Chapitre 22 - Lughnasadh / Le sommet du monde
Le lundi après-midi consista principalement à poursuivre les cadavres traînants réveillés par un nécromancien à Slough. Drago avait parfois du mal à distinguer les cadavres des honnêtes citoyens de Slough, mais c'était une histoire pour un autre jour.
Il arriva à Pré-au-Lard pour retrouver Granger à seize heures pile. Il trouva le village extrêmement calme. La plupart des commerçants était en vacances et les villageois restants s'étaient repliés chez eux pour fuir la chaleur.
Drago arrangea précipitamment le devant de ses robes pour qu'elles tombent bien sur son torse, laissant deviner de robustes pectoraux. Il passa une main dans ses cheveux pour s'assurer qu'ils avaient bien l'air ébouriffés, comme il convenait à un Auror ayant eu des activités rudes et viriles.
Puis il s'appuya contre un lampadaire pour attendre Granger, ayant l'intention d'avoir l'air décontracté et indifférent.
Ce fut ruiné par Granger qui transplana presque sur lui.
Ils tombèrent et se dépétrèrent l'un de l'autre avec des exclamations.
"Il fallait que tu choisisses précisément ce centimètre carré pour transplaner ?" demanda Drago avec irritation, époussetant ses robes.
"Tu ne pouvais pas trouver un autre endroit pour te prélasser que l'artère principale ?! Vraiment ?" Granger se reprit. "Je pense que mon pied a tapé ta rate."
"Je l'ai senti."
Ils se relevèrent et se regardèrent l'un l'autre dans une sorte d'évaluation mutuelle. Cela faisait presque un mois qu'ils ne s'étaient pas vus. Granger avait de nouveau cet air d'être au bord du burn-out - les cernes profonds sous ses yeux, les traits tirés.
Elle portait une robe d'été jaune, comme si sa joyeuseté insupportable pouvait amoindrir sa fatigue.
Ce n'était pas le cas.
"Tu as l'air au bout du rouleau," dit Drago.
"Merci. Puis-je m'enquérir de la raison pour laquelle tu as un globe oculaire drapé autour des épaules ?"
Drago baissa les yeux. L'un des cadavres duquel il s'était récemment occupé avait laissé un œil et un long nerf optique enroulé à l'arrière de son bras, ruinant l'effet de son air détendu.
"En effet," dit-il, le faisant disparaître. "Un souvenir de la mission de ce matin."
"Il ne va pas manquer à son propriétaire ?"
"Il était mort, donc non."
Les yeux de Granger ratissèrent le reste de sa personne, mais il n'y avait pas d'autres morceaux de corps en vue. Elle fit un geste vers la route. "On y va ? Imra a accepté de me rencontrer à 16h15."
"Irma ?"
"Madame Pince."
"Elle est encore en vie ? Merlin, j'avais oublié l'existence de cette vieille chouette."
Ils marchèrent. Drago fit une introspection et fut heureux de constater qu'il ne ressentait aucune de ces mièvreries qui l'avaient tant terrifié. Il appréciait simplement la vue des jambes de Granger, ce qui était assez normal. Ouais. Elle avait de belles jambes.
Drago remarqua qu'il n'y avait aucune déblatération d'informations à son intention, pas de Regarde, Malefoy, pas de galop à travers les sous-bois pour lui montrer une feuille. Peut-être que Granger était fatiguée - c'était, de ce qu'il savait, son premier jour de congé depuis le solstice d'été. Et ces vacances-là n'avaient guère été reposantes : trop de nonnes mortelles.
Mais il y avait plus que de la fatigue : il y avait aussi une sorte de réserve qui se dégageait d'elle. Elle gardait ses distances. Il se demanda, dans une idée folle, si elle aussi avait remarqué un Quelque chose, et si cela l'avait effrayée autant que lui.
Peut-être qu'elle aussi, réprimait des choses.
Cette théorie était stupide et basée sur rien d'autre que des spéculations, mais il y avait néanmoins quelque chose de réconfortant à cette idée.
Ils arrivèrent devant les grilles de Poudlard, qui s'ouvrirent à leur approche. Les vieilles grilles et les ours ailés semblaient bien moins impressionnants que dans les souvenirs de Drago.
"Es-tu revenu ici depuis nos ASPIC ?" demanda Granger, l'observant du coin de l'œil.
"Non," dit Drago. "Toi ?"
"Quelquefois - la plupart du temps pour saluer les professeurs, ou pour la bibliothèque."
Le trajet entre Pré-au-lard et l'école sembla risiblement court. "A-t-on vraiment utilisé des diligences pour couvrir cette distance ? Il n'y a même pas dix minutes de marche."
"Je suppose que c'est loin pour les petites jambes d'un enfant de douze ans," dit Granger.
"Tout semble petit."
"Je sais."
Alors que le château lui-même apparaissait à la vue au détour d'un virage, Drago fut content de voir qu'il avait gardé cette aura de magie et de mystère - même si, lui aussi, semblait plus petit que dans ses souvenirs.
"Ça sent toujours pareil," dit Drago alors qu'ils traversaient le Hall d'entrée. "Le bois, la vieille pierre, l'école."
"Meilleur, plutôt," dit Granger en prenant une inspiration. "Pas de horde d'enfants crasseux pendant l'été. Quand je suis venue l'hiver dernier, il y avait définitivement une odeur d'adolescent dans l'air."
Ils étaient désormais dans le château à proprement parler. Drago n'était pas particulièrement enclin aux souvenirs nostalgiques, mais il avait passé de nombreuses années heureuses ici (et deux années horribles) et il apprécia de se promener dans les vieux couloirs. Eux aussi avaient l'air plus étroits que dans sa jeunesse. Il se souvenait des armures qui le dominaient ; maintenant il les dépassait.
Ils jetèrent un coup d'œil dans la Grande Salle, où se trouvaient les quatre tables des Maisons, éraflées et nues, attendant le premier septembre. La salle avait toujours semblé si grandiose, les tables presque interminables. Maintenant, Drago n'était pas certain de pouvoir se faufiler sur l'un des bancs des Serpentard sans se cogner le genou.
Le plafond enchanté était du bleu profond du plein été.
Ils continuèrent à passer devant des salles de classe vides qui sentaient la craie et l'accumulation d'années d'encre renversée. Le soleil rayonnait à travers les fenêtres poussiéreuses.
Granger devint visiblement excitée alors qu'ils approchaient de la bibliothèque, même si elle faisait de son mieux pour se contenir. Lorsqu'elle atteignit les lourdes portes, elle s'arrêta pour frotter sa paume contre la poignée usée.
Elle poussa les portes et l'odeur de la bibliothèque vint à eux : vieux livres, vélin, cuir déchiré et poussière.
C'était puissant. Drago avait de nouveau quatorze ans. "Je me sens comme si j'avais un devoir de Potions à rendre," dit-il.
Un sourire fendit le visage de Granger. "Moi c'est un devoir de Métamorphose."
Madame Pince les observait approcher depuis son bureau. Drago était à peu près convaincu qu'elle portait toujours le même chapeau et les mêmes chaussures pointues que lorsqu'ils étaient étudiants. Il s'attendait presque à ce qu'elle le réprimande pour avoir parlé.
Elle aussi, avait l'air petite.
Granger fut saluée par Madame Pince presque chaleureusement - une chaleur du genre pincée et un peu réticente. Drago fut observé avec surprise, doublement parce qu'il était avec Granger.
"Drôle de genre d'associé," renifla Madame Pince.
"C'est pour le boulot," dit Granger.
Pince tendit à Granger une fiche d'enregistrement. "Le Manuscrit d'Ypres. Je sais que vous savez manipuler des livres rares, Miss Granger, mais soyez particulièrement prudente avec celui-ci. J'ai enlevé les protections pour vous."
Granger la remercia et ouvrit la voie à Drago vers la Réserve, qui abritait la majeure partie de la collection de Rogue.
