Titre : Thirst

Disclaimer : Les personnages et l'univers ne nous appartiennent pas malgré un chantage à base d'expédition par la poste de pages de Death Note et de trognons de pommes cloués selon un rituel vaudou. Nous ne touchons bien entendu aucune compensation financière pour la publication de ce texte, là encore le chantage n'ayant pas suffi ^^ (On nous a mentiiii x) )

Rating : M pour certains chapitres

Alone Tyranours

Nous ne pouvons que remercier ta chère et tendre pour son harcèlement ! Heureusement que l'histoire t'as plu pour elle (parce que oui, se prendre un ordi dans la tête mine de rien ça réveille mais c'est triste pour l'ordi. Même si c'est l'occasion rêvée pour affubler le front agressé avec de charmants pansements à motifs ^^) Question yaoi je pense que vu le temps qu'on prend tu peux t'habituer peut-être, mais si tu n'attends plus que ça, alors je pense que notre pari est presque gagné non ? Après à nous d'assurer bien sûr. Merci beaucoup pour ton adhésion et tes très gentils commentaires ! Non tu ne review pas du tout comme une vieille, enfin ! D'ailleurs si « reviewer comme une vieille » c'est écrire des phrases correctes, bien écrites et sans majuscules intempestives, je prends tout de suite ma carte vermeille x) (sauf les smileys c'est dramatique je peux pas m'en empêcher)

Tu remercieras ton pnours fanatique pour nous ! Et j'aime beaucoup les mots-valises que vous avez inventés :3 Nous espérons que la suite vous plaira à toutes les deux, tout autant que le reste.

GotANewComplain

Je te réponds sur ce chapitre, même si tu as posté sur le premier. J'imagine que tu as lu plus que le premier chapitre pour poster un tel commentaire ? Merci beaucoup pour tes compliments x) Et ne t'inquiètes pas tu as le droit de t'exprimer même pour ne rien dire, en crypté, ou pas d'ailleurs. Hé bien, si au départ tu n'es pas très fanfic, c'est un beau compliment pour nous ! Merci beaucoup pour ton adorable commentaire plein de lettres gratuites en bonus. Nous espérons que la suite ne te décevra pas (la fanfic vaincra :3)

L Lundi

Alors, après comparatif entre review à l'ordi ou au téléphone quel est ton choix votre majesté ? Nous, on prend les deux avec grand plaisir :3 Vraiment, tu lis, relis et relis les chapitres ? On devrait te donner une récitation, ou peut-être te refiler un boulot xd Maiiis écoute si tu as besoin de le faire pour être sûre de ce que tu postes en commentaire, ou juste par envie, hé bien nous serons les bonnes dernières à en râler ^^ Et techniquement la dernière minute c'est vendredi (nous postons tous les 13 du mois, étrange hein xd) donc tu es large, en avance même ;) L t''es éternellement reconnaissant pour ta sensibilité, pas sûr que ça l'aide le pauvre xd Peut-être que tu recevras un don de chouquettes anonyme...

Navrée de te le dire, le chapitre 28 (le suivant donc) va être encooore plus long que le 27...c'est entièrement ma faute, je me confesse. C'est terrible à chaque fois ou presque je me retrouve avec mon petit plan de POV, l'impression qu'il est complétement insuffisant et ne va jamais tenir les 7 pages minimum, et à chaque fois je me retrouve avec des...monstres.

XD Méfie-toi, on pourrait demander des copyrights pour citations intempestives, nos espions sont partout ! L va mieux, et un L sans nourriture ça frise l'OOC, presque ;) Non il n'est pas dupe du rôle de Watari mais il faut dire que c'est légèrement évident quand même. Dis-toi que Beyond est loin, très loin d'avoir terminé de faire mumuse, ça ne fait que commencer.

Les coquillettes ont un pouvoir comique insoupçonné (et insoupçonnable ) c'est bien connu. Comment ça, pas de plan ? Mais où va le monde je te le demande, du coup je ne sais pas si je peux accepter cette review finalement (pour ma dignité,tu comprends c'est dur face à tant d'outrecuidance xd)

Bisous et à très bientôt, tu n'auras pas à attendre longtemps ^^

PS : Tu as compris le titre ? Je suis curieuse. Et oui, je confirme ce titre est nul, presque tous les titres sont nuls. Voilà xd C'est pas si évident d'en trouver un et en général il arrive comme une mauvaise herbe à la dernière minute. Tu as le droit de te moquer, je suis mauvaise pour les titres et ils sont tous (ou quasi) de moi xd Humhum serais-tu alsacienne par hasard ? Je sens la fierté régionale à plein poumons là x)

Merci pour vos commentaires ! Nous vous conseillons de lire ce chapitre en état d'éveil cérébral x)

Bonne lecture !

Petit rappel fin chapitre 27 :

Le studio où a "séjourné" Wedy a livré ses indices : la caisse de livres était à comprendre selon le symbole du cancer, celui d'Aiber : 6 syllabes démêlées pour l'auteur, 9 pour le titre. Premier indice, Le Mode d'emploi complet du suicide (soit Kanzen Jisatsu Manyuaru) de Wataru Tsurumi complété par un second. Les trous dans le sol du studio représentant une carte du ciel prise à une heure (3h10 la montre d'Aiber) et un jour précis du mois (le 4 mars). Le nombre des trous, 845, correspond à l'année d'éruption du Mont Fuji. La recherche s'oriente donc vers la forêt des suicides, Aokigahara sur les pentes du Mont Fuji, pour retrouver l'emplacement d'où la carte du ciel a été prise.


Chapitre 28

À tombeaux ouverts


La résonance des pulsations au fond des os, percutées contre les matin encore sans soleil, un ciel battant. Les pales de l'hélicoptère creusaient l'air de bourrasques, les arbres mâchés par les déferlantes de pression. Sur une dernière vague de souffle, la libellule acier éleva sa danse violente et s'engloutit dans l'œil du ciel clair, perdu en pleine forêt. Hélice et moteur graduellement étouffés à la distance.

Silence assourdissant. Mes yeux sur la masse végétale, sombre, informe. La forêt remportait sans effort sa guerre de conquête, épargnant dans sa frénésie affamée cette parcelle d'herbes nues. Clairière minuscule, vide sans importance dans la densité de la matière. Mon père, L et Matsuda s'équipèrent de leurs sacs et mallettes de prélèvements. Les repérages aériens inutiles, cette clairière, la surface la plus proche, propice à l'atterrissage de l'hélicoptère.

Ryuzaki sortit la console de localisation dernière génération, pointa l'Est.

Le plaisir relatif d'être à l'extérieur anéanti dès les premiers pas dans l'obscurité verdâtre mouchetée en bistre et gris. Les courbes des branches en nasse étroite, piège de feuillages pour la lumière naissante, incapable de passer la frontière. Troncs en cambrures fermés comme une cage thoracique et l'odeur de pourriture végétale à saturation dans les poumons, entêtante aux limites de l'irrespirable. Univers moite et froid traversé du bruit spongieux de nos pas, enfoncés dans la boue et la marmelade de feuilles molles exsudant l'eau de leur décomposition. L'étau des troncs resserré de mètre en mètre et la chape de branches dense jusqu'à atteindre une opacité quasi nocturne. Il fallut s'arrêter dans les presque-ténèbres encore striées en couleurs délavées et touches lactescentes.

« Qui a les torches ?

- Moi. Et j'ai même de vraies torches. Cool hein, pour l'ambiance. »

La grâce d'une réponse sortie de ma bouche. « De « vraies » torches ? Dans une forêt ? Il n'en est pas question.

- Mais il a plu la nuit dernière, pas de risque.

- Et pourquoi pas un feu de camp pour faire griller des marshmallows ?

- Ahhhh trop bonne idée, j'adopte. »

Aux bruits feutrés, typique de vêtements, j'en conclus que le détective et le commissaire venaient de se retourner pour me foudroyer des yeux. Les miens levés vers la voûte même si personne ne pouvait remarquer le geste, sauf à l'imaginer. « Ohh Ahh ça commence toujours comme ça. Puis viennent les sauve-qui-peut et les hurlements.

- Mais ce serait sympa. En plein dans la thématique ! Morts-vivants, suicidés c'est pareil avec la bonne lumière.

- Ou en plein dans la thématique de l'incendie de 3 500 hectares qui a consumé son pyromane, preneur pour la postérité ? Comme c'est glorieux. Sors ces lampes torches, s'il te plaît. »

Attente de bruissements, froissements précipités.

« Trouvé ! Mais... comment ça s'allume, je trouve pas le.. ah si... non c'est pas ça. Et... non. Euh je fais comment ? » Quelques jurons en supplément invitèrent une remarque sèche de la part de L.

« Si vous vous sentez assez qualifié, vous pouvez essayer le bouton on. »


Compactes masses fantomatiques qui s'effilochaient peu à peu entre les arbres. Le brouillard écharpait ses lambeaux, toile d'araignée en démesure pour les faisceaux de nos torches, affadis dans la prison de filaments laiteux. L'enthousiasme de Matsuda fugace, tué dans la suffocation arborifère. Il me suivait de près, marmonnant de temps à autre la même phrase « en restant groupé tout ira bien », litanie, chuchotis perdu dans les murmures des branchages. Mille voix chuintantes, siffleuses de bruits et de paranoïa, la malveillance tapie. Le policier en sursaut au moindre craquement, presque collé à mes côtés ou mon dos. Ce paysage nous dérobait les reliefs sous les pieds. Traîtres tapis de feuilles ouverts en gouffres immenses et cavités pour les jambes. La réalité distordue, fourbe à toutes ses dimensions, semblance infinie, labyrinthe et écheveaux de sentiers.

Les nébuleuses collées au fond des cavités du terrain, glacées et épaisses, étouffaient les sons, attisaient la nervosité irrationnelle du mythe Aokigahara, mythe de la forêt des suicides. L'ouïe à l'affût et l'angoisse dans le rythme des respirations.

