L'HÉRITAGE NON DÉSIRÉ
Chapitre 2
Bordure extérieure, système solaire de Yavin, lune boisée de la troisième planète
GROGU
Après l'étrange ville entièrement faite de métal, le Mandalorien et Grogu firent une halte pour la nuit dans un endroit plein d'arbres. Grogu préférait des lieux comme celui-ci. L'air, chargé d'humidité, avait l'odeur de la mousse et de la terre mouillée. Ça sentait bon.
Din Djarin, Grogu avait appris son nom en écoutant les autres parler, voulait des réponses à ses nombreuses questions. Ils se dirigeaient donc vers la planète où se situait l'école du Jedi Luke Skywalker. Grogu avait essayé d'expliquer qu'il ne voulait pas y retourner. Il ne voulait pas être un Jedi. Il avait fait ce choix en connaissance de cause.
Jusqu'il y a peu, personne ne lui avait demandé son avis.
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Avant, il y avait longtemps, avant les ténèbres et la peur, il avait eu plein de maîtres Jedi qui lui parlaient, directement dans son esprit. À l'époque, il se contentait de faire ce qu'on lui disait. Il travaillait, il mangeait, il dormait. Ensuite, il recommençait. Puis, un jour, tout avait changé.
Il avait senti l'air changer. L'atmosphère était devenue tendue. Les gens marchaient vite, la tête baissée. Personne ne lui avait parlé. Il y avait eu des bruits étranges et effrayants. On l'avait mis dans un berceau. Plusieurs Jedi couraient près de lui. Dans un couloir de son ancienne maison, une grande maison dont il ne se souvenait pas en être jamais sorti, les soldats blancs avaient ouvert le feu sur les Jedi. Il ne comprit pas pourquoi. Normalement, les hommes en blanc étaient gentils avec les Jedi. Ils ne se souciaient jamais de lui, mais ils ne cherchaient pas à lui faire du mal pour autant. Et là, dans ce couloir, Grogu avait perçu leurs esprits. Leurs esprits étaient presque vides. Il n'y avait plus que deux choses dedans : « exécuter l'ordre 66 » et l'envie de faire du mal aux Jedi.
Grogu avait vu les trois Jedi, qui l'accompagnaient, se faire tuer sous ses yeux. À cet instant, il sut qu'il ne voulait pas être Jedi. Il ne voulait pas finir ainsi. Un bras était passé devant ses yeux et avait fermé son berceau. Il s'était retrouvé dans le noir. Dans les ténèbres.
Le berceau avait bougé. Mais, pas comme d'habitude. D'habitude, le berceau flottait et ses mouvements étaient doux. À peine perceptible. Ce jour-là, quelqu'un ou quelque chose tenait le berceau et courait avec. Il y avait des cris et des bruits effrayants dehors. Grogu avait eu peur. Grogu avait pleuré. Grogu s'était cognait à l'intérieur du berceau. Grogu avait eu mal. Puis, Grogu eut vraiment très mal à la tête. Enfin, les yeux de Grogu s'étaient fermés.
À son réveil, il n'était plus dans sa maison. Quelqu'un, qu'il ne connaissait pas, s'était penché sur lui. On avait regardé sa tête sans ménagement, lui faisant de nouveau mal, et on avait renfermé le berceau. À nouveau, il avait senti qu'on le déplaçait. Quelqu'un d'autre ouvrit le berceau. On lui donna à boire et à manger. Puis, le berceau fut fermé. Et cela recommençait sans cesse.
Plus personne ne lui parlait. Plus personne ne le touchait. On le faisait manger et boire. Et c'était tout. Quand il dormait, il rêvait de sa maison et des cris. Mais, plus le temps passait, plus les images étaient floues. En revanche, les sons demeuraient intacts. Quand il était réveillé, il ne faisait rien. Il attendait. Parfois, le berceau restait ouvert, alors il regardait autour de lui. Il avait appris, à ses dépens, qu'il ne fallait pas sortir du berceau. Il avait essayé. Mais, chaque sortie avait déclenché des cris contre lui et on l'enfermait dans le berceau plus longtemps, en oubliant parfois de lui donner à manger et à boire. Grogu n'aimait pas les cris. Grogu aimait encore moins les cris dirigés contre lui. Grogu n'aimait qu'on oublie de lui donner à manger et à boire. Alors, Grogu avait appris à rester assis dans le berceau, sans un bruit, sans rien faire. Il se contentait d'attendre. Même s'il ne savait pas ce qu'il devait attendre à cette époque.
