon.
-Oui, l'Organisation XIII, renchérit Yuffie en brandissant férocement son shuriken.
-Oh, je vois que notre réputation nous précède, s'écria l'homme à la voix juvénile. T'as entendu ça ?
-Je crois surtout que notre petite fugitive a dû bien papoter, le reprit l'autre homme de sa voix rauque qui n'annonçait rien de bon. Axel ne nous a pas menti, alors.
-Qu'est-ce que vous voulez ? rétorqua Léon, son visage ne trahissant rien.
-N'est-ce pas évident ? » L'homme aux épaules massives eut un reniflement de mépris. « Nous avons... perdu l'une d'entre nous. Non, en réalité, elle nous a filé entre les doigts. Il paraît qu'elle s'est réfugiée chez vous il y a deux jours, et que vous l'avez aidée. Alors maintenant, je vous suggère de ne pas essayer de nous mettre des bâtons dans les roues et de nous dire tout de suite où elle est partie. Sinon... »
Il laissa sa phrase en suspens mais ses intentions ne faisaient aucun doute. Ni l'un ni l'autre ne broncha, mais Yuffie jeta un regard en coin en direction des Sans-cœur de toutes sortes qui bloquaient les issues de la petite place. Aïe. Elle espérait que Léon avait un super plan de secours, parce que là...
« Vous feriez bien de lui répondre, dit le deuxième d'un ton badin. Parce que quand Xaldin se met en colère, c'est pas beau à voir. On n'en veut pas à votre ville, promis, on s'en ira tout de suite après ! »
Le dénommé Xaldin eut un mouvement agacé des épaules.
« Nous n'avons rien à vous dire, dit finalement Léon. Comme vous venez de le dire, ça fait deux jours qu'on ne l'a pas vue.
-Vous nous prenez pour des imbéciles ? rétorqua Xaldin. Nous savons qu'elle a quitté ce monde. Ce que nous voulons savoir, c'est où elle est allée. Ne me faites pas croire qu'elle vous a pas parlé de ses plans. Elle a dû vous dire ce qu'elle comptait faire et vous avez intérêt à nous le dire tout de suite. »
Il s'avérait, en fait, que Kairi n'avait eu en réalité aucun objectif précis qu'elle avait partagé avec eux. Elle avait souhaité visiter le château, mais l'Organisation était déjà au courant et avait déjà annoncé qu'elle n'était plus dans ce monde. Ce qui signifiait qu'elle était partie ailleurs et où, Yuffie comme Léon n'en avait pas la moindre idée. Mais même s'ils l'avaient su, jamais ils ne l'auraient révélé à ces individus, et ces derniers le savaient, et par conséquent, se refuseraient à les croire s'ils leur annonçaient qu'ils ignoraient complètement l'emplacement actuel de leur amie.
Xaldin claqua la langue et décroisa les bras.
« Vous feriez bien de vous dépêcher. Je commence à perdre patience, dit-il. Si vous ne coopérez pas, nous laisserons nos Sans-cœur saccager la ville jusqu'à ce qu'elle ne soit plus que des cendres et je ne pense pas que ce sera une poignée de gamins comme vous qui pourra nous en empêcher.
-Nous ne savons pas où elle maintenant, rétorqua Léon en inclinant très légèrement son arme. Elle voulait visiter le château ; nous l'y avons accompagnée. Nous ne savions même pas qu'elle était repartie.
-Hmm... »
L'homme aux épaules massives ne répondit pas. Il semblait considérer sa réponse. Le regard de son compagnon passait de lui à eux, et de eux à lui, comme s'il attendait de voir sa réaction.
« Si tel est le cas, dit-il finalement avec un petit rire, alors j'espère qu'elle ne s'est pas enfuie trop loin. Peut-être qu'elle sortira de son trou quand elle verra la ville à feu et à sang. J'espère pour vous... qu'elle viendra vous aider. »
Ce fut le seul avertissement auquel ils eurent droit avant que les Sans-cœur ne se précipitent sur eux.
Quand ils émergèrent du Couloir des Ténèbres, un soleil de plomb et une chaleur écrasante les accueillirent immédiatement. Il ne devait pas être loin de midi. Kairi sentait de douces effluves appétissantes émaner de la maison blanche qui leur faisait face et elle en eut aussitôt l'eau à la bouche.
« C'est là ? » demanda Riku en congédiant le Couloir des Ténèbres.
Elle confirma d'un signe de tête.
Alors c'était ici qu'elle avait commencé son aventure, il y avait une éternité. Elle n'y était passée qu'en coup de vent, de nuit, aussi les lieux ne lui paraissaient guère familiers. La maison, de taille modeste, avait droit à un joli toit bleu. Les volets à moitié tirés pour se protéger de la chaleur revêtaient la même couleur. Elle apercevait sur la pelouse derrière une corde à linge où se balançaient légèrement quelques habits et... n'était-ce pas des poules qu'elle entendait caqueter, de l'autre côté de la maison ? Tout d'un coup, le côté mystérieux du lieu fut rompue par cette vision banale et le stress qui lui nouait la gorge s'en retrouva apaisé.
Riku tourna la tête vers elle. « Je t'attends dehors. Tu sais ce que tu as à faire. »
Kairi fit un nouveau signe de tête et s'avança vers la porte. Alors qu'elle tendait la main, elle se retourna et lui fit un petit sourire confiant.
« A tout à l'heure. »
Toc toc. Pendant quelques secondes, le silence fut la seule réponse, uniquement troublé par le pépiement des oiseaux à l'orée de la forêt voisine. Puis la porte s'entrouvrit doucement et un visage tout aussi doux, mais doté de yeux profonds, encadré par de longs cheveux bleus cascadant sur une tunique blanche, fit son apparition.
« Bienvenue, Kairi. Bon retour parmi nous.
-B... Bonjour. »
Elle ne put s'empêcher de se sentir intimidée. Les yeux d'un vert perçant de la jeune fille qui lui faisait face paraissaient s'enfoncer dans son crâne et lire chacune de ses pensées. Puis, le regard de la prophétesse dériva légèrement de côté, se portant par-dessus son épaule.
« Bonjour. Vous accompagnez Kairi, n'est-ce pas ? »
Riku hocha la tête. Bien qu'elle ne pouvait les voir, elle savait que ses yeux détaillaient Yeul en ce moment-même pour savoir si oui ou non elle était digne de confiance.
« Est-ce que je peux entrer ? demanda Kairi. C'est important.
-Bien entendu. »
Yeul s'écarta pour la laisser passer et elle entra sans hésiter. L'intérieur était le même que dans ces souvenirs. Tout aussi plongé dans la demi-pénombre à cause des volets à moitié clos mais l'âtre était vide. Une autre pièce que la salle principale devait servir de cuisine, cependant, car la bonne odeur de nourriture se fit plus insistante et elle entendait le tintement d'ustensiles de cuisine derrière les murs.