L'air devenait de plus en plus étouffant et pressait leurs oreilles à mesure qu'ils s'enfonçaient de plus en plus profondément dans la bibliothèque. Quelle que soit la ventilation rudimentaire qui refroidissait le château, elle n'atteignait pas l'intérieur de la bibliothèque. Il faisait chaud. Et les allées avaient-elles toujours été aussi étroites ?
"Une allée de premier choix pour se rouler des pelles, ici," dit Drago dans le silence. "Pince ne pouvait pas entendre."
"Je me souviens," dit Granger.
"Vraiment ?"
Granger lui jeta un regard. "Tu n'as pas besoin d'avoir l'air si surpris."
"Plutôt curieux," dit Drago. "Ça devait être un garçon courageux. A moins que ça n'ait été Weasley. Il ne compte pas. Il ne sait pas, en tout cas."
"Ne sois pas méchant," le reprit Granger. "Mais non - Ron n'était pas mon premier. Viktor a eu cet honneur."
"Viktor ?"
"Krum."
Drago siffla. "Bien pour Viktor."
Granger s'était arrêtée dans un endroit sombre entre deux allées. "Juste là, si je ne me trompe pas. Ces étagères offraient de bonnes prises pour les mains."
"Toutes les histoires que ces allées pourraient raconter."
Granger lui jeta une sorte de regard désabusé. "Je suis sûre qu'elles auraient des histoires aussi grivoises à raconter sur toi."
Drago fit un rictus au lieu de répondre.
Elle détourna le regard.
Elle avait raison, bien sûr. De nombreuses explorations adolescentes s'étaient produites parmi ces étagères. Sa première fellation, pensa-t-il, à moins que cela n'ait eu lieu dans la salle commune ? Il ne s'en souvenait pas. Mais il se souvenait de nombreux ébats avec des filles en jupes courtes par ici, les poussant contre les livres, langues et doigts se cherchant avec maladresse.
Et maintenant, il était de nouveau là, mais la seule jupe à poursuivre était celle de Granger. Son regard se posa sur ses fesses et ses jambes alors qu'elle marchait devant lui, jusqu'à ce qu'il se surprenne à se demander à quoi elle ressemblerait appuyée contre les livres, alors il se pinça mentalement l'oreille. Non, il ne ferait pas ça. Il réprima.
Il commençait à transpirer. Il jeta un sort de refroidissement sur lui-même, puis sur Granger, par derrière. Elle couina de surprise alors que ses bras se recouvraient de chair de poule.
"De rien," dit Drago, en réponse à son regard noir.
La Réserve avait été agrandie pour y exposer la collection de livres de Rogue, mais sinon, elle ressemblait à peu près à ce qu'elle avait toujours été. Drago agita sa baguette par curiosité, souriant alors qu'il éclairait les différentes protections vicieuses et les malédictions éparpillées parmi les étagères.
"Pince a un don pour ça, je lui accorde," dit Drago. "Elle a peut-être manqué sa vocation de nonne."
"Tu devrais lui suggérer, ça serait drôle."
"Drôle ? Elle me donnerait un coup de pied dans les parties avec ses chaussures pointues."
"Je n'ai pas spécifié pour qui ça serait drôle."
Granger s'accroupit pour chercher son livre. Quand elle le trouva, elle le souleva pour l'emporter jusqu'à une table de lecture.
Elle s'arrêta pour repousser une mèche de cheveux trempés de son front. Au lieu de s'installer pour lire, comme Drago s'y était attendu, elle sortit simplement son téléphone et commença - s'il ne se trompait pas - à prendre des photos des pages intéressantes.
Le problème avec Granger était qu'elle apportait toujours de nouvelles intrigues. Elle ne l'ennuyait jamais. Pourquoi ne pouvait-elle pas l'ennuyer ? Cela serait plus facile pour toutes les parties si elle n'était pas perpétuellement en train de le stimuler. (Intellectuellement, évidemment.)
"Comment diable cette chose peut-elle fonctionner dans Poudlard ?" demanda Drago.
"Hum ? Oh," dit Granger, retournant le téléphone.
L'un de ses palets anti-magie était attaché au dos.
"J'avais oublié l'existence de ces choses."
"Terriblement utile. Je ne peux pas vivre sans mon téléphone."
Granger se pencha au-dessus de la table pour prendre les photos. Drago ne la regarda pas. En fait, il se détourna d'elle et fit apparaître un miroir pour tenter de sauver ses cheveux.
"Il serait beaucoup plus facile pour moi d'analyser ce manuscrit chez moi," dit Granger. "Mais Madame Pince ne me laisserait jamais l'emmener hors de la bibliothèque. Donc je fais la deuxième chose la plus simple - des photos. Ne lui dit pas. Elle va penser que je vole l'âme du livre, ou quelque chose du genre."
"D'accord. Je suis plutôt content que tu ne t'installes pas pour lire. Je transpire comme un bœuf," dit Drago, enlevant ses robes et ouvrant son col.
Granger lui lança un autre charme rafraîchissant, puis un sur elle. Elle releva ses cheveux en chignon au dessus de sa tête et y planta sa baguette.
Drago, ayant fait de son mieux avec sa propre coiffure, se plaça derrière elle pour observer le manuscrit. Il contenait des diagrammes de procédures médicales et des patients médiévaux dans différents états de détresse.
Il nota que Granger restait à bonne distance de lui, même si elle restait désinvolte à ce sujet. S'il approchait, elle trouvait une raison de partir de l'autre côté de la table. S'il l'y rejoignait, elle refaisait le tour pour prendre ses photos d'un autre angle.
Devait-il en être offensé ? Devait-il en être content ? Il ne savait pas. Il se sentait offensé, mais c'était parce que les sorcières ne fuyaient généralement pas sa proximité.
"Est-ce que je sens le cadavre ?" demanda Drago.
"Quoi ?"
"Moi. Odeur de cadavre en décomposition. Oui ou non ?"
"Non," dit Granger avec un rapide coup d'œil vers lui. Elle retourna à ses photos.
"Bien," dit Drago.
Quand il s'approcha de nouveau d'elle - ostensiblement, pour examiner une illustration - elle ne bougea pas. Donc elle avait compris. Dans quel but avait-il fait cela, il n'en était pas certain.
Granger fit quelques photos supplémentaires, prit un moment pour les examiner sur son téléphone, puis se déclara satisfaite. Elle ferma le manuscrit avec un grand soin puis partit le remettre en place.
"C'est tout ?" demanda Drago.
"Oui. Je t'avais prévenu que ça serait ennuyeux," dit Granger, menant la marche pour sortir des allées. "Tu n'aurais pas dû t'embêter à venir."
Drago haussa les épaules. "C'est un changement agréable, la compagnie des vivants. Tu as légèrement plus de vitalité qu'un cadavre traînant."
"Tu as un tel don pour les mots," répondit-elle sèchement. "Ça me tue."
Drago fut incapable de poursuivre ce nouveau tournant intéressant de la conversation parce que Madame Pince apparut de derrière une étagère. "Fini ? Déjà ?!"
"Oui," dit Granger. "Je viens juste de le remettre en place ; il est prêt à recevoir vos protections. Merci encore d'être venue pendant vos vacances juste pour moi. Je suis extrêmement reconnaissante."
"Toujours un plaisir," dit Pince, mais elle avait l'air profondément suspicieux. "Je pensais que vous seriez là pendant quelques heures, au moins."
"Oui, hé bien - je n'avais qu'un seul chapitre à consulter, rien de plus."
"Vous avez l'air- plutôt trempée."
"Oui, il fait chaud ici."
"Je vois. Vous avez été très vite. Pour le manuscrit, je veux dire."
"Oui. Comme je vous ai dit, ma recherche était plutôt spécifique."
"Hmm," dit Pince, plissant les yeux et devenant, si c'était possible, encore plus pincée. Son regard passa de la pellicule de transpiration qui les recouvrait tous les deux, à l'état relativement peu habillé de Drago, à son col déboutonné et à ses robes jetées en travers de son bras. "La bibliothèque sert à lire, vous savez."
"En effet," dit Granger, clignant des yeux.
"Lire et faire des recherches. Pas d'autres activités."