Nos torches, traits de lumière accrochés à l'humidité suintante, gouttes perlées comme le déclenchement d'un réflexe salivaire. Pellicule d'eau ou sucs gastriques, ravis de nous faire glisser sur les racines enroulées en mer de serpents. Racines tordues, massives d'anacondas boursouflés. Les troncs brutalement relégués en phasmes longilignes par cet amas de reptiles aux courbes difformes et cabossées. L'écaille sinueuse, instable par la faim qui nous jetterait au fond de crevasses sans souffle, noires entre les masses luisantes de boue et d'avidité. Lianes inextricables d'anneaux dévorants, débridées en chaos noueux. Reptiles ou araignées repliées, les pattes innombrables ravagées de mousse, prêtes à la fulgurance de l'attaque, prêtes au déploiement cliqueté de griffes et à la patience de la traque. Sournoises et vivaces sous la moisissure trompeuse. Mouvements imperceptibles derrière le dos, crochets débordants de venin, dégoulinants de convoitise effrénée. Le mirage de claquements, de frôlements. De frottements glissés, à l'avancée lente, rendus vivants par les chuchotements hantés des branchages. Forêt marcheuse, forêt carnivore.

Les enchevêtrements projetés d'ombres rendaient l'illusion mouvante, rampante dans le balancement de notre progression. Forêt, monstre unique, tentaculaire à la multitude d'estomacs.

La condensation se dégénérait lentement, de mer lactescente à voiles parcellaires, elle s'enroulait dans les creux, partout et nulle part. Notre chasse lancée en pas vaporeux, ses mains noueuses agrippées à l'écorce. Cet éclaircissement relatif de notre champ visuel ne fit qu'accentuer la pression du cœur entre les côtes, le sentiment de strangulation. Le bois plus proche, envahissant les sens un par un pour les tourner à la hantise. Troncs courbes qui enfermaient l'espace et la liberté du ciel. La présence d' Aokigahara pesante, poisseuse. Obsession comprimée dans la poitrine, sans relâchement. La résine et la putréfaction macérée en carbone, poisons à chaque inspiration, vers le vertige. Et le brouillard toujours après nous, ses doigts rachitiques dans l'attente, faufilés entre les troncs. Serres crochues et filiformes.

Un grincement trancha l'inquiétant bruissement des feuilles. Grincement lugubre, résonné. Couplé d'une brusque inspiration, un hurlement réprimé. Le policier me partagea un regard et j'avançais vers le duo, talonné par Matsuda qui ne voulait pour rien au monde s'éloigner de la compagnie et de la lumière. La stature de mon père ne cacha pas longtemps le spectacle d'un pendu surgi de la brume, ses os dentelés de chair en déliquescence. La puanteur de la mort sauta à mes narines, à mes yeux : la viande rongée par les parasites, gros vers blanchâtres et vermine tortillés sur les lambeaux. Masse grouillante, huileuse de chitine et de pâleurs flasques en lutte pour leur tranche de putréfaction. Même la corde autour des cervicales brisées ne tenait plus qu'à quelques brins, dévorée elle aussi par l'appétit vorace de la forêt, hurlant son agonie en grincements étirés. La tête du mort sur le point de basculer en avant. Son crâne dépossédé, caricature sinistre d'une humanité qui s'attachait désespérément entre les fibres zygomatiques.

Un oiseau enfonçait ses pattes sur l'épaule gauche et le bec déchirait l'omoplate de ses derniers restes. La poussée de l'envol sur un œil noir liquide agita la corde. Corps en marionnette squelettique. Brume lentement lovée au creux des orbites, écoulée fumante par la grimace des dents.

Matsuda cramponné à mon bras, refusant une distance supérieure à deux mètres entre nous et les autres. « Si on reste groupés tout ira bien. Tout ira bien. » Mains écrasées sur la circulation sanguine devenues garrots. Les suicidés par groupes, proches ou lointains, mouvements de pendule dans la légère brise qui enroulait les contours de vapeur laiteuse. Pantins désarticulés, momies et épouvantails aux vêtements flottants. Surgis des arbres, visages d'os ou visages de peau, souvent hybridés dans la mort. Une mâchoire arrachée, langue en charpie pendue sur le cou béant dépouillé de ses muscles. Un visage de jeune femme, encore intact ; yeux ouverts aux paupières rougies, les mèches sombres, fluides, autour de son épiderme livide.

« Ce devrait être ici. » La main gantée de Ryuzaki désigna une rangée sur la gauche. « On sera précisément à l'emplacement des planètes à 3h10 le 4 mars dernier. » Les faisceaux de lumière valsaient sur les troncs aux rythmes des enjambées, écorce grisâtre éclaboussée de blanc clinique.

L'emplacement désigné par Beyond n'avait rien de particulier, parcelle marquée d'un panneau, un avatar parmi une pluralité. Cette fois « S'il vous plaît, reconsidérez votre geste. ».

Rien d'original en somme. Les appareils de localisation avaient la réputation de cesser leur fonctionnement, sauf les plus récents. Il y avait tellement de réputations et de superstitions ici. L'endroit parfait pour commettre un meurtre.

Ou plusieurs. Quatre. Cachés dans l'alignement des arbres. Un seul en bon état, livide sur la boue noire, un tatouage bien visible à l'épaule. L'un avait été calciné, l'autre noyé et le dernier comme... implosé sans combustible apparent.

Quatuor connu des éléments. Mais ce n'était pas le problème. Un ordinateur à longue autonomie allumé, L déjà en train d'ouvrir les bases de données d'Interpol et de la police, compilées et classées dans un logiciel généreusement trafiqué.

« Tête de tigre sur l'épaule droite.

- Quatre-vingt-dix kilos pour un mètre soixante-dix-huit. Brun, cheveux mi-longs, yeux marrons, type asiatique. »

Sans lever les yeux, les données entrées en quelques touches de clavier.

Akimune Ishiku. Criminel et victime de Kira troisième du nom. Tatouage de tigre sur l'épaule, marqueur assez distinctif.

« J'imagine qu'ils sont tous identifiables sans trop de difficultés.

- Si c'est le cas, alors ce n'est qu'une autre petite étape dans le jeu de piste. »

Ryuzaki penché sur le corps carbonisé, la peau noircie tranchée de morceaux d'os ébène en se rétractant. Côtes hérissées de l'abdomen. L'odeur de la chair brûlée, agressive. Poudre amère dans les poumons, pellicule de cendre au fond de la gorge. La chair fripée au charbon, resserrée sur un squelette à la structure féminine. Entre les lèvres étrécies, desséchées en traits verticaux, un éclat clair. Souffle retenu, il ouvrit les mâchoires, avec difficultés et délicatesse. L'arc inférieur lui resta entre les doigts, des blocs carbone détachés des faces latérales, fragmentés sur le sol. Avec d'infinies précautions pour ne pas effriter les gencives et le maxillaire qui tenaient encore les dents, il posa la partie inférieure dans mes paumes ouvertes.

« Les fichiers dentaires sont moins complets que les empreintes digitales ou -

- Monsieur Yagami. Je vous en prie, trouvez-moi des empreintes ou n'importe quoi d'autre d 'exploitable, je n'attends que les lumières de votre éblouissant cerveau. » Les dents supérieures étalées de pâte rose par les soins du détective, puis délicatement pressées dans un moule. Alors qu'il scannait le résultat obtenu avec un petit gadget de reconstitution 3D directement branché au pc – et pour lequel un tiers du budget attribué par l'État avant la coupure des financements était allègrement passé – je remarquais le scepticisme rigide de mon père.

« Ça te paraît facile ?

- Beaucoup trop. Mais comment est-ce qu'on va identifier les deux derniers, voilà ce qui m'inquiète vraiment. Et surtout, est-ce que le moulage dentaire sera reconnu...

- Bien sûr que oui, c'est la seule partie du corps encore intacte permettant une identification. Nous sommes au beau milieu d'une forêt de plus de 3 000 hectares, ce qui m'amènerait à penser que nos réponses ne se trouverons pas au prix d'une analyse poussée de cadavres et de leurs composants chimiques.

- Une partie d'un puzzle plus grand. C'est ce que je crois aussi. Beyond ne nous ferait pas venir ici simplement pour quatre cadavres tués de manières aussi... évidentes, le tout assaisonné d'indices aussi visibles. » L me présenta la mâchoire détachée, la question rendue inutile par l'odeur forte, caractéristique sur l'émail.

« PBDE.

- Précisément. Il voulait qu'on fasse cette identification.

Matsuda interrompit la conversation, sourcils froncés. « PBDE ?

- Une substance classique des produits ignifuges.

- Mais je comprends pas, l'émail c'est la partie la plus résistante du corps. Alors pourquoi la badigeonner d'ignifugeant ?

- Pour nous pousser à chercher l'identité de la personne, pas nous contenter du cadavre brûlé. »

Le cadavre numéro trois vraisemblablement implosé à l'oxygène, pour compléter le quatuor élémentaire. Abdomen et gorge ouverts, les déchirures couraient sur tous les membres jusqu'aux doigts partiellement éclatés. Tibias, cuisses, bras, tous cédés sous la pression. Schéma grossier, sale du système circulatoire, le sang, cuirasse liquide coagulée. Mon père verbalisa l'évidence. « Il n'a pas simplement été implosé, on lui a mis un tuyau dans la bouche. Ou quelque chose comme ça. On voit l'ancien emplacement des... veines. »

Organes apparents entre les ruptures mâchées. Les poumons et le cœur, guère plus qu'une bouillie de tissus musculaires. Le pire n'était pas là. Les intestins, serpentins rosâtres tortillés, éraflés d'une longue estafilade. La membrane trop fragile pour le choc, la substance infecte se déversait lentement par la plaie. Toujours vive, épaisse, putride.

