L'HÉRITAGE NON DÉSIRÉ
Chapitre 3
Bordure extérieure, système solaire de Yavin, lune boisée de la troisième planète
GROGU
Tandis que le Mandalorien rassemblait les affaires de leur campement nocturne, Grogu feuilletait son livre et regardait les images. Deux fresques, s'étalant sur les parties haute et basse d'une double page, attirèrent son attention. Il n'avait pas besoin de savoir lire pour les comprendre.
_ Aaah, fit l'enfant pour interpeler l'homme casqué.
_ Oui, c'est bon. J'ai fini. On va pouvoir y aller, petit.
Grogu secoua la tête. Ce n'était pas ça qu'il avait voulu dire à Mando. Il gazouilla de plus bel pour l'attirer.
_ Qu'est-ce qu'il y a, mon bonhomme ? Demanda doucement Mando, en se penchant sur lui.
Grogu désigna le livre et caressa la fresque colorée de gauche à droite. En haut de page, on voyait d'abord une forêt dense, puis un œuf. La coquille de l'œuf se fendait et un lézard en sortait. Sur la partie basse, il y avait un marais brumeux. Il y avait aussi un œuf. Après l'éclosion, un serpent se dévoilait. Tout à droite, le lézard et le serpent se rencontraient. Au-dessus d'eux, des bulles, sans dialogue, montraient des miniatures de la forêt et du marécage. Grogu tapa plusieurs fois sa poitrine, puis il posa la main sur le serpent. Il fit ensuite glisser sa main le long du dessin jusqu'au marais.
_ Tu es en train de me dire que tu viens d'une planète marécageuse ? Demanda Din Djarin. Tu te souviens de là d'où tu viens ?
Grogu secoua de nouveau la tête. Il tapota ensuite le bras de Mando, puis il caressa le livre en partant du lézard jusqu'à l'œuf, mais il s'arrêta avant la forêt. Il désigna ensuite l'homme, puis le livre.
_ Tu veux savoir d'où je viens ?
Cette fois-ci, Grogu hocha la tête. Le Mandalorien souleva Grogu et le livre, s'installa sur la souche d'arbre, près des braises, et posa l'enfant sur ses genoux. Il caressa à son tour le livre.
_ Je viens d'une colonie marchande du nom d'Aq Vetina. Durant la Guerre des Clones, nous avons été attaqués. Je ne sais pas pourquoi. C'est à cause de ça que je n'ai pas apprécié les robots pendant de nombreuses années. Je les ai vus tuer tant de personnes. Nous n'étions pas des guerriers, ni des soldats. Mes parents étaient orfèvres. Petit, mon père me laissait parfois donner des coups de marteaux sur des trucs. Ça me plaisait, mais ça ne plaisait pas à ma mère. Étrangement, j'ai peu de souvenirs de mes parents avant l'attaque. Pourtant, je n'étais pas si jeune que ça. Je ne me souviens plus de leurs voix. Et, j'imagine à peine le sourire de ma mère. Je me souviens surtout de leurs visages déformés par la peur. Je me souviens des cris des gens, qui couraient dans tous les sens pour se sauver, et le bruit que faisaient les armes.
Grogu se tourna pour regarder l'homme masqué. Il ne voyait pas son visage, mais il percevait sa tristesse. Il n'aurait jamais imaginé que le Mandalorien, si fort et si courageux, avait vécu la même chose que lui dans son enfance.
Din Djarin poursuivit son récit.