Granger eut l'air de suspecter que Pince était devenue légèrement folle. "Tout à fait. Euh - je suppose qu'on ferait mieux d'y aller."
"Je suppose, oui," dit Pince. Son regard passait maintenant du visage de Drago à ses cheveux, son col, puis sa braguette.
Ils quittèrent la bibliothèque sous le poids de son regard.
"Que diable lui a t'il pris ?" demanda Granger, quand ils furent en sécurité derrière les portes.
"Est-elle devenue un peu folle ?" demanda Drago. "A-elle vraiment regardé mon paquet ?"
"Elle l'a regardé."
"Je suis perturbé."
"Moi aussi. Je me demande ce qui- "
Ils réalisèrent en même temps en se tournant l'un vers l'autre.
"Insinuait-elle que nous faisions des choses ?" s'exclama Granger, consternée.
Drago regarda en arrière vers les portes de la bibliothèque. "Je pense qu'elle a cru qu'on venait pour un coup rapide."
Granger pivota si rapidement sur elle-même que sa robe vola en un cercle autour de ses cuisses. "Je vais y retourner pour mettre les choses au clair avec elle."
"Et si on se trompe ?"
Granger s'arrêta. "Tu crois qu'on se trompe ?"
"Je ne sais pas ? Peut-être qu'elle avait juste envie de regarder mon paquet."
Granger leva la main. "Assez avec ton paquet. On a des choses plus importantes à faire."
"Excuse-moi."
"Et si on a raison et qu'elle… qu'elle le dit à quelqu'un ?" demanda Granger avec une inspiration horrifiée.
"Ça, ça serait drôle."
"Drôle ? Non. Imagine si elle le dit à McGonagall."
"Je n'ai pas spécifié pour qui ça serait drôle."
"Si tu veux m'imiter, baisse d'un octave, c'était perçant." Granger retourna à grands pas vers la bibliothèque. "Et pourquoi elle ne transpirait pas, elle ?" demanda-elle par-dessus son épaule.
Amusé par la tournure des événements, Drago attendit que Granger 'mette les choses au clair'. Il s'adossa près d'une armure affalée, pressant son dos contre la pierre fraîche. Quelques sorts de séchage vinrent à bout de la plus grosse partie de l'humidité de ses aisselles. Peut-être qu'il ne sentait pas le cadavre, juste la transpiration.
Granger était de retour. Sa démarche était tempétueuse alors qu'elle descendait le couloir. L'armure à côté de Drago se redressa et fit un salut.
"Alors ?" demanda Drago.
"Elle est partie," dit Granger. "Je ne l'ai pas trouvée. Elle a dû sortir par l'entrée est."
"Ecrit lui une lettre," dit Drago en haussant les épaules.
Granger se tourna vers lui. "Une lettre ?! Vraiment ?! Tu veux que je mettes ces absurdités par écrit ? Chère Madame Pince, vous avez regardé le paquet de Malefoy alors nous avons cru que vous en aviez tiré certaines conclusions, mais soyez informée, s'il vous plaît, que nous n'avons pas couché ensemble dans la bibliothèque ? Cordialement, Hermione ?"
Drago fut incapable de réprimer un rire. Il s'éloigna d'elle, sentant qu'il serait plus prudent d'être hors de portée d'une gifle.
"Je suis enchantée que l'un de nous deux au moins s'amuse," dit Granger, marchant derrière lui avec des flammes dans les yeux.
Drago s'arrêta soudain. Granger lui fonça dedans.
"Aïe - qu'est -"
"Ma salle commune," dit Drago, montrant une volée de marches sur la droite. "Par ici. Allons-y."
"Non. Je suis venue ici avec la permission explicite d'utiliser la bibliothèque, pas d'emmener Drago Malefoy dans une visite nostalgique du château. Et si Rusard nous attrape ?"
"Et si Rusard nous attrape ?" répéta Drago en descendant les marches. "Oh, il nous enverra droit en retenue, j'imagine."
Il leva les yeux pour voir que Granger avait une main sur la hanche. À présent, c'était elle qui avait de nouveau quatorze ans. Elle avait l'air d'attendre qu'un Préfet apparaisse pour qu'elle puisse le dénoncer et lui faire enlever des points.
Drago continua à descendre les escaliers. Il entendit l'exclamation d'irritation de Granger, puis, finalement, ses pas qui le suivaient.
Il faisait remarquablement plus frais dans les étages inférieurs du château. Les habitants des portraits familiers s'animaient sur leur passage, leur faisant signe ou laissant s'échapper un commentaire. "Hermione Granger et Drago Malefoy ! Ils sont adultes maintenant !" s'écria une enchanteuse médiévale qui les suivit à travers différentes peintures. "Regardez-les !"
"Quelqu'un a dit Drago ?" dit une voix au ton narquois. Un sorcier aux cheveux noirs et avec un bouc passa la tête dans le cadre d'un portrait.
"Salut, Phineas," dit Drago.
"Que fais-tu ici avec elle ?" demanda Phineas, avec un signe de tête vers Granger.
"Je travaille," dit Drago.
À présent, un chevalier galopait vers eux le long d'un étroit paysage marin. "Ah ! Hermione Granger ! Bienvenue, ma dame ! Bienvenue !"
Granger, qui ne cessait de regarder par dessus son épaule comme si McGonagall pourrait surgir et la réprimander, sourit à la vue du chevalier. "Sir Cadogan !"
"Vous êtes avec ce vaurien ?" dit le chevalier, pointant Drago de son épée. "Êtes-vous là sous la contrainte?"
Granger regarda Drago, comme si elle se demandait si elle devait dire oui et lui faire subit la furie d'une peinture à l'huile de 30 cm de haut. "Non, je suis là de ma propre volonté. Il s'est avéré être fréquentable."
"Vraiment ?" demanda Sir Cadogan, ouvrant sa visière pour observer Drago. "Vaillant ?"
"C'est un Auror, bougre d'idiot," dit Phineas. "Bien sûr qu'il est vaillant. Je suis sûr qu'il risque sa vie tous les jours pour des imbéciles."
"Moi ? Un bougre d'idiot ? Comment osez-vous ? Vous, Sir, êtes un vieux râleur inutile, et je vais vous couper la langue." Sir Cadogan baissa sa visière et chargea vers Phineas, qu'il s'enfuit de la peinture assez rapidement.
"Adieu, ma dame !" résonna la voix de Sir Cadogan alors que lui aussi disparaissait.
Ils arrivèrent à la classe de Potions. La porte était entrouverte. Drago entra. Rien n'avait changé, tout était juste plus petit - les pupitres gribouillés, les rangées de vieux éviers, les chaudrons alignés contre le mur du fond.
Drago marcha jusqu'à ce qui avait été sa table de travail pendant sept ans. Granger hésita à la porte, puis le suivit.
"Je me demande qui est le nouveau professeur de Potions," dit-elle en observant une étagère remplie de livres près de la porte. "Il est très moderne en tout cas, il a les travaux de Buxton et de Keynes. Rogue préférait les maîtres du dix-neuvième siècle. Un peu traditionaliste." Elle se tourna vers Drago et se rendit compte qu'il avait disparu. "Heu - qu'est-ce que tu fais ?"
Drago s'était accroupi sous son ancienne table et avait lancé un Lumos en dessous. "Ha !" dit-il.
Les genoux de Granger entrèrent dans son champ de vision, puis sa tête alors qu'elle s'accroupissait à côté de lui.
Drago lui montra la vulgaire bite gravée sous le bureau.
"Wah," dit Granger.
"J'ai laissé ma marque," dit Drago.
"Un héritage durable, c'est certain," dit Granger. Elle changea de position sous le bureau pour examiner le reste de l'oeuvre de Drago, qui consistait en ses propres initiales."
"Qu'est ce que c'est que ça ?" demanda-elle en montant une sorte de pâté rectangulaire. "Un hérisson ?"
Drago s'approcha pour étudier le mystérieux hiéroglyphe.
"Un marron ?" demanda Granger.
Drago secoua la tête et dit gravement. "Je crois que ça, c'est ce à quoi mon moi de douze ans pensait que ressemblaient les parties génitales féminines."