Régulièrement, le berceau était fermé et il était bougé. Cela durait longtemps. Puis, lorsque le berceau s'ouvrait, le lieu était différent et les personnes aussi. Quelques fois, Grogu crut que quelqu'un était resté avec lui. C'était arrivé qu'il voie, souvent de loin, un visage connu. Mais, au final, personne ne restait.
Un jour, presque comme un autre, il y eut des méchants bruits. Le berceau fut fermé, mais personne ne le déplaça. Il reconnut les bruits. Les mêmes bruits effrayants que dans sa maison, qui ne portait ce nom que parce qu'il ne savait pas lui en donner un autre. Puis, il y eut des bruits plus gros et plus forts encore. Et plus proches. Il s'en suivit un silence qui le terrifia.
Grogu entendit deux voix qu'il ne connaissait pas et des pas qui s'approchaient du berceau. Il prit sa couverture et la remonta jusque sur son visage. Il entendit le berceau s'ouvrir. Mais, il ne se passa rien. Curieux de cette situation, il regarda d'un œil, en face de lui, toujours caché par la couverture. Il y avait un robot long et fin ainsi qu'un être de métal. L'être se tourna vers le robot et le questionna. La voix de l'être n'était pas forte ou rude. Elle n'était pas agressive, envers qui que ce soit. Le robot répondit. Grogu avait abaissé la couverture et avait regardé l'être étrange. Il y avait quelque chose de différent chez l'être à la tête argentée. Le robot avait voulu faire du mal à Grogu, mais l'autre n'avait pas voulu. Le robot avait insisté. Alors, l'être étrange avait tiré sur le robot sans même le regarder et le robot s'était éteint.
Grogu savait que l'être sans yeux le regardait. Il n'y avait aucune animosité chez lui, aucune cruauté, aucune méchanceté, aucune envie ou désir de s'enrichir à ses dépens. Il était juste là, à le regarder. Grogu n'avait pas eu peur. L'être avait bougé le bras et avait tendu un doigt remuant vers lui. Là, Grogu avait su. Il avait su qu'il ne serait plus seul. Il avait tendu la main pour saisir ce doigt devant lui.
Plus tard, Grogu avait appris que l'être était un Mandalorien. Il n'en avait jamais vu avant. Alors, il observa. Le Mandalorien était fort et courageux. Même quand il était attaqué et qu'il se défendait, il le faisait sans colère et sans haine. Lorsqu'il avait été blessé, il n'avait pas voulu de l'aide. C'était une créature pleine de résilience. Il avait été en colère qu'on abîme son vaisseau, mais il n'avait pas haï les petites créatures encapuchonnées. Il les avait poursuivis juste pour récupérer son bien. Il était entré sans peur dans la grotte boueuse et sombre. Il avait affronté l'étrange et immense animal à l'intérieur, tout en le gardant hors de portée de la bête. Et, lorsqu'il avait été épuisé et à bout de force, il s'était quand même relevé et avait fait face à la bête sans crainte. Le Mandalorien était une étrange créature, mais Grogu l'aimait bien, alors il l'avait aidé.
Ils étaient allés sur une planète qui sentait le soufre et le feu. Le Mandalorien l'avait donné au méchant homme et aux méchants soldats blancs. Il n'avait pas compris pourquoi. Il l'avait appelé et le Mandalorien l'avait regardé. Il avait cru qu'il l'avait compris. Mais, on l'avait amené derrière une porte. Il avait douté. Mais, lorsqu'il s'était réveillé, la première chose, qu'il avait vu, était la tête brillante du Mandalorien. Il était revenu le chercher. Alors, Grogu sut qu'il n'avait pas à douter de l'être argenté.
Plus ils voyageaient ensemble, plus Grogu appréciait celui qu'on appelait « Mando ». Mando le laissait sortir de son berceau, quand il le désirait. Il le laissait jouer avec la boule brillante aussi. Parfois, lorsque Grogu s'amusait à appuyer sur les boutons de couleur dans le vaisseau, Mando se « fâchait ». Mais, il n'y avait jamais de colère. Il lui avait même demandé son avis avant d'aller sur la planète avec les enfants, les grenouilles et les crevettes bleues. C'était la première fois qu'on lui demandait son avis.