La nausée dans les tripes, ma main sur le nez, insuffisante, tellement insuffisante pour contrer la puanteur. Matsuda craqua, courut se réfugier plus loin, dos tourné, paumes sur les oreilles pendant que Sôichirô, respiration bloquée, s'attaquait à la poche d'un sac. Une petite boite de crème : baume du dragon. Il s'en appliqua une touche sous le nez et fit passer. « Ce n'est pas très efficace mais c'est mieux que rien. Sinon il y a du Vixvaporum dans le sac de droite, honnêtement c'est la même chose. » La menthe et le camphre masquèrent l'odeur les dix première minutes.

Le mort ne l'était pas depuis très longtemps, assez pour sécher le sang mais tout juste. Tout juste pour la prolifération des insectes nécrophages. Quelque chose, une touche d'acier, apparente dans l'incision charcutée, ravinée par l'iliaque. Retenant l'envie de vomir de plus en plus féroce, le maigre bénéfice du baume déjà enfui, j'écartais les pans de la crevasse. Forçant sur la rigidité, les gants glissaient sur la peau, peinaient sur l'ouverture jusqu'à montrer un pivot de prothèse de hanche, le titane attaché de filaments cramoisis. Incapable de tenir l'écart plus longtemps, un bistouri me vint en aide, agrandissant la blessure pour dégager la longueur du pivot et sa tête fémorale en céramique. Le numéro de série était sur la face intérieure, difficile à repérer au milieu des artères et des veines hachées par le souffle d'oxygène.

Quatrième, le noyé. Je dus changer de gants, m'éloigner de quelques pas. Rien de pire que s'imbiber lentement, fermenté en interne et externe, jusqu'à être digéré par son propre organisme. Dans certains cas, dégénérer en substance grise et molle, grasse. La chaire devenue cire, « gras de cadavre ». Ici, pas d'odeur saline ou d'ammoniaque, mais de vase polluée. Sourde, pesante autour d'un corps à peine humain, boursouflé, dilaté à perdre ses formes. Amolli et distendu, cyanose flirtée avec le noir. Un visage méconnaissable, batracien dans son étirement bouffi, écartelé entre lividité et marbrures violacées, tirant couleur gangrène sur les extrémités. Mains et pied gauche toujours présents, détachés des articulations d'ici peu selon l'avancement de la décomposition. Doigts doublés, triplés de volume, bleu-noirs, amputés de morceaux. Le pied droit, intact à demi, lacéré en lambeaux spongieux, les pointes de chair transparentes. Des traces de dents aiguës plantées dans la chair en mousse minérale, vestiges des repas antérieurs d'une faune aquatique et grignotage aléatoire des globes oculaires aux nerf optiques. L'homme, Gorgone masculine blafarde aux cheveux courts, tortillés de formes molles et luisantes. Des cercles sombres dans les coudes ou serpentins plantés dans les lèvres et les cuisses, sangsues vivantes lovées aux plis du corps.

Le visuel était risible contre l'odeur. La puanteur par macération, absolument atroce. Abominable de chair faisandée à l'eau croupie et sa fange, marinée dans ses propres fluides. Indescriptible dans le dégoût.


Deux rangées d'arbres entre nous et le quatuor morbide rappelèrent la concentration et le salut d'un air un peu plus respirable pour la compilation des données.

« Ce sont toutes des victimes revendiquées par Kira, infarctus classique et tout le bazar. » Matsuda coupé en plein élan, ma voix plus froide que d'ordinaire. Objectivement l'intervention était plus pertinente que son habitude, mais mon estomac encore essoré exacerbait la mauvaise humeur.

« Ce n'est que la partie mineure du problème. Est-ce que Beyond les a tués en faisant passer ça pour un meurtre de Kira ou en a-t-il simplement profité ? Si c'est l'option numéro un, combien y en a-t-il ? Ça remet en question toutes les morts attribuées au troisième Kira, donc, sur quel critère Kira et Beyond se basent en réalité ? À quel point BB brouille les pistes ? »

Mon père intervint, devança L en vitesse. « Et si c'est exactement ce qu'il veut nous faire croire ? Et si c'est justement nous qui brouillons les pistes nous-mêmes ? »

Reniflement agacé : « Ce n'est pas une manigance, pas dans le sens où vous l'attendez. Je partage l'avis de Raito. »

Froncement paternel. « Il n'a pas donné d'avis, il n'a fait qu'émettre des possibilités.

- Il l'a donné, ne faites pas semblant de ne pas comprendre pour une fois, ce serait reposant. Ou faites semblant de comprendre tiens, douces vacances en perspective. Avec les traitements infligés post mortem aux corps, Beyond a détruit les preuves médicales. Par les temps qui courent, tout criminel au décès brutal par crise cardiaque est automatiquement attribué à Kira. Peut-être même sans vérifications ou disons tardives avec l'habitude et la fréquence de ce genre... d'événements. » Son pouce trouva sa place entre les dents. Regard dans le vague, certainement frustré de ne pas pouvoir vérifier les informations dans l'immédiat. Pas de couverture réseau et champs magnétiques fluctuants, une plaie. Son absence comme une insatisfaction croissante, insatisfaction de parler avec des personnes qui – dans le meilleur des cas - ne comprenaient que la moitié des implications, désespérants de lenteur. La conversation s'attachait à déterminer les autres points en convergence, qui faisaient ensemble ; je m'attachais à ne pas m'agacer. Cherchant les liens avec la partie précédente du tueur, les signes astrologiques tombèrent comme une évidence. Double vision, non sur les planètes mais sur les signes. S'il y avait similitude, penser la même partition : une illusion d'aveugles et d'incompétents. Mince espoir de ne pas avoir à expliquer une clé aussi simpliste.

« Le brûlé, Sagittaire. Le tatouage de tigre n'ayant pas reçu de traitement particulier, son signe taureau correspond à la terre. Conventions courantes.

- Mais ça oui. Mais je vois pas le rapport avec l'air et le signe Poissons. Et pourquoi Gémeaux pour l'eau ? Je ferais l'inverse moi. Il s'est planté ? » Assassin de l'espoir, Matsuda. Mais le commentaire eut le mérite de rattacher L à la réalité. Ou sa réflexion était venue à son terme, plus probable.

« Planté ? Carrière de fleuriste ou d'agent municipal tragiquement ratée ?

- J'ai toujours eu la fibre artistique, et la main verte. C'est pas donné à tout le monde.

- S'il n'y avait que ça. Peu importe. Les corps sont disposés en arc de cercle, orienté plein nord, pas en jeux d'oppositions ou de croisement. L'arc demande à être complété.

- Quatre est un multiple de douze...mais le fait que la première moitié ne soit composée que de quatre corps rend un reflet à l'identique de l'axe sud improbable. Les quatre sont des représentants, non seulement d'un élément mais aussi de la série de signes relative à cet élément.

- Gémeaux et Poissons échappent à la logique commune, la moitié sud nous fournira une clé de compréhension - »

Coupure nette, soupir. « Je ne vois pas comment vous sautez toutes ces hypothèses en privilégiant certaines pistes. Pourquoi douze et pas seize ? Ça nous ferait deux axes cardinaux, s'ils sont représentants d'éléments ce n'est pas un problème et serait une piste assez bonne. Le douze du zodiaque n'est pas forcément la solution. »

Au regard glacé et aux lèvres immobiles, le devoir d'explications m'incomba. Les douze hectares de distance entre les demi-cercles sonnèrent le glas de la théorie fumeuse des seize, à l'unique convaincu. Confirmation du zodiaque sous un autre angle, une autre approche.

Une courbe de trois corps féminins attendait, orientée sud. Les victimes n'étaient pas dans la base de données, deux dépouilles sans sévices apparents. Un triptyque entre le paradoxe du disparate et de l'uniforme. À peine couvertes de terre grasse, les têtes rasées pour un ovale lisse de souffrance, la main posée sur le flanc opposé. Fines endormies au teint trop blanc.

Babillage en arrière-plan, éludé. Ma concentration sur la main. Signification ? Quelques mots captés, de ci de là. « Plumes », « Trio », « Cheveux rasés », « Humiliation ou - », « Si elles étaient deux ce serait plus simple ».

Aucun intérêt contrairement au murmure, touche sur l'air. Aparté volé dans la discussion. « Terrain neutre pour ne pas mélanger les pistes. » La disparition des cheveux.

« Ou nous donner trop d'indices peut-être.

- À ce stade, l'un ou l'autre sont des possibilités équivalentes. La main à la taille, une invitation ? »

Le premier corps sur la gauche – sens de lecture européen évident – était plus qu'étonnant, contradiction avec les deux suivants que ce corps implanté de plumes noires. Minuscules proéminences dans la chair livide du visage, élégance longue autour des yeux qui s'élançait sur les pommettes. Vite rétrécie en pointes et bulbes, chemin naissant sur la gorge et les clavicules allongé en mèches courtes. Soies rebelles, hérissées pour s'étirer en plumes, épaules parées d'encre. Longues textures, épaisses, peu à peu diminuées, dégénérées en piqûres sur les poignets : cratères noirs. La terre coupait la poitrine et les hanches, bandes de matière mélangée aux plumes avant de les engloutir. La reprise timide, espacée dans la peau du ventre et des cuisses. Quant au dos... plumes brisées dans l'épine dorsale apparente.

Le corps tristement objet, objet d'harmonie et d'art malade.

Je prêtais mon aide au détective pour retourner la seconde femme, Matsuda et mon père se chargeant de la dernière. Ni l'une ni l'autre ne présentaient des traces sur la peau offerte, vue de face.

Aucune blessure n'enlaidissait le dos froid sous mes yeux. L'indice attendu, un dessin superposé sur la colonne vertébrale. Tatouage de vertèbres cervicales.

« Vingt-quatre cervicales. Le seul oiseau à en posséder autant est le cygne. »

Je relâchai la prise sur les côtés, laissant le corps retrouver sa place initiale. « Donc ça exclut le cygne noir pour la première femme. » Voix plus forte. « Contrairement à ce que tu pensais papa. Papa ? »

Le regard du commissaire rivé sur le dernier dos. « Non, ce n'est pas définitivement pas ça, je le reconnais. » Intrigué par la réponse laconique je m'approchais. De larges traces étalaient une succession de brûlures des omoplates jusqu'aux hanches. Illusion remarquable que ces plumes écarlates, dessinées au feu sur la peau.