Granger éclata de rire.
"Un hérisson," répéta Drago avec une offense exagérée.
"Il avait un œil," dit Granger, montrant une tâche.
"La cueillette aux marrons va prendre une nouvelle tournure passionnante maintenant," songea Drago.
"J'espère que ta connaissance de l'anatomie féminine s'est un peu améliorée."
"J'ai remédié aux lacunes de mes connaissances depuis."
"J'ai quelques textes sur l'anatomie à te prêter, si tu as besoin d'aide. Pour que tu puisses savoir où caresser le hérisson."
"Ce n'est pas nécessaire, mais merci pour ta largesse d'esprit."
Granger regardait le 'hérisson' et pressait ses mains sur sa bouche pour éviter de rire encore.
Le moment était surréaliste. Drago était dans les cachots de Poudlard, accroupi sous un pupitre de Potions avec Hermione Granger. Il avait passé sept ans dans ces cachots, à regarder l'arrière de sa tête, la détestant. Et maintenant, d'une certaine façon, presque deux décennies plus tard, ils étaient de retour, Auror respecté et Guérisseuse estimée, à genoux, pouffant devant des marrons yoniques.
Il y eut un étrange moment où il regretta que ça ait pris si longtemps - qu'ils aient passé tant de temps à se détester.
Puis il y eut un autre moment tout aussi étrange où il espéra qu'il n'était pas trop tard.
(Trop tard pour quoi ? Il ne savait pas exactement.)
Leurs genoux se touchèrent.
Granger recula. Elle se leva et s'épousseta avec vigueur. "Bien. Assez de tes vulves conceptuelles. Allons dans ta salle commune."
Drago s'extirpa de sous la table et la rejoignit.
Granger tenta de prendre la tête, mais il devint bientôt clair qu'elle n'avait pas plus qu'une vague idée de l'endroit où se trouvait la salle commune des Serpentard.
"Par ici," l'appela Drago alors qu'elle tournait au mauvais endroit. "Tu n'y es jamais allée ?"
Granger se retourna et le regarda. "Je n'avais pas beaucoup d'amis Serpentard - donc non."
Ils s'arrêtèrent devant un mur banal.
Granger le regarda avec curiosité. "Ici ?"
"Oui. La prochaine question sera le mot de passe, bien sûr," dit Drago.
"Tu veux qu'on se tienne là et qu'on devine ?"
"On essaie. Juste cinq minutes, Granger. Je ne te demande pas de dire des choses Serpentardes tout le reste de la semaine."
Granger avait l'air de douter. "Quel genre de choses Serpentardes doit-on sortir ?"
"Des Serpentard célèbres. Des ingrédients. Des sortilèges éthiquement discutables. Tout ce à quoi tu pourrais penser."
Ils commencèrent leurs tentatives : des plantes, des potions, des sorts, des créatures. Raflesia. Vermiculus. Banshee. Imperata cylindrica. Limace mange-chair. Dragon noir hebridéen. Cuscata. Troll des montagnes. Locomotor Wibbly. Belladonna. Narguilé. Baron Sanglant. Sombral. Basilic.
Pas même un frisson de la pierre. Granger sembla le prendre personnellement et commença à s'emporter.
"Tacca chantrieri," dit-elle, une main sur la hanche. "Entomorphis !"
"Melofors," essaya Drago. "Erkling ? Fourchelang. Les couilles de Salazard."
Granger changea de stratégie et commença à liste des choses snobs. "Chasse aux renards. Tweed. Sabrage."
Drago essaya un peu de latin pour changer. "Oderint dum metuant. Non ducor, duco. Carpe noctem"
"Gilet," dit Granger. "Régates ! Pimm's. Pantalon moutarde. Organes du marché noir."
"Boursouf ? Croque-mitaine !"
"Cuillère parisienne," cria Granger.
"Godric Gryffondor est un bouffon," dit Drago d'un air autoritaire.
Un frisson parcourut le mur.
Granger haleta. "Godric est une tête de nœud. Un connard !"
"Godric ne pourrait pas organiser une bagarre dans un pub. Godric est un putain de branleur inutile."
"Godric est un véritable idiot."
"Un con !"
"Un petit con."
"Godric a les couilles qui tombent."
"Godric est un crétin baveux."
"Godric est un vrai cancre."
"Un abruti !"
"Godric le débile."
"Presque."
Une sorte de rire nasal retentit derrière eux. Phineas s'était glissé dans un tableau représentant un paysage montagnard. "C'est extrêmement divertissant."
Granger sursauta et prit l'air coupable. "Heu - rebonjour. Avez-vous - avez-vous toujours votre langue ?"
"À l'évidence," dit Phineas.
"Oh, bien. Nous étions juste, heu -"
"En train de nous introduire dans la salle commune," dit Drago.
"Dans quel but, s'il vous plait ?" demanda Phineas.
Drago haussa les épaules. "Pour se replonger dans le passé."
"Toi ? Te replonger dans le passé ? Avec Hermione Granger ?"
Granger leva le doigt. "En fait, je- "
"Oh, oui," l'interrompit Drago. "Nous revivons nos terribles souvenirs l'un de l'autre."
"J'avais l'impression que vous vous détestiez," dit Phineas.
"C'est le cas," dirent Drago et Granger en même temps.
Drago eut l'impression que cette affirmation aurait été plus crédible si Phinéas ne venait pas juste de les surprendre à glousser devant un mur, à crier des choses sur les boules de Godric.
Phineas regarda Granger, qui rougissait furieusement, puis Drago, qui croisa son regard avec un rictus.
"Vous êtes encore moins compréhensibles que lorsque vous étiez des adolescents puants. Félicitations."
"Merci," dit Drago.
"Le mot de passe est Racine de courge," dit Phineas, disparaissant de leur vue. "Je vous le dit seulement parce que vous avez réussi à me faire rire. Ne mettez pas de fluides corporels sur les tapisseries."
Alors que Granger bredouillait devant cette effronterie, Drago se tourna vers le mur. "Racine de courge."
Le mur s'ouvrit pour révéler la porte sombre et brillante qui menait à la salle commune des Serpentard. Drago l'ouvrit.
Il semblait que l'école avait fait des efforts pour rendre l'endroit plus lumineux. Les bulbes de lumière verte de l'époque de Drago avaient été remplacées par des lampes à gaz qui baignaient la pièce de lumière chaude. Les meubles avaient l'air d'être les mêmes que dans la jeunesse de Drago - canapés en cuir capitonné et chaises à haut dossier, tables et armoires richement sculptées. Des miroirs dorés brillaient dans l'ombre.
La cheminée en pierre sculptée était éteinte. Sur les murs qui l'entouraient, des portraits de Serpentard célèbres étaient exposés. Merlin lisait quelque chose et gratifia Drago d'un sourcil levé. La chaise de Salazar était vide. Phinéas ne réapparut pas. Il y avait deux nouveaux ajouts parmi les portraits : Slughorn et Rogue. Slughorn faisait une sieste avec une bouteille d'Ogden's Old serrée dans ses bras. La silhouette en robe noire de Rogue se cachait au fond de son portrait, préparant une potion.
Drago passa sa main le long du dossier d'un canapé. Pendant sept ans, il avait comploté ici. Il avait présidé tel un petit seigneur un groupe d'amis dont beaucoup étaient morts aujourd'hui. Il s'était senti terriblement important ici, terriblement avisé, sage et adulte.
Et maintenant, on aurait dit une salle de jeux pour enfants. Les pupitres pour leurs devoirs. Le règlement de la maison épinglé sur le tableau d'affichage. Les bannières fanées célébrant les victoires passées de la Coupe des Quatre Maisons. Les étagères avec leurs manuels usés. Tout était si petit.
Granger renifla. "Ils devraient remplacer les tapis. Ils sentent les pieds."
On pouvait toujours compter sur Granger pour ruiner le sentimentalisme.
Elle erra jusqu'à l'autre bout du cachot, qui s'étendait en partie sous le lac. "Ah, ça c'est intéressant," dit-elle, s'étant approchée de la fenêtre qui donnait sous l'eau.