_ J'étais dans les bras de mon père. Je me suis accroché à lui aussi fort que je le pouvais. Ma mère courait près de nous. Je sentais ses mains sur ma tête et sur mon dos. Elle voulait me protéger. Un super droïde de combat était derrière nous. Mes parents ont couru jusqu'à la porte d'une réserve souterraine. Ma mère m'a serré contre elle. Elle n'arrivait pas à parler tant elle était triste. Mon père m'a embrassé. Il m'a saisi la tête. Il m'a dit d'être fort et courageux. Ils m'ont fait descendre dans la réserve. Ma mère a crié, pour couvrir les bruits des combats. Elle m'a dit qu'elle m'aimait. En descendant l'échelle, j'ai trébuché et je suis tombé. Lorsque je me suis retourné, mes parents refermaient la porte. À contre-jour, je n'apercevais plus que leurs silhouettes. Mon père m'a regardé une dernière fois. Je l'ai appelé, mais je me suis retrouvé enfermé dans le noir. Pendant longtemps, je n'ai pas compris pourquoi ils n'étaient pas descendus avec moi. Il y avait de la place pour trois. Ce n'est qu'en grandissant, qu'en apprenant ce qu'il se passe sur une zone de combat, que j'ai compris qu'ils étaient restés dehors pour faire barrière de leurs propres corps.
Grogu roucoula doucement. Il savait ce que ça faisait d'avoir des gens qui se sacrifiaient pour vous protéger.
_ Une bombe a explosé dehors et un filet de lumière est passé entre les portes déformées. J'ai entendu les pas lourds du droïde s'approcher. Son ombre a couvert la lumière. Je me suis glissé dans un coin. Il a ouvert les portes et m'a mis en joue. J'ai fermé les yeux, croyant ma dernière heure arriver. J'ai ensuite entendu un tir sur le métal du robot, puis plusieurs. Enfin, j'ai entendu le robot tomber. Un Mandalorien est alors apparu devant moi. Il m'a tendu la main et m'a dit d'approcher. J'ai hésité. « Viens, petit » avait-il dit. « Tu es en sécurité à présent ». J'ignore pourquoi je l'ai cru. Ses paroles ont résonné en moi et je me suis dépêché de le rejoindre. Il s'est accroupi devant moi et m'a regardé pour s'assurer que j'allais bien. C'était la première fois que je voyais un Mandalorien. De nombreux autres sont arrivés et les droïdes, pourtant plus nombreux, se faisaient balayer. Tout prêt de nous, un autre Mandalorien se posa avec son Jet-pack. Il détruisit plusieurs robots. Il ordonna au Mandalorien près de moi de partir et de m'emmener à l'abri. « On y va, petit. Accroche-toi bien à moi » avait-il dit. J'ai hoché la tête. Il m'a soulevé avec force. Je me suis senti en sécurité dans ses bras. Il s'est envolé avec moi. C'était la première fois que je volais. Je me souviendrai toujours de cette sensation d'être arraché à la terre. D'un côté, j'avais peur de voir le sol s'éloignait, de l'autre j'étais rassuré de savoir que j'étais entre de bonnes mains. Par la suite, j'ai été entraîné parmi les guerriers de la Tribu.
Grogu leva les mains et se servit de la Force pour soulever lentement le casque de Din Djarin et le poser au sol. L'homme se laissa faire. Grogu s'approcha de sa tête et caressa la joue du seul père qu'il avait connu.
_ Merci pour ta sollicitude, petit. Je vais bien. C'est derrière moi à présent.
Grogu aurait voulu savoir parler pour lui raconter à son tour son histoire. Il aurait voulu pouvoir partager son passé, avec l'homme qui prenait soin de lui. Il eut alors une autre idée. Il gazouilla, désigna le casque, puis le livre.
_ Tu veux en savoir plus sur Mandalore ? Demanda Din Djarin.
Grogu hocha vivement la tête.
_ En vérité, je n'y suis jamais allé. J'ai été élevé sur Concordia, la lune de Mandalore. Au moment de la Purge, durant la Nuit des Mille Larmes de Sang, j'ai combattu sur la lune avec la Tribu. Nous avions envisagé d'aller sur Mandalore mais, alors nous nous terminions les combats de notre côté, nous avions appris que Sundari, la capitale de Mandalore, avait été détruite, et que toutes les grandes cités, sous dômes, tombaient les unes après les autres. Avec les Impériaux à nos trousses, nous avons dû battre en retraite.