« Caïus prépare le repas, dit Yeul derrière elle en refermant la porte, comme ayant deviné ses pensées. Mais apparemment, ça ne sera pas prêt avant une heure. Je te proposerais bien quelques fruits, indiqua-t-elle avec un geste avenant vers une corbeille de pêches et d'ananas sur un guéridon à l'entrée du salon, mais quelque chose me dit que tu n'es pas venue ici pour manger. »
Kairi hocha la tête. Elle voulut s'humidifier les lèvres ; sa bouche était sèche.
« C'est ça, dit-elle. Je suis venue comme tu me l'avais demandé, l'autre fois. Pour qu'on règle cette histoire d'échange de corps.
-Oh, alors, prends place, je te prie. »
Kairi s'assit sur la première chaise de la table centrale, et accepta de bon cœur le verre d'eau que Yeul lui offrit. Cette dernière ne but rien, et s'assit simplement sur une chaise voisine.
« Tout d'abord, dit-elle, je pense que je te dois des excuses. »
Kairi la regarda sans comprendre.
« L'échange de corps n'était pas censé se passer ainsi, précisa Yeul. Tu étais censée échanger ton corps avec celle qui se trouvait au chevet de Sora.
-Naminé, devina Kairi.
-Oui. Tu sais qui elle est ?
-Euh... C'est une Simili, je crois. Elle travaillait pour l'Organisation XIII. Elle... » Kairi eut une légère grimace et détourna les yeux. « Elle les a aidés à piéger Sora et à lui prendre ses souvenirs. Mais elle les a trahis et elle essaie maintenant de le sauver.
-C'est cela », dit Yeul. Elle regarda longuement Kairi. « Kairi, excuse-moi, mais savais-tu que Naminé est ta Simili ?
-Hein ? Non, je... » Yeul ne plaisantait pas, elle en était certaine, et cette information n'était pas la chose la plus folle qu'elle ait appris pendant son périple, mais comment était-ce possible ? « Mais comment c'est possible ? Je ne suis pas devenue un Sans-cœur, pourtant ?
-Je sais. C'est pour cela que Naminé, plus que tous les autres Similis, n'aurait jamais dû exister, dit gravement Yeul. Et pourtant, elle est là. C'est pour cela qu'on peut dire qu'elle est ton ombre. L'ombre de ton corps que tu n'as jamais vraiment perdu... Des traces de la lumière de ton cœur... De là proviennent ses étranges pouvoirs qui lui permettent d'agir sur le cœur des gens.
-Vraiment ? Mais alors, elle est... »
Kairi faillit dire « elle est moi », mais s'arrêta net. Était-ce vraiment le cas ?
« Elle est toi ? compléta Yeul avec un sourire. Oui... et non. Elle a développé sa propre conscience, après tout. »
Et maintenant, Naminé était de retour dans le corps qui avait été le sien. Quelle étrangeté.
« J'imagine que ça doit te faire tout drôle...
-Un peu, soupira Kairi. Je sais pas quoi en penser, pour être honnête. Mais ce n'était pas pour cette raison que j'étais venue te voir. Alors... j'imagine que je vais devoir remettre ça à plus tard. »
Yeul acquiesça.
« Comme tu le sens.
-Alors... pourquoi est-ce que l'échange ne s'est pas passé comme prévu ? reprit difficilement Kairi. Je me suis retrouvée dans le corps de Xion, un membre de l'Organisation XIII. Je sais qui elle est, ajouta-t-elle quand Yeul la contempla d'un air interrogatif. J'ai consulté les dossiers de l'Organisation à son sujet.
-Si tu sais qui elle est, alors tu dois te douter de ce qu'il s'est passé. Je n'avais pas prévu que l'existence de Xion interfère avec mon sortilège, dit Yeul avec tristesse. Je suis désolée pour cela. Parce qu'elle a été construite à partir des souvenirs de Sora te concernant, elle s'est connectée au lien magique que j'avais tracé entre toi et Naminé pour exécuter l'échange. C'est pour cela que tu t'es retrouvée dans son corps, et que Xion s'est retrouvée dans le sien... et Naminé dans le tien.
-Ça va », murmura Kairi. Elle lui sourit. « J'ai été très surprise au début, mais cette situation m'a permis d'apprendre beaucoup de choses, même si ça a un peu compliqué les choses.
-Oui ! » Yeul lui retourna son sourire. « Je le pensais aussi. Mais maintenant, tu comprends que tu ne peux pas rester ainsi, n'est-ce pas ? »
Kairi posa ses mains sur ses bras, mal à l'aise.
« Oui.
-Le corps de Xion était déjà fragile, et sans son âme, il ne fait que se désagréger. Si tu veux survivre, alors tu dois retrouver le tien. Celui-ci est perdu.
-Je le sais, bien, mais...
-Mais tu hésites. »
Kairi hocha la tête.
« Je veux dire, ça me dérange de rendre un corps dans un tel état à sa propriétaire. Même si... »
Même si, si le plan de DiZ et Riku se passait comme prévu, Xion ne devrait plus en avoir besoin longtemps, songea-t-elle sombrement.
Yeul la regardait avec un sourire si sincère qu'elle se sentit presque gênée de s'engouffrer dans des pensées aussi sombres, aussi se reprit-elle immédiatement. De toute manière, elle n'était pas venue les mains vides. Elle avait un plan.
« Alors, tu as accompli ta quête, résuma Yeul. Tu as retrouvé Sora, n'est-ce pas ?
-Oui.
-Es-tu satisfaite ? »
Kairi eut un sourire forcé.
« ...Oui. Dis-moi, Yeul, tu peux voir le futur, n'est-ce pas ?
-En effet, j'ai souvent des visions de l'avenir. Pourquoi me demandes-tu ça ?
-Est-ce que... est-ce que tu vois ce qu'il va se passer ? Tu penses que je prends la bonne décision ? »
Yeul la contempla un long moment, son sourire ne quittant pas ses lèvres. Quelque chose pétillait dans son regard profond.
« Je ne peux pas le dire.
-Pourquoi ? Tu ne sais pas, ou te ne veux pas... ?
-En fait, il est très difficile de contrôler le changement de l'avenir, expliqua Yeul. La moindre parole, le moindre geste, pourrait orienter le flot du temps dans une direction non désirée. Alors, pour cette situation, je préfère ne rien te dire. C'est la meilleure des solutions. J'ignore ce qu'il se passerait si je répondais à ta question et je ne veux pas risquer que vous vous retrouviez dans des situations encore plus difficiles que ce qui vous attend, à cause de mes mots...
-Ce n'est pas très rassurant. Mais... je comprends, je suppose. »
Kairi prit le temps de terminer son verre, tentant de ne pas s'inquiéter du tremblement qui parcourait ses membres. Elle le reposa d'un coup sec et s'efforça de mobiliser le plus d'entrain dans sa voix.
« Alors, on s'y met ? Je suis venue te voir pour qu'on mette un terme au sortilège d'échange. »
Yeul ne parut pas surprise le moins du monde.
