L'HÉRITAGE NON DÉSIRÉ

Chapitre 16


Bordure extérieure, Mandalore, forêt équatoriale


DIN DJARIN

Un nouveau silence revint entre les deux « Mandaloriens ». Puis, Din se mit à penser à une jeune Mandalorienne inconnue, à l'allure fine et frêle comme une brindille, qui n'avait jamais vécu que sur Concordia et qui rêvait d'aller fouler le sol de la planète de ses ancêtres guerriers.

_ Paz… Je suis certain que tes pensées au sujet de la jeune Mandalorienne ne me concernent pas.

_ Je te hais.

_ Je le sais. Tu pourrais peut-être… Je ne sais pas… Compter les arbres ou les rochers.

_ Tu me prends pour un enfant, traître ?

_ Moi aussi, je trouve ça inconvenant de pouvoir connaître les pensées d'autrui. En plus, c'est douloureux. Ça rentre dans ma tête comme… si je ne portais pas de casque et qu'on m'enfonçait une tige de métal chauffée à blanc. Une tige pour chaque pensée.

_ Et si toi, tu comptais, grommela Paz.

_ J'ai déjà essayé. La seule chose qui me distrait un peu, c'est quand Grogu me parle et que je me focalise sur lui.

_ Je croyais que ta mission était de le ramener chez lui…

_ Je l'ai fait. Mais, après un temps auprès des siens, il a choisi de revenir près de moi. Je l'ai adopté selon le Credo. J'ai commencé à lui compter notre Histoire et à lui enseigner le Mando'A. Je connais peu de choses sur son espèce mais je sais qu'il ne sera pas bien grand, ni particulièrement fort physiquement et j'ignore s'il pourra suivre l'entraînement des guerriers…

_ C'est ton enfant, coupa Paz. S'il se sent capable de suivre la voie du guerrier, c'est ton devoir de parent de le soutenir. Peu importe les dires des autres et les obstacles qu'il affrontera. Tu devras te tenir à ses côtés ! déclara l'homme en armure lourde, avant de reprendre sa marche.

Din le regarda passer devant lui et observa pensivement le dos de son ancien frère d'arme. Il n'aurait jamais cru entendre de tels mots venir de lui.

o0o0oOo0o0o

Les deux hommes continuèrent à marcher, mais les mots de Paz intriguaient Din.

_ Paz ?

_ Quoi encore ? J'étais en train de compter.

_ Je le sais… Juste… J'ai été surpris par tes paroles.

_ Qu'est-ce que j'ai dit qui ne t'a pas plu, cette fois ?

_ C'est l'inverse en vérité. Ce que tu as dit au sujet de prendre le parti de mon fils, peu importe le reste.

_ Et alors ?

_ Je suis surpris que tu aies eu de telles paroles… C'est tout. Je sais que tu n'apprécies guère les orphelins… Ce qui n'ont pas de lien de sang avec Mandalore. Alors, je croyais que tu pensais que la voie du guerrier était uniquement l'apanage des forts. Comme toi.

_ Tu ne me connais pas, traître.

_ De toute évidence, répondit Din. Est-ce que ça a un rapport avec la Mandalorienne vers qui tes pensées se sont tournées ?

_ Sommes-nous obligé de parler ? Quand arriverons-nous aux plaines ? pesta Paz.

_ Je crains que nous n'ayons encore du chemin à parcourir.


Bordure extérieure, Mandalore, temple Jedi de Mandalore


L'ARMURIÈRE

L'Armurière hocha la tête de satisfaction en contemplant le piédestal du Resol'Nare et le précieux ouvrage débarrassés de leur couche de poussière millénaire. Elle se tourna pour voir où en était l'avancement de la mission qu'elle avait confié à son jeune assistant : trier par ordre alphabétique les ouvrages éparpillés au sol. Il s'avéra que ce fut une erreur monumentale. L'enfant connaissait parfaitement son alphabet Mando'A, mais il n'y avait pas vraiment de logique quant à la façon dont il choisissait le mot du titre de l'ouvrage avec lequel il faisait le tri. Din l'avait pourtant averti : lorsque Grogu « parlait », les mots d'une même phrase n'étaient jamais dans le bon ordre. Elle ne pouvait pas blâmer l'enfant pour cela. Alors, elle se contenta de l'inviter à se désaltérer dans le réfectoire avec elle.