Si deux demi-cercles ne demandaient qu'à être réunis, l'intérêt du cercle lui-même ne pouvait résider qu'en son centre. La marche avait divisé les conversations, le quatuor en duos. Et ce n'était pas plus mal. Mains dans les poches, dos courbé mais l'avance rapide, L à mes côtés interrogea mon air préoccupé.

« Noir, blanc, rouge. C'est une combinaison qui m'est familière.

- Moi aussi. »

Mon timbre nuageux, réflexif en tentative de résumé. « Des oiseaux. Le cygne blanc c'est certain, les autres ne sont que conjectures. Mais peut-être... un corbeau ? »

Les yeux de L, brusquement fermés, ouverts. « Alors le troisième ne peut être qu'un phénix. » Brillance au fond des iris. « Corbeau symbole de la couloir noire ou de la putréfaction, le cygne la blancheur, Phénix le rouge. Le tout relié aux signes du zodiaque. »

Compréhension immédiate, fusée, couplée. « Alchimie. Les trois couleurs comme les trois phases. »

À l'aller, le pressenti nous avait fait déposer la moitié des caméras, des valises de prélèvements et matériel divers vers le milieu approximatif. Quand il était devenu évident que la seconde partie n'était pas à douze mètres et vraisemblablement pas à douze kilomètres ; douze hectares, donc, six depuis le point de départ, calculé comme un pari. Fructueux. Et le calcul s'avéra étonnamment juste lorsque le GPS dernière génération pointa l'emplacement marqué de nos bagages.

Le reste ne fut pas dit, gardé pour plus tard : les policiers nous rattrapaient.


Le détective faisait les cent pas, l'enjambée de plus en plus agacée. Le centre du cercle ne donnait rien, pas d'indices, pas de nouvelles pistes. Tout le monde fut finalement convié à la recherche de traces au sol sur l'hectare central, en dernier recours. Le néant de la manœuvre nous poussa L et moi à décaler le matériel. Quelques valises et la caméra infrarouge mis de côté, il empila une bonne partie du reste par-dessus, la zone ayant déjà été inspectée. Je déposais les sixième et septième mallettes, m'apprêtant à repartir dans l'autre sens pour les caméras lorsque L plaça la huitième et dernière valise. Craquement sec. Figement. Il posa précautionneusement la valise, tête baissée vers le sol. Deuxième craquement. Son regard s'accrocha au mien pour une seconde. Une seconde engluée, empêtrée dans son propre temps. Le cerveau courait, mais le magnétisme noir à mes iris puissant comme une entrave et Ryuzaki tomba, avalé par le vide.

Réaction d'instinct, brutale d'adrénaline. Quatre mètres, distance sans réalité. Le réflexe précipita mon corps, le fit plonger en partie dans le gouffre. La chute de Ryuzaki retenue, mes mains fermées sur ses avant-bras.

Deux voix par dessus mon épaule. « Tout va bien ? » Des pressions de contact, puis une poussée vers l'arrière, arrêtée par L. « Passez-moi une torche. » Longue attente et l'appareil circula, enfin. Mes bras tressaillant sous l'effort, absorbant les balancements, glissant sur le fichu t-shirt trop long, trop large qui se dérobait et plissait sous mes doigts.

« Six mètres de fond. Approximativement. Tu peux me lâcher. »

À mon tour, la chute, réceptionnée souplement. La dureté du sol et le choc des appuis amortis sans peine, les jambes fléchies atténuaient efficacement l'énergie cinétique. Six mètres, une chute tout à fait acceptable même sans rouler de côté.

La torche de L balayait les murs d'une pièce cimentée, éclaira un escalier descendant à l'extrême gauche. Je m'époussetais rapidement pour aider à la réception du matériel avant que les deux policiers ne nous rejoignent. Le moindre bruit fragmenté en mille résonances, l'odeur était lourde d'humidité immobile. Stagnante.

L'escalier aux marches hautes enroulait sa structure sans consentir à mourir. Descente infinie. La première touche glacée dans le cou me soutira un sursaut. Matsuda collé à mes talons et L juste devant braquèrent le plafond suintant, les gouttes sur le sol écrasées en claquements démultipliés.


« Ridicule. Watari fait son marathon de visioconférences, qui sait s'il sera même libre avant la fin de semaine, voire avant le mois prochain. Et cesse de te tortiller, ça n'arrange rien dans la catégorie ridicule, surtout si tu peaufines ta magnifique imitation de l'algue marine. » Secouai la tête pour revenir dans la chambre armé de désinfectant et de compresses. L était allongé sur son matelas, son t-shirt hideux assez large pour permettre à son propriétaire de le retrousser à partir des épaules jusqu'à la moitié des omoplates. Griffures tranchées en cramoisi brûlant sur l'épiderme. La blancheur des muscles en totale opposition avec le livide. La discordance ne pouvait être plus absolue, deux nuances d'une même teinte, pures antagonistes, morceaux de monde impossible de concordance. Je m'assis sur le bord, fit glisser mes doigts sur l'oxymore fascinant d'une pâleur chaude. La nuque remontée, les mèches de cheveux plus courtes retenues entre mes phalanges. Chaos tiède sous ma paume, ténèbres lisses et douces en petites mèches capricieuses. Retenue aussi, sèchement, l'envie fourmillante d'y disparaître ma main.

Je commençais à taponner un coton imbibé sur les traits rouges de la nuque à la limite du tissu.

« Ça pique.

- Si tu demandes gentiment au tétanos de partir, il t'écoutera, c'est certain, et il paraît que les staphylocoques et les bactéries sont très bien élevés cette année, un remarquable sens de la courtoisie.

- Ça pique.

- Gamin, un nom qui te va si bien, presque hérétique de t'appeler autrement. »

En se brisant la trappe avait laissé de petites particules de terre et de bois, retirées le plus doucement possible. Travail minutieux et sans parole, les impuretés attirées vers l'extérieur des coupures en effleurements sur la peau satinée. Belle. Caresses du bout des doigts. Je tentai de faire abstraction. Abstraction de cette peau touchée un peu plus longtemps que nécessaire, sensation douce, impossible à déformer. Perception insolente que sa peau et la mienne. Abstraction pénible.

Plus que le reste, essayer l'oubli. L'oubli des yeux mi-clos, rivés sur moi.

Besoin de meubler le silence. « Je m'attendais à des compresses à motifs : bonbons, cupcakes, chocolat, glaces. Vraiment je suis déçu, tu baisses dans mon estime. » Pas de réponse, iris nocturnes à peine plus ouverts. Ne déviaient pas. Remuaient mon ventre entre chaleur et volonté froide.

J'avais presque fini d'appliquer une à une les petites compresses, permettant la liberté de mouvements du cou, quand un son stria ma concentration, l'air. Sms lu.

« Misa vient d'acheter un billet sur internet, elle embarque dans cinq heures. » Tension brutale dans les mains de Ryuzaki, légèrement crispées aux draps. Torpeur éclatée sur son visage.

« Il y a deux niveaux pour le moment. Le premier d'une surface de douze hectares, considérablement réduite au second niveau, le souterrain.

- C'est une forêt encore jeune, je ne serais pas surpris de découvrir d'autres ramifications de ce genre. » En particulier à partir de la salle souterraine, précision inutile, précision insultante.

Revoir les photos du charnier me souleva l'estomac, puanteur de la viande pourrie qui me happait le souffle. Huit corps disposés à intervalle régulier, si ce n'était les quatre espaces libres. Horloge humaine en décomposition.

« L'alchimie considère le zodiaque comme un découpage de quatre triangles selon le système quaternaire, ou trois carrés, système ternaire.

- Théorie allégorique fondée sur la relation signe-élément naturel. Mais il me semble que les Poissons et Gémeaux sont respectivement associés à l'eau et à l'air. Pas l'inverse.

Ombre de sourire. « Tu as fait des recherches.

- J'ai plusieurs années d'expérience à rattraper. » Je sortis une feuille et traçais les signes astrologiques en cercle, un cercle sur chaque moitié de la feuille. Je reliais le premier cercle de ses quatre triangles conventionnels, le second laissé vierge.

« Beyond déteste les conventions, bien qu'il soit obligé d'en jouer pour se faire comprendre. Une appropriation par dépassement. La version classique est défaillante donc il s'en émancipe et la reconstruit. Aberrations sur lesquelles les spécialistes se cassent les dents depuis quelques siècles. »

Feuille attrapée au vol, il annota le second cercle d'un symbole différent pour Gémeaux et Poissons, rapportant l'élément donné par Beyond.

La date de naissance des huit criminels décédés gravées dans la poitrine, tous censés être morts d'une crise cardiaque grâce au troisième Kira. Les identifications sans surprise, répartirent un mort par signe. Cette fois pas de noyade, d'implosion ou de calcination, autre manière de jouer pour Beyond Birthday.

Plusieurs essais infructueux puis L eut l'idée d'appliquer l'hexagramme de Salomon, le triangle d'eau en opposition au feu. Le feu : Sagittaire, Lion, Bélier donc pour l'eau : Gémeaux, Verseau, Balance. La terre se constitua selon la même logique opposée à l'air ; Capricorne, Vierge et Taureau contre Cancer, Scorpion, Poissons.

« Cancer, Scorpion, Poissons... il répète une trame victime-enquêteur-tueur...ou ce n'est pas qu'un hasard...

- Le problème c'est la logique du système, le simple rapport de force n'explique pas tout. » L'alchimie, doctrine hermétique par excellence. Le résultat tel quel bien loin de nous suffire, d'abord parce qu'il n'était peut-être pas exact et sans comprendre impossible de le savoir. Savoir, comprendre, disséquer les liens et les enjeux, drogue intellectuelle.

J'interrompis le calme des recherches. Une réflexion sur les lèvres qui n'allait pas plaire. « La recherche d'un idéal ou d'un absolu, Birthday a choisi très à propos sa thématique pour s'associer à L et au premier Kira. » L pour la fonction, pas la personne.

