Titre : Thirst

Disclaimer : Les personnages ne nous appartiennent pas et nous ne touchons aucune compensation financière pour la publication de ce texte.

Rating : M pour certains chapitres.

Petites précisions : Thirst est une fic à quatre mains en pov interne, ma co-auteure Haaru se charge du personnage de L, moi de Raito. Avis aux personnes que cela déplaît, elle sera à caractère yaoi.

La relation entre nos deux petits personnages principaux va mettre du temps à se mettre en place, ils ne seront pas ensemble dès le chapitre 3 et je dirai même, loin de là. Nous détestons ça, et surtout n'oublions pas qu'à la base, L et Raito veulent simplement s'étriper avant tout. Donc patience, ça arrivera mais lentement, très lentement.

L'histoire se découpe en deux temps, le premier nous allons suivre le déroulement global du manga, mais revisité à notre manière et le deuxième sera du pur freestyle. Le déroulement est entièrement établi, il sera assez riche, si tout se passe comme prévu la fic risque d'être la plus longue du fandom français xD Par ailleurs nous avons 10 chapitres et demi d'avance (en comptant celui-ci).

Publication : Une fois toutes les deux semaines (à peu près le temps dont nous avons besoin pour écrire un chapitre)

Trêve de blabla, nous vous souhaitons une bonne lecture pour ce premier chapitre !


Chapitre 1

Enfin quelqu'un d'intéressant


J'enfilai ma veste en poussant la porte d'entrée. À peine deux pas dans le jardin que ma sœur et ma mère se précipitèrent à ma suite, le visage déterminé. Sayu sautillait sur place en s'égosillant

« Courage Nii-chan ! T'es le meilleur, tu vas tous les battre ! Montre-leur le talent du premier national !» Elle entama une danse de la victoire, les poings agités vers le ciel en scandant mon prénom, tandis que notre mère renchérissait plus calmement : « J'ai confiance en toi mon chéri, fais de ton mieux. »

Je me tournai à demi, un léger sourire aux lèvres. « N'en faites pas trop, ce n'est qu'un examen. »

Mon expression glissa dès que je leur présentai mon dos, remplacée par un rictus vaguement agacé. Encouragements inutiles, presque insultants. Évidemment que j'allais être le meilleur, j'étais le meilleur. Pas un seul candidat ne pouvait m'arriver à la cheville, ils n'étaient pas assez intelligents pour ça, aucun d'entre eux.

Les gens – même ma propre famille – s'inquiétaient tellement. Pour tout, pour rien. Pour rien, surtout. Un examen n'était qu'un examen, c'est-à-dire vraiment pas grand-chose. Une suite de questions pathétiques formulées de manière bien trop compréhensible qui attendaient des réponses dont la logique était d'une piteuse et dramatique clarté. Même les pièges étaient enfantins, incapables de se cacher dans les énoncés, incapables de résister ne serait-ce qu'une minute. Combien de parodies de cerveaux avait-il fallu pour pondre de semblables torchons ? Futilité.

Mes sources de stress étaient bien différentes d'un banal petit examen d'entrée universitaire. Tous ces gens bloqués sur la micro structure de leur quotidien étaient incapables de voir grand. Pourquoi ? Je leur montrerais. J'ouvrirais leurs yeux. Qu'ils voient. Qu'ils voient grand. Qu'ils voient le monde. Ce monde bientôt enfermé entre mes mains, ce monde éclaté de lumière.

Mon action purificatrice avançait, efficace. L était l'Obstacle, mais l'as dans ma manche. Pour le moment. Toutes les caméras avaient été retirées, je devais encore envoyer Ryuuku vérifier, mais les micros avaient éventuellement subi le même sort funeste. Ce qui serait... vraiment satisfaisant.

Garder la tête froide. La mesure était peut-être temporaire, des micros peut-être toujours actifs. La simple certitude que la surveillance vidéo était levée m'ôtait un poids que je n'avais pas eu conscience de porter. Je balayai négligemment cette pensée, ce n'était que le début du bras de fer.

