Au cours des derniers mois de la grossesse, la situation du couple uni de fraîche date s'inversa enfin : Regulus était désormais autorisé à sortir s'il le voulait, tandis que Bethany resterait en intérieur afin de se préparer à l'accouchement.

Intérieurement, la jeune Poufsouffle était certaine que c'était prémédité de la part d'Arcturus Black et de Cassiopeia : elle-même n'avait pas tellement envie de s'exposer à la folie meurtrière de Bellatrix Lestrange et de sa clique tout aussi dérangée, et Regulus ne voudrait pas la quitter en guise de soutien ce qui permettait de le garder là où il n'irait pas commettre une autre bêtise du même calibre que son suicide héroïque manqué.

Et puis, l'hiver en Grande-Bretagne était froid, alors que la chambre obligeamment fournie à Bethany par sa belle-famille était bien chaude avec des couettes à gogo et une large cheminée. Mine de rien, l'aristocratie n'avait pas que du mauvais.

Le seul élément de cette chambre qui la faisait réellement tiquer, ça restait le berceau. Oh, en soi, l'objet était splendide, taillé dans du bois d'ébène verni et poli jusqu'à devenir soyeux sous les doigts, garnis de draps blanc douillets et suffisamment large pour y coucher deux petits locataires au lieu d'un seul. Mais ce qu'il signifiait, ce berceau…

C'était un rappel, autant que les coups de poings et de pieds l'empêchant de dormir tranquillement la nuit, autant que son tour de taille si ample qu'elle donnait l'air d'avoir gobé une pastèque tout rond. Un rappel d'une nuit qu'elle ne finirait jamais d'expier.

C'était angoissant, comme ça lui revenait tout d'un coup, sans doute car avant l'échéance ne lui pendait pas au nez, elle n'avait pas l'imminence de deux incarnations vivantes de sa sottise débarquant dans sa vie.

Mais elle avait fait son lit, n'est-ce pas ? La potion était tirée, et elle n'avait plus d'autre choix que de la boire. Au moins ne serait-elle pas seule dans cette galère qu'elle s'était infligée à perpétuité.

Bon, elle voulait surtout dire Regulus ; le reste des Black, elle avait de sérieux doutes quant aux bénéfices de les laisser interagir avec sa progéniture.

Néanmoins, une terreur insidieuse persistait à lui ronger les tripes, et s'abattit implacablement sur elle le 28 janvier.

Les contractions avaient commencé vers neuf heures du matin, mais le médecin et la sage-femme – convoqués en urgence après avoir été prévenus de se tenir sur le qui-vive plus de deux semaines et demie auparavant – ne déclarèrent le moment de procéder à la naissance proprement dite qu'une fois vingt-deux heures sonnées. Entre les deux, ça avait laissé treize heures douloureuses et misérables à Bethany pour regretter amèrement tous ses choix de vie et succomber à une crise existentielle.

Ma pauvre fille, qu'est-ce que tu nous as fait ? Ma pauvre fille, qu'est-ce que tu vas nous faire ?

Le visage de sa mère nageait derrière ses paupières, et Bethany aurait voulu l'avoir près d'elle, mais Maman était morte, sans même savoir qu'elle aurait dû devenir grand-mère parce que sa fille avait été trop lâche pour lui annoncer la nouvelle avant d'avoir recruté le père pour faire passer la pilule, et elle ne connaîtrait jamais les bébés.

Les bébés ! Pourquoi donc Bethany s'était-elle imaginée qu'elle pouvait avoir un enfant alors qu'elle sortait à peine de l'école, une gamine ne peut pas avoir un enfant à elle sans causer une catastrophe, alors deux pensez un peu. Mais les potions pour le faire passer, elle avait dû faire une croix dessus, et maintenant…

Maintenant…

« Poussez, madame, poussez ! De toutes vos forces ! »

Maintenant, elle haletait, se tortillait désespérément sur un lit trop grand, et elle voulait vomir et elle avait le vertige et l'impression que son bassin allait se fendre en deux sous la pression qui la déchirait de l'intérieur, elle était si grande que les larmes lui coulaient le long des joues.

Ma pauvre fille, qu'est-ce que tu nous as fait ?


En temps normal, toute la famille Black aurait été prévenue et se serait assemblée afin que le nouvel arrivant dans leur branche principale puisse naître entouré de tous les siens ; vu les circonstances actuelles, cependant, la tradition avait été négligée. Le patriarche était néanmoins présent, ce qui compensait un petit peu.

Tante Cass était là également, trompant son impatience en fumant nonchalamment ses cigarettes, malgré le fait que le salon attenant à la chambre où se passait l'accouchement n'était pas du tout conçu pour ça. Encore du travail pour les elfes de maison – bon, ils aimaient ça, mais ça restait stupide si Regulus avait eu la tête à exprimer son opinion.

Sauf que la tête, il ne l'avait pas, trop occupé à respirer profondément pour ne pas s'évanouir, vomir ou piquer une crise de nerfs. Les grognements et gémissements étouffés qui s'échappaient de derrière le battant de la porte ne faisaient rien pour le calmer.

« Vas-tu donc cesser de te ronger les sangs ? » l'avait tancé Arcturus. « Ta femme est aussi forte qu'un cheval, fais-lui donc confiance et ne gigote plus comme un dindon plumé ! »

Oui, il avait conscience de la santé et de l'énergie de Bethany, le problème n'était pas là. C'était la perspective de ce qui se passerait après l'accouchement. De ne plus être juste un fils et un frère, mais un père aussi, et il était déjà exécrable dans ces deux premiers rôles, pourquoi remplirait-il mieux le troisième ?

Reggie, Reggie, Reggie, que t'es-tu fait ?

Une éternité parut s'écouler avant qu'un cri strident ne déchire l'air confiné du salon – un piaulement suraigu, impérieux et indigné, rageant déjà en dépit de sa nouveauté dans le monde. Les trois Black tressaillirent.

« On dirait que ton fils a de la voix » commenta Arcturus, arborant l'air satisfait du chat tombé dans le pot de crème.

Regulus ne répondit pas, saisi de vertige qu'il était, un état qui ne s'arrangea pas lorsque la porte s'ouvrit pour laisser passer la sage-femme chargée d'un paquet de couvertures blanches d'où pointait un minuscule visage rouge.

« M. Black ? Vous avez une belle petite fille. »

Le jeune homme se décida à souffler lentement par la bouche, les jambes faibles, tandis que Cassiopeia partait d'un caquètement hilare.

« La petite coquine ! Vieille de même pas une demi-heure et elle trompe déjà son monde, je flaire une Serpentard née. »

Le nourrisson était étonnamment lourde dans ses bras. Dense, aussi – lui conférant une présence presque cruelle tant elle était impossible à nier. Il ne retrouvait pas les traits Black dans son visage gonflé, fripé et marbré de rouge et blanc, sa bouche édentée tordue dans une grimace contrariée et son crâne chauve vaguement pointu.

Alors te voilà, Talitha ? Est-ce qui tu as été, cette drôle de créature ?

Elle était si petite.

Un reniflement l'arracha à sa rêverie – Arcturus biglait sa nouvelle descendante avec circonspection, visiblement agacé de s'être fait tromper par quelqu'un qui n'avait pas la décence d'être un adversaire politique ou financier sexagénaire.

« Au moins a-t-elle l'air bien portante » finit-il par laisser tomber, devant le sourire goguenard de tante Cassie qui visiblement comptait bien lui rappeler son erreur jusqu