L'enfant levait parfois le visage vers elle, mais baissait le regard rapidement. Il était évident qu'il n'était pas à l'aise, seul, en compagnie de la femme. L'Armurière avait aussi noté ce malaise chez le père de l'enfant. Il était évident qu'ils cachaient quelque chose. Un quelque chose d'important.

Elle connaissait déjà la mission que l'ancien Mand'alor avait confié à Din Djarin, cependant elle se doutait qu'une partie de l'histoire lui échappait. Elle voulait en savoir plus, mais elle savait ne pas pouvoir parler ostensiblement de cela avec le paria. Même s'il n'aimait pas avoir à lui cacher quelque chose et qu'il était mal à l'aise, il ne dirait rien de plus que ce qu'il avait déjà dit.

L'enfant ne parlait pas vraiment, mais il pourrait se laisser convaincre de dévoiler une partie de la vérité. Surtout si l'Armurière réussissait à lui expliquer que c'était pour le bien de son père. Avec suffisamment d'informations, elle pourrait alors obtenir des précisions auprès de Din. Quelque chose d'important demeurait un mystère et il fallait qu'elle lève ce mystère.

Elle finit sa boisson et s'assit en tailleur, sur le sol. Spontanément, Grogu vint se mettre face à elle.

_ Je sais que ton père me cache quelque chose, dit-elle sans détour. Quelque chose qui l'inquiète et qui t'inquiète toi aussi. Par extension, cette inquiétude m'a gagné. Je vais te poser des questions. Je vais faire en sorte que tu n'aies qu'à répondre par oui ou non. Mais, si tu penses que tu dois rajouter quelque chose, n'hésites pas à m'en faire part comme tu l'as fait lorsque nous étions sur Glavis Ringworld pour m'en faire comprendre davantage. Mon intuition me dit que je serai amenée à réfléchir avant de m'entretenir avec ton père après toi. Je me doute que tu n'as pas de secret pour lui et je ne souhaite pas que cela devienne le cas. Néanmoins, après notre échange, je sais que j'aurais besoin de temps pour formuler les choses comme il convient. Aussi, je souhaite que tu gardes cet échange pour toi, jusqu'à ce que j'aie pu en parler avec Din Djarin. Est-ce quelque chose d'acceptable pour toi ?

Grogu baissa le regarda et demeura silencieux. Il se mit à gratter nerveusement le sol du bout de ses griffes. Il hésitait. Il était certain qu'il ne voulait pas trahir la confiance que son père avait en lui.

_ J'ai le sentiment que ce « secret » met la vie de ton père en danger, dit l'Armurière d'une voix neutre. Est-ce que je me trompe ?

L'enfant secoua la tête sans lui accorder un regard.

_ La vie de ton père n'est-elle pas importante à tes yeux ?

Grogu la regarda enfin. Il avait les larmes aux bords des yeux. Ce n'était pas de l'inquiétude. L'enfant était terrifié.

_ Alors, parles-moi. Raconte-moi la vérité.

_ Aruetii, dit l'enfant de façon à peine audible, en Mando'A.

* (Aruetii = Traite ou Non-Mandalorien)

_ Il est vrai que la situation de ton père est actuellement… sensible. Il s'est égaré. C'est un fait. Cela ne signifie pas qu'il est définitivement perdu. J'ai foi en sa capacité à retrouver la Voie. Si ma foi en lui n'a pas de valeur significative, il faut prendre en compte l'opinion de Tarre Vizsla. Cet homme était un grand chef. Un valeureux guerrier et fin stratège. Aimé de son peuple, respecté par ses pairs, et craint de ses ennemis. Si Tarre Vizsla a choisi ton père, c'est qu'il a vu quelque chose en lui. Qui sommes-nous pour remettre en doute ses décisions ?

L'étrange créature verte soupira et son regard sembla exprimer de l'espoir

_ Donne-moi les informations qu'il me faut pour venir en aide à ton père et faire en sorte qu'il reste en vie, dit la femme.

Grogu hocha lentement la tête.

_ Bien. Je n'ai pas l'intention de te causer du tort. Lorsque je parlerai à ton père, pour le convaincre d'accepter mon aide, je souhaite ta présence à ses côtés. Tu pourras alors faire valoir tes choix si tel est ton désir. Et, je t'appuierai.

Grogu acquiesça à nouveau.

_ Acceptes-tu de garder pour toi notre échange le temps que j'en discute directement avec Din Djarin ?