Je n'allais pas me laisser écraser par quoi que ce soit. Par qui que ce soit. Jamais.

Une voix rauque gronda dans mon oreille gauche. « Tu as l'air bien content de toi, Raito. »

Le visage du shinigami apparut dans mon champ de vision. À l'envers. Ses ailes brassaient l'air pour soutenir l'allure de mes enjambées. Sa carcasse entière montait et descendait à chaque battement retourné, les lois fondamentales de la physique aussi dérisoires et risibles qu'un mensonge dans la bouche d'un politicien.

Mon amusement devait se lire sur mes traits, un rire tout en « ku ku » explosa sur la large bouche noire. « Ça fait du bien de ne plus être sous surveillance. » Je ne te le faisais pas dire Ryuuku. Mais inutile de t'emballer trop vite.

Je lui lançai son fruit préféré qu'il réceptionna directement entre ses dents de requin. Quelques gouttes de jus perlèrent sur l'émail quand il se remit pieds vers le sol d'une unique torsion du buste. Par paresse, il voleta à mes côtés le reste du chemin, dévorant la pomme en deux bouchées.

« N'oublie pas le trognon. » lui rappelai-je, narquoisement.

Il me foudroya du regard et le déchet disparut entre ses mâchoires anguleuses, sans un mot.


La majorité des candidats était déjà dans la salle d'examen. Je ne regardais personne. Je ne regardais jamais personne. Je me glissai entre les rangées de tables, glissai sur les visages sans vraiment les voir. Ils étaient tous les mêmes. Transpirant la médiocrité et le stress comme d'autres puaient la sueur et le sang.

La pièce bruissait de murmures angoissés. Est-ce que t'as bossé cette partie ? J'espère que ça tombera pas sur ce chapitre. J'ai passé toute la nuit à réviser, j'suis crevé. On fait un attentat pour voler les sujets ? Putain je sens que je vais me planter. Je dois l'avoir. Je stresse. T'es au point ? C'est quoi déjà le point B du II ?

Les yeux rivés sur le mur, le temps passait avec une lenteur défiant tous les records. Deux minutes trente-cinq se traînèrent sur le cadran de l'horloge, engluées d'ennui. Une éternité de secondes et la distribution des copies commença. Enfin, les chuchotis s'étranglèrent dans le silence. Enfin.

Perdu dans mes pensées, j'entendis à peine l'un des examinateurs ordonner à l'étudiant numéro 162 d'adopter une position convenable sur sa chaise. Et, de toute façon, je m'en fichais éperdument.

Au signal tant attendu, chacun se précipita sur le sacro-saint sujet et le grattement des stylos emplit la salle. Mon corps resta immobile, à l'exception du plume qui jouait entre mes phalanges. À quoi bon se précipiter ? Je terminerais avec une bonne heure d'avance, comme d'habitude.

À la place, je vagabondai distraitement sur les caractères imprimés, la tête posée dans ma paume gauche. Ennui.

Un surveillant excédé lança fortement « Étudiant 162 ! Pour l'amour du ciel, veuillez-vous asseoir correctement ! » Étudiant 162. Deuxième fois. Pointe de curiosité. Mon regard se coula par-dessus mon épaule : un visage pâle dévoré par des iris fixes, figés droit sur moi. Le type ne cillait pas, ne bougeait pas. Il me regardait simplement, ses genoux contre la poitrine, ses pieds nus sur le rebord de la table.

C'était moi qu'il regardait, aucun doute. Avec ses yeux béants comme des gouffres.

Deux gouffres noirs.

Je détournai sèchement la tête. En posant la mine sur la copie, un doute germa, minuscule. Me concentrer sur la page, je devais me concentrer sur la page. Faire le vide. Et pendant cinq heures plus rien d'autre ne compta, n'exista, que ce papier noirci d'encre.