"Il y a une meilleure vue depuis le dortoir," dit Drago. "Viens."
Elle le suivit le long d'un couloir puis dans le dortoir qui avait été le sien pendant sept ans. Une fenêtre donnant sous le lac recouvrait entièrement le mur ouest.
"Fascinant !" dit Granger en s'en approchant.
"Le Calamar Géant passe de temps en temps, les Sirènes aussi."
Drago la laissa à son observation. Il marcha dans le cercle des cinq lits aux couvres-lits verts qui occupaient le reste de la chambre. Goyle, Crabbe, Zabini, Nott. Mort, mort, vivant, vivant.
Enfin, il arriva près de son ancien lit. Impossible, impossible qu'il ait été aussi petit. Il lui avait toujours semblé si vaste.
Il s'allongea dessus et rit. Ses pieds dépassaient du bord.
Granger arriva, l'ayant entendu rire. "Pas de Calamar Géant, mais je vois qu'un Malefoy Géant a pris possession de l'un des lits."
"Je peux à peine croire que c'est le même lit."
"As-tu gravé des parties génitales dessus, que l'on puisse l'identifier ?"
Drago se tourna pour examiner le bord du lit. "En fait, je crois que je ne l'ai jamais fait."
Granger se percha sur ce qui avait été le lit de Nott. Elle passa ses mains sur ses bras nus. "Ne trouves-tu pas que c'est lugubre ici ? Je ne peux pas imaginer à quel point il devait faire froid en hiver."
"Ce n'était pas très différent du Manoir," dit Drago en haussant les épaules. "Nous avions du feu, des charmes chauffants, des grogs et du Whisky Pur-feu."
Un groupe de Strangulots dérivait devant la fenêtre. Granger se tourna pour les observer.
Encore une fois, Drago fut frappé par l'incongruité du moment. Hermione Granger, vêtue d'une robe d'été aux couleurs vives, avec lui dans son dortoir d'enfance. Il se demandait ce que le jeune Drago aurait pensé de tout cela. Qu'aurait-il dit si Drago lui avait dit que Granger deviendrait jolie, pleine d'esprit et terriblement intelligente ? Qu'elle était un peu autoritaire avec lui et que parfois il appréciait ça ? Qu'il ferait exprès de la faire rire juste pour le plaisir ?
Il lui aurait dit qu'il était un putain de branleur sentimental.
Dur de ne pas être d'accord.
"As-tu assez replongé dans le passé à ton goût ?" demanda Granger.
"Oui," dit Drago.
Il valait mieux partir que de continuer à avoir ces pensées douteuses.
Granger se leva. Il regarda la jupe de sa robe passer à côté de son lit. Un bouffée de l'odeur de son savon la suivit.
Il réprima un début d'idée impliquant Granger et ce vieux lit avant qu'elle puisse réellement se former et - horreur - prendre vie dans son esprit.
Ils repartirent sur leurs pas, sortant du dortoir et traversant la salle commune.
Drago jeta un dernier regard dans la pièce. Il ne reviendrait peut-être pas avant une autre décennie. Cela paraîtrait-il encore plus petit, alors ? Comme si la vie avançait droit devant sans relâche et que ses souvenirs d'enfance s'éloignaient encore et encore, devenant des points de lumière de plus en plus petits derrière lui.
Granger lui souriait.
"Quoi ?" demanda Drago.
"Tu es vraiment venu pour te replonger dans le passé," dit Granger. "Tu es tout - tout mélancolique."
Drago haussa les épaules.
"Je pense que c'est plutôt mignon," dit Granger, l'air elle-même nostalgique.
Elle parut ensuite se reprendre puis redevint sérieuse et s'éloigna.
"Tu veux aller dans ta salle commune ?" demanda Drago.
Elle secoua la tête. "Je viens ici plus souvent que toi. Une autre fois."
Granger se dirigea vers le couloir par lequel ils étaient arrivés, depuis la salle de Potions. Drago l'attrapa par le coude et lui montra un chemin plus rapide pour sortir, en montant un escalier étroit qui menait directement au Hall d'entrée.
Pourquoi l'avait-il attrapée par le coude ? Il n'avait aucune raison de l'attraper par le coude. Il aurait juste pu dire quelque chose. C'était stupide, un échec de Répression.
Il la laissa grimper les escaliers en premier, et, parce que ses fesses étaient juste là, il regarda ses pieds pendant toute la montée.
Granger passa la tête dans la Grande Salle une nouvelle fois sur le chemin de la sortie, espérant trouver Pince. Elle n'était pas là. Granger marmonna quelques mots irrités.
Ils sortirent du château et descendirent les marches jusqu'au chemin de gravier qui menait à Pré-au-Lard. L'air sentait l'herbe grasse et le délicat parfum des saules qui bordaient le lac.
Il était bon d'être de nouveau dehors.
Alors qu'il arrivaient à Pré-au-Lard, Granger se dirigea vers les Trois Balais. "Je suis affamée. As-tu mangé ?"
"Non," dit Drago. "Pas de déjeuner non plus ; les cadavres m'ont coupé l'appétit."
Granger fronça le nez. "Hé bien, tu es le bienvenu si tu veux te joindre à moi, mais ça ne sera pas aussi recherché* que la nourriture du Manoir."
Elle essaya d'ouvrir la porte des Trois Balais, mais une pancarte indiquait que c'était fermé jusqu'en septembre.
Ils marchèrent jusqu'à Madame Pieddodu, qui était également fermé.
Finalement, ils arrivèrent à la Tête de Sanglier.
Granger hésita devant la porte. "Je ne suis pas sûre d'être si désespérée. J'ai entendu dire que c'était devenu plutôt mauvais depuis qu'Aberforth était parti en retraite."
"Quoi ? Ça ne peut pas être si terrible si on prend juste une pinte et un peu de nourriture de bistrot, non ?"
Ça pouvait l'être.
Drago et Granger furent accueillis (si un terme aussi joyeux pouvait être employé) par un homme qui ressemblait plus à un Scroutt que la plupart des Scroutts. Il avait l'air irrité qu'ils osent lui donner du travail. C'était le premier signe indiquant que cela allait être une expérience particulièrement mauvaise.
Ils demandèrent une pinte ; on leur dit qu'il n'y avait plus de bière. C'était le second signe. À ce stade, un couple plus sage se serait levé et serait parti, mais une sorte de curiosité s'était allumée en eux, de voir à quel point cela pouvait être mauvais.
"On prendra ce que vous avez alors, camarade," dit Drago. "Et un peu de ce que vous avez en cuisine."
Ils s'assirent à une table sale près de ce qui avait probablement été une fenêtre autrefois, mais qui était actuellement recouverte de crasse.
Le Scroutt laissa tomber deux verres tâchés sur la table et y versa un liquide clair avant de traîner les pieds jusqu'à la cuisine.
Une forte odeur de térébenthine les enveloppa.
Granger renifla son verre et les larmes lui montèrent aux yeux. "Oh la la - ça va être un véritable nettoyage de sinus."
"Ça ne peut pas être pire que l'Absinthe d'Affpuddle, non ?" demanda Drago. "Santé."
Granger leva son verre vers celui de Drago avec un air inquiet. Elle prit une généreuse gorgée du sein ; il en avala la moitié. Ils crachèrent et toussèrent tous les deux.
"Ça brûle," s'étrangla Granger.
"V-Voilà un nectar de première classe," toussa Drago.
"Je ne me suis jamais sentie aussi vivante," renifla Granger.
Ils burent encore pour confirmer que c'était vraiment si mauvais. Ça l'était. Granger était un mélange larmoyant de rire et de toux. Drago avait presque perdu la voix.
"Mais qu'est ce que c'est que ce putain de truc ?" demanda Drago d'une voix rauque.
"Est-ce que ça a été distillé dans des toilettes ?"
Le Scroutt avait placé la bouteille sur une étagère derrière le bar. Drago la fit léviter jusqu'à lui.
C'était de la vodka Troll.
L'étiquette comportait un avertissement disant qu'il ne fallait pas la consommer pure et boire de façon responsable.