_ Elek, répondit l'enfant.

* (Elek = Oui)


Bordure extérieure, Mandalore, à la lisière de la forêt équatoriale


DIN DJARIN

Din Djarin et Paz Vizsla avaient finalement atteint les plaines. Un troupeau de Runyips broutait tranquillement devant eux. Même si ses animaux n'avaient jamais été chassés par des humains, les deux hommes agissaient avec discrétion. Discrétion qui n'était pas le fort de Paz et de son armure lourde. Din avait l'avantage d'entendre non seulement l'armure de Paz, mais également ses pensées. Il savait donc exactement où était son partenaire de chasse et pouvait ajuster sa position aisément.

Ils s'apprêtaient à lancer l'assaut sur un animal un peu écarté du troupeau lorsque le sol trembla légèrement. La totalité des bêtes levèrent la tête et humèrent l'air, mais elles étaient toutes dos au vent. Aucune des créatures ne regardaient en direction d'un des Mandaloriens. Din pressa un bouton sur le côté de son casque pour activer la vision thermique de son heaume. Il savait que Paz en faisait autant. Il scrutait les petites collines en direction desquelles le troupeau regardait. Il ne détectait rien. Ni source de chaleur anormale, ni forme suspecte, ni fréquence audio inhabituelle et ses « pensées » n'entendaient rien.

Trop focaliser sur la source d'attention du troupeau, il eut un temps de retard lorsque Paz se lança à l'attaque de l'animal isolé. Entre la vigilance exacerbée des animaux, le bruit excessif de Paz et le retard de Din, l'animal échappa sans difficulté à l'attaque. Le groupe de bêtes se rassembla et se mit à courir, entre les deux hommes, dans la direction opposée aux collines. Et les deux chasseurs se trouvèrent à un mètre l'un de l'autre, bredouilles.

La suite se passa très vite.

Paz poussa un juron et se tourna vers Din. Avant même que l'homme en armure lourde n'ait ouvert la bouche, Din sut qu'il allait se faire insulter et se voir reprocher la fuite du troupeau. Il en avait assez d'être la cible de la mauvaise humeur de son camarade. Mais, il n'eut pas le temps de parler non plus.

Le sol trembla plus fortement. Ce qu'ils avaient pris pour une colline éloignée n'en était pas une et n'était pas si éloigné… Projetant des amas de terre et de cailloux, une immense créature, pourvue de quatre pattes et d'une longue queue, sortit du sol en poussant un rugissement de colère. Ses deux pattes avant s'arrêtèrent à quelques mètres de Paz et Din. La bête se redressa de toute sa hauteur pour dominer les deux hommes et leur dissimula le soleil par sa simple présence. Derrière son casque, dont il avait remis la vision en mode normal, les yeux de Din clignèrent plusieurs fois pour s'ajuter à ce changement de luminosité.

Din était tétanisé par la vision qu'il avait devant lui. La mâchoire de la bête était si grande qu'elle aurait pu engloutir les deux hommes sans difficulté. Les babines retroussées, suintantes de bave, laissaient voir une myriade de dents immaculées et acérées. De longues et larges défenses recourbées encadraient la gueule de la créature. Des paupières blanches et verticales passèrent devant les yeux de la bête et rendirent ses pupilles noires et furibondes plus menaçantes envers les deux chasseurs qu'elles ne l'étaient la seconde d'avant. La créature, haute de plusieurs mètres, était couverte d'écailles brunes dont la couleur se confondait avec la roche. La peau de tout son corps vibrait sous la puissance du grondement sourd qui émanait d'elle. C'était un grondement colérique, qui résonnait depuis le fond de la gorge de la bête, et qui était prêt à se finir dans la gorge d'une autre créature dans un fracas d'os brisés et de chair déchirée.

Ce fut un craquement de brindille, sous le pied de Paz, qui arracha Din à sa pétrification. Sa propre terreur était amplifiée par celle de son voisin. Par instinct Paz avait commencé à reculer. Ça aurait pu être une bonne idée sans cette brindille. Mais, à présent, l'immense créature était focalisée sur lui. Vu sa taille et la longueur de ses pattes, aucun des deux hommes ne pouvaient espérer prendre la bête de vitesse. Même équipés leurs Jet-packs, il n'était pas certain que la chose fusse possible.

Sans quitter la créature du regard, Din se rapprocha lentement de Paz, pour être épaule contre épaule.