Grogu grommela de déception.
_ Mandalore est maudite. Incapable de la contrôler, l'Empire a préféré la rendre inhabitable et les gens, qui y vont, meurent. Enfin, c'est ce qui se dit. Ce n'est peut-être que des racontars.
Grogu entendit un petit soupir venir de l'homme qui avait ramassé son casque et le regardait avec nostalgie.
_ Tu sais quoi ?
_ Hun ?
_ Je ne sais pas trop où j'en suis. J'ai été Mandalorien durant presque toute ma vie. Mais, à présent, je n'en suis plus un. Là, pour être honnête, j'ai du mal à savoir qui je suis ou ce que je dois faire.
Grogu détailla le Mandalorien. Il semblait si désemparé. Lui, il savait qui il était. Din Djarin était son sauveur, son protecteur, son ami, mais il était surtout son père. Ils étaient un clan de deux. Le clan Mudhorn. Quant à ce qu'ils faisaient, ils prenaient mutuellement soin l'un de l'autre. Enfin, Din Djarin prenait surtout soin de Grogu. Et l'enfant n'était pas certain qu'il existait un mot ou une phrase pour expliquer l'importance que Din Djarin avait pour lui.
_ Ce que je sais, en revanche, reprit Mando, sans détourner le regard de son casque, c'est que pour expier ma faute, le fait d'avoir retiré mon casque, il faudrait que j'aille me baigner dans les eaux vivantes sous les mines de Mandalore. Officiellement, elles ont toutes été détruites… Mais, je viens d'avoir une idée.
_ Gaa ?
_ Et si on allait faire les curieux ? Demanda subitement l'homme argenté.
Grogu gazouilla à l'interrogative.
_ On n'est pas très loin de Mandalore après tout. Avant d'aller voir Skywalker, on pourrait faire un détour pour voir ce qu'il y a là-bas. Maudite ou non, ça paraît être intéressant d'aller voir à quoi ressemble la planète. Non ? L'enfant Jedi qui ne voulait pas être Jedi, le Mandalorien qui n'était plus un Mandalorien et la planète maudite… On dirait le titre d'une histoire d'aventure. Qu'en penses-tu ?
Grogu sautilla joyeusement dans les bras de Din Djarin.
_ D'accord, d'accord. On va aller sur Mandalore.
Bordure extérieure, système solaire de Mandalore
DIN DJARIN
Lorsque Din Djarin et Grogu arrivèrent du système solaire de Mandalore, le Mandalorien eut le souffle coupé. Pas par la beauté du spectacle, mais par l'émotion de revenir dans ce système solaire.
Il se mit sur la même orbite que Concordia, caché dans son sillage pour ne pas être détecté par d'éventuels vaisseaux. Il commença par lancer un scan de la lune. Concordia ne semblait pas avoir changé. Le climat froid et le ciel le plus souvent obscur, en raison du peu de lumière solaire reçue, avaient endurcis les guerriers. La végétation elle-même exprimait la rudesse du climat de la lune. Elle était peu abondante. Des herbes et des petits buissons épineux absorbaient rapidement les précipitations. Quelques rares arbres, à la silhouette penchée et filiforme à cause des vents puissants, avaient de profondes racines et captaient presque toute l'eau. Les hommes avaient dû creuser encore plus profondément pour leurs puits.
Concordia était un lieu d'austérité et de privation. Et, cela avait influencé la vie de ceux qui y avaient vécu. La vie n'y avait pas toujours été facile, mais les guerriers mandaloriens avaient pu se déplacer librement et choisir les zones de résidence : grottes, hameaux…
Le vaisseau ne capta aucun signal de vie animal, ni aucun signe d'activité industrielle. C'était décevant, mais pas surprenant. Il n'y avait aucune raison pour que des Mandaloriens soient revenus vivre sur la lune, où avaient été exilés les clans guerriers. Même si l'Empire était tombé, les Mandaloriens survivants demeuraient cachés.
