L'enterrement vint et passa comme une hallucination provoquée par la drogue, la faim ou le manque de sommeil. A peine Bethany pouvait-elle se rappeler d'innombrables condoléances qui se fondaient les unes dans les autres, une nuée de vêtements noirs et cinq cercueils couverts de fleurs.
Elle se souvenait avoir pensé que les lys, c'était ridicule, sa mère en détestait l'odeur trop puissante, ça lui donnait toujours des migraines.
Tatie et Oncle Benjy avaient aussi été là, elle se souvenait de la sensation râpeuse de la barbe d'Oncle Benjy contre sa joue lorsqu'il l'avait prise dans ses bras. Pour Tatie, et bien, Bethany vivait chez elle pour le moment. La maison était devenue une scène de crime, après tout. Et puis, Bethany ne pensait pas pouvoir y retourner. Pas alors qu'elle était vide.
Elle se souvenait aussi que Regulus était passé, à la fin de la cérémonie. Il lui avait demandé s'il pouvait faire quelque chose pour elle, et bizarrement, elle avait failli éclater de rire, parce que c'était un peu comme demander à un assoiffé s'il voulait de l'eau, non ?
Sauf que de l'eau, elle n'en voyait pas à l'horizon. Le désert de Gobi, à perte de vue, et aucune oasis en perspective.
Ceci dit, elle l'avait remercié d'être venu.
Pendant la période de flottement entre les funérailles et le mariage – Tatie et M. Black s'étaient mis d'accord sur la mi-août – ce fut comme si Bethany assistait à sa vie en tant que spectatrice. Comme la fois où Mary MacDonald l'avait traînée à cette salle de spectacle moldue – un cinéma, c'était ça, le mot. Bethany Bones n'était qu'une actrice, et elle regardait l'action se dérouler autour d'elle.
Tatie ne rentrait plus trop chez elle, en ce moment. Sans doute parce qu'elle voulait attraper les responsables de l'attaque contre papa. Ça convenait très bien à la jeune fille, elle n'avait pas trop envie de se montrer sociable.
Oncle Benjy était passé une ou deux fois, mais apparemment sa femme venait de tomber enceinte – c'était la saison, décidément – et il n'aimait pas trop l'idée de la laisser seule et vulnérable. Elle non plus n'était pas sang-pure, comme maman, alors Oncle Benjy voulait sans doute éviter que la catastrophe se répète.
Bethany restait donc toute seule à longueur de journée, avec l'elfe de maison de Tatie qui se prénommait Poppet et qui ne demandait pas mieux que de lui apporter des coussins pour lui reposer les chevilles ou des bouillotes pour le ventre, parce que la grossesse, ça vous transforme en statue de verre, c'est bien connu.
Enceinte jusqu'aux dents et orpheline. Par les chaussettes trouées de Merlin, on ne pouvait pas faire plus cliché. Enfin, sauf si une prophétie décrétait que son bébé était destiné à retrouver les bourreaux de sa famille et à les tuer de manière aussi gore que satisfaisante. Là, ce serait un cliché qui plairait à Bethany. En fait, elle aiderait si elle le pouvait.
Oui, elle était bien une Poufsouffle. Ce que la plupart des gens ignoraient, c'était qu'il fallait éviter de contrarier un blaireau si vous teniez à la vie. Ou à votre virilité.
Le mariage fut une affaire privée, strictement réservée aux membres des deux familles. Les Bones venaient de subir une tragédie, des réjouissances auraient été de mauvais goût alors qu'il ne s'était même pas écoulé un mois depuis la mise en bière des corps.
Du côté Black étaient venus Cassiopeia Black – vieille fille endurcie au sourire proprement terrifiant – Arcturus Black, l'actuel chef de famille – le parfait gentilhomme si on oubliait un regard plus à sa place chez un dictateur adepte de Machiavel – et Cygnus Black – bigot du dernier degré au visage coincé en mode réprobateur – en plus des parents du marié, sans doute pour éviter un esclandre ou pour défendre le jeune couple de quiconque se mettrait en tête de saboter l'union.
Les Black n'engageaient jamais de sécurité lors de leurs réceptions, ils étaient la sécurité.
Oncle Benjy mena Bethany à l'autel, plutôt que papa. La robe de noces avait été coupée un peu plus large que nécessaire, inévitable vu que la jeune fille en était à son quatrième mois de grossesse. Quand ce fut le moment de prononcer les vœux, ceux-ci furent récités avec application, à la manière d'une leçon scolaire régurgitée parce qu'on le doit, non parce qu'on en a particulièrement envie.
La famille Black s'était chargée d'apporter les alliances : la bague de Regulus était en argent sans fioritures, la bague de Bethany en or serti d'un onyx en cabochon. Bêtement, elle avait été touchée que son alliance soit aux couleurs de son ancienne maison.
Lorsque la cérémonie prit fin, il s'était écoulé à peine une demi-heure depuis l'arrivée des fiancés. Rapide et net, impossible de prétendre que les Serpentard n'y connaissaient rien en matière d'efficacité.
Bethany Black. Mme Regulus Black. Elle retourna son nouveau nom dans sa tête, encore et encore. Les syllabes résonnaient de travers, ne s'accordaient pas avec elle-même. Il lui faudrait s'habituer, bon an, mal an.
Et après… après, elle ne savait pas. Elle devrait bien accoucher, ça, c'était certain. Mais au-delà…
Et bien, au-delà, elle aviserait. Mais elle devrait recommencer à vivre. Même si elle ne voulait pas. Même si elle n'en trouvait pas les ressources.
Elle espérait que son tout nouveau mari serait là pour l'aider à remettre la pente. Après tout, il l'avait épousée, et un mari se devait de soutenir sa femme. Autrement, elle trouverait un moyen de le lui faire payer. Vraiment.
Bethany Bones était une Poufsouffle, et elle exigerait de son mari qu'il remplisse ses devoirs envers elle comme elle ferait de son mieux pour remplir ses devoirs envers lui. Après tout, les Poufsouffle savaient que la coopération était essentielle à la survie en société.