_ Paz, chuchota-t-il. Nous devons nous replier, lentement, sans geste brusque, dans la forêt.

_ Je suis d'accord, murmura Paz, joignant sa réponse à sa mise en route.

Sans tourner le dos à la monstrueuse créature, les deux Mandaloriens commencèrent leur long, et probablement vain, périple pour tenter de se mettre à couvert. Tout comme Din, Paz ne pensait pas que les arbres puissent réellement leur apporter une protection face à la puissance évidente de la bête, mais aucun d'eux n'avait une autre idée. Chacun de leurs pas semblait faire un bruit effroyable. A croire que toutes les brindilles et toutes les feuilles mortes étaient venues se positionner sous leurs pieds pour faire du bruit et maintenir la monstruosité dans son état de colère perpétuelle.

La créature les regardait s'éloigner lentement sans bouger. Elle ne les quittait de ses yeux menaçants et elle continuait à grogner.

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Après plusieurs minutes qui parurent des heures, ce fut avec soulagement que Din aperçut l'ombre des arbres dans son champ de vision. Bientôt, peut-être, leurs chances de survie pourraient augmenter. A force de patience, ils avaient réussi à mettre plusieurs mètres entre eux et la bête. Pour une créature de ce gabarit, ce n'était pas grand-chose. Mais, pour un humain, cela faisait beaucoup. Les deux Mandaloriens avaient vu naître en eux une faible lueur d'espoir.


PAZ VIZSLA

L'un des inconvénients de reculer sans pouvoir regarder en arrière était qu'il était impossible de savoir sur quoi il était possible de marcher. Paz se prit les pieds dans ce qui devait être les racines d'un arbre et bascula en arrière. Il eut juste le temps de voir Din quitta la créature des yeux et tourner la tête dans sa direction avant de s'écraser lourdement au sol.

Le fracas engendré par son armure tombant à terre résonna bruyamment en lui, comme un coup de tonnerre. Cela dut également foudroyer la bête qui poussa un rugissement furieux. La lenteur à laquelle Paz avait été contraint ces dernières et longues minutes le quitta en un instant. Paz Vizsla était considéré comme le guerrier en armure lourde le plus rapide de sa tribu. Malgré son équipement massif, il avait toujours été capable de réagir promptement… à condition d'avoir de bons appuis. Donc, d'être sur ses deux jambes. Le seul mouvement rapide, qu'il put faire, fut de se redresser en s'appuyant sur les coudes, pour faire face à une mort certaine.

Contre toute attente, alors que l'immense créature avait déjà atteint la lisière des bois en deux enjambées, Din Djarin avait couru, en s'interposant entre elle et Paz, en cria « Non ! », les deux mains levées vers la bête. Probablement surprise qu'une si petite et insignifiante chose lui face front, l'immense créature pila au dernier moment en projetant des mottes de terre et d'herbes autour de ses pattes griffues.

Paz, stupéfait, ne pouvait qu'observer la scène en silence. Il entendait à peine la respiration forte de la bête tant les battements de son propre cœur résonnaient forts en lui. Din ne bougeait presque plus. Paz ne décelait que le tremblement des bras tendus du traître. Trois secondes plus tard, la créature prit légèrement appui sur ses pattes arrière, se redressa, leva les pattes avant de trois mètres et se laissa retomber en fracassant le sol de part et d'autre de Din. Elle pencha la tête, inspira, ouvrit la gueule juste au-dessus du paria. Là où elle aurait pu l'engloutir sans effort, elle poussa un hurlement de rage, si puissant que Din se plia sur lui-même et ramena les bras au-dessus de lui pour se protéger.

La seconde suivante, d'un bond, la bête leur tourna le dos avant de s'élancer à la suite du troupeau de Runyips.

Din Djarin se redressa, tituba, puis s'effondra.

Toujours à terre, Paz mit un certain temps avant de réagir. Il avait besoin de temps pour assimiler les derniers événements.

Alors qu'ils traquaient du gibier avec le traître, une créature, tout droit sortie des anciennes légendes de Mandalore, une bête qui n'était plus censée exister, avait surgi devant eux. La créature avait chargé sur lui, mais le traître s'était interposé au péril de sa vie. La bête, réputée pour ne jamais abandonner une proie, avait tourné le dos et s'en était allée trouver une autre victime.

Paz Vizsla et Din Djarin venaient de croiser la route d'un Grand Mythosaure.


à suivre