Ils y étaient restés plusieurs semaines. Les gens avaient été gentils avec lui. Mais, des méchantes personnes cherchaient Mando et Grogu. Ils avaient dû partir pour protéger les autres.
Protéger. C'était le mot qui qualifiait le mieux le Mandalorien. C'était ce qu'il faisait.
Alors que Grogu n'était jamais sorti de sa maison, Mando l'emmena avec lui et il vit des choses : la planète de soufre et de feu, le village des gentilles personnes, la planète de sable, la planète de glace, la planète de brume et la Jedi, la planète qui permettait de parler aux Jedi, l'espace et les étoiles… Mando aimait la vitesse et Grogu découvrit qu'il aimait ça aussi. Il aimait quand Mando jouait avec le vaisseau et quand ça secouait. C'était drôle. Avant le Mandalorien, Grogu ne s'était pas amusé et rien n'était drôle. Avant le Mandalorien, Grogu ne vivait pas pour de vrai. Il l'avait compris.
Le Mandalorien voulait que Grogu soit fort. Il avait voulu que Grogu devienne un Jedi. Alors, même si Grogu ne voulait pas être un Jedi, il accepta pour lui faire plaisir. Il accepta aussi parce le Mandalorien lui avait fait la promesse de le revoir. Il tenait toujours parole. Grogu avait caressé le casque de métal pour lui dire qu'il était triste de devoir partir, mais qu'il croyait en sa promesse. Il se passa alors une chose que Grogu n'aurait jamais imaginé : le Mandalorien avait retiré son casque.
Depuis la rencontre avec les Mandaloriens bleus, Grogu avait compris qu'il y avait un homme sous l'armure argentée. Il avait été curieux, mais il avait aussi compris qu'il ne fallait jamais forcer Mando à faire quoi que ce soit. Il avait d'abord entrevu le bas de son visage alors qu'ils mangeaient. Puis, plus rien. Il avait pensé qu'il n'en verrait pas plus. Pourtant, le jour où maître Luke était venu, le jour où Grogu était parti pour devenir un Jedi, Din Djarin avait retiré son casque. Pour lui.
Il avait regardé chaque détail de ce visage inconnu et pourtant si familier. Il avait vu ses yeux pleins d'une tendresse qu'il n'avait jusqu'alors que devinée. Il avait caressé cette peau, à l'opposé du casque lisse et froid, qui était chaude et un peu piquante. Il avait vu ce qu'il avait perçu derrière le casque : un sourire gentil. Il avait entendu cette voix, d'ordinaire déformée, douce et chaleureuse. Il n'eut plus envie de partir. Le Mandalorien n'en avait pas envie non plus. Il l'avait su. Mais, il le fallait. Din Djarin lui assura que l'avenir se passerait bien. Mando, d'ordinaire si calme, débordait d'émotion, mais, comme toujours, il faisait front. Alors, Grogu fit de même. Et, il partit.
Grogu voulait que Din Djarin soit fier de lui, alors il travailla. Un jour, il sut que le Mandalorien avait été tout proche pendant son entraînement, alors il avait redoublé d'effort, pour lui. Mando était reparti, sans venir le voir. Ça avait été dur. Mais, il lui avait laissé un cadeau. Comme une autre promesse. Ce fut alors que maître Luke lui avait demandé de faire un choix : l'armure et le Mandalorien ou le sabre et la voie du Jedi. Ce n'était pas un choix. C'était une certitude. Grogu ne voulait pas être Jedi et il voulait revoir Mando. Son hésitation était venue du fait qu'il avait craint de décevoir le Mandalorien en renonçant à la voie du Jedi. Mais, lorsqu'ils s'étaient revus, il avait senti d'abord l'étonnement, puis la joie de l'homme argenté. Il n'avait pas été en colère, ni même déçu.
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À présent, Grogu et Din Djarin étaient sur la planète à la bonne odeur. Il n'y faisait pas très chaud, mais le Mandalorien avait fait un feu et une viande juteuse cuisait.
_ Ne t'approches pas trop des flammes, petit, dit Mando.
_ Gaah ?
_ Je ne voudrais pas que tu te brûles.