Ryuzaki ne redressa pas la tête, coula son regard et ses mots, pincés d'agacement. « L'idéal, l'absolu, une obsession de l'humanité dans toute son histoire.

- Je ne parle pas de l'humanité dans toute son histoire. L'un des buts de l'alchimie est de corriger les imperfections des métaux pour les rendre parfaits, purs. L et Kira veulent rendre la société pure quand Birthday essaie de le devenir, en quelque sorte.

- Parce qu'il essaie de me ressembler ? Réducteur. »

Pointe taquine pour gommer le déplaisir de son expression. « Ce n'est pas plutôt d'être comparé à Kira et BB qui te gêne ? Ou eux comparés à toi. La justice aveugle mais au sens propre bla bla bla… »

Un coussin envoyé dans mon épaule. « Seulement que tu compares Kira à L. Ça c'est de l'aveuglement dans toute sa splendeur. » Pique blessante, que j'avais cherchée. Double dans la hiérarchie.

« Tu fais semblant de tiquer là-dessus pour dissimuler l'évidence : la seconde comparaison ne te gêne pas. Ou que tu ne peux nier sa pertinence. Tu ne devrais pas nier la première non plus si tu veux être honnête envers toi-même.

« Pertinence ? La volonté première a peut-être une certaine similitude mais les enjeux n'ont rien à voir. Ce qui revient à rendre L et Kira semblables aux nazis et autres fêlés de tous bords. »

Sourire pour une répétition. « Réducteur. Et en fait tu t'es déjà comparé à l'humanité dans toute son histoire ce qui inclut-

- Hors de propos sauf si tu estimes ne pas faire partie de l'humanité, éventuellement ? » Sous-entendu non dissimulé. Cherché, lui aussi. « Et la comparaison Kira- L ne te dérange pas ? Monsieur Justice et principes ?

- Question d'angle de vue, mais l'idée est la même.

- La même ? Kira semble bien plus proche du nazisme que L, intéressant. »

Temps d'adoucir, retour à la taquinerie avant le glissement. Le besoin de confrontation après tout ce temps passé en groupe, contenté. « Comme BB qui semble considérer tes défauts aussi innombrables que les douches que tu as manquées part intégrante d'une forme de perfection. Nouvelle perception du concept très curieuse et intéressante. » Le coussin tenu dans ma main, sur le point d'être renvoyé se figea. Une idée liée par la précédente, effrayante. Alchimie aussi quête d'immortalité, autre pan non négligeable de l'humanité dans toute son histoire. B voulait devenir L, pas seulement lui ressembler ? Sa personne, mais aussi reprendre son « titre » ? La façade dépourvue de visage, de nom. Désincarnée donc costume pour tous, pour lui. Désincarnée donc immortelle, à l'image de Kira et ses deux successeurs. Mais, BB bataillait le terrain du troisième Kira, actuellement. Il ne voulait pas prendre la place de L mais celle de Kira ? Ou s'entraînait, peut-être. D'autres L avant celui que je connaissais ? D'autres prévus après ? Fallait voir un message dans l'utilisation de l'alchimie, en plus du jeu. Si oui, lequel ?

Je reposais le coussin, sans le lancer.

« Autre sympathique pensée à partager pour la classe ? » Ton acide à demi curieux.

… « Non. »


L, une fois de plus était le seul à se délecter du dîner, le cercle de sucreries autour de son assiette en diminution rapide. Tarte tatin, poires confites et macarons moka bientôt souvenirs.

La moindre cuillère d'aliments prenait un goût de cendre et pourriture dans ma bouche. Le tour fut aux pâtisseries orientales nappées de miel quand Watari entra, se trouva face à trois personnes qui en regardaient une autre se goinfrer sans esquisser le moindre geste.

« J'ai parlementé toute la journée, le gouvernement japonais ne pliera pas. Nos subventions et passe-droits sont suspendus, les sanctions en cas de manquement ne changent pas. » Le détective détaché de son statut public trancha violemment un pain d'épices. « On me relègue au rang de terroriste. La prochaine étape, ce sera Kira président ? À moins qu'il se proclame empereur et rétablisse l'ancien système féodal.

- Nos... autres sources de revenus sont insuffisantes pour combler les dépenses habituelles. Les restrictions commencent par la nourriture et sa provenance, les transports et le matériel technologique de pointe.

- Commencent ? Après ça il reste quoi ? Belle investigation... Kira et BB arrêtés grâce aux gâteaux de supermarché, aux trottinettes et au Cluedo ? » Timbre citrique, plus amer que jamais. Il se retrancha dans le silence, ignorant même les théories marocaines de Matsuda pour camoufler les odeurs des macchabées. Sans commenter l'image de toute la cellule d'enquête – désormais clandestine – aux narines garnies de feuilles de menthe, mon père demanda notre avancée sur le schéma quaternaire.

« Le triangle du feu ne dévie pas de la tradition, c'est le triangle des soufres. Le bélier symbole de la toison d'or donc du soufre blanc dans les textes, le lion est symbolisé par soleil c'est-à-dire le symbole du soufre rouge. Le Sagittaire est le signe de Jupiter, dont l'aigle est l'un des attributs. L'une des nombreuses interprétations de l'aigle est le gaz émis par le soufre blanc.

- Oui, et le triangle de terre reste conforme à la tradition Vierge, Taureau, Capricorne. Je parlais du reste.

- Je sais, on travaille dessus.

- Vous pourriez travailler avec nous, au lieu de vous isoler dès notre retour au QG. Nous sommes une équipe et ce n'est pas parce que votre potentiel intellectuel est plus élevé que nous sommes incapables de contribuer à l'enquête. » Le reproche piquant dans la ride du lion surtout destiné à L que mon père regardait fixement.

« Pardon. » S'il ne s'agissait pas d'un gaffeur invétéré et de mon père, leurs présences, cassantes de dualité, décohésion et faux temps dans l'harmonie, seraient éliminées, exclues. Insidieusement. Comme le corps rejette les intrus de son système. Quelqu'un de plus intelligent n'y aurait pas davantage sa place. Dérangeante pensée, repoussée, éjectée le plus loin possible.

De retour dans notre chambre, les deux autres partis dormir, la chasse recommença. Avancée au ralenti par la séance post-dîner. Frustrante. Toute tentative de conversation en aparté et deux niveaux sanctionnée d'une réflexion inquisitrice ou d'un regard mécontent. En eux-mêmes comportements légitimes, légitime de vouloir participer autant que d'autres à la résolution d'une affaire, mais qui demandaient toute la diplomatie et la patience dont j'étais capable. Le fil de réflexions haché de questions et de commentaires déplacés.

Seulement les deux derniers triangles élucidés n'élucidaient pas grand-chose d'autre. Pour ne pas pas dire rien. L'eau : Verseau, Gémeaux, Balance, soit symbole de la préparation du Mercure des Sages permettant la conjonction des soufres, complémentaire du triangle de feu. Le paradoxe de l'air représenté par les signes des Cancer, Poissons et Scorpion solutionné en se référant au traitement des éléments à cette époque de l'Œuvre. Soit la sublimation du Mercure. Certes. Et après ? Question essentielle, impossible à résoudre dans la même pièce que les turbulences de Matsuda et les regards couvés du commissaire.

L sitôt rentré déballa une petite colonie de caramels, pour se passer les nerfs, peut-être. Je m'assis sur son matelas, ce soir temple dédié à la nougatine et aux biscuits à la cannelle.

« Tu devrais engager une personne supplémentaire. » Interrogation étiolée. « Quelqu'un de vraiment intelligent qui nous permettrait d'avancer plus vite. De faire un vrai travail de groupe. »

« Le changement de point de vue et le renversement. La dualité. C'est la constance de la partie précédente. Tout n'est qu'un ensemble.

- Il existe un Tarot alchimique, aussi allégorique que le zodiaque.

- Déjà utilisé, la Papesse.

- Justement. Une seule carte. Un lien à exploiter, pourquoi pas.

- Ou déjà exploité, pour nous mettre sur la piste de l'alchimie. »

Les yeux fatigués à force d'examiner des textes abscons, cryptés, je regardais un instant l'autre fouiller internet d'une main avec son portable, noisettes caramélisées dans l'autre. Curieuse réflexion, tout ce qu'il mangeait ces derniers temps tournait une seule teinte, nuancée et déclinée. Hum. S'il recommençait à se nourrir, peu importait son délire alimentaire du moment. La semaine prochaine le blanc ou le violet. Mes limites toujours là, bien en place mais différemment présentées.

« C'est n'importe quoi, on avait cet élément sous le nez depuis le début. Double lecture... c'est pourtant évident… ton père ralentit mon fonctionnement cérébral avec sa présence inopportune et ses questions d'idiot du village consanguin. Et le tien. Les trois femmes représentent les trois phases de l'Œuvre, noire, blanche et rouge. Rouge étant l'étape ultime, la création de la pierre philosophale. » Il s'interrompit, attendant que je comprenne… Simple.

« Le zodiaque alchimique correspond aux périodes de fabrication. » Un crayon dans ma main, les étapes liées en flèches sur le cercle zodiacal. La dernière étape tombée sur le Scorpion.

« Soit Ayaka Ushio, né le 31 octobre 1956. »

- B comme 3 + 1 et scorpion c'est ton...

- Signe astrologique. Je suis au courant. » Silence. « Ne rêve pas, ce n'est pas ma date de naissance.

- Ou tu es exceptionnellement jeune pour ton âge. »

Son visage impassible, loin de toute compréhension, conjonction. « Il va falloir chercher autour du Scorpion demain, une autre trappe ou un escalier quelconque. Il y a forcément une autre salle. »


Tourné et retourné. Immobile. Mon lit, bastion d'une lutte perdue, d'un sommeil qui ne viendrait pas. Ma respiration contaminée, débordée du parfum de la mort. L'air dévoré de relents putrides jusqu'à sa dernière molécule. Immonde. Je craquais, sur un murmure réticent.