« Alors comment ça s'est passé ? » Le shinigami évita un lampadaire.

« Bien. »

Hors de mon cocon de concentration, le doute revenait. Titillait mon cerveau. À cause de ce regard insistant, dérangeant. À cause de ce type bizarre. Et si L l'avait envoyé ? Non, peu probable, quel intérêt de faire passer un examen à un enquêteur ? Si l'université visée était autre que Todai, l'hypothèse aurait très vaguement pu tenir la route, mais personne n'avait l'assurance de réussir ce concours réputé – et à juste titre – comme le plus exigeant de tout le pays. Personne ne pouvait avoir cette certitude. Sauf moi.

Non, même si L était certain que son enquêteur passerait entre les mailles du filet ce n'était pas logique : autant qu'il s'intègre directement dans le rang des étudiants. Pas logique. Je commençais à devenir paranoïaque. Il fallait que je sois paranoïaque. La paranoïa était mon salut, ma seule manière de survivre. Mais... fallait-il l'être à ce point ?

« Ryuuku...

- Oui ?

- Est-ce que tu as remarqué l'étudiant 162 ?

- Celui assis bizarrement ? »

Hochement de tête.

Il ricana. « Tu veux rire, c'était la seule personne intéressante de toute la pièce et je m'ennuyais comme un rat mort ! On aurait pu entendre une mouche faire des claquettes là-dedans.

- Voler. Mais... vu ce qui volait déjà dans la pièce je suppose qu'aucune mouche n'aurait voulu s'y aventurer. »

Le shinigami sourit. « Sans doute pas. Quoique... j'aime bien les mouches. Vous êtes tous des mouches... plus ou moins intrigantes. »

Je laissais filer quelques secondes sans commenter la phrase concernant les diptères, une évidence de plus. Je revins plutôt à mon sujet de préoccupation : « Il a fait quelque chose ?

- Tu veux dire... à part écrire sur sa copie ? »

Je me retins de lever les yeux au ciel.

« Oh, relax. Il t'a regardé un moment et il a terminé cinq minutes avant toi. »

Je fronçai les sourcils. Cinq minutes avant ? Alors que j'avais fini une bonne heure avant tous les autres ? Il avait dû se planter. Forcément. Je me faisais des idées, j'étais un peu trop sur mes gardes... vraiment, j'étais trop sur mes gardes ?

Quoi qu'il en soit je ne pouvais pas le savoir, pas tout de suite. S'il avait échoué au concours - comme je le pressentais fortement - le problème serait réglé. Il ne serait en définitive qu'un type louche dans une salle d'examen et d'ici six mois je m'affublerai de charmants chapeaux en aluminium.


Thirst ༺


À peine la portière de la limousine refermée, mes doigts partirent éventrer le sachet de fraises gélifiées. Désavantage des examens scolaires au Japon : nourriture interdite. Pendant presque quatre heures, le temps pour moi de finir ça proprement. Mon record de temps sans manger ne serait-ce qu'une petite douceur. Il allait me falloir quelques minutes de ravitaillement en sucre avant de pouvoir réfléchir et analyser posément les éléments que j'avais acquis sur la personnalité de Yagami fils.

Un café fumant m'attendait. J'y ajoutai un sucre. Enfournai une part de forêt noire. Plaisir de l'amertume du chocolat et de la douceur de la crème.

Un autre sucre.

Il était arrivé juste à l'heure, bien après les premiers névrosés, anxieux s'ils arrivent avec moins d'une heure et quart d'avance. Il avait été calme, paru ennuyé. Quant à moi, cette sortie m'amusait plutôt, même si mes capacités intellectuelles avaient été sérieusement handicapées par l'absence de nourriture et l'obligation de m'asseoir de manière conventionnelle chaque fois qu'un des larbins faisait un excès de zèle en passant trop près de moi.

Encore un sucre.

Je jetai un coup d'œil à travers la vitre, et le vis sortir, apparemment détendu, sûr de lui. Je souris. S'il savait. Il devait probablement s'attendre à, encore une fois, être seul au sommet.