« Tout de suite ?
-En fait... pas vraiment. Est-ce qu'il te serait possible de... créer un sort retardé ? Un sort qui ne prenne effet que plus tard ? »
Yeul hocha la tête. « C'est en effet dans mes compétences. Pourquoi ? Que souhaites-tu faire ?
-Je sais que je dois y mettre un terme, expliqua Kairi, mais je veux aussi être en mesure d'aider Sora. Je sais que si je retrouvais mon corps tout de suite, je serai bloquée sur cette île. Riku a beau dire qu'il ne m'abandonnerait pas, je ne sais pas s'il accepterait de risquer de me mettre en danger. Et puis, j'ai accepté d'utiliser mon apparence actuelle pour les aider à retrouver Roxas, dit-elle avec regret. Est-ce que tu as une suggestion sur ce que je dois faire ? »
Yeul hésita brièvement. « Je ne peux pas te répondre. C'est une décision qui t'appartient, dit-elle finalement. Mais je t'assure que tu peux encore aider ton ami.
-Très bien ! Alors, voilà ce que je pensais : il faudrait que je retrouve mon corps dès que les autres auraient trouvé Roxas.
-Précise ce que tu souhaites.
-Est-ce que ce serait possible de rompre le sortilège dès que, disons, Roxas et Xion, enfin, le corps de Xion, seront tous deux dans la Cité du Crépuscule virtuelle ? »
Yeul hésita à nouveau.
« Tu ne sais pas où c'est ? risqua Kairi.
-Ce n'est pas cela, soupira Yeul. Mes pouvoirs ont leurs limites. Toi comme moi n'avons aucun lien avec ce monde, cette Cité du Crépuscule, alors je ne parviendrai pas à le lier à vous pour l'inclure dans le sortilège. A moins que tu n'aies sur toi un objet en rapport avec ce monde ? »
Kairi secoua la tête et Yeul parut navrée.
« J'ai bien peur qu'il en aille de même pour Roxas, dit-elle. Il n'a aucun lien avec toi. Ce n'est pas grave. Je suis sûre que nous trouverons quelque chose d'autre qui te conviendra. »
Kairi réfléchit. Une idée lui vint.
« Penses-tu que ce serait possible de mettre fin au sortilège quand Xion... enfin, son corps, donc moi, je suppose, serai dans la Cité Virtuelle, c'est-à-dire dans le même monde que Xion... enfin, le corps de Naminé ? Je veux dire, quand je voudrai que le sort soit rompu, je n'aurai qu'à aller dans la Cité du Crépuscule rejoindre Xion. A partir de là, expliqua-t-elle, le sort sera rompu, je retrouverai mon corps, Xion aussi mais elle restera dans la Cité Virtuelle, et Naminé... s'y retrouvera aussi, je suppose.
-Hé bien... » Yeul eut un moment de réflexion. « Ça me semble être une bonne idée. Ça me semble être très bien ! C'est ta décision, alors ? Tu veux que le sort se brise quand Xion et toi, soit les enveloppes de Xion et Naminé, se retrouvent dans le même monde ? Je ne pourrai cependant pas préciser le monde, l'avertit-elle. Si Xion, par exemple, apparaissait devant toi dans la seconde qui suit, alors...
-Je sais, mais... ce sera suffisant, dit Kairi.
-Très bien. »
Yeul se leva et se dirigea vers une armoire située dans un coin de la pièce. Alors qu'elle l'observait sortir boîtes gravées de symboles inconnus, paquets de bougies, pots de craies et bocaux d'herbes séchées, la question qui lui avait tenu à cœur se forma sur le bout de sa langue. Elle ne savait comment la formuler, cependant, et elle n'était même pas certaine de vouloir... aller jusque-là.
Par chance, il apparut que Yeul pouvait sentir ses états d'âme car elle lui jeta un regard par-dessus son épaule et sourit aimablement.
« Je sens que tu as quelque chose d'autre à dire. Quelque chose te préoccupe, Kairi ?
-C'est juste... oui, il y a des choses qui me préoccupent. Mais... je ne suis pas sûre de savoir quoi faire. »
Yeul, étrangement, vint la rejoindre et se rassit à côté d'elle, déposant sur la table le bric-à-brac qu'elle avait sorti de son armoire.
« Et qu'est-ce donc ? demanda-t-elle d'une voix sincèrement avenante mais les yeux graves.
-Je me demande juste si je fais la bonne chose ! éclata Kairi. Je sais que Riku et … et tout le monde veut que je le fasse et je sais que je ne peux pas rester dans ce corps, les autres aussi, mais... »
Mais si je fais ça, alors Xion et Roxas seront condamnés. Je le sais.
« Kairi, si tu restes dans le corps de Xion, tu mourras, dit gravement Yeul. Et le corps de Xion n'est-il pas condamné, selon votre objectif, à revenir à Sora pour assurer son réveil ? »
Elle ne lui demanda même pas comment elle pouvait savoir pareilles choses. Elle se contenta de hocher la tête.
« Ne me dis pas que tu souhaites... te sacrifier pour elle ?
-Je... je ne dirais pas ça, dit Kairi, sur la défensive. Mais, c'est juste...
-C'est ta décision après tout, reprit Yeul quand elle s'interrompit. Si c'est ce que tu souhaites. Xion sera sauvée, probablement. Et Naminé...
-Je ne te l'ai pas demandé, murmura Kairi, tout s'est bien passé pour elle ? Elle ne m'en veut pas ? Apparemment, elle n'a pas été démasquée et elle a joué le jeu...
-Elle s'est bien débrouillée, acquiesça Yeul. Bien sûr, elle était toute désorientée au début, mais elle n'a pas baissé les bras et s'est adaptée. Beaucoup de gens la sous-estiment, cette fille, mais Naminé est forte. Elle a tenté de contacter Riku et de reprendre son travail pour sauver les souvenirs de Sora. Elle a même passé les examens en ton nom pour t'éviter de redoubler.
-C'est vrai ? Je ne savais pas... » Kairi se sentit rougir. Elle aurait des remerciements à faire.
« Oui... Je pense que s'éloigner et se retrouver sur ces îles paisibles lui a fait du bien, dit Yeul d'un air songeur. Il semblerait même qu'elle soit parvenue à faire de réels progrès pour sauver ton ami.
-Vraiment ? s'étonna Kairi. Mais... Ils ont dit que c'était impossible sans Roxas et Xion !
-Difficile, en vérité. Mais pas impossible. Naminé a trouvé un moyen. Si tu te promènes dans les îles et que tu parles à ceux qui connaissaient Sora, tu t'en rendras compte. »
Kairi baissa le regard vers ses mains posées devant elle. Avoir entendu tout ce que Yeul venait de lui dire ne faisait que conforter les graines de la décision qui avaient commencé à germer en elle lors de son voyage aux côtés de Riku jusqu'aux Îles.