Ce qui fut le troisième signe, mais hé, quand le vin d'ortie est tiré, il faut le boire.
"88 pour cent par volume," s'étrangla Granger. "Parfait. J'avais justement envie de commencer la semaine par un empoisonnement à l'alcool."
"Ça va," dit Drago de sa voix cassée. "On va bientôt manger."
En rétrospective, il y avait beaucoup d'optimisme dans cette idée.
Le Scroutt émergea des cuisines avec des assiettes.
"Steak," grogna-il alors qu'il claquait une assiette devant Drago. "Salade," dit-il en laissant tomber une autre devant Granger. "Saucisses et purée," conclut-il, jetant la dernière assiette entre les deux, avant de s'éloigner de sa démarche de Scroutt.
Drago et Granger observèrent cette offre.
"Ce steak a-t-il été cuit sur un radiateur ?" demanda Drago.
Granger examina la masse grise. "Il avait besoin d'au mois cinq minutes de plus sous le sèche-cheveux."
Ils tournèrent leur attention vers la salade de Granger. Elle consistait en un demi oignon cru.
"Choquant," dit Drago.
Granger garda son sang-froid. Elle tira les saucisses et la purée vers eux avec une sorte de sinistre optimisme.
"Mais pourquoi la saucisse est si… rétrécie ?" demanda Drago.
"Peut-être qu'elle est froide," suggéra généreusement Granger.
"Ou nerveuse," approuva Drago.
Granger se mordit la lèvre. "On dirait un prolapsus."
Drago rit. Cela lui fit mal à la gorge.
"Et ça c'est quoi ?" demanda Granger, piquant un morceau non identifié de graisse sale.
"Lard Voldemort."
"Mon dieu."
"La purée a l'air… bien ?"
"Elle sent le vomi de chat," dit Granger, éloignant la fourchette de Drago. "Ne la goûte pas. Tu n'en tireras rien d'autre qu'une diarrhée cataclysmique."
Drago, qui ne voulait pas de fesses qui fuient, retira sa fourchette.
Ils se regardèrent.
"Je pense que c'est peut-être un appel à l'aide," dit Granger, maussade. "Doit-on aller lui demander s'il va bien ?"
Drago était moins enclin à la sympathie. "Je pense qu'on a juste découvert que l'établissement est manifestement une façade."
"Ça aussi," dit Granger. "Vas-tu enquêter ?"
"Je refilerai l'affaire à l'un des nouveaux."
Granger commençait un peu à tanguer dans sa chaise. Elle loucha vers son verre presque vide. "Une idée de notre taux d'alcoolémie ?"
"Deux- Deux cent pour cent, approximativement," dit Drago, bégayant presque. Le breuvage commençait à l'affecter aussi.
"Allons ailleurs pour trouver quelque chose de réellement comestible," dit Granger en se levant. Elle oscilla sur ses pieds. "Oh, putain de merde. Je ne peux pas transplaner."
"Ça m'offense de payer pour ça," dit Drago avec un geste vers leur repas intact. Il laissa néanmoins tomber une Mornille sur la table.
"Je peux -" dit Granger, faisant un geste vers sa poche.
"Non," dit Drago. "J'ai insisté pour essayer cet endroit. Tu paieras le prochain."
"Bien."
"Tu avais raison, après tout. Ce n'était pas aussi recherché* que la nourriture du Manoir."
Ils sortirent du pub en titubant et marchèrent dans la rue, se heurtant l'un à l'autre ainsi qu'à divers objets en avançant. Au coin de la rue se trouvait une petite épicerie, sur le point de fermer ses portes pour la soirée. Ils pillèrent le reste de la corbeille à pain et achetèrent une petite meule de fromage pour l'accompagner. Granger trouva des cerises. Drago découvrit une énorme tarte aux mûres légèrement écrasée. Granger demanda s'ils devaient acheter une part ? Drago dit qu'il en voulait deux, pour sa part. Ils regardèrent la tarte puis, leur esprit et leur volonté noyés par cinq centimètres de vodka, achetèrent la tarte entière. Une bouteille de cidre frais compléta le tout, et le problème du dîner fut réglé.
Ils serpentèrent sur un petit chemin qui sortait du village, à la recherche d'un endroit où s'asseoir. Granger dit qu'elle avait envie d'une vue sur le village ; Drago dit qu'il voulait voir le château. Ils trouvèrent un compromis adéquat en empruntant un petit chemin qui menait à une sorte de promontoire herbeux, d'où ils pouvaient admirer à la fois Pré-au-Lard et Poudlard.
Granger demanda à Drago un mouchoir, qu'elle métamorphosa en couverture et étala sur l'herbe. La couverture était plus triangulaire que carrée, mais là encore, Granger était plus bourrée que sobre.
Bancale, les jambes molles, Granger se coula sur la couverture. Drago se laissa tomber à côté d'elle. Ils partagèrent d'abord le pain, un peu élastique, dans l'espoir d'absorber un peu de vodka Troll.
Granger dit "Je suis complètement fracassée," entre deux bouchées. Elle dégageait une sorte de sérénité, comme une acceptation qu'elle était complètement saoule, mais que c'était ainsi.
Elle eut une grande difficulté à mettre un morceau de fromage sur son pain. Drago essaya d'aider, mais son morceau de pain ne cessait de se multiplier, d'abord deux, puis quatre, jusqu'à ce qu'il cligne des yeux et qu'il redevienne unique, tournant doucement.
"Tiens-toi tranquille," dit Drago, attrapant son poignet.
"Je le suis," dit Granger. "C'est toi qui bouge."
Drago, avec une concentration méticuleuse, réussit à placer un morceau de fromage sur le pain.
Granger eut un hoquet. Le fromage tomba, rebondit sur ses genoux et roula dans l'herbe. Elle le regarda s'en aller avec une sorte de tristesse mélancolique.
Drago abandonna Granger et se concentra sur son propre pain et son fromage, qu'il assembla modérément bien. Sa seule difficulté fut de trouver sa bouche.
"Faschi… Fassi… Fascinant," dit Granger, le regardant l'écraser contre son menton. "Tu es si élégant d'habitude."
"Ah oui ?"
"Oui," dit Granger. "Tout a l'air f-facile avec toi, tu sais ?"
"Tu es assez saoule pour me complimenter. Quelle émofion. Émotion."
Granger mâcha. "C'était une observation. Tu pourras être insolent quand tu sauras mettre un sandwich dans ta bouche, pas avant."
Drago réussit à le faire, puis inspira pour dire quelque chose et s'étrangla avec une miette.
Alors qu'il toussait, Granger vint à la rescousse en faisant flotter la bouteille de cidre vers lui. Ce fut fait avec décidément moins de finesse et de contrôle que d'habitude. Elle avait, selon toute vraisemblance, visé sa main, mais la bouteille se pressa sur son entrejambe à la place.
"Doucement," dit Drago.
"D-désolée,' dit Granger, envoyant la bouteille par dessus l'épaule de Drago, tapant sa tempe avec avant de la laisser tomber sur la couverture près de lui.
"Wow," dit Drago.
Granger rangea sa baguette comme si c'était une chose dangereuse. Puis elle pressa ses doigts sur sa bouche et eut l'air de retenir un hurlement de rire. "Je suis tellement désolée - tellement désolée - ce n'est pas ce que je voulais faire -"
"Ce n'est r-rien", dit Drago. "Un peu de frotti-frotta avec une bouteille de cidre - une nouvelle expérience…"
Après la vodka Troll, le cidre était spectaculaire - frais, acidulé, pétillant sur la langue, et avec un arrière goût de miel. Drago but et passa la bouteille à Granger. Il avait eu l'intention de faire une remarque éloquente sur ses arômes et ses notes, mais ce qui sortit à la place était une observation empâtée sur le fait que c'était pas mal à boire.
Ce qui était toute l'approbation dont Granger avait besoin, de toute façon. Elle but aussi et lui rendit la bouteille.
