La lune et les étoiles

St Paul, 11 Août 1995

Buck avait grandi.

Après son premier mot, étaient venus les premiers pas, les premières dents et les premières bêtises. Bobby lui posait les limites dont il avait besoin, tout en veillant à ce qu'il vive sa vie d'enfant, le laissant découvrir par lui-même et le remettant sur le bon chemin quand il le fallait.

Il devait avouer qu'il n'avait pas la vie facile.

Ses collègues et amis de la caserne étaient toujours prêt à préparer un mauvais tour avec Buck dans leur sillage. Le pire de tous étant Ray, qui complotait carrément avec Buck dans son dos.

Mais Buck était heureux et épanoui et finalement, c'était tout ce qui comptait.

Il lui jeta un œil alors qu'il était en train de faire l'inventaire du camion. Buck était assis par terre en train de jouer avec un camion de pompier flambant neuf que lui avait offert Ray.

Son ami le gâtait trop.

Buck était en slip et débardeur. Bobby voulait profiter de la chaleur de l'été pour lui apprendre la propreté et Buck avait déjà mouillé plusieurs slips, mais Bobby ne désespérait pas.

Il allait y arriver.

Son petit garçon avait déjà compris qu'il ne porterait plus de couches la journée et il signalait à présent quand il avait envie. Mais voilà, Buck détestait le pot. Il refusait de s'asseoir dessus ce qui rendait l'apprentissage plus difficile.

Il était devenu un champion dans l'art de le cacher dans tous les coins et recoins de la caserne et Bobby faisait attention à le garder bien en vue alors que Buck jouait comme toujours non loin de lui.

Buck avait appris à s'occuper seul depuis son plus jeune âge, tout ce qu'il voulait c'était rester à ses côtés. Il allait aussi volontiers se promener avec chacun des membres de la caserne et il n'était pas rare d'entendre un de ses collègues crier à travers la caserne que Buck était avec lui pour qu'il ne le cherche pas.

C'était devenu une habitude.

Buck s'était acclimaté à sa nouvelle vie et Bobby ne savait toujours pas qui étaient ses parents biologiques, ni pourquoi ils avaient tenté de le tuer alors qu'il était encore si jeune. Il ne pouvait pas imaginer une seconde, quel genre de personne pourrait faire ça. Et pourtant avec son métier, il rencontrait souvent des personnes franchement mauvaises.

– Hey, gamin, lâcha soudain Ray en venant le rejoindre. Tu as bientôt terminé ?

– Ouais, encore quelques sacs à vérifier, admit Bobby en jetant un œil à Buck qui courait derrière son camion.

– Un coup de main ?

Bobby plissa les yeux mais l'invita en silence à l'aider à finir.

Ray n'était pas le plus efficace dans les inventaires et même Dana l'avait banni de celui de l'ambulance et pourtant elle l'aimait.

Dieu, cette femme était une sainte.

– Donc, tu voulais me parler de… ?

– Oh, tu as deviné ? s'étonna Ray.

– Tu détestes les inventaires, lui rappela Bobby en poursuivant son travail.

– Ouais, c'est vrai, admit-il en se grattant l'arrière de la tête comme un gamin pris en faute.

– Donc ?

– Ouais, je… Voilà, tu sais avec Dana, ça fait un moment qu'on est ensemble maintenant.

– Presque trois ans, acquiesça Bobby. L'âge de Buck.

– Ouais, on est ensemble depuis qu'il fait partie de nos vies, confirma Ray.

Et Bobby connaissait l'histoire en long, en large et en travers tellement son ami la lui avait racontée. Il avait été loin d'imaginer que la façon dont Buck était arrivé dans leur vie ne l'avait pas seulement perturbé lui, mais aussi tous les membres de la caserne.

Le capitaine s'était remarié et avait un enfant en route, lui qui avait juré qu'il n'y aurait jamais de troisième mariage. Mike et Sacha cherchaient une relation sérieuse alors qu'ils avaient toujours aimé jouer de leur pouvoir de séduction. Robbins avait eu un bébé, le cinquième, six mois plus tôt, avec son ex-femme, redevenu madame Robbins dans l'intervalle.

Mais la plus belle réussite de l'arrivée de Buck était sans conteste la réunion de Ray et Dana. Ray lui avait raconté comme Dana avait pleuré entre ses bras cette nuit-là, alors qu'ils étaient encore meilleurs amis. Aucun des deux n'arrivait à comprendre pourquoi Buck avait atterri là, ni pourquoi personne ne semblait avoir signaler sa disparition.

Ils avaient fini par s'embrasser et la suite, Bobby ne voulait pas le savoir.

Il avait l'impression d'entendre ses parents parler de leurs relations sexuelles et il ne voulait surtout pas entendre ça.

Il finirait, certainement, traumatisé.

– Et…, poursuivit Ray. Je crois qu'il est temps.

– Temps pour quoi ? s'étonna Bobby.

