Disposer d'un plan d'attaque ou l'établir, c'était nettement plus facile quand les objectifs étaient clairement définis.

Dans le cas présent, l'objectif était irrémédiablement clair : le fou qui se proclamait Lord Voldemort devait être abattu comme le chien qu'il était avant de causer encore plus de ravages à la société sorcière anglaise – comme avec toute bête enragée, il ne s'agissait que de bon sens.

Pour ce faire, il faudrait d'abord détruire les phylactères (réceptacles d'âme) de la liche en puissance, et l'entreprise s'annonçait autrement plus délicate que de simplement tirer sa baguette et de jeter des maléfices au prétendu Lord. Comment s'y prendre quand on n'avait aucune idée de combien d'Horcruxes avaient été créés ou à quoi ils ressemblaient ?

Heureusement qu'Arcturus ne rechignait pas devant le travail fastidieux, autrement il n'aurait jamais fait carrière au Ministère ni décidé de s'atteler à la tâche irritante de passer au peigne fin la vie de sa cible afin de trouver les instances les plus plausibles pour la réalisation d'un phylactère.

Bien sûr, il avait été interroger son jeune benêt de descendant sur la manière dont celui-ci avait déterminé que le médaillon de Salazar Serpentard avait été corrompu, soupçonnant Regulus d'avoir effectué un travail de recherches approfondi avant de commettre sa sottise gryffondorienne. Il ne s'était pas trompé, preuve que la sottise n'avait pas résulté d'un changement de personnalité intégrale : ce garçon avait toujours aimé s'enterrer sous les vieux livres et rédiger des fiches. Reste à espérer que son épouse puisse l'en arracher à l'occasion…

Suite à une enquête généalogique remontant jusqu'au début du dix-neuvième siècle, Regulus était parvenu à associer le nom de Serpentard avec les Gaunt, et le nom de Gaunt avec plusieurs incidents notables dans les archives criminelles du Ministère, le plus récent datant des environs de la Seconde Grande Guerre. Consulter le dossier n'avait guère impressionné Arcturus – pour ce qui était de la lignée Gaunt.

Pourvu d'antécédents aussi vulgaires et dégénérés, ce n'était en fin de compte pas si étonnant que le prétendu Lord Voldemort soit tombé à de pareilles bassesses, le sang pourri avait cette malheureuse tendance à refaire surface quand c'était très incommodant. Même chez les Black – voyez donc l'impétuosité de Bellatrix ou de Walburga.

Hélas, personne n'avait eu la présence d'esprit de détecter des signes avant-coureurs de tracas ni le désir d'encadrer correctement le jeune Tom Jedusor, et maintenant toute la Grande-Bretagne sorcière en payait le prix.

Quand il avait voulu se décharger de son accablement dans l'oreille de Cassiopeia, celle-ci avait été on ne peut moins réceptive au désarroi de son cousin. Voilà qui lui apprendrait à oublier son tempérament, tiens : Cassiopeia n'avait jamais eu aucune indulgence pour tout ce qu'elle étiquetait pleurnicheries et récriminations.

« Pendant que tu t'amuses à jouer les petites souris en quête de miettes » lui avait-elle déclaré à la place, « j'irais visiter Bellatrix et Narcissa, histoire de voir si elles nous cacheraient des informations intéressantes. Ou qui sait, peut-être que l'une nous cache un Horcruxe sous son propre toit ? »

« Cassie, il faudrait avoir complètement perdu l'esprit pour confier à l'un de tes disciples un objet imbibé de magie aussi noire. »

« N'avons-nous pas déjà établi que ce Jedusor – laisse-moi l'appeler ainsi, c'est si Moldu et commun, ça lui va tellement mieux – était tout sauf rationnel ? »

Face à pareil argument, Arcturus n'avait pas eu d'autre choix que de s'incliner et de la laisser n'en faire qu'à sa tête. De toute façon, Cassiopeia n'en faisait jamais qu'à sa tête – il plaignait nettement ses nièces (oui, même Bellatrix) pour la tornade qui allait bientôt s'abattre sur elles.

