Si Bethany croyait en avoir terminé avec les félicitations pour s'être dévouée à perpétuer la lignée Black, elle s'était lourdement trompée. Suite à son examen médical, Cassiopeia Black s'était empressée d'aller crier sur tous les toits possibles et imaginables que la dernière belle-fille en date de cette maudite famille allait leur donner les premiers jumeaux répertoriés dans leur histoire récente – qui commençait un peu avant la naissance de la Reine Victoria, alors ça faisait quand même un bon moment.

Sérieusement, quoi. Même tante Amelia et oncle Benjy avaient été rameutés – trouvant moyen de se décharger brièvement de leurs obligations respectives pour venir la visiter, ce qui l'avait touchée, mine de rien.

En revanche, elle avait failli sauter au plafond quand Regulus lui avait glissé que sa grand-tante ne manquerait pas de visiter Bellatrix Lestrange pour lui porter des nouvelles de Bethany.

« Puis-je te rappeler que cette foldingue a essayé de me tuer ? » siffla-t-elle, les mots chuintant à la manière de la vapeur éjectée par une bouilloire au bord de l'implosion.

« C'est probablement la meilleure façon qu'a trouvé tante Cass pour te venger » grimaça le jeune homme. « La meilleure des revanches est de bien vivre et prospérer, ce type d'attitude. »

« Elle a tué ton père ! »

Le visage de Regulus perdit illico toute trace d'expression. Couplé avec sa pâleur aristocratique et son regard vitreux, il ressemblait de manière saisissante à un de ces gisants décorant les tombes des monarques moyenâgeux.

Bethany éprouva un pincement de remords, mais pas assez fort pour rétracter son argument.

« Elle a aidé à tuer mon père » concéda Regulus, « mais il y a une différence entre ça et tuer directement quelqu'un. Crois-moi, si elle avait directement levé la main contre mon père, un homme directement dans la ligne de succession au patriarche, elle ne serait plus de ce monde depuis belle lurette. »

« Et comment peux-tu être sûr de ça ? »

« Parce que Grand-père a pris des précautions. Être le patriarche a ses avantages, comme d'invoquer une juste rétribution en cas de parricide au sein de la famille. Je ne suis pas tout à fait sûr de la nature du châtiment, si c'était perdre la magie, perdre l'esprit ou perdre la vie, mais en tout cas tu peux être sûre que c'est plutôt laid. »

La jeune Poufsouffle sentit un frisson lui glacer la nuque et le reste de la colonne vertébrale à cette évocation nonchalante de magie rituelle. Ça ne finissait jamais bien, de recourir à ce type de pouvoirs, on finissait toujours par en payer le prix.

Elle était on ne peut mieux placée pour le savoir.

« Donc, vous allez la laisser s'en tirer à bon compte » se borna-t-elle à lâcher platement, son sens de l'égalité et de la justice hurlant à la mort sous son crâne.

« Pas tant que ça » nuança Regulus, « vu que tante Cass la manipule sans gêne. Bon, elle manipule toute sa famille, peu importé le degré de parenté proche, mais entre ses magouilles habituelles et forcer Bella à tomber enceinte malgré ses propres souhaits, il y a un monde. »

La blonde plissa les yeux.

« C'est moi ou tu me caches quelque chose ? »

Un ange passa avant que son mari ne se décide à confesser.

« … C'est toujours ma cousine. C'est la fille de mon oncle et la sœur de Cissy. Tu pourrais te retourner contre ton oncle ou ta tante, si jamais vous en venez à une divergence d'opinions ? »

Aux yeux de Bethany, la question était close depuis que Bellatrix avait décrété qu'elle méritait de mourir en dépit d'être désormais sa cousine par le mariage, mais s'il fallait retenir une seule particularité chez Regulus Black, c'était son grotesque, absurde au point du sublime, dévouement envers sa famille.

Elle n'approuvait pas, mais elle comprenait. Elle était de la maison d'Helga, et tout dévoué à Salazar qu'il était, Regulus ne se serait pas tellement déplu parmi les blaireaux si le Choixpeau avait rendu un verdict différent.