Elle savait à présent ce qu'elle souhaitait.
« Yeul, je te remercie, déclara-t-elle en relevant la tête. J'ai donc bien une autre requête. »
Une fois encore, aucune bribe de surprise ne traversa les traits de l'autre jeune fille.
« Qu'est-ce donc ?
-J'aimerais... en plus de rompre le sort, j'aimerais que tu réalises un autre sortilège. »
« … J'ai l'honneur de vous annoncer l'arrivée d'une nouvelle camarade dans nos rangs. Numéro XIV. »
« Dis, Roxas, je pourrais être votre amie moi aussi, tu crois ? »
« Hé, Xion ! Regarde ce que j'ai trouvé dans le monde que j'ai visité aujourd'hui ! » Les petites statuettes en cristal sculpté qu'il tenait dans ses mains brillaient autant que ses yeux.
« Je ne sais pas qui tu es censée être, mais on ne se bat pas avec du vent. Cette Keyblade est une imitation. Elle ne vaut rien. »
« Roxas... Axel... j'aimerais qu'on soit ensemble pour toujours. »
« Je n'étais pas... moi ? » Le garçon aux cheveux châtain, au visage si familier, adouci dans le sommeil, lui faisait face dans sa fleur de cristal et elle comprit.
« Qui es-tu ?
-Je suis Xion.
-Xion ?! Mais … pourquoi ? Comment ? »
Xion ouvrit les yeux et fixa les poutres du plafond de sa chambre sans les voir. C'était étrange, très étrange... Les rêves qu'elle avait faits cette nuit... Ils lui avaient paru si réels.
Elle tourna la tête et parcourut du regard l'intérieur de sa chambre. Sa chambre... était-ce cela, le rêve ? Ses yeux s'attardèrent sur le petit châle bleu abandonné sur le dossier de sa chaise de bureau, de l'autre côté de la pièce. Quand l'avait-elle acheté déjà ?
Elle se leva comme dans un rêve. Ses sens luttaient pour s'adapter à son environnement, rechignant à quitter l'hébétude donnée par son sommeil précédent. Ses pieds nus traversèrent le plancher et elle fixa son bureau d'un regard vide, avant d'ouvrir un tiroir. Deux cahiers aux couleurs vives posés dans un coin du bureau près de quelques jolis stylos colorés... elle en prit un et le feuilleta d'un air absent.
« C'est moi qui ai écrit tout ça ? »
Ses yeux se posèrent sur les cours de mathématiques, schémas et opérations abstraites. Oui, c'était son écriture et ces pages ne lui étaient pas inconnues, et pourtant... elle lutta pour se rappeler les cours de mathématiques auxquels elle avait assisté. Comment était le prof déjà ? La salle de classe ?
Elle parcourut l'étagère adjacente d'un air songeur tout en s'habillant distraitement. Des romans, des mangas, des boîtiers de jeux vidéo et des figurines... C'est drôle. Depuis quand était-elle fan de jeux vidéos ? Pourquoi ne pouvait-elle pas se rappeler d'un seul d'entre eux, au-delà des images sur la jaquette ?
Bah, était-ce vraiment important ? Aujourd'hui s'ouvrait une nouvelle journée ensoleillée ! Une journée qu'elle passerait avec les autres, bien entendu, comme ils se l'étaient promis.
Mais d'abord... Elle allait acheter une viennoiserie à la boulangerie du quartier.
Xion finit de s'habiller de sa tenue estivale favorite – pantacourt noir, sandalettes pratiques et t-shirt bleu sans manche, puis quitta la pièce. La petite maison, comme d'habitude, était silencieuse. Ses parents partaient très tôt au travail, elle ne les voyait que lorsqu'elle se levait tôt elle-même les jours d'école.
Le fait qu'elle ne puisse se rappeler ni le travail de ses parents, ni leurs traits distinctifs ne l'inquiéta pas particulièrement et elle sortit dans la rue, le sourire aux lèvres.
Comme d'ordinaire, les rues étaient calmes. Les mêmes passants promenaient leur chien ou faisaient leur jogging matinal, les mêmes rares voitures remontaient la petite rue en pente et les mêmes clients faisaient la queue devant la boucherie ou la boulangerie. Elle ne fut aucunement surprise de trouver la vieille dame habillée de vert dans la queue devant elle ; elle était toujours sur les lieux chaque matin pour acheter son pain.
Comme prévu, la vieille dame acheta son pain et s'en alla avec un sourire, laissant Xion acheter son propre petit déjeuner.
« Merci beaucoup », dit-elle en déposant quelques munnies sur le comptoir avant de sortir de la boutique en mordant dans son pain au chocolat. Miam ! Un délice. Une belle journée s'annonçait, vraiment.
Elle pensa au mystère de la plage et à ses étranges murs invisibles, et son sourire s'effaça.
Oui... Comment ne pouvait-elle s'en souvenir que maintenant ? Ce... ce n'était pas un rêve, n'est-ce pas ? Elle en était pratiquement sûre...
Xion cessa de mâcher et laissa retomber son regard vers le sol, s'immobilisant. Ou... était-ce un rêve, finalement ? Impossible qu'une chose aussi invraisemblable se soit réellement passée, non... ?
Difficile à dire. Ses souvenirs de la veille étaient curieusement flous. Bah, elle allait retrouver les autres... Hayner et les autres... et ils iraient à la plage ensemble. Elle verrait bien si cette étrange journée n'avait été qu'un rêve. Mais là, sous le soleil lumineux et le doux murmure des conversations des passants et de l'activité de la cité matinale, elle avait de plus en plus de mal à prendre au sérieux ces faits.
Xion haussa les épaules, avala le reste de sa viennoiserie, puis se mit en route vers la cachette secrète où ses amis et elle s'étaient donné rendez-vous. Elle n'avait pas fait trois pas qu'elle s'arrêta net à nouveau.
« Qu'est-ce que... »
Quelques pas plus loin se trouvait la vieille dame en vert qu'elle avait vue précédemment. Mais quelque chose n'allait pas. La vieille femme tournait sur elle-même, comme si ses pieds buguaient. Elle ne paraissait pas s'en apercevoir ; le plus déconcertant était que son visage n'affichait rien alors qu'elle effectuait tour sur tour sans quitter le même pavé. Xion la fixa, éberluée. Que lui arrivait-il ?
Elle la considéra longuement, figée sur place. Devait-elle intervenir... ?
Finalement, ce fut cette pulsion qui gagna et elle s'approcha presque timidement de la vieille dame.
« Hum... madame ? Excusez-moi... ? »
La dame de lui répondit pas, ni même ne montra le moindre signe de l'avoir entendue. Le visage hagard, elle continuait de tourner sur elle-même. Ses yeux ne se posèrent même pas sur la jeune fille.
Cette dernière tenta à nouveau sa chance.
