En temps normal, Bethany Bones tirait une certaine fierté de son statut d'ancienne Poufsouffle, mais alors qu'elle fixait le heurtoir en forme de serpent, elle se surprit à regretter de ne pas avoir été envoyée à Gryffondor. Au moins aurait-elle eu assez de courage pour frapper dès son arrivée et non rester plantée devant la porte pendant cinq bonnes minutes.
Morgane et Circé, arrête donc de bayer aux corneilles et bouge.
Elle fit une dernière tentative pour lisser sa crinière blonde impossible, inspira profondément, s'empara du heurtoir et frappa deux coups. Puis elle attendit.
Deux secondes plus tard, le battant de bois sombre s'ouvrit pour laisser apparaître un elfe de maison au torchon drapé façon toge, l'expression hautaine. Cependant, toute trace d'arrogance disparut dare-dare alors qu'il posait les yeux sur elle, remplacé par une indéniable confusion.
Elle lui sourit poliment.
« Bonjour, est-ce que tu pourrais dire à Regulus Black que Bethany Bones aimerait lui parler ? C'est très important. »
L'elfe resta indécis l'espace d'un éclair avant de s'incliner bien bas et de s'écarter tout en lui faisant signe d'entrer. Bethany avala sa salive et s'avança dans un vestibule qui réussissait à demeurer obscur en dépit de la lumière du dehors et des lampes fixées au mur. Derrière elle, la porte se referma dans un claquement lugubre.
« Que la jeune maîtresse donne son manteau » croassa l'elfe, « et Kreattur le rangera. »
« Kreattur, qu'est-ce que c'est ? »
La question descendit de l'escalier en compagnie d'un quinquagénaire bien conservé, aux traits aristocratiques dédaigneux, dont les cheveux noirs ne daignaient pas s'abaisser à grisonner. Bethany se sentit brusquement très débraillée et mal peignée lorsque le regard de l'homme, de la même teinte et de la même dureté que l'acier, entreprit de la détailler.
« Kreattur fait son devoir » marmotta l'elfe. « Kreattur accueille la jeune maîtresse. »
A ces mots, le regard se fit véritablement transperçant et Bethany sentit son dos se raidir tandis que son cœur faisait des cabrioles dignes d'un Abraxan gambadant parmi les nuages.
« Vous êtes la nièce d'Amelia Bones » déclara-t-il d'un ton froid. « Je vous ai vue lors de la réception estivale de 1977. »
Rien que le rappel de la date donna envie à la jeune femme de grincer des dents alors qu'elle se rappelait la façon dont les autres invités avaient traité sa mère lors de cette soirée, parce cette dernière avait eu le culot impardonnable de mettre le grappin sur Edgar Bones alors qu'elle avait un père né-moldu, ce qui faisait d'elle une parvenue ambitieuse qui ne s'intéressait forcément qu'à l'argent de son mari.
Je me demande ce qu'on dira de moi… peut-être telle mère telle fille.
« Je suis bien Bethany Bones » confirma-t-elle d'une voix qui ne tremblait pas, « et j'ai une affaire à régler avec votre fils Regulus. Est-ce qu'il est là ? »
Le regard d'Orion Black s'abaissa et elle s'obligea à serrer les poings pour ne pas se couvrir le ventre des mains. Le silence qui suivit lui sembla durer une éternité.
« Kreattur » finit par ordonner le sorcier, « dis à Regulus que j'ai à lui parler dans le salon du premier étage. »
« Kreattur obéit » croassa l'elfe avant de se volatiliser dans un craquement sec, laissant Bethany seule face au maître de maison qui persistait à darder sur elle un regard froid.
« Si vous voulez bien me suivre, Miss Bones. »
Aux yeux de Bethany, le salon était tout aussi lugubre et obscur que le vestibule – ces Black avaient réellement une prédilection pour tout ce qui était sombre, en matière de magie comme de mobilier, semblait-il. Cela ne les tuerait pourtant pas d'ouvrir les rideaux et d'ajouter une ou deux babioles de couleur.
Orion lui avait à peine fait signe de s'asseoir quand Regulus était entré dans la pièce. Il n'avait pas changé depuis le mois de mai, toujours aussi grand, toujours aussi brun, toujours aussi pâle, même s'il était nettement plus habillé – pantalon noir et chemise blanche boutonnée jusqu'au menton, même chez lui il ne se détendait pas, apparemment.
Ses yeux gris s'écarquillèrent lorsqu'ils se posèrent sur elle et un frisson courut le long du dos de Bethany. Rester calme. Ne pas penser à ce soir-là. Surtout pas.
« Comme tu peux le voir, Regulus » fit la voix polaire d'Orion, « nous avons une visiteuse. J'espère pour toi que tu ne t'es pas trop mal conduit envers elle. »
Le jeune homme pinça les lèvres brièvement avant de se décider à vocaliser.