Sucre.

Il serait amusant de le voir découvrir qu'il était ex æquo. Mais j'avais retiré les caméras, pour ne pas avoir l'ensemble de l'équipe sur le dos alors que l'absence de preuves rendait leurs regards sur moi plus que pesants.

« Nous y allons, Watari. »

Le moteur ronronna alors que la voiture quittait le campus, me ramenant dans ma tour d'ivoire, quittée à la fois avec impatience et à reculons.

Trois sucres. Tartelette aux abricots.

J'étais persuadé qu'il aurait une note parfaite. J'en aurais donc une aussi, espérant ne pas avoir surévalué ses capacités. Après tout, Raito Yagami était un être intéressant, un Kira potentiel certes, mais aussi un être humain d'une intelligence peu commune. Si vraiment il était coupable, j'aurais plaisir à jouer avec lui, le pousser à la faute, mesurer son esprit au mien.

Le café se transformait petit à petit en sirop, puis en boue. Je pus enfin y tremper mes lèvres, profitant d'un arrêt momentané pour boire sans risque. Maintenant, il allait falloir m'approcher de lui, tout en l'empêchant de m'attaquer, m'assurer d'être suffisamment protégé pour ne pas laisser voir à quel point j'avais peur de sortir.

Enfin la voiture s'engagea dans un souterrain, le soleil aveuglant laissa place aux lumières artificielles et stables des néons. J'accélérai ma collation, et sortis de la voiture, un muffin à la main, un autre dans la bouche. Mes capacités de déduction commençaient à revenir. Et j'allais avoir besoin de toute ma patience disponible pour écouter et supporter les doléances de mes pions du moment sans devenir imbuvable au point de les faire fuir. Ce genre de situation m'était déjà arrivé, et n'aidait en rien l'avancement d'une enquête.

Un cerveau sans mains n'a plus vraiment de pouvoir.


Matsuda était peut-être une exception. M'amputer de ce membre ne devrait pas être si handicapant. Mon regard vide et morne, dans lequel devait se lire tout mon désœuvrement, se glissa de l'agent incriminé jusqu'à Watari, qui attendait patiemment dans un coin de la pièce.

Une ombre de sourire sembla planer sur son visage. Le traître. Il ne ferait rien pour me venir en aide. Au contraire des biscuits au sucre glacé rose, qui avaient eux le pouvoir d'apaiser légèrement ma colère et ma tristesse.

Depuis mon retour de mission, j'étais tranquillement assis dans un des confortables fauteuils crème de la nouvelle chambre d'hôtel, éloigné des ordinateurs, regroupés sur une large table. Souvent, les policiers se prenaient les pieds dans la pieuvre de câbles qui courait par terre, reliant les terminaux au courant et au réseau. J'aurais pu placer la table contre un mur, faire une rangée d'ordinateurs, mais je ne supportais pas de sentir le regard de ces abrutis par dessus mon épaule, et de presque entendre les rouages de leurs pauvres cerveaux tenter de comprendre ce que je faisais.

Mon ordinateur fixe était donc tourné vers le mur, pour que personne ne m'espionne dans la pièce, mais que je puisse les observer tout à loisir, comme certains ont des aquariums pour avoir l'esprit détendu par la contemplation de ces êtres simples et fascinants par leur simplicité. Un autre de mes comportements puérils, rassurants pour moi et désespérément insupportables pour eux.

« Vraiment, chef Yagami, je ne comprends toujours pas pourquoi Raito doit être observé ainsi. Si L - pardon, si Ryuzaki veut l'intégrer à l'équipe, qu'il le fasse. Il est évident que Raito-kun est innocent, n'importe qui le verrait, et...

- Matsuda. Si vous n'aimez pas mes méthodes, libre à vous de retourner enquêter sur Kira au siège de la police.