« Excusez-moi, euh... Vous allez bien ? »
Toujours aucune réponse. C'était vraiment très bizarre et un peu effrayant. Xion leva une main indécise, hésita, puis la posa sur l'épaule de la vieille dame. Elle s'attendait presque à la voir sursauter, à la voir se dégager, à sentir le poids d'un regard interrogateur sur elle... mais il n'en fut rien. C'était comme si sa main n'avait aucun effet. Elle aurait pu tout aussi bien la passer à travers un rideau d'eau. La femme ne réagit pas, et elle ne s'arrêta certainement pas. Même en osant y mettre plus de force, il s'avéra qu'elle ne pouvait empêcher ses déambulations.
Bouche bée, Xion laissa retomber sa main. Elle jeta un coup d'œil autour d'elle ; étrangement, elle était la seule qui semblait perplexe devant cette scène étrange. Aucun autre passant ne s'était arrêté ni ne regardait dans leur direction. Chacun poursuivait sa routine comme si de rien n'était.
Mais... que se passait-il ?
Bon... Xion savait se rendre compte quand quelque chose ne la regardait pas. Elle contourna prudemment la dame, sans la quitter des yeux, puis s'éloigna au pas de course.
Ce ne fut que lorsqu'elle atteignit la place de la gare qu'elle s'arrêta et réalisa que, dans sa confusion, elle avait oublié qu'ils s'étaient donné rendez-vous à la cachette secrète. Et elle était bêtement venue ici...
Pourtant...
« Sérieusement, qu'est-ce qui ne tourne pas rond en ce moment ? murmura-t-elle en fixant l'imposant bâtiment qui lui faisait face. D'abord la plage, et maintenant ça ? »
Elle commençait à... être réellement effrayée. Comme si son esprit était sur le point de réaliser une vérité qui ne lui plairait pas. Qui la ferait souffrir. Et cette sensation la hantait en avance.
« Qu'est-ce que... Je ne sais pas ce que je dois faire », murmura-t-elle encore.
Non... Elle se força à se reprendre. Elle savait ce qu'elle devait faire. Aller en parler à ses amis. Ensemble, tous ensemble, ils découvriraient la vérité sous ces mystères.
Déterminée, Xion se redressa et se détourna, prête à retourner dans les rues de la ville quand...
« Hé ! Xion ! »
La jeune fille se retourna à nouveau vers le bâtiment de la gare, interloquée. Sur le seuil, Hayner, Pence et Olette lui faisaient de grands signes de la main, affichant de larges sourires amicaux comme à leur habitude. Mais... que faisaient-ils là ? N'avaient-ils pas rendez-vous dans la cachette secrète ? Et... et elle aurait pu jurer que le seuil était désert une demi-seconde plus tôt.
Non... peut-être se faisait-elle des idées. Xion secoua la tête, se permit à son tour un léger sourire et se dirigea vers eux.
« Coucou ! Qu'est-ce que vous faites là ? On était pas censé se retrouver à l'endroit habituel ?
-Ah bon ? dit Hayner avec désinvolture en allant la rejoindre. J'ai dû oublier. »
Oublier... ?
Xion s'arrêta net.
Derrière Hayner, Pence et Olette s'étaient eux aussi mis en mouvement pour lui emboîter le pas, mais... un détail venait de lui sauter aux yeux. Un détail flagrant, qu'elle ne put ignorer une fois remarqué.
Leurs pieds... On aurait dit qu'ils glissaient sur les dalles. Certes, leurs jambes se pliaient et se dépliaient mais, quand ils descendirent les quelques marches menant sur la place... c'était comme s'ils descendaient une pente. Leurs pieds ne touchaient même pas toujours les marches. Comme si les règles de la physique avaient oublié de se mettre en route.
« Bon, on fait quoi aujourd'hui, les gars ? s'enquit Pence.
-Dites, vous ne pensez pas... commença Olette mais elle se fit aussitôt interrompre par Hayner.
-Oh non, c'est que le deuxième jour des vacances. Commence pas à nous parler des devoirs !
-Hé bien sache que c'est mieux de s'y mettre pendant que les souvenirs de l'école sont encore frais, mais bon, soupira Olette. Non, c'est pas ce que j'allais dire de toute façon. Je me demandais si vous vouliez pas qu'on aille à la plage aujourd'hui. Qu'est-ce que vous en dites ?
-Ah ouais, trop bien ! C'est décidé, alors ! Et toi Pence, t'en penses quoi ?
-Ouais ! Génial ! Ah, mais, j'ai pas mon maillot de bain...
-Bah va vite le chercher ! Et toi, Xion, t'en penses quoi ? »
Xion les fixa sans répondre. Elle se sentait... elle se sentait curieusement détachée de la conversation qui prenait place devant elle. Tant et si bien que, si elle se détournait et s'éloignait sans un mot, elle ne s'en sentirait même pas mortifiée.
Au fond d'elle, cependant, bourgeonnaient les graines d'un sentiment écœurant. Plus sale que la tristesse, plus complexe qu'une rage intense.
Sans un mot, elle se détourna. Elle contourna le trio sans les regarder. Un étrange silence la suivit jusqu'aux marches menant aux portes vitrées de la gare.
Ces dernières s'ouvrirent en glissant et elle pénétra à l'intérieur. Les quais, déserts, accueillirent son regard. Aucun train n'était annoncé au panneau d'affichage. Bon. Machinalement, Xion orienta ses pieds vers l'ouverture percée dans un mur du quai qui dévoilait un escalier en colimaçon éclairé par la lumière orange s'engouffrant par les fenêtres qui s'y découpaient. Un panneau près de la première marche annonçait : «Balcon. Accès interdit. »
Ses pas résonnaient dans l'escalier désert. Très vite, elle émergea au sommet. Une vue imprenable et si familière accueillit son regard, la mer des toits de la ville sous le ciel orangé, bordée à l'horizon par de vertes collines. Et pourtant... elle ne pouvait se souvenir à quand remontait la dernière fois qu'elle y avait mis les pieds, en compagnie de Pence, Olette et Hayner.
Xion s'assit sur le muret de pierre servant probablement de garde-fou. Elle était bien, là. Une brise légère écartait ses mèches blondes de son visage. Ses pieds se balançaient dangereusement dans le vide, ses sandales venant claquer contre le mur en contrebas avec le mouvement de ses chevilles. Elle plongea son regard vers la place ; là, tout en bas, trois silhouettes familières se trouvaient figées au même endroit qu'elle les avait quittées.
« Ce n'est pas avec eux que je suis venue ici. »
Cette idée s'imposa sans crier gare. Il y avait des gens, avec qui elle était venue ici. Les souvenirs étaient pris dans le brouillard. Elle fronça les sourcils, porta une main à son front. Peut-être que si elle se concentrait très fort, elle retrouverait leur nom et leur visage, à ces personnes qui demeuraient floues dans sa mémoire. Peut-être saurait-elle ainsi l'affreuse vérité de ce monde.