« L... Tu parviens à ne plus la sentir ? »

La petite lampe s'alluma. « Syndrome psychologique courant. Je m'en doutais, tu n'as rien mangé tout à l'heure. J'ai déjà eu bien pire. On s'habitue. L'odeur des pâtisseries la fait passer pour moi. » Aucune chance dans mon cas. « Il n'y a pas de méthode universelle. La plupart des gens ne peuvent qu'attendre que ça passe et ne s'y font jamais. »

La lumière rendait le noir fluide et brillant, une flamme dorée perdue au fond des pupilles. Noir profond à l'intensité matière. Moins froid, onctueux parfois, pour moi. Satisfaction délicieuse quand ces yeux-là me regardaient.

Le contact visuel, lien que je ne voulais pas rompre, pas cette fois. La pestilence prête à me submerger. J'attendais. Étudiais. Mon interprétation sur la régularité de son visage. Lui la sienne, sur le mien. Tourbillon de théories avalé, absorbé par la dimension d'une autre intelligence. Gravité.

La lumière finit par disparaître et la chambre parut minuscule. Les murs serrés sur l'espace, mes poumons suffoqués de miasmes. Savoir que ce n'était rien d'autre qu'un effet secondaire psychologique n'en changeait pas la force. Pouvoir inégalable du cerveau. Fermer les yeux, imaginer un arôme délicieux, inspirer à pleins poumons ne faisait qu'entrer le vicié, le sordide et le purulent droit dans ma gorge. Amplifier le malaise. La nuit refusait le néant et le matin ne venait pas. Le sommeil ne viendrait pas.

Des heures d'hésitation vaincues. Pouvais pas le supporter plus longtemps, mes yeux brûlants de fatigue. Je me levai, tapotais l'épaule de L. Il n'avait pas l'air de dormir, en tout cas se décala immédiatement. Je me glissais contre la forme chaude de son corps, heureux de ne pas voir son expression, mécontent de moi-même. Il ne fit pas de commentaire lorsque j'enfouis mon visage dans son cou. Au moindre son articulé, je retournais à mon lit.

Ryuzaki ne bougea pas.

Lentement la répugnance nauséabonde se poinçonna, se délita. Une odeur de peau, suave, tracée de pointes fauves.

Je préférais penser que le temps nécessaire s'était écoulé.

Rapide elle, la réalisation que je n'avais plus besoin de rester. Commençant à me redresser, un bras se posa sur mon dos. Sans pression, juste le contact. « J'aimerais dormir aussi, un peu. »

Un contact qui laissait le choix. Les contre rationnels l'emportaient nettement sur les pour, pourtant la décision évidente du départ avait du mal à se mettre en œuvre, muscles prêts mais immobiles. « Et le syndrome peut revenir. » Plaisanterie ou constat, je n'étais pas sûr… L'envie persuada le mensonge, cette fois. Me pelotonnai contre lui. Voler quelques heures.

Stridence odieuse, ma main réactive déjà sur le mobile. Force de l'habitude. Appel accepté sans même ouvrir les paupières, trop lourdes.

Misa se chargea de me transpercer l'oreille d'une tonalité à l'exploit plaintif et colérique du même trémolo. « Raito, mon amour, je suis à l'aéroport et j'allais embarquer mais y a une foutue alerte à la bombe, là. Brenda m'avait dit que j'avais un mauvais karma ce matin... mais comme elle met des imprimés fleuris avec des motifs géométriques j'ai décidé de pas l'écouter, tu comprends, c'est pas sain comme mode de vie, ça vous vieillit une femme ça. Puis, c'était censé être ma meilleure journée depuis... depuis... depuis que je suis partie. » Des larmes tressautaient dans sa voix. « En plus il va faire nuit, j'ai faim et j'ai soif. Et tu me manques. Et y a la queue aux toilettes. Et tu me maaaanques. J'en ai marre d'atteeeendre. »

Soupir.


Thirst


Le petit déjeuner, premier touché par les coupes budgétaires. Circonspect, j'attrapai le sachet de thé, du bout des ongles. Étrange chose, sans odeur, emballée dans son coton comme du purin dans un sac d'engrais. La chose déposée prudemment sur le plateau, dégoulinante de jus verdâtre. Dégoûtante.

J'avais vaguement conscience du regard mi-curieux mi-amusé posé sur moi. Lui continuait seulement à touiller son café, peu enthousiaste à l'idée d'avaler une boisson noire et âcre – par sa faute, à lui qui ne mettait pas de sucre – le nez toujours hanté par les relents de pourriture humaine.

Reniflai mon supposé thé. Manque de raffinement effrayant, absence d'arômes. Par acquis de conscience, ma langue vint tester l'infusion. Manque de mots pour la décrire. Notes de brûlé, de rance, amertume non méritée. Comment quelque chose pouvait être amer, avec quatorze sucres ?

« C'est dégueulasse. Qui boit ça ?

- Le reste de l'humanité.

- Formidable. Le reste du monde pense donc que le thé, c'est de l'eau chaude avec des plantes dedans, jetées au petit bonheur, sans considération pour le goût ni réflexion sur les méthodes. Grandiose. Autant boire de l'eau. »

Me reportai sur le jus de fruits. « Ce sont même pas des oranges du Brésil.

- Je suis sûr que tu inventes. Il n'y a pas de différence perceptible entre Brésil et Espagne. Ou n'importe quel autre pays.

- Tu ne la sens pas parce que ton palais est détruit par ta consommation de sel. Et si ça continue, Watari va finir par détruire ma langue à l'acide, juste pour me faire avaler ces ersatz dégoûtants. »

Le coupable entra dans la pièce, habillé aussi parfaitement qu'à son habitude, toute sa personne créée, ajustée au plus proche de son rôle affiché. Jeu de masque qu'il ne quittait jamais. Mais qui, dans cet immeuble, n'était pas en représentation permanente ? Rapide regard vers Raito. Toujours plus naturel, plus accessible le matin. Ou la nuit, quand son comportement n'était pas paradoxal au point de l'empêcher de dormir. Lui qui avait tant besoin de sommeil, et m'en privait. S'en privait aussi, depuis que l'expédition Aokigahara avait affecté sa psyché au point de créer ces ennuyeuses hallucinations olfactives. Double ressenti quant à la situation. Satisfaction de son retour à l'acceptation du partage de lit, de chaleur et de sérénité, gâchée par cette curieuse empathie. Les odeurs de macchabées parmi les pires perceptibles, si difficiles à éloigner. Presque aussi ignobles que celles d'une jardinière de légumes, et plus persistantes que le goût des sablés maudits.

Watari toussota, me tirant de mes pensées, ramenant mon attention sur lui, et ses papiers à la main. Deux feuilles posées devant moi, comme preuves d'une enquête, résultats de crimes odieux.

« Ryuzaki, au lieu de te plaindre comme l'enfant que tu prétends ne plus être, prends le temps, s'il-te-plaît, de considérer ces documents. Il s'agit de nos dépenses en nourriture pour l'année passée, et de mes prévisions pour les mois à venir. Essaie de réfléchir ; importer des oranges fraîches pour le petit-déjeuner est-il si important ? Ne préfères-tu pas payer du nouveau matériel ? »

Chiffres sans sens. Un résultat nettement supérieur à l'autre, mais... « Je ne sais pas, Watari. Ça fait tellement, comparativement aux fonds dont nous disposons ? » Regard éloquent. Pourtant, il faudrait bien qu'il comprenne que je ne me nourrirais jamais de sucre au rabais.

« C'est toi qui m'encourage à mieux manger. Il faut manger des fruits, pour la santé. » Pari risqué. Trop.

« Tu t'inquiètes pour ta santé ? Sur ce point, prends exemple sur Yagami-kun, et équilibre ton alimentation. Ton jus d'orange ne sera plus pressé avec des importations directes du Brésil. C'est tout. »

Demi-tour, vexé pour qui savait lire son dos rigide, la démarche juste trop rapide. Prise à parti de mon ami.

« Il est méchant avec moi, non ? »

Sourire noyé dans une tasse aux spirales sombres.

« Sûr. »


Les schémas s'étiraient sur les tables, les murs. Jusque sous et sur les claviers. Signes astrologiques partout, tentatives de correspondance alchimique. Les dessins aux contours étriqués, déterminés, perturbants. Raison à l'orée de ma pensée, celle-ci sans cesse entravée par les pépiements des abrutis derrière, s'ébattant et débattant, nuée d'étourneaux au printemps. Un crayon mordillé, le bout déchiqueté entre mes dents, traçait inlassablement de nouvelles pistes, de nouveaux liens. Sans résultats.

« Ce n'est pas normal. Quelque chose échappe. » Murmure pour le vide, néanmoins capturé. « Nous échappe ? Nécessairement, sinon nous aurions trouvé la solution pour descendre encore d'un étage. Le Scorpion n'est pas la solution. Il n'y a ni trappe, ni rien.

- Non. » Feuille froissée, boule inutile traversant la pièce par la voie des airs. « Quelque chose échappe. Le système ne fonctionne pas. Le mort Scorpion n'est pas la solution, mais c'est forcément le Scorpion. »

Frustration. Certitude d'avoir la solution, évidence du non fonctionnement de la réponse donnée. Je me léchai un doigt, le plongeant dans le sucre de betterave pur, le reléchai. Répétition.

« C'est le Scorpion, Raito. Mais ce n'est pas le Scorpion. »

Ongles rongés au sang. Mon cerveau au ralenti, désaxé par la combinaison des événements. La compréhension fuyante. Respiration brusquée, filante. Les biscuits pur beurre industriel, à peine capables de me calmer. La pauvreté des arômes peut-être pire qu'une diète imposée.

« Birthday aime refaire les systèmes. » Sa voix, limpide, claire, parmi le brouhaha d'hypothèses bancales. « S'affranchir des limites. Les changer. Tu veux un dessin ? »

Stylo emprunté. Carré de neuf points. Lumière faite, vive, étincelle de l'accès à la connaissance de ce que Beyond nous donnait, et nous ordonnait à la fois.