- Mais non, tout ce que je dis... »

Et c'était reparti. Je laissai tomber ma joue sur mes mains elles-mêmes posées sur mes genoux, regardant par la fenêtre et me détournant ostensiblement du moulin à paroles qui continuait à brasser l'air avec ses grands gestes et à parler pour ne rien dire. Au moins les poissons ne parlaient pas.

Pourquoi la police ne comptait-elle que de pareils imbéciles?

Vraiment, avoir Raito Yagami au QG, même s'il était un potentiel Kira, aurait au moins le mérite de relever sérieusement le QI moyen de la pièce. Par moments, je me sentais seul. En général, quand je n'avais pas d'affaire sur laquelle avancer, et que j'étais en société.

Les biscuits disparus, je finis par me lever pour me traîner misérablement, toujours assailli par les états d'âme du chiot déchaîné derrière moi, vers mon ordinateur portable. Celui-ci posé en équilibre sur mes genoux, moi assis sur le tapis moelleux qui occupait une bonne partie du salon. Une longue liste d'enquêtes attendait que je m'y consacre, mais j'avais des scrupules pour la première fois. Attraper des criminels, aujourd'hui, cela revenait à les condamner directement à mort. Par crise cardiaque.

Pour m'occuper l'esprit, je choisis tout de même un cas de meurtres en série, aux États-Unis. Vu l'état des victimes, le coupable serait de toute façon condamné à la peine capitale. Vingt minutes plus tard, l'enquête bouclée, fatigués et dépités par mon manque de réponse, les policiers partirent.

Il était presque minuit. Je reposais l'ordinateur sur une table basse, poussant négligemment les tasses vides, et partis m'asseoir à mon vrai poste de travail.

« Ryuzaki, il est l'heure du goûter ?

- Merci, oui. » Enfin un être humain utile.

Le silence enfin revenu, seul le rythme régulier et rassurant des touches de clavier emplissait l'air. Enfin, jusqu'à ce que des effluves de chocolat chaud s'y mêlent.

L'affaire Kira était au point mort. Rien de neuf sous le soleil. Les morts d'aujourd'hui avaient eu lieu comme d'habitude. Cruelle habitude. Je jetai un regard à mon ordinateur portable. Le rapport sur le meurtrier en série n'avait pas encore été envoyé.

J'y ajouterais une clause demandant à ce que personne ne soit mis au courant de l'identité du type dans les médias. Un pauvre facteur, rendu fou par la mort accidentelle de son enfant, en guerre contre le monde, sans casier judiciaire. Si la justice le condamnait, la mort par injection serait plus douce que celle par crise cardiaque.

Kira n'était pas la Justice. J'étais la Justice.

Je regrettais d'avoir enlevé les caméras de chez les Yagami. Si Raito était Kira, et arrivait à tuer en période d'examens, il devrait forcément rogner sur son sommeil... ça aurait pu être une preuve. Mais mes pions seraient devenus invivables – encore plus – et se seraient probablement rebellés. Je n'avais pas besoin de ça, dans cette affaire.

« Merci Watari. »

Six sucres dans le chocolat. Plus masqueraient le goût du cacao. Et auraient rendu les macarons acides, en comparaison.


Trois heures quarante-cinq minutes, heure adorée où seuls les plus acharnés sont encore sur le pont. Malheureusement pour moi, cette fois, Matsuda avait insisté pour continuer à « m'aider »... ce qui s'était traduit par un glorieux endormissement avant même mon déjeuner. Et maintenant, il ronflait sur le canapé blanc, dans mon champ de vision.

Ennuyé par cet énergumène qui ralentissait mes déductions, je pris le parti de pirater l'université, pour voir où en étaient ces fieffés jean-foutre de correcteurs. Ils avaient numérisé les copies, pour les faire disséquer par des machines et voir si leurs brillants petits élèves ne fraudaient pas trop ostensiblement.