L'ombre... Des individus qui se dissimulaient dans l'ombre. Une nuit de pleine lune... Des cheveux aux couleurs du crépuscule...
Et le manoir de la Cité du Crépuscule. Elle s'y était rendue, non ? Elle était même entrée à l'intérieur, alors que son accès était pourtant interdit à tous. Comment ? Dans quelles circonstances ?
Elle y était presque... mais un avion passa dans le ciel, vrombissant bruyamment, et elle perdit le fil de ses pensées.
Xion poussa un long soupir et lui lança un regard noir.
« J'y étais presque... »
Elle leva une main (gantée?) pour triturer son col, comme pour remettre en place une capuche inexistante, et s'interrompit quand elle prit conscience de son geste. Que...
« Je pensais que ce serait une bonne journée aujourd'hui. Mais je n'arrive pas à réfléchir, on dirait que mes pensées sont toutes embrouillées », dit-elle tout haut.
Dans d'autres circonstances, elle aurait ri de son étourdissement.
La jeune fille détendit son esprit, renonçant pour l'instant à se creuser le cerveau et se laissa distraire par l'avion qui achevait de traverser l'espace aérien de la ville, là-haut, si haut. Elle se demanda distraitement ce qu'il se passerait si elle décidait de s'enfuir à bord d'une de ces machines, sur un coup de tête, et de partir très loin.
Ce fut à cet instant, au moment où l'avion survolait les collines lointaines, qu'il disparut.
Il ne disparut pas petit à petit, comme s'éloignant dans la distance. Ou comme un nuage de fumée. Non. Une seconde plus tôt, il était là, bien en vue, dans le ciel, ronronnant tranquillement et laissant une longue traînée derrière lui. En un clin d'œil, il disparut, comme supprimé du ciel, comme si quelqu'un avait simplement appuyé sur un bouton et l'avait fait disparaître.
Qu'est-ce que... ?
Xion se leva lentement. Non, elle avait bien vu. Ce n'était pas un rayon de soleil qui avait gêné son regard, ou une illusion d'optique. Même le bruit de moteur avait complètement disparu, brusquement coupé du paysage sonore. Ne restait plus dans le ciel qu'une longue traînée blanche qui s'interrompait brusquement à la limite de la ville.
Elle pensa de nouveau au mystérieux mur invisible de la plage. Une idée... particulière lui vint en tête.
Une idée particulièrement effrayante.
« C'est comme si... il n'y avait rien plus loin », dit-elle tout haut.
Mais ce n'était pas possible, n'est-ce pas ?
La réponse, elle le savait, gisait dans les souvenirs qu'il lui manquait. Une fois qu'elle se souviendrait d'eux, de ces personnes qu'elle attendait ici, alors, tout prendra du sens. Le mystère de cette ville... de ce monde...
Xion ferma les yeux à nouveau et se concentra. Qui étaient ces personnes qu'elle attendait ? Il y en avait trois... non, deux.
Et leurs cheveux aux couleurs du crépuscule.
Ah oui. L'un d'entre eux était roux. Le second... peut-être blond. Et ils étaient vêtus de noir, elle en était quasiment certaine. Tout comme elle était pratiquement certaine que l'intérieur du manoir dans la forêt contenait des statues couvertes de poussière et une table brisée en morceaux, et qu'une de ses pièces, étrangement blanche, semblait en décalage avec l'aspect vieillot du lieu. Tout comme elle savait qu'un lourd secret se dissimulait dans ses sous-sols, des couloirs froids et des pièces vides, et des individus qui y dormaient...
Elle réfléchit encore, plongeant dans les ténèbres de son esprit.
Personne ne vint troubler ses réflexions.
Et quand elle se souvint enfin, quand sa mémoire non pas perdue ou effacée, mais dissimulée derrière un voile trompeur, lui revint enfin, ce ne fut pas tant du bonheur qui envahit son cœur, ni même du chagrin, quoiqu'il y en eut quelques étincelles.
Non, c'était une rage torride, une rage ignoble, une rage destructrice, qui traversa son sang et emplit ses entrailles, une tempête puante qui grandissait en elle et qui rugissait ses tourments à travers son cœur.
« Ça commence à être long ! On a toujours pas fait le tour ? »
La petite troupe se retourna machinalement vers Selphie qui venait de gémir la plainte que tous, ou la plupart d'entre eux formulaient silencieusement. La sueur ruisselait sur les fronts et sur les bras, lesquels avaient récolté une bonne collection de piqûres de moustiques et d'égratignures dues à la végétation luxuriante. Tidus se frottait le mollet où une branche basse l'avait griffé et Vanille achevait les dernières gouttes de son eau avant de regarder d'un air malheureux le fond de sa gourde (heureusement, Fang était là pour galamment lui proposer sa propre ration). Lightning dévisagea la jeune fille, impassible, et Naminé eut la curieuse sensation que son amie était sur le point de faire machine arrière et s'excuser d'avoir ouvert la bouche.
« Nous ne sommes pas en randonnée ou en vacances, dit-elle calmement, sans une once de fatigue dans la voix. Je pensais avoir été claire. »
Selphie détourna la tête, marmonna quelque chose, mais ne répondit rien. Comme un seul homme, tous se retournèrent de nouveau vers l'avant et poursuivirent leur avancée. Naminé rajusta les bretelles de son sac en soupirant ; elle n'avait jamais eu le goût de l'effort physique, contrairement à Kairi, et elle aussi commençait à fatiguer sérieusement. Ses jambes toutes entières étaient moulues de fatigue et, même si elle avait rationné son eau, sa réserve diminuait à vue d'œil.
Et puis, surtout, toujours aucune trace de Serah. Ils avaient beau avoir remué l'intérieur de l'île de fond en comble, à part quelques animaux qui s'enfuyaient sur leur passage, leur expédition n'avait porté aucun fruit. Elle se résigna avec lassitude à continuer l'ascension d'un sentier boueux dont les racines rasant le sol semblaient décidées à leur faire mordre la poussière quand une nouvelle plainte retentit derrière elle.
« Aïe ! » C'était la voix de Tidus. Elle se retourna, lasse, pour le voir se frotter de nouveau le mollet avec un regard noir vers les fourrés sur sa gauche. Il avait probablement de nouveau trébuché. « J'en ai trop marre ! se plaignit-il. Il y a quelque chose qui m'a griffé !
-T'es sûr ? dit Wakka d'un ton nonchalant. Tu veux dire que tu t'es encore pris une racine !
-Je te savais pas si maladroit, le taquina Selphie qui arrivait dernière.
-Non ! insista Tidus, et ce fut la nuance pressante dans son ton qui retint l'attention de la jeune fille. Je vous jure, y avait quelque chose qui m'a donné un coup de griffe ! Regardez ! »
Naminé baissa les yeux vers son mollet et son cœur sombra dans sa poitrine. Du sang s'écoulait entre les doigts du garçon pressés sur sa peau, provenant de trois fines rayures. Ce n'étaient pas des éraflures dues à la végétation. C'était des traces de griffes.