« On doit les relier avec quatre traits, sans lever le crayon. Pour comprendre un système...

- On doit en sortir. » Le dessin complété. Clarté du jeu. Je lui abandonnai l'explication aux autres, sa découverte.

« Il ne faut pas utiliser le système zodiacal habituel, mais y inclure le serpentaire. Le treizième signe. Le Scorpion selon lui, c'est celui que nous pensions Sagittaire. »

Appel à Watari. Négociation nécessaire pour planifier un nouveau détour par la forêt. Prix de l'heure de vol, nécessité d'obtenir une accréditation, blabla. Mais peu importait, le sous-sol suivant serait bientôt ouvert.

Le Serpentaire. Le bâton d'Asclépios, la couleuvre d'Esculape. Symbole de la médecine ? Le 13, encore une fois au centre de ses jeux.

Un reste de thé potable déniché dans un tiroir, je pouvais reprendre momentanément un cours de pensée acceptable.

« Comment s'est-il procuré ces cadavres, pour les faire jouer dans son énigme ? Est-ce que le signe du Serpentaire nous demande de nous intéresser aux morgues, et à ceux qui gèrent les victimes de Kira ?

- Si les morts ont été enregistrés, et recensés comme assassinés par le troisième Kira, ils ont forcément été enlevés ensuite. »

Feuilles désormais sans fin repoussées des bureaux, échouées au sol. Avec un peu de chance, Matsuda glisserait dessus, se briserait la nuque, et me ferait économiser un salaire.

La chasse lancée en duo, programmes chiens de chasse, furtifs, discrets à l'excès, les barrières gouvernementales aussi fragiles que des jeunes pucelles en mini jupe. Les fichiers informatiques traqués, dépouillés de leur essence, leur moelle sucée jusqu'à ce qu'elles nous offrent le nom désiré. Avec la recrudescence de crises cardiaques, les autopsies avaient sensiblement été simplifiées. Expédiées. Toute mort un peu brusque systématiquement reléguée dans une des usines à dissection coronaire. Charognards rampant ou planant au-dessus des champs de cadavres, fauchés à distance.

L'accréditation gouvernementale assurait un emploi stable et lucratif aux légistes de l'entreprise, au moins jusqu'à ce que Kira tombe. Job facile, sale. Offrir des procédures spéciales à Kira revenait à lui dérouler un tapis de considération, de crainte et de crédibilité publique.

« Calme-toi, Ryuzaki. »

Le tremblement de mes doigts, à peine visible maintenant que la main de Raito avait saisi mon poignet, tentative de stopper les tressaillements.

« J'aimerais. Mais de savoir que ces idiots d'une lâcheté sans nom ont plus de respect pour ce que fait un meurtrier que pour moi me donne envie de ne pas faire que consulter leurs fichiers. Ce serait simple...

- De les discréditer, de les pousser à la démission ? Tu n'y gagnerais rien. » Soupir. Évidemment. Mais pour autant, la froide fureur persistait, vibrante dans mes veines, dévorante.

« Il sera toujours temps de leur rappeler leurs fautes. Mais pour l'instant, ils ne t'écouteront pas. Faire tomber Kira est le moyen le plus court pour te rétablir politiquement, et que tu puisses remanger des muffins venus d'Angleterre par avion plutôt que ceux du coin de la rue. »

Ton incertain, méfiance toujours à fleur de peau. Endormir tout doute était la fin de la vie, pour beaucoup. « Tu veux vraiment attraper Kira ? Pour que je puisse remanger de bons muffins ? » Motivation bien étrange. J'aurais accepté n'importe laquelle, de la gloire à la satisfaction de son égo, mais celle-là était trop désintéressée pour être honnête.

« C'est Coronis, la société qui a géré les corps retrouvés. Du moins, ceux tués a priori par Kira. » Changement de sujet, encore. Éviction du personnel, toujours.

« Ou alors, tu veux l'attraper pour retourner à la fac, et devenir policier. Ça te ferait quoi, de travailler pour un gouvernement qui me crache dessus, et vend son âme au premier criminel de masse venu ? » Supposition voulue sur le ton de la plaisanterie, pourtant bien plus amère que prévu. Comme un goût de chocolat au rabais.

« Coronis est une déesse, il me semble.

- Mère d'Asclépios, qu'elle a eu avec Apollon. Donc c'est la bonne entreprise. Je ne peux quand même pas avoir faux tout le temps.

- Oui, c'est vrai que tu es un parfait idiot. » Yeux levés au plafond, exaspération feinte. Ironie mordante, pas assez piquante pour me faire oublier son silence, équivalent à l'assentiment. Ongles de l'autre main attaqués. Il ne voudrait vraiment pas travailler avec moi... ? Inconcevable.

« Leurs comptes sont dans un flou artistique... c'est grandiose. On dirait la balance économique de la Grèce.

- On se fiche de leurs comptes. Ce qu'on veut, c'est les listes de cadavres. » Yeux raccrochés péniblement aux pixels mouvants, déchiffrant les colonnes, les codes, éviscérant les protections anti piratage.

« Les finances sont intéressantes aussi. Tout ne leur vient pas du ministère de la Justice.

- Il n'y a plus de ministère de la Justice. C'est le ministère de la Délation, maintenant.

- La Justice est une notion qui varie selon les lois et la politique. Même en étant puéril comme tu l'es, ça doit te frapper. Si Kira devient celui qui juge officiellement, la Justice sera liée à lui. Peu importe tes convictions.

- Non. Certaines lois sont injustes.

- Et tu définis la Justice comme ce qui t'arrange toi ? Ce n'est pas plus juste. »

Je me tus. Débat stérile. Et je ne voulais pas rentrer dans un conflit ouvert.

Les listes de noms semblaient interminables. Y avait-il seulement autant de criminels à punir ? Sur les derniers mois, des centaines de noms. Des milliers. Possiblement le million au niveau mondial, avant la fin de l'année. Peut-être que la Justice n'était pas la Loi. Mais ça, ce charnier, ne pouvait pas l'être. En aucune façon. Trop peu de discernement, trop expéditif. Pas le temps de juger. Impulsif et puéril Kira, précipitation, course pour le statut divin, trompe-la-mort jusqu'à ce qu'elle le rattrape et le renvoie à sa basse mortalité. Sauf à recréer la pierre philosophale.

Raito toujours aussi concentré, à peine penché vers son écran, jouant avec les sécurités, intelligence polie, aiguisée, le système entier offert au bout des doigts experts. Et l'interrogation à l'orée de ma réflexion.


Sentiment complexe de trahison, d'isolement, de rejet. Pour tout repas, une part de gâteau aux amandes. Regard perdu, éploré.

« C'est ton dessert, Ryuzaki. Si tu as faim, il y a du riz et du tofu. »

Essai de prose surréaliste ? Plaisanterie d'un goût douteux ? L'assiette déposée devant moi sonna la mort de mes espoirs. Deuxième regard, vexé et contrarié à l'envi, rivé sur mon majordome.

« Partager les repas avec le reste de l'équipe nous ferait faire des économies substantielles. »

Cuillère poussant timidement la masse flasque, grisouillante. « C'est comestible, ce truc ? »

Langue posée presque à reculons, immédiatement retirée.

« C'est immangeable. »

Dessert poussé vers moi, récompensé d'un sourire sincère. Yeux noisette doucement moqueurs, l'accroche de la compassion amusée. J'aimais quand ça arrivait. Les jeux chauds de la lumière sur lui, le masque déposé, ou translucide pour quelques secondes. Privilège du déchiffrage.

« Watari, on pourrait vendre quelques unes de nos planques. Au moins celles qui valent assez pour me nourrir convenablement pendant quelques jours. Sans forcer les autres à m'offrir leur dessert.

- Formidable idée. Vendre Paris, Bangkok et New York permettra de faire face aux factures d'eau et d'électricité des trois prochains mois, en plus de l'entretien de l'hélicoptère.

- Et d'avoir du vrai thé ?

- Si tu veux du thé, tu baisses le chauffage. Tu n'as pas besoin de te promener pieds nus. » Honteux chantage. Et bien sûr, tout le monde était follement intéressé par son assiette pleine d'immondices, quand bien même seul l'ex commissaire arrivait à réellement se nourrir.

« Ou alors, tu t'occupes de quelques affaires mineures. » Sous-entendu, en prenant l'identité de Coyle, le plus vénal. Sauf que... actuellement, résoudre une enquête revenait à offrir une tête sur un plateau d'argent à Kira. Je me découvrais une conscience, et je n'aimais pas trop ça. Devoir renoncer à la résolution d'enquêtes, abandonner la Justice parce que les tribunaux n'avaient plus le monopole du jugement. Pourtant... je l'avais fait, quelques mois plus tôt. Et l'avis des tribunaux n'était pas follement intéressant. Tout ce qui comptait était la solution, l'énigme. Mais je ne pouvais pas non plus abandonner le châtiment à Kira. Ce ne pouvait pas être moi qui lui donnait ses proies. Ce tricheur ne prenait que les coupables désignés par d'autres, s'en servant pour asseoir son petit pouvoir minable de tyran.

« Non. Je ne veux pas. »

S'il le fallait vraiment, je trouverais de l'argent. Et si servir la Justice n'était pas une option valide, j'opterais pour une autre. Les lois n'étaient pas toujours justes, pas souvent respectables, rarement inébranlables, et surtout jamais un carcans à ma volonté. Jamais.

Un chuintement de porte d'ascenseur, sens en alerte, instinct de survie. Tout le monde était là, personne n'aurait dû entrer.

Mais déjà, une paire de bras mordus de dentelle noire s'enroulait autour du cou de Raito, médusé.

« Raitooo chou chéri ! Surpriiiiiiiiiise ! Je suis si contente de te voir ! C'est pas un avion qui allait me gâcher la vie, alors ce que j'ai fait, c'est appeler des contacts, et j'ai réussi à venir quand même. Parce que rien ne peut résister à la puissance d'un amour sincère, alors j'ai changé d'aréoport.