« Bones. Ça doit faire deux mois, non ? »
« Trois » rectifia-t-elle, la gorge serrée. « Ce… c'est à propos de ce soir-là. »
La panique déforma les traits du garçon l'espace d'un éclair. Elle porta sans réfléchir les mains à son ventre. L'entendant inspirer brusquement, elle sut qu'il avait vu le geste, et qu'il avait compris.
A présent, l'expression de son visage hésitait entre l'incrédulité et la confusion pure. Très franchement, Bethany ne parvenait pas à lui en vouloir. Elle-même ne savait pas trop quoi penser de son état.
« Vraiment, Regulus ? Je sais bien qu'une ou deux indiscrétions passent à ton âge, mais tu aurais dû prendre des précautions. »
Le jeune homme cilla tandis que ses pommettes pâles tournaient au rose délicat – il fallait bien avouer, que votre propre père vous fasse la leçon sur votre vie intime, c'était un tantinet gênant.
« Je crois porter autant le blâme que votre fils, M. Black » déclara prudemment la jeune fille. « Un enfant ne se conçoit pas tout seul. »
Le regard d'acier se darda à nouveau sur elle et elle se tendit alors que le maître de maison sortait sa baguette.
« Si vous m'y autorisez, Miss Bones ? Ostendere paternitatem. »
Elle manqua bondir lorsqu'une nuée rouge se forma au niveau de son estomac avant de s'écarter pour aller recouvrir Regulus d'un cache vaporeux puis de se volatiliser. Orion souriait à présent – un sourire qui se voulait rassurant mais qui aurait beaucoup mieux convenu à un dragon prêt à déverser un torrent de flammes sur un malheureux passant.
« Et bien, je crois que tout est en ordre. Regulus, occupe-toi donc de ta fiancée, j'ai deux mots à dire à ta mère. »
Sur ces mots, il se leva et quitta la pièce, laissant les jeunes gens face à face. L'élément mâle expira longuement par la bouche.
« De toutes les conséquences… Pourquoi on n'a pas pensé à ça ? »
Bethany laissa échapper un petit rire.
« J'imagine qu'on avait un peu autre chose à l'esprit. Genre essayer d'oublier. »
Regulus se passa une main tremblante dans les cheveux.
« Option qui n'est plus envisageable maintenant, et elle le sera encore moins dans six mois. Un môme, c'est un peu impossible à ignorer. »
La jeune fille baissa les yeux sur son abdomen légèrement dodu. Oh, pas encore trop, mais tout de même dodu.
« Et maintenant, quoi ? » interrogea-t-elle.
Un craquement sec lui tint lieu de réponse : l'elfe de tout à l'heure venait d'apparaître dans le salon, tenant un plateau de thé avec deux tasses fumantes.
« Kreattur a fait du thé » annonça la petite créature, « pour Maître Regulus et sa fiancée. »
Bien sûr, du thé. Pourquoi pas ?
S'il y avait bien un défaut qu'Orion ne pouvait pas supporter chez son épouse, c'était son refus de choisir une option intelligente lorsqu'elle en avait la possibilité. Probablement le notoire caractère de cochon de leur famille faisant surface chez elle, qu'elle avait malencontreusement transmis à leur fils aîné.
Pourquoi donc ne comprenait-elle pas que jeter Bethany Bones à la porte n'était tout bonnement pas envisageable ? La fille avait beau être la rejetonne du troisième héritier de la famille Bones, elle n'en était pas moins une Bones, et si Amelia Bones – en pleine ascension dans le Département de la Justice Magique – décidait de porter plainte contre Regulus pour avoir séduit et ruiné les chances de mariage de sa nièce, les Black se retrouveraient dans une situation délicate.
Non, la solution la plus simple – et la plus profitable – restait encore de marier Regulus à la fille Bones, et le plus tôt possible serait le mieux. L'honneur de la fille resterait préservé, et les Black auraient un héritier pour la future génération. Face à cela, quelle importance si la donzelle avait un grand-père sang-de-bourbe ?
Apparemment, une importance énorme à en croire Walburga qui n'arrivait pas à voir plus loin. Ça et le fait que la famille Bones engendrait traditionnellement des Poufsouffle, fermement alignés à la Lumière. Pour une famille aussi profondément enracinée dans les Ténèbres que les Black, une fille Nott, Greengrass ou Selwyn aurait été plus acceptable.
Mais Orion savait lire le climat politique, et celui-ci n'était guère favorable aux Ténèbres. Une fiancée de la Lumière pour son fils constituerait une bouée de sauvetage, un moyen d'assurer la survie de la famille. Au moins les Bones leur viendraient-ils en aide – les Poufsouffle ne plaisantaient pas avec la loyauté, renoncer à soutenir une famille alliée par le mariage leur apparaîtrait comme une impardonnable trahison.
Que ça plaise à Walburga ou pas, ce mariage aurait lieu.