Elle lança un regard alarmé vers l'avant. Ne se doutant de rien, Lightning, Snow, Vanille et Fang continuaient leur chemin.
Elle se retourna vers Tidus juste à temps pour apercevoir une main noire et griffue sortir du sol tel un fantôme et porta un coup vers lui.
Avec un cri saisi, il se jeta en arrière, évitant l'attaque de peu et percutant Wakka et Selphie qui poussèrent des exclamations de surprise.
« Un Sans-cœur ! » s'écria Naminé.
Figée sur place, Naminé ne put que regarder le Sans-cœur qui se hissait lentement hors du sol, ses antennes frémissant dans l'air comme pour goûter leur peur, les jaugeant un par un de ses grands yeux jaunes. Il agita ses griffes d'un air menaçant puis, semblant avoir choisi sa proie, réalisa la présence de la jeune fille pétrifiée et se précipita vers elle.
Elle eut à peine conscience des cris derrière elle. Lightning et Snow la dépassèrent à la vitesse de l'éclair, la première l'écartant brusquement. Naminé trébucha sur une racine en tentant de retrouver son équilibre et s'écrasa à terre.
Quand elle releva la tête, Snow assénait le coup fatal à la créature qui s'effondra avec une plainte aiguë.
« Qu'est-ce que c'est que cette chose ?! s'époumona Tidus.
-Un monstre ? s'affola Selphie. J'avais jamais vu ce type d'animal avant.
-Ça c'est sûr, dit Wakka, plus calme. Mes potes sont souvent sur les petites îles, mais ils m'ont jamais parlé de ce truc. Qu'est-ce que ça peut bien être ?
-Vous croyez que ça a un rapport avec la disparition de Serah ? » s'enquit Vanille d'une voix flûtée.
Sous leurs yeux, le Sans-cœur décédé disparut soudain dans un nuage de fumée, leur arrachant à tous un cri de surprise, à l'exception de Naminé qui, bien entendu, s'y attendait. Lightning tourna lentement les yeux vers elle.
« Kairi, c'est ça ? l'apostropha-t-elle sèchement. Je crois que tu as des réponses à nous donner. Tu connais cette créature. Tu as donné son nom tout à l'heure. »
Naminé déglutit. Tous les yeux étaient sur elle.
« Oui, c'est... ça s'appelle un Sans-cœur, expliqua-t-elle.
-Un Sans-cœur ? répéta Tidus. Il a pas de cœur ?
-Je crois... choisit-elle d'éluder. C'est pour cela qu'ils s'attaquent aux gens. Ils essaient de leur voler leur cœur. »
Un grand silence s'abattit sur le petit groupe, uniquement troublé par des cris d'oiseaux, quelque part dans la toiture végétale. Vanille et Fang échangèrent un regard intrigué et un brin dubitatif.
« Comment tu connais ces choses ? lança encore Lightning en fronçant les sourcils. Je n'ai jamais vu pareille créature. »
Naminé hésita puis opta pour une semi-vérité.
« Vous vous souvenez de la tempête d'il y a quelques mois ? Je crois... qu'elle a amené ces créatures sur l'île. Ce soir-là, j'étais venue ici, sur la petite île.
-Pendant la tempête ? releva Lightning. Tu aurais pu te mettre en grand danger. »
Naminé réfléchit.
« On avait construit un radeau, et j'avais peur qu'il soit endommagé alors je voulais le mettre à l'abri avant que la tempête empire.
-Et c'est là que tu as vu ces monstres ? » dit Selphie d'une petite voix.
Naminé hocha la tête.
« Je pensais qu'il n'y en avait plus depuis... Je croyais qu'ils avaient disparu à la fin de la tempête.
-Tu aurais quand même dû le signaler, dit sèchement Lightning. Des animaux aussi dangereux... si ce sont seulement des animaux... Bon sang. Quand je pense que certains disparus qu'on a pensé emportés par la tempête sont peut-être devenus la proie de ces choses...
-Sois pas trop dure avec elle, Light, intervint Snow. Elle savait pas et elle a dû avoir peur...
-Raison de plus pour le signaler immédiatement. »
Naminé ne dit rien. Elle comprenait la dureté des paroles de Lightning. Si elle craignait que sa sœur ait été victime de ces choses, c'était compréhensible qu'elle refuse de comprendre qu'on ait pu cacher leur existence, alors qu'une catastrophe aurait pu être évitée si...
Un cri perçant l'arracha à ses pensées sombres. Tous se retournèrent, suivant le doigt tendu de Vanille.
« Regardez, il y en a d'autres ! »
En effet, à l'ombre des buissons voisins émergeaient du sol les pattes crochues et les yeux globuleux de deux... non, trois autres petits monstres. Snow réagit immédiatement, se plaçant entre eux et le danger, brandissant ses poings.
« Je m'en charge ! Reculez, les jeunes !
-Ne restez pas ici, aboya Lightning. Nous allons avoir besoin de professionnels aptes à gérer ce genre de situation. Ce n'est plus du ressort d'enfants. Dépêchez-vous de sortir de la jungle. Courez jusqu'à la plage la plus proche !
-Hé, je peux me battre, vous savez », protesta Tidus en ramassant une branche d'arbre.
Mais Lightning le repoussa d'un geste sec.
« Non ! Allez-vous-en, vite ! On se retrouve au quai ! »
Ce fut la débandade. Dans un fracas de pieds frappant la terre et un méli mélo de membres agités en tous sens, tous se ruèrent dans la direction d'où ils venaient. Naminé demeura une demi-seconde figée sur place, observant Lightning et Snow asséner des coups aux Ombres qui disparurent en fumée, avant d'imiter les autres au moment où de nouveaux Sans-cœur naissaient des profondeurs de la jungle tout autour d'eux.
Elle entendait les autres qui criaient et qui couraient devant elle. De temps à autre, à travers des fougères ou des lianes tombantes, elle apercevait la tête d'un de ses camarades en pleine course, qui disparaissait de nouveau derrière un voile végétal ou par un coude du sentier. Une branche basse lui griffa la jambe. Elle avait à peine couru une minute qu'elle se prit les pieds dans un enchevêtrement de racines, glissa sur le sol humide et, avec tout juste le temps de pousser un cri étranglé, dérapa et traversa les fourrés sur sa droite.
Elle atterrit lourdement sur le flanc. Une douleur vive la traversa mais elle eut à peine le temps d'en prendre conscience que son corps affaissé dévalait une pente douce. De la mousse et de la terre lui entrèrent dans les narines ; un goût de végétation s'installa dans sa bouche. Complètement désorientée, la jeune fille ne put entraver sa chute et poursuivit sa course jusqu'au fond du ravin. Son corps tourna sur lui-même une dernière fois avant de la laisser étendue sur le dos dans la boue, le visage tourné vers les feuillages loin, loin au-dessus de sa tête.