Le Mandalorien s'assit, au sol, contre une souche.
_ Et si on regardait un peu ce que j'ai acheté ? Qu'en penses-tu ? On lit, on mange, on se couche tôt, et demain, on continue vers l'école ?
Grogu resta immobile. Il ne voulait pas aller à l'école.
_ Grogu ? Tu viens ?
Grogu secoua vivement la tête.
_ Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as trop faim ? Tu veux manger d'abord ?
Il secoua encore la tête. Le Mandalorien le regarda en silence. Grogu avait envie d'apprendre à communiquer avec lui rapidement, pour lui dire qu'il ne voulait pas retourner auprès de maître Luke. Il leva alors les bras vers le ciel étoilé. Mando leva la tête.
_ C'est par rapport au voyage vers l'école de Skywalker ? Demanda l'homme masqué.
Grogu hocha la tête. L'homme soupira.
_ Je ne sais pas si ce que je vais te dire est bien, commença Mando.
Grogu sentit son hésitation et son désarroi. Il roucoula doucement pour le rassurer.
_ Je n'ai pas envie que tu suives l'enseignement du Jedi. Je… je pense que tu n'es pas fait pour ça. J'ai appris que, pour maîtriser la Force, un Jedi doit de renoncer à tout attachement. Tu n'es pas ainsi. Je te connais.
Le Mandalorien détourna le regard de Grogu et se focalisa sur les flammes.
_ Peut-être pense-je ainsi parce que je suis Mandalorien. Pour nous, loyauté et solidarité sont la seule Voie. Ou, peut-être que je suis égoïste…
Grogu bondit et sauta dans les bras de Mando.
_ Holà ! Doucement, petit !
Grogu gazouilla joyeusement.
_ As-tu envie de devenir Jedi ? demanda Din Djarin.
Grogu dodelina de la tête et il entendit le sourire derrière le casque. Le Mandalorien l'avait compris. Alors, Grogu n'avait plus peur d'aller voir maître Luke.
_ Alors, notre clan de deux vient de renaître. Un enfant Jedi qui ne veut pas être Jedi et un Mandalorien qui n'en est plus un…
_ Hun ? Demanda Grogu.
_ Oui, je ne suis plus un Mandalorien. J'ai encore du mal à en prendre conscience.
_ Gaa ?
_ Depuis mon enfance, depuis que j'ai prêté serment, je porte un casque. Tel est la Voie. Le credo nous impose de dissimuler notre visage à toute créature vivante. Notre force est dans la multitude. Si tu fais du tort à un Mandalorien, c'est tous les Mandaloriens qui deviennent tes ennemis. C'est pourquoi nos « visages » sont tous les mêmes. Nous sommes loyaux et solidaires. Un visage, fait de chair et d'os, est une individualité. C'est le contraire du credo.
Grogu dévisagea Mando. Ce dernier retira une nouvelle fois son casque devant lui.
_ C'est un geste interdit pour un Mandalorien. Pourtant, je l'ai fait. Lorsque Skywalker est venu, j'ai cru que je ne te reverrai plus. Il m'a semblé impensable de te laisser partir sans te dire au revoir convenablement. Mais, dans le fond, ce n'était qu'une excuse. J'avais déjà retiré mon casque, avoua-t-il.
_ Hun ?
_ Après que Moff Gideon t'ait enlevé, pour te retrouver, il fallait retrouver le croiseur impérial. J'ai retiré mon casque pour qu'il soit scanné par une machine de l'Empire. Mais, ce jour-là, rien ne s'est passé comme prévu et nombreux sont ceux qui ont vu mon visage. La plupart sont morts mais, ils l'ont vu. Mais, ça m'importait peu à ce moment. J'étais prêt à tout pour te retrouver. Mayfield avait raison.
_ Hun ?
_ Tu sais, c'est le type désagréable qui tire bien. Celui avec le crâne chauve.
Grogu ne savait pas de qui Mando était en train de parler.
_ Il m'a dit qu'on avait tous nos lignes à ne pas franchir jusqu'au jour où on les franchissait… Heureusement qu'il n'est pas là pour m'entendre dire ça. Il en serait insupportable. Enfin, plus qu'à l'ordinaire.
Grogu sentit son ventre gargouiller. Din Djarin ria doucement.
_ Je crois qu'il est temps de manger, petit.
à suivre