- On dit aéroport. » Autant parler à une poissonnière hurlant sur les marchés. Elle était déjà occupée à se glisser sur les genoux de sa proie, pauvre homme qui ne pouvait dire un mot sans qu'il ne soit immédiatement englouti sous les flots interrompus du verbiage féminin.

Une envie brûlante de l'envoyer dire bonjour au rebord de fenêtre me vrillait le ventre. Lui faire manger un rebord de table était aussi un choix acceptable. Ses couettes voletant autour de sa tête vide, jaune poussin, sa nuque exposée, ses courbes emboîtées, jambes osseuses semblables à des pattes d'araignée, tissant leur toile. L'absence de mandibules ne rendait pas la bouche plus attirante. Ses lèvres, chélicères, ventousées à son... petit-ami. Goût de bile rien qu'à l'idée de l'échange de salive. Bave poison, probablement neurotoxique, au vu des quantités astronomiques de produits chimiques qui passaient sur la peau de l'aranéide de plus de trente kilos.

Main en automatique, accrochée à son t-shirt – qu'elle appelait probablement d'un nom étrange, et qui revenait bien à désigner la partie des vêtements qui se mettait sur son céphalothorax – et la décollant, regard venimeux qui me promettait mille tortures dans la minute.

« Bonjour, Misa-chan. Sans vouloir te donner des ordres ni t'ennuyer après ce long périple romantique, tragique, épique, j'ai le regret de t'annoncer que les règles ont changé, ici. »

Nouvel assassinat promis par ses yeux. Qu'elle n'en ait qu'une paire et non quatre était peut-être salutaire. Voix acide, à l'opposé du miel liquide réservé à Raito. « Et je peux savoir en quoi ?

- Tu n'es ici chez toi que dans la mesure où tu payes ton loyer. Celui-ci est indexé sur les prix de l'immobilier à Tokyo, et en rapport avec le confort apporté par les infrastructures. Donc, si tu veux rester, tu es priée de me payer 650000 yens avant... avant dans cinq minutes. »

Étranglement de la bécasse, et joie de ma trouvaille. D'assez courte durée, puisqu'elle reprit la parole dans la foulée. « Mais... mais les autres ne payent pas !

- Les autres travaillent ici. Je les paye, et ils ont un logement de fonction.

- Raito chou n'a pas de logement de fonction, c'est pas juste ! Il doit en avoir un ! Et comme ça je vivrai avec lui. » Larmes dans les prunelles fades. « Je serai une excellente épouse ! Et pas un poids, hein Knight ?

- Bien sûr, Misa. » L'horreur de l'idée-même de mariage entre les deux était pire que n'importe quelle odeur de cadavre. Même noyé. Surpassait allègrement même une jardinière de légumes. Même avec du chou cuit. Ne pas entendre Raito nier en bloc, un choc. Une petit chaîne de rien du tout était inacceptable, outrageant, mais se marier, se mettre ce boulet au pied officiellement était... bien ? Normal ? Une bonne idée ? Souhaitable ? D'après le sourire attendri du père, oui. D'après le goût de bile et la brûlure s'étendant à ma poitrine, non.

Je ramenai mes genoux tout contre moi, doigts crispés dessus. L'image écœurante des deux en costume traditionnel brûlant mes rétines.

« En plus Ryuzaki il est trop trop bizarre, alors on le verrait moins. Je te jure chou, il habite sur la planète Mars. Et Mars... c'est loin quand même. » En l'expédiant sur Mars, est-ce qu'elle disparaîtrait définitivement, et arrêterait enfin de déblatérer ses idioties à longueur de journée ?

Une boule de poils blancs fusa, déportant mon attention.

« What the...

- Ah, Raito ! Je te présente Princesse Céleste ! Elle est teeellement mignonne, et j'étais toute seule, alors je l'ai adoptée ! C'est ma fille, et du coup, c'est notre enfant. » Mains jointes, contraignant à l'abandon des recherches sur les vices de Coronis. « Notre premier enfant. » Sa joue posée sur son épaule, cheveux empestant la vanille artificielle juste sous son nez. Yeux incertains.

« Misa, un chien ? Je ne sais pas si...

- C'est une super bonne idée, hein, hein ? C'est sûr ! En plus, vu le loyer que je paye, il peut pas me refuser un petit bijou comme Hoshihime. Elle est belle ! Contrairement à ses immondes bestioles toutes flasques et bizarres. Un spitz du Japon, c'est kawaii. Et on peut lui faire des câlins. Comme à toi ! » Démonstration à l'appui.

Par dessus la masse de paille sèche qui lui servait de cheveux, échange d'incrédulité. Autant pour la comparaison que pour la présence du chien.

La bestiole en question, nœud rose déjà accroché sur la tête, s'acheminait vers nous, guidée par les couinements tout animaux de Misa. Puis changeant d'avis, les pattes se posèrent sur le bord de mon fauteuil, chaussettes blanches aux griffes limées, vagues de fourrure soyeuse immaculée, surmontée d'yeux ronds et noirs, humides de bêtise. Langue pendante, haleine soufflée jusqu'à mon nez, à la fois fétide et parfumée à la menthe.

« Chérie, viens là ma fille, viens dire bonjour à ton papa ! » Les ordres miaulés totalement indifférents à l'animal, qui continuait ses tentatives pour se faire chouchouter. Pourquoi moi ? Mon pied posé contre son front, poussant pour la faire descendre. « Mais pourquoi tu fais ça, t'es pas gentil ! Elle voulait un câlin ! »

Les pattes à peine posées par terre, la chose reprit son élan et cette fois, sauta sur moi, m'agressant à coups de langue sur le visage, me faisant manger ses poils ayant très certainement traîné sur le sol, dehors, dans la poussière, la crasse et les germes de toute une population potentiellement malade. Me levais donc, l'animal échouant au sol. Et recommençant aussitôt à me tourner autour, malgré les gémissements de sa maîtresse s'apitoyant sur son sort, et mes tentatives d'éloignement du bout du pied.


Mogi de retour, ramené dans les valises de Misa, compilait les données, rattrapant son retard. Un bon point, les paperasseries retrouvaient leur meilleur ami. Sa rigueur véritablement utile. Exceptionnel.

Un ordinateur portable en équilibre, je polissais mon mail, en tout point parfait. M'adresser à eux relevait de l'audace, et il était hors de question de ne pas en ressortir entier, et renforcé. En plus, avec de la chance, Raito verrait que je prenais en compte ses idées, aussi étranges et insultantes soient elles. Inclure quelqu'un dans l'équipe. Quelqu'un de vraiment intelligent. Comme si une personne comme nous existait à tous les coins de rue. Comme si, maintenant que je l'avais lui, j'allais le remplacer par un type random. Comme si j'allais me laisser évincer par un mec un peu dégourdi. Enfin, rien ne m'empêchait de profiter de la situation. Une fois de plus.

Comme le chantage odieux fait à Watari. Mon sucre roux et mon caramel au beurre salé, ou grève de la faim. Et l'envoi – même par train – des policiers disponibles en forêt, connectés par caméras et liaison satellite. Liaison piratée. Infiniment moins chère. Négociations âpres, mais gagnées.

Enfin, Yagami père et Matsuda avaient pu repartir à Aokigahara, fouiller le reste du sous-sol.

Les caméras toujours en mouvement, les policiers à la recherche du moindre indice, caressant les murs de ciment.

Comme prévu, le Sagittaire devenu Scorpion offrait l'accès à un second escalier, s'enfonçant encore plus loin. La trappe protégée par un simple verrou de coffre-fort, reprenant les positions des constellations. Enfantin.

« Dites, vous croyez qu'on va à nouveau tomber sur des corps ? J'aimerais bien m'y préparer...

- Réfléchissez cinq secondes, puis reposez votre question.

- On va avoir des cadavres ? Parce que ça a l'air profond, et s'ils se réveillent et nous pourchassent, je me sens pas de remonter toutes les marches en courant. »

L'écran virait au flou, la brûlure de l'injustice cosmique de n'être entouré presque que d'incapables ayant migré jusque dans mes yeux. Plus aigre qu'après une semaine sans dormir. Distraitement, je tentai de l'atténuer, frottant du dos de la main. Rien à faire.

Je reniflai. Pris un mouchoir.

Respirer la bouche ouverte était mieux.

« L, tu vas bien ?

- Oui. Pourquoi ? » Mon regard tourné vers Raito, tout juste lâché par sa copine ayant décrété qu'aller ranger ses vêtements était désormais une affaire d'État. Yeux agrandis au contact des miens.

« Non, visiblement, tu ne vas pas bien. Tu ne serais pas allergique ?

- Non.

- Si tu ne respirais pas comme un vieillard après une pneumonectomie, en ayant les yeux plus rouges que blancs, je pourrais éventuellement te croire. »

Haussement des épaules. Du moment que je voyais encore mon écran, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter.

Les pièces nues, les escaliers froids. Les plaisanteries vaseuses de Matsuda. Zombies, morts-vivants, vampires, goules...

« Matsuda, si vous voulez savoir si les morts reviennent à la vie, vous pouvez toujours tenter le point de vue interne.

- Ah, sans façon. Déjà, maintenant, rien que la vue d'une corde... mais l'ambiance vaut mieux que tous les films d'horreur des dix dernières années, non ? Un souterrain dans une forêt maudite, une énigme... ça ferait un bon jeu vidéo. Même si je maintiens qu'avec une torche... »

Malgré l'avertissement de Yagami, arguant la bêtise d'allumer sous terre un feu utilisant le dioxygène disponible, risquant de révéler du gaz inflammable voire explosif, et pouvant surtout foutre le feu aux fringues, la lumière changea, prit des teintes plus chaudes. Et en totale synchronisation avec le soupir d'aise de Matsuda, s'auto congratulant pour la température plus agréable, l'escalier changea, se couvrit d'indices. Heureux les imbéciles. Heureux, dérivé de heur, la chance.


La suite, le 13 décembre ^^