– Le temps de me le lancer, de lui faire LA demande, tu vois ?

– Oh, comprit-il. Tu veux l'épouser ?

– Ouais, sourit-il. Je sais, elle mérite beaucoup mieux que moi mais je l'aime à en crever. Et… ouais, elle mérite que je m'engage complètement.

– Alors fais-le !

– Ouais ?

– Evidemment. Vous vous aimez, vous avez trouvé l'un chez l'autre ce qui vous manquait pour être épanouis. Vous êtes heureux ensemble.

– Merci gamin, lui sourit-il. Je crois que j'avais besoin d'entendre ça.

Bobby posa sa main sur son épaule avec un sourire.

– Et puis, je vais avoir besoin de ton aide pour la bague, tu sais que je n'ai aucun goût dans ces choses-là.

– Ce n'est pas le boulot de ton témoin, sourit-il.

Ray haussa un sourcil et Bobby comprit ce qu'il essayait de lui dire et son sourire s'effaça laissant la place à l'incrédulité.

– Moi ? demanda-t-il en confirmation.

– Je ne vois pas meilleur choix, confirma Ray.

– Je ne sais pas quoi dire.

– Bah dis que tu es d'accord, proposa nerveusement Ray.

– Bien sûr que je suis d'accord, lâcha-t-il en le serrant dans ses bras. Je suis content pour toi, pour vous.

– Elle n'a pas encore dit oui, lui rappela-t-il.

– C'est une formalité, affirma Bobby.

– Papa ? demanda soudain Buck à leurs côtés. Pipi.

Bobby se dégagea et sourit à son fils qui dansait d'un pied sur l'autre. Visiblement, c'était urgent. Il le prit dans ses bras et se dirigea vers le pot avant de se figer.

– Buck, gronda-t-il. Où est ton pot ?

– Sais pas, mentit le petit garçon. Il a disparu. Pffuit !

– Buck, le prévint-il.

– Papa, s'il te plait, pipi, vite !

Bobby lui fit son regard sévère qui généralement suffisait à le faire craquer mais Ray attrapa soudain Buck dans ses bras et une caisse à outils et disparu dans les toilettes, en criant que le pot n'était pas indispensable quand on disposait de toilettes faites pour ça.

Bobby soupira et les suivit.

Il découvrit Buck les fesses à l'air, debout sur la caisse à outils, devant un urinoir, qui regardait Ray, incertain.

– Allez mon pote, l'encouragea-t-il. Tu attrapes ton tuyau, tu vises et tu ouvres les vannes. Comme un vrai pompier.

Bobby allait lui dire que Buck n'avait pas encore apprit à faire pipi debout quand soudain un long jet d'urine frappa la faïence de l'urinoir. Bobby ressenti un élan de fierté alors que Buck se débrouillait tout seul pour la première fois.

– Oh ouais, un futur pompier, je te le dis-moi, confirma Ray en riant.

Bobby devrait penser à lui demander d'arrêter de mettre cette idée dans la tête de son fils. Il n'arrêtait pas de dire à tout le monde qu'un jour il serait pompier lui aussi. Buck se tourna vers Ray pour lui sourire et celui-ci se figea.

– Non, sérieusement ? demanda Ray en voyant le jet d'urine atterrir sur le bas de son pantalon.

Buck se figea d'horreur, en se rendant compte de sa bêtise.

Il baissa la tête et se mit à pleurer. Ray l'attrapa dans ses bras avant même qu'il ne puisse faire un pas, le serrant contre lui.

– Ça va aller mon pote, ce n'est pas grave, le rassura-t-il. C'était accident. C'était ta première fois comme les grands, et je reste super fier de toi. Regarde ton papa, comment il est fier de toi lui aussi.

– Super fier, confirma Bobby en les rejoignant.

– Mais je t'ai fait pipi dessus, hoqueta Buck.

– Ce n'est rien mon pote, lâcha-t-il. Tu sais quoi ? Cet uniforme a vu des choses des milliers de fois plus dégoutantes que ton pipi.

– Alors, tu m'aimes toujours ?

Bobby passa sa main dans le dos de son fils pour l'aider à se calmer mais il laissa Ray répondre à sa question. C'était important que ça vienne de lui.

– Je t'aime toujours aussi fort que la lune, souffla-t-il.

– Et les étoiles ? demanda Buck.

– Aussi fort que la lune et les étoiles, sourit Ray.

Ils sursautèrent tous quand l'alarme se déclencha.

Bobby récupéra Buck et laissa tout le monde partir. Il attrapa le slip de son fils et l'aida à l'enfiler. Puis, ils retournèrent dans la baie à présent vide et Bobby eut du mal à ne pas rire en découvrant le pot de Buck réduit en miettes au milieu du hangar.

Son fils lui jeta un regard, attendant de voir sa réaction.

– Et bien, lui lâcha-t-il. Je suppose que nous n'en n'aurons plus besoin.

Le sourire que lui fit Buck valait tout l'or du monde.