Parmi les fichiers, celui qui m'intéressait n'était certes pas le plus drôle – comment ne pas rire en lisant des inepties dignes d'enfants de trois ans dans des exercices de jeunes adultes ? – mais c'était clairement celle dont l'auteur allait être le futur représentant des élèves. Et par conséquent, elle était légèrement intéressante.

Raito avait un esprit synthétique et clair, une plume très précise et limpide. Une écriture agréable, de plus.

Renâclement de la part de l'endormi. Un bras qui partit sur le dossier, quelques mots incohérents : « Tuyau d'arrosage... non, pas le chaton, panda... ah ben c'est beau, c'est orange...salsifis pas bon. » Mes doigts restèrent en suspens au-dessus du clavier pendant quelques secondes. La logique de cet homme semblait le suivre jusque dans ses rêves.

Si Raito avait parlé dans son sommeil, l'enquête aurait peut-être pu être rapidement terminée. Mais le jeune homme déconnectait totalement son corps de son cerveau pendant ces moments, restant totalement muet et amorphe. Pour l'avoir regardé dormir plusieurs nuits d'affilée sans le quitter des yeux, j'avais au moins cette certitude.

Cheesecake à la mangue. Le bruit de la fourchette sur la porcelaine fine ne sembla pas gêner le rêveur. Pourtant, j'y mettais de la bonne volonté.

Retour à mes occupations. Raito Yagami. Écriture jolie, mais trop soignée. Aseptisée. Il avait forcément quelque chose à dissimuler. Et je le découvrirais. Comme prévu, copie parfaite. Un léger sourire apparut sur mon visage. Fin du cheesecake. J'allais peut-être pouvoir parler à quelqu'un et avoir du répondant, pour la première fois depuis très longtemps.

« Ryuzaki. Concernant ce discours à l'université, j'ai prévu l'arrêt des caméras. Mais tu sais que tu devras tout de même parler devant la salle entière, et préparer ce que tu vas dire. Tu as des préférences, pour les réconforts que je dois amener juste après? »

Hmpf. Regard ennuyé, déprimé, laminé. Ma tête partit sur le côté. Bien sûr que je savais tout ça, pourquoi se sentait-il obligé de me materner?

« Ne boude pas, ce plan était ton idée. »

Soupir. Deuxième part de cheesecake, miraculeusement apparue à portée de main. Parfois, Watari lisait trop bien dans mon comportement. Un des désavantages à ce que lui aussi, soit un génie, bien que sévissant dans un autre domaine. Plus qu'une semaine pour préparer ce discours, soporifique à l'avance. J'ouvris un nouveau fichier de traitement de texte. La verve lyrique n'était pas réellement mon domaine. Quinze minutes et un café plus tard, j'avais fini.

Ronflement. « Non.. enfoiré de sparadrap, freine!... tout cornu et tu rideau. » Merci pour cette contribution, Matsuda.


Je m'étais mis sur mon trente-et-un pour ce discours de rentrée des classes, et personne ne m'en avait remercié. Habillé de frais, douché, rasé et presque coiffé. Sans chaussettes. Je n'allais tout de même pas me soumettre à toutes les manies sociales pour une occasion aussi quelconque.

Je traversai la cour, envahie par les pétales des cerisiers en fleurs, qui signalaient définitivement l'endroit où se situait Todai. Seul le Japon a cet amour inégalable pour les cerisiers.

Il arriva, au loin. Yagami Raito, immédiatement aimant pour les regards féminins. D'après les critères de beauté conventionnels ; beau comme un dieu. La beauté du diable. Je percerais vers quel côté sa personnalité l'emmenait. Tellement parfait, ce vernis pouvait aisément cacher les pires horreurs.

Je rentrai dans le bâtiment, épargnant à ma peau trop pâle les agressions du soleil. Perché sur ma chaise inconfortable de la salle, mes tennis abandonnées par terre, j'écoutais d'une oreille distraite les discours du personnel. Ennuyeux, ennuyeux, ennuyeux. Ennuyeux!