Il n'y avait rien d'intéressant de partager la bouteille avec Granger. Au fait de goûter l'endroit où ses lèvres étaient un moment avant. Rien du tout, et il n'y penserait pas. Pas plus qu'il ne regarderait sa bouche.
"Arrête de me regarder," dit Granger, portant une main devant sa bouche, ce qui lui fit prendre conscience qu'il regardait sa bouche. "Je ne peux même pas manger un bout de fromage."
"Je ne te regarde pas," dit Drago, menteur qu'il était. "Je regarde le paysage."
"...Le paysage est derrière toi," dit Granger.
"Oh," dit Drago, se retournant. "C'est vrai."
"Tu ne plaisantais pas à propos des deux cent pour cent," dit Granger, s'approchant de lui sur la couverture pour regarder aussi le paysage.
Les rues pittoresques de Pré-au-lard s'incurvaient dans le crépuscule grandissant en contrebas. Plus loin, le château de Poudlard n'était qu'une silhouette, ses fenêtres reflétant les derniers reflets d'un coucher de soleil rouge.
"Tu devrais le dessiner," dit Granger.
"Quoi ? Je ne dessine pas."
"Menteur. Je sais que tu as un talent artistique ; j'ai vu ton magnifique zizi."
Drago essaya de résister, mais il laissa s'échapper un gloussement.
Granger le regarda avec des yeux écarquillés. "Je n'arrive pas à savoir si c'est adorable ou terrifiant."
"Les deux. Tout comme moi."
"Tu n'es aucun des deux," renifla Granger. "Calme toi."
"Mais je suis élégant."
"Tu prends les divagations d'une idiote bourrée pour des faits," dit Granger. Elle essayait d'avoir l'air guindé.
"L'esprit alcoolisé parle pour le cœur sobre," dit Drago. Il essaya d'agiter ses sourcils mais il n'était pas certain d'avoir réussi ; Granger avait l'air simplement perplexe.
"On mange la tarte ?" demanda-elle.
"Changement de sujet peu subtil, mais oui," dit Drago, agitant sa baguette en direction de la tarte, qui flotta vers eux. "Veux-tu un peu de frotti-frotta aussi ?"
Granger croisa les jambes. "C'était un accident."
"Bien sûr. Fais-nous des couverts, veux-tu ?"
"Je ne suis pas très confiante là-dessus."
Elle cueillit quelques feuilles de pissenlit pour ce faire. Elle les métamorphosa en deux cuillères très crédibles, bien qu'elles soient un peu vertes. Les fourchettes furent une autre affaire ; une formidable création, non-euclidienne, non terrestre. Cela leur faisait mal à la tête de les regarder. Drago et Granger prirent peur et les jetèrent en bas du promontoire.
De toute façon ils avaient les cuillères. Drago fit flotter la tarte entre eux et ils mangèrent, se mettant des miettes partout.
La vodka Troll refluait. Maintenant ils étaient juste saouls, pas Complètement Ravagés.
Granger, regardant le château de Poudlard, dériva dans l'introspection. "Tu sais, aujourd'hui ça a été plus intéressant que ce que je pensais."
"Mmh ?"
"Je n'imaginais pas voir un jour la salle commune des Serpentard - et encore moins ton dortoir."
"Ça m'a fait bizarre de te voir là bas."
"Contre l'ordre naturel des choses ?"
Drago y réfléchit. "Peut-on vraiment appeler ça un ordre naturel ?"
"Qu'est-ce que tu veux dire ?"
"Ce sont des divisions plutôt artificielles, non ? Les affaires de Serpentard et Gryffondor."
"Mon dieu," dit Granger, ramenant ses genoux sous son menton. "Est-ce qu'on fait de la philosophie ?"
"Oui," dit Drago. "Je suis saoul. Sois indulgente."
"Bien sûr - nous ne devons pas gâcher cette opportunité. Et tu as raison. Entièrement artificielles. Mais les écoles doivent diviser pour mieux régner sur les masses d'élèves, d'une certaine façon."
"Je suppose que ça les rend gérables."
"Il doit y avoir un meilleur moyen de le faire qu'une entreprise pseudo-horoscopique impliquant le développement des traits de caractère et un chapeau parlant," réfléchit Granger. "Mon école primaire nous affectait des maisons au hasard - mais bon, c'était des Moldus, ils n'avaient pas de chapeau parlant."
Drago finit la tarte et jeta les miettes aux moineaux.
Granger, ne se faisant apparemment pas confiance avec sa baguette, se leva pour prendre les cerises. "Si on en est à critiquer le système… Après aujourd'hui, je pense qu'il devrait y avoir moins de secrets entre les maisons."
"Qu'est-ce que tu veux dire ?"
"Les salles communes cachées, l'isolation entre les maisons. C'est - c'est terriblement humanisant, de voir quelqu'un sur un lit."
"Tu veux dire que tu n'aurais pas pensé que j'étais une aussi horrible créature, si tu avais vu l'oreiller sur lequel je bave la nuit ?"
"Exactement," rit Granger. "Mais, vraiment. Je le pense. Tu étais une entité qui sortait de nulle part, disait des choses affreuses puis disparaissait jusqu'à la prochaine escarmouche."
"J'ai dû adopter des tactiques de guerre pour éviter les gifles," dit Drago.
"Ce n'est arrivé qu'une fois," dit Granger. Elle mangea une cerise. "Le secret a mené les divisions au-delà de celles créées par les Maisons. C'est ma position. Pourquoi tu souris ?"
"Je pensais seulement qu'un grand nombre de sorcières avaient formulé un grand nombre d'idées après m'avoir vu au lit, mais un traité sur le système des maisons en est une tout à fait inédite."
"Tu es terriblement imbu de toi-même, tu sais," dit Granger, regardant ailleurs pour cacher son amusement.
"Bien sûr que je le suis. Tu m'as vu ?"
"Non, je ne t'ai pas vu. Tes pieds sont toujours dans le chemin."
Drago, déjà près du bord rocheux du promontoire, se tourna et fit pendre ses jambes dans le vide. "Voilà."
Granger joua le jeu. Elle s'approcha pour s'asseoir à côté de lui, l'observant ostensiblement. Drago remarqua que la réserve qu'elle montrait plus tôt dans la journée avait disparu. Était-ce l'alcool ? La conversation ? Lui ?
Ce qui le fit réaliser que lui même avait cessé de Réprimer. Et maintenant qu'elle était près de lui, les choses recommençaient - les débuts de cette douceur dans ses veines, le bourdonnement de son pouls.
Il aurait dû reculer. Il aurait dû Occluder et séparer son côté rationnel de ces pensées et sentiments confus.
Il aurait dû.
"Bien. Jetons un œil, maintenant que je te vois bien," dit Granger.
Elle fit courir son regard analytique sur son visage.
"Je me sens comme un livre," dit Drago.
"Peut-être que je devrais te lire comme un livre, maintenant que ma vue n'est plus obstruée."
"Tu ne lis pas, tu dévores. J'ai peur."
"Tu devrais oui."
"Est-ce que j'ai des notes de marge ?"
L'amusement fit sourire Granger. "Tu m'écoutes parfois, alors. Quel est l'équivalent humain des notes de marge ? Peut-être ça ?" demanda-elle, passant le dos de son doigt le long de sa barbe naissante.
C'était la caresse la plus légère et la plus désinvolte qu'un doigt pouvait faire sur une mâchoire.
Le bruit sourd que fit son cœur en réponse était absolument disproportionné.
"Dans ce cas, oui," continua Granger. "Mais un seul jour de note de marge, si je ne me trompe pas. Pas à moitié aussi intéressant que Révélation, tu sais."
Drago était d'une certaine façon à la fois enraciné sur place et flottant. Il avait le sang-froid. Il était très nerveux. Son pouls avait accéléré. C'était mauvais. Il aurait dû Occluder et s'éloigner d'elle, et aussi sauter du promontoire.
Au lieu de ça, comme le crétin sans volonté qu'il était, il continua.
"Et les enluminures ?" demanda-il. "Est-ce que j'en ai ?"
Si sa voix était enrouée, c'était à cause de la vodka.
"Oh, c'est une question intéressante," dit Granger. Son étude de son visage devint pensive.