Naminé se releva lentement en grimaçant. Elle s'examina rapidement : de la terre maculait ses vêtements, ses bras et ses jambes, elle avait mal partout et se savait bonne pour recevoir une multitude de bleus, mais elle ne semblait rien avoir de cassé. Des pentes couvertes de végétation dense l'encadraient de part et d'autre. Elle avait manifestement traversé plusieurs buissons pour arriver jusqu'ici. Et, à part les craquements habituels d'une forêt et les chants d'oiseaux, elle n'entendait plus rien. Certainement pas la course de ses amis.
Évidemment... Il fallait qu'elle se mette dans de beaux draps, comme à chaque fois. Bon, si elle suivait ce ravin, elle se retrouverait bien dans la même direction que les autres, non ?
Naminé commença à avancer, les jambes flageolantes. Elle se mordait la lèvre, jetant fréquemment des regards autour d'elle, mais la forêt était identique à l'ordinaire.
Que faisaient les Sans-cœur ici ? Il n'y avait aucun doute, c'était sans aucun doute la faute de l'Organisation XIII. C'était eux qui créaient artificiellement des Sans-cœur afin de voler des cœurs et les envoyaient à travers les mondes. Les Îles du Destin, sans doute, ne les intéressaient guère vu le faible nombre d'habitants, mais les Sans-cœur étaient incontrôlables. Il ne faudrait pas longtemps avant qu'ils envahissent l'univers entier...
Naminé s'efforça de se calmer. Ne pas céder à ces sombres pensées. Pour l'instant, il fallait sortir d'ici. Regagner la ville. Retrouver les autres... et sortir d'ici...
« Hé, Kairi ! »
Naminé leva les yeux en entendant le cri. Sur sa gauche, Selphie descendait tant bien que mal la pente, se frayant un chemin entre les branches basses et les buissons avec une grimace. Ses yeux reflétaient le soulagement qui avait pointé dans le cœur de la jeune fille à sa vue.
« T'étais passée où ?! s'écria Selphie, hors d'haleine, en se démenant pour la rejoindre. Je te voyais plus derrière moi !
-Oh, euh... J'ai glissé et je suis tombée là, avoua Naminé avec un sourire gêné. Merci d'être venue me chercher.
-Enfin bref, il faut absolument y aller ! s'exclama Selphie en lui attrapant la main. Mon dieu, qu'est-ce que c'étaient que ces monstres ? Tu te rends compte ? »
Tout en parlant, elle l'entraînait le long du ravin où le sol, davantage dénudé et rocheux, était plus praticable que les sentiers se perdant dans la végétation.
« T'en avais vu la nuit de la tempête, t'as dit ? poursuivait-elle. Ils t'ont pas attaquée au moins ?
-Non... Non je les avais juste vus... de loin...
-Ah très bien... J'espère que les autres vont bien... »
Le sol se mua peu à peu en boue qui les éclaboussa quand elles poursuivirent leur course. Bientôt, un petit cours d'eau apparut à leurs côtés, accompagné d'une forte odeur d'humidité. Elles passèrent un coude du chemin et se retrouvèrent nez-à-nez avec une petite mare qui prenait toute la largeur du ravin, leur coupant le passage. En face d'elle, de l'autre côté, une petite cascade d'une demi-douzaine de mètres s'y déversait joyeusement du haut d'un amoncellement de rochers couverts de mousse fermant l'extrémité du ravin.
« Ahh on va devoir remonter, se plaignit Selphie en regardant sans grand enthousiasme les pentes adjacentes encombrées de fourrés au moins aussi hauts que leurs épaules. C'est galère... J'espère qu'on s'est pas perdues...
-Attends. » Fronçant les sourcils, Naminé fixa la cascade. Il lui semblait... il lui semblait voir une forme sombre derrière. « Je crois qu'il y a quelque chose derrière la cascade.
-Hein ? Encore un monstre ? s'affola Selphie.
-Non... » Un curieux pressentiment. « Attends. Je vais voir. »
Naminé lâcha la main de Selphie et s'efforça de contourner la mare. Elle sentait l'impatiente de la jeune fille dans son dos, qui ne désirait rien d'autre que se tirer d'ici. Ses pieds entrèrent dans une eau peu profonde et la vase se glissa entre ses orteils. Elle se faufila sous le jet bruyant de la cascade. Une myriade de gouttelettes l'éclaboussèrent de la tête aux pieds.
Elle avait vu juste. Il y avait un très léger renfoncement de pierre entre la marre et les rochers, dissimulé derrière le rideau d'eau. Et allongé face contre terre reposait... le corps inerte de Serah.
Naminé dut prendre une seconde pour se contrôler. Elle avait réussi ! Elle avait trouvé leur amie disparue ! Mieux, Serah n'était pas devenue un Sans-cœur ! Précautionneusement, elle la rejoignit et s'agenouilla à ses côtés, le cœur battant.
La jeune fille ne bougea pas. Son teint était blafard, et Naminé crut avec une pointe d'horreur que le pire était arrivé, avant de trouver son pouls. Son débardeur blanc était maculé de traces de crasse, de même que son pantalon noir et rose. Aucun sac à dos ou effet personnel à ses côtés... elle avait du mal à croire que la jeune fille soit partie au cœur de la jungle les mains dans les poches.
Mais ce fut surtout ce qu'elle sentit, ou plutôt qu'elle ne sentit pas, qui la pétrifia.
« Kairi, qu'est-ce que tu... Oh ! C'est Serah ! »
A grand renfort d'éclaboussures, Selphie la rejoignit et se jeta à ses côtés. L'air inquiète, elle secoua doucement l'épaule de la jeune fille.
« Serah ! Serah ! Réveille-toi ! Oh, tu crois qu'elle...
-Elle va bien, murmura Naminé. Son cœur bat encore... Son cœur...
-Tu crois qu'elle est blessée ?! Ah, comment on va faire pour la sortir de là ? Il faut aller chercher les autres... Pourquoi j'ai pas pensé à prendre un téléphone... »
Naminé ne l'écoutait plus que d'une oreille distraite, réfléchissant à toute vitesse. Elle ne sentait plus son cœur. Serah avait perdu son cœur. Cela ravivait des souvenirs familiers. Mais alors, pourquoi n'était-elle pas devenue un Sans-cœur ? Pourquoi son corps subsistait-il ? Ce n'était pas un Simili, elle en était certaine. Non, c'était comme avec Kairi. Et pourtant, Serah n'était pas une Princesse de Cœur
Elle savait vaguement que, parfois, certaines personnes dotées de dons spirituels pouvaient envoyer leur cœur hors de leur corps dans une sécurité relative. Était-ce ce qui s'était passé ? Et dans ce cas, où pouvait bien se trouver le cœur de Serah ?
Ne panique pas, se dit-elle, déterminée. Tu vas pouvoir le faire. C'est le moment d'utiliser tes pouvoirs pour aider les gens. Tu vas pouvoir retracer le chemin de son cœur.