Assis quelques places devant moi, pour le moment, une nuque que je tentais de transpercer de mon regard. Apparemment, il ne stressait pas, il ne tremblait pas, ne suait même pas malgré la proximité écrasante de la masse humaine autour de nous. Costume soigné, brossé, peut-être acheté pour l'occasion. Coiffure travaillée en un savant décoiffé particulièrement étudié. Parfait.

« ...représentant des élèves : Yagami Raito.

- Oui. »

Voix assurée. Sûr de lui, comme un dieu face à ses sujets. Démarche déterminée. Conquérante. Trop parfait.

« Ryuuga Hideki. »

Je lui emboîtai le pas. Il me jeta un rapide regard par-dessus son épaule, qui serait passé inaperçu si je ne l'avais pas fixé. Podium, pupitre. Je gardais mon regard perdu dans le vide, quelques pas devant moi. A priori, ça ne devait pas trop se voir, mais avoir passé ces presque vingt dernières années accompagné quasi exclusivement de Watari ne m'avait pas vraiment aidé à me sentir à l'aise en public.

Moi et Raito, face au monde estudiantin réuni, prêt à nous piétiner. Il prit la parole en premier, clair et concis, comme sur sa copie. Voix posée aux intonations calibrées, aussi agréable à écouter que son écriture à lire. Exagérément maîtrisée.

Mes orteils s'agitèrent, prisonniers de leurs chaussures. Invention antinaturelle. Finalement, je dépliai ma feuille – vierge, un discours aussi banal n'avait pas besoin d'être imprimé – et pris la parole, m'efforçant d'être compréhensible pour cette masse de décérébrés, qui avaient probablement tout oublié de leurs révisions au moment même de la sortie d'examen.

Fin du discours, présentation par mon surnom, un parmi des dizaines d'autres. En général, une affaire nécessitant un contact extérieur, un pseudo. Celui-là choisi pour le rappel de la star, piège évident et futile. Applaudissements polis de la foule, uniforme et terne.

Descente des escaliers, je le suivis, m'assis à côté de lui, au premier rang. Mes pieds enfin libres cramponnés au bord de la chaise. Légèrement moins inconfortable que celles des rangs derrière nous. Il semblait absorbé par les discours, mais ses yeux témoignaient de son esprit en constante agitation. « … et c'est pourquoi nous sommes fiers et heureux de vous présenter vos nouveaux professeurs... »

Ennui mortel. Ça ne pouvait pas l'intéresser. Je tournai ma tête vers Raito, prêt à le distraire et à commencer le jeu.

« Yagami-kun. »

Il arracha presque laborieusement ses yeux de la scène pour les poser sur moi. Mes doigts s'enroulèrent autour de mes genoux. « Je sais que ton père est le directeur de la police. Yagami Sôichirô. Tu dois avoir un sens de la justice aussi aigu que le sien. »

Pas de réaction. Visage plat. Tu me caches quelque chose, Yagami Raito.

Il se détourna, reprenant sa contemplation du défilé de profs sur l'estrade. Prof d'ancien japonais. D'après sa tenue, légèrement folle.

« Je sais que tu as aidé la police dans le passé. Et que maintenant, tu t'intéresses à l'affaire Kira. Je crois en ton sens de la justice et en tes capacités, et si tu me promets de ne rien dire à quiconque, je pourrais t'apprendre quelque chose d'utile sur l'affaire... Kira. »

Pas vraiment une hésitation, pas vraiment une accusation, pas tellement un test, que cette demi-attente dans ma phrase. Visiblement, le petit cerveau de mon voisin, malgré le temps qu'il devait mettre à prendre soin de son enveloppe, fonctionnait encore bien et à un bon rythme.

« Je ne dirai rien. Alors ? »

Jubilation. Je plantai mes yeux dans les siens. Puis chuchotai, sifflant presque.

« Je suis L. »


Qu'en avez-vous pensé ? Un commentaire pour ce petit chapitre d'introduction ? ^.^