Din Djarin scanna ensuite la planète. Autrefois, il y a des millénaires, elle avait été couverte de forêts et de plaines verdoyantes. Mais, depuis plusieurs siècles, elle n'était plus qu'un gigantesque désert. Des siècles de guerres fratricides avaient altéré la planète elle-même. Elle était en plus mauvais état que Concordia. La vie y était devenue si rude, que les populations avaient dû s'enfermer dans des biodômes, des structures artificielles qui généraient un microclimat viable, pour y vivre. Le problème des dômes étaient qu'ils étaient peu nombreux et facilement repérables. Ce fut pourquoi l'Empire n'eut aucun mal à éliminer la population de la planète, massée sous d'immenses cibles. Au moins, sur Concordia, les campements et les villages avaient pu être dispersé. Ce fut ainsi que des guerriers purent survivre à la Purge. L'Empire avait ensuite bombardé la planète avec des produits qui avaient modifié la composition chimique de l'atmosphère. Aride et rude, la planète était alors devenue inhabitable avec un air irrespirable et un climat tempétueux.
Comme pour Concordia, le Mandalorien ne détecta aucune activité industrielle ou trahissant la présence d'une forme de vie intelligente. Cependant, la composition de l'atmosphère l'interpela, en particulier le taux d'humidité. Il quitta les appareils de mesure du vaisseau et regarda la planète par lui-même. Les pôles étaient clairs et possiblement gelés. Les zones médianes semblaient désertiques, comme ce qui était censé être le cas de toute la planète. La zone équatoriale était invisible vu du ciel. Une large bande de nuages atmosphériques bloquait la vue du sol. L'humidité venait de là. Ce n'était pas normal. Il lança une analyse détaillée de la composition de l'atmosphère et fut surpris du résultat : elle était parfaitement adaptée à la vie humaine. La zone la plus optimale était sous la bande nuageuse.
Par curiosité, il décida d'entrer dans l'atmosphère au niveau de l'équateur. L'avantage était que la couche de nuage pourrait cacher sa présence. Cependant, les vents atmosphériques étaient puissants et la manœuvre fut éprouvante. À mesure qu'il continuait sa descente vers le sol, les vents se calmèrent. En perdant de l'altitude, il fut réellement surpris de voir des gouttes d'eau mouiller son vaisseau.
Dissimulée par des nuages bas et épais, Din Djarin manqua d'entrer en collision avec une chaîne de montagnes. Il dut manœuvrer rapidement pour esquiver l'obstacle en reprenant de l'altitude. En regardant les instruments de mesure de son vaisseau, il nota qu'ils étaient défectueux. Le sol avait été bien plus proche que les instruments ne le signalaient. Le Mandalorien fit le tour de la zone montagneuse et décida de se poser, à vue, à environ un kilomètre au sud, au pied de la masse de pierre la plus importante.
_ Dank farrik ! S'exclama-t-il, en frappant sur son tableau de bord.
_ Gaa ? Fit l'enfant derrière lui.
_ Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, on a failli se crasher. Le radar anticollision est défectueux. Même à cette distance, il ne signale absolument rien. Ce n'est pas comme si on voyait clairement la montagne devant nous. L'altimètre ne fonctionne pas non plus. Il dit qu'on est à deux milles mètres au-dessus du sol, alors qu'on vient de se poser.
Grogu roucoula tranquillement.
_ D'accord, j'arrête de râler. C'est bon pour l'air. La température n'est ni trop chaude, ni trop froide. Il y a l'air d'y avoir un peu de vent, mais rien de préoccupant à ce stade. On va faire du tourisme ?
_ Gaa ! Répondit joyeusement l'enfant.
à suivre