Il plaignait aussi la jeune Bethany. Après l'indifférence des premiers mois, Cassie l'avait déclarée intéressante et digne d'être modelée et formée en une matriarche Black digne de ce nom. Bon, Cassie aurait sans doute des égards dû à la grossesse, alors la petite survivrait probablement avec sa santé mentale plus ou moins intacte.

D'un autre côté, il fallait vraiment s'attendre à tout avec Cassie.


Regulus avait entendu parler de confinement, lorsqu'un couple attendait un heureux évènement, mais il était à peu près certain que c'était la femme qui était supposée se retrouver enfermée dans sa chambre plutôt que le mari.

D'un autre côté, Bethany avait une santé de cheval, alors il y avait toutes les chances pour qu'elle n'en ait pas besoin du tout. Et actuellement, Regulus était douloureusement conscient de faire piètre figure – c'était comme si la Décoction de Détraqueur lui avait imbibé la moelle des os et refusait désormais de s'évaporer.

Confinement, donc. Avec Kreattur comme geôlier, secondé par sa chère petite femme – laquelle avait mérité un affectueux maîtresse Annie de la part de l'elfe. Mine de rien, c'était encourageant : quand un elfe de maison n'aimait pas quelqu'un, il trouvait moyen de le faire savoir, et là adieu tranquillité domestique. Après avoir vu Sirius endurer mille et une petites mesquineries quand il était revenu de Poudlard avec la ferme intention de s'aliéner toute la famille, le cadet n'était guère impatient de voir le cirque recommencer mais avec sa femme dans le premier rôle.

Néanmoins, il aurait davantage apprécié leur entente si cette dernière n'avait pas été dirigée contre lui. Dans les meilleures intentions du monde, certes ; ça restait quand même contre lui, et en tant que rejeton Black, Regulus détestait qu'on tente de le contraindre. S'il pliait, c'était parce qu'il le voulait bien, et pour nulle autre raison.

Le destin devait avoir un sens de l'humour vraiment tordu, pour l'unir à une femme aussi butée que ses propres cousines. Qu'est-ce qui naîtrait de pareil accouplement, on vous le demande un peu ? Leur fille s'en irait probablement conquérir Poudlard à peine ses onze ans fêtés.

Leur fille.

C'était déjà difficile de se réveiller le matin et de se rappeler qu'il était marié maintenant, et il était supposé devenir père, en plus ? Il ne savait pas comment être un père, il n'avait même pas idée de par où commencer pour se débrouiller. Et il avait encore le temps, que ferait-il une fois que sa fille serait bel et bien là ?

Une fille. Il allait avoir une fille, et elle aurait le visage d'une Black, le port fier d'une Black… peut-être pas le tempérament, il n'imaginait pas une Black pure souche supplier comme elle l'avait fait, pour rien au monde. Mais d'un autre côté, il n'avait pas non plus imaginé que Sirius s'enfuirait de la maison, ni qu'il s'en irait lui-même tenter de se suicider (comme insistait Bethany) de manière absurdement héroïque, alors qu'en savait-il ?

Et… elle avait mentionné d'autres enfants, n'est-ce pas ? Quand elle avait dit que Regulus ne pouvait pas mourir parce qu'on aurait besoin de lui, elle avait nommé… comment déjà ? Terry, et… et Harry. Ses frères ? S'agissait-il de ses frères ? Regulus ne pouvait pas imaginer baptiser un de ses enfants – un de ses fils – par un de ces deux prénoms aussi… ordinaires. Seigneur, faites qu'il s'agisse de diminutifs. Des diminutifs, il pouvait vivre avec.

Et elle, comment allait-elle s'appeler ? Elle ne le lui avait pas dit, mais il faudrait bien que Regulus lui trouve un nom. Quelque chose qui fasse honneur à la tradition Black. Quelque chose de beau, aussi beau que sa fille avait été – serait – belle.

Elle méritait au moins ça.