Elle sentait les notes de miel du cidre.
"Je dirais que ce sont tes yeux," finit-elle par dire. "N'est-ce pas affreusement banal ?"
"Ça l'est," dit Drago. "Je te pardonne ; tu n'as pas une âme poétique. Sont-ce des enluminures somptueuses ?"
"Oh, oui. Splendides. Elles rayonnent de feuilles d'argent et tout."
"Je vais devoir m'offrir en cadeau à la bibliothécaire."
"Elle ferait bon usage de toi."
"Bien que - peut-être que je préfère rester dans la collection privée de Granger."
Granger eut une petite exclamation théâtrale. "Audacieux. Elle la sélectionne soigneusement. Je ne suis pas sûre que tu sois à la hauteur."
"Mes enluminures, quand même."
"Mmh. Elles sont tentantes."
Leurs yeux se croisèrent. Et là encore, vint l'attraction de son regard sombre - l'attirance, l'appel, l'invitation à se laisser emporter. Cela lui inspirait une sorte de doux désir. Une envie de l'atteindre et une envie de tomber. Un vertige étrange et doux.
Il savait qu'elle ne le faisait pas exprès. Il savait qu'elle n'avait pas prévu de le faire. Il n'y avait pas de machination en elle. Elle ne savait même pas ce qu'elle déclenchait en lui.
Et pourtant, il était là, tombant, tombant…
Elle cligna des yeux et détourna le regard.
Il l'avait fixée.
"Alors - quelles sont vos conclusions, Professeur ?" demanda-il, utilisant le terme qui l'irritait pour avoir l'air normal. "As-tu terminé ton examen ?"
S'il y avait quelque irritation de sa part, elle était diluée par l'amusement. "As-tu de la famille à Pré-au-Lard ?" demanda-elle de façon détachée.
Drago la vit venir. "Si tu es sur le point de suggérer que je ressemble au barman de tout à l'heure-"
"Mmh. Une verrue, avide d'exprimer sa personnalité."
"Hé."
"Merci d'avoir enlevé tes pieds du tableau. Cela m'a apporté une vraie clarté." Puis, voyant sa contrariété, elle leva les yeux au ciel. "Arrête de partir à la pêche aux compliments. Tu sais que tu es terriblement beau."
"Je ne me lasse jamais de l'entendre."
"Tu as dépassé le stade du petit furet grassouillet. Voilà, un compliment. Tu es content ?"
"Oui. Puis-je en avoir un autre s'il te plait ?"
"Non. Tu es insupportable."
"Passe à mes cheveux ensuite."
"Non."
"Si."
Elle plissa les yeux de façon critique. Puis ses doigts passèrent dans les pointes de ses cheveux, pendant un court moment.
Drago ne permettait pas qu'on touche ses cheveux. Ceux qui étaient assez fous pour essayer se faisaient transformer en un tas frémissant de viande hachée. Mais Granger-
Son bref toucher était bien plus enivrant que toutes les boissons qu'il avait bues aujourd'hui.
Son pouls repartit, s'emballant dans un autre accès d'excitation disproportionné.
"Passable," dit Granger.
Drago renifla comme s'il laissait sa remarque passer avec une sublime équanimité.
Vraiment, il flottait trop pour s'en soucier.
Granger ourla ses lèvres et passa de nouveau la main dans ses cheveux, passant sa raie de l'autre côté. "Adéquat, tu sais. Décent. Un jour, tu trouveras quelqu'un qui saura passer outre."
Elle retenait un sourire.
Ses paupières étaient lourdes, son corps semblait léger.
Il avait envie de lui rendre la pareille avec une sorte de compliment taquin, mais - il ne devait pas. Il voulait lui dire qu'elle était comme la vodka - enivrante même dans les plus petites doses et le menant à des erreurs de jugement. Il voulait la narguer sur la façon dont elle mangeait les cerises - qui croquait les cerises en deux ? Ce devait être à cause de sa minuscule bouche. Il voulait lui dire que s'il avait dépassé sa phase de furet graisseux, elle avait largement dépassé sa phase d'écureuil effrayé. Il voulait faire des suppositions sur la raison pour laquelle sa baguette poussait des objets contre son entrejambe.
Mais cela brouillerait encore davantage la frontière déjà indistincte entre taquinerie et flirt, et il n'était pas censé flirter. Il était censé Réprimer. Il était censé rester froidement neutre, indifférent et distant. Professionnel. Elle était sa Cible.
Il lui jeta un coup d'œil. Elle s'était détournée pour reprendre son éternel combat contre ses cheveux. Elle les avait détachés - il sentait l'odeur du shampoing - puis les regroupa en queue de cheval. Et il ne regardait pas sa nuque, où de petites boucles s'échappaient et où la peau était plus sensible et appelait aux baisers. Il ne regardait pas le bord festonné de sa robe, là où il descendait entre ses omoplates. Il ne regardait pas la fermeture éclair.
D'accord, mais et s'il allait juste - juste se placer derrière elle, écarter un peu la bretelle de sa robe et presser sa bouche à cet endroit ?
Drago posa ses mains sur ses genoux. Il ne pouvait pas leur faire confiance.
Elle était sa Cible.
Il devint vaguement conscient qu'il courait au désastre.
Granger, allègrement inconsciente du tourment causé par sa nuque, mit une dernière épingle à cheveux en place.
Puis elle posa le petit panier de cerises entre Drago et elle et s'assit à côté de lui sur le bord du promontoire, pour que ses jambes pendent à côté des siennes.
Ils parlèrent. Il essaya de ne pas regarder sa bouche rougie par les cerises. Essaya de ne pas penser au goulot humide de la bouteille de cidre qu'ils se passaient chacun leur tour. Leurs épaules se touchaient de temps en temps. Il sentait la caresse occasionnelle de ses boucles quand le vent les poussaient vers lui. La brise apportait des effluves d'elle vers lui, cidre et shampoing, et le sel de sa peau dans la chaleur de l'été.
Serait-il vraiment si terrible, de ne pas réprimer, juste un instant ? Il avait réprimé pendant des semaines, après tout. Il savait qu'il pourrait le refaire. Il pouvait simplement apprécier le moment, et retourner à la répression plus tard, non ? Ça irait, non ? Tout était sous contrôle.
Ils jetèrent les noyaux de cerise dans le massif d'arbustes en contrebas du promontoire. Granger dit qu'ils feraient un beau bosquet de cerisiers, un jour. Drago jeta aux noyaux des Herbivicus. Il visa bien ; ici et là en dessous d'eux, les noyaux se fendirent en deux et en poussèrent de petites feuilles tendres. Granger, enchantée, lança quelques Aguamenti.
La lumière du soir devint délicate et fuyante.
Granger s'appuya sur ses mains et soupira. Il y avait du contentement dans ce soupir. Du bonheur, même.
Drago sentit son regard sur lui.
"Quoi ?" demanda-il.
"Rien," dit Granger.
"Dis-moi."
"C'est de la sentimentalité larmoyante due à la vodka."
"Dis quand même."
Elle choisit ses mots avec soin, mais finit par parler. "Je suis contente que tu aies gardé la mission de protection."
Cette fois elle ne le taquinait pas - cette fois elle était sincère.
Drago sentit un sourire non sollicité s'étendre sur son visage. Une joie nouvelle et inconnue enfla dans sa poitrine.
"Tu sais - moi aussi," dit Drago.
Elle lui jeta un regard de côté. Ses joues étaient rouges, ou alors c'était du aux dernières lueurs du coucher de soleil. "Larmoyant."
"Affreusement."
Quelque chose dansait dans les battements de son cœur.
Ils prirent une cerise en même temps. Leurs doigts s'emmêlèrent.
Le contact fut fugace, rapide. S'attarder aurait été trop doux.
L'air du soir leur apportait les odeurs estivales de l'herbe écrasée et du trèfle. Un courlis chantait.
Et c'était beau, d'être assis avec Granger, avec son bras caressant le sien, là, en haut du promontoire qui, à ce moment, avait l'air d'être le sommet du monde.