Sirius ignorait ce qu'il y avait dans l'air, mais en tout cas ça paraissait déterminé à rendre parents le plus de gens possibles.

D'abord, il y avait eu Reggie et sa petite Poufsouffle de femme – par le caleçon froissé de Merlin, il n'en revenait toujours pas que son petit frère se soit casé à peine sorti de Poudlard – puis Alice Londubat et Lily-jolie avaient comploté pour se trouver simultanément avec un polichinelle dans le tiroir – bon, pas vraiment comploté mais cette synchronisation, quand même – et maintenant, voilà que tante Cassie lui expédiait une carte très courte, pour lui signaler que les jumeaux de Reggie devraient naître en février, oh et si ça t'intéresse, Narcissa leur prépare un petit camarade de jeu.

Est-ce que ça existait, un virus de la fertilité ? Ou peut-être s'agissait-il de la guerre, tous ces meurtres et ces tragédies vous poussant à trouver réconfort dans les bras d'autrui avec des conséquences aussi logiques que fécondes ?

Quand l'Animagus chien avait essayé d'exposer sa théorie à Remus, le loup-garou l'avait fixé un petit moment avant de formuler que c'était une réflexion intéressante, mais il ne s'agissait pas réellement de sa tasse de thé et n'était-ce pas un peu ridicule de toute façon ? Bon, il n'avait pas carrément dit que c'était ridicule mais ça s'entendait très bruyamment dans sa manière de froncer les sourcils.

Bien sûr que c'était ridicule. Sirius avait besoin de ridicule, même en ce moment. Surtout en ce moment.

Il ne voulait pas penser aux attaques contre les Moldus et les Nés-Moldus, rivalisant dans l'horreur et le sadisme. Il ne voulait pas penser à l'Ordre qui piétinait, s'efforçant de prévoir le prochain coup des terroristes. Il ne voulait pas penser à Caradoc Dearborn, lequel s'était subitement volatilisé dans les airs depuis deux mois et dont les chances d'être encore en vie ne s'annonçaient guère prometteuses.

Il ne voulait pas penser à Orion Black.

Une distance froide et tendue avait toujours été de mise entre les Black et leur progéniture – il fallait avoir conscience des usages de la bonne société, après tout. Câliner ses rejetons, s'intéresser à eux en tant que personnes plutôt qu'en tant que futurs successeurs ou pions dans le jeu politique des familles de la haute, c'était bon pour les roturiers, les gens du commun. De fait, Sirius pensait pouvoir affirmer en toute franchise qu'il n'aimait pas son père.

Ça paraissait probablement monstrueux, mais c'était comme ça. Et le refus de Sirius de se laisser modeler selon les souhaits de son géniteur, son refus d'épouser les traditionnelles valeurs élitistes et sang-pures de la famille n'étaient parvenues qu'à élargir le gouffre. Au point qu'à un moment donné, la distance était devenue trop importante pour espérer être comblée un jour.

Et maintenant, Orion était mort, emportant avec lui ce rêve devenu absurde et irréalisable de se réconcilier, de parvenir à comprendre pourquoi son fils aîné ne pouvait pas être ce qu'il aurait voulu chez un premier-né. Adieu, l'homme froid et entièrement dévoué aux intérêts de la famille, qui avait pratiquement ignoré son rejeton disgracié alors qu'il négociait le mariage de son second.

Qu'aurait fait Sirius, le jour du meurtre d'Edgar Bones et de sa famille, s'il avait su que ce serait son ultime opportunité de voir son père ? Aurait-il tenté de dire quelque chose ?

Mais non, il n'y avait rien à dire. Tout avait déjà été crié et vociféré en d'innombrables disputes sous le toit de la maison square Grimmaurd. Ne restait que lassitude et une colère sourde, épuisée à la façon des braises sous la cendre.

Peut-être était-ce lâche pour un Gryffondor de ne pas assister à l'enterrement de son père, mais Sirius avait ses moments de fatigue à l'occasion. Et c'était une occasion familiale, pas vrai ?

Sirius ne s'était plus vraiment senti l'enfant de ses parents depuis son départ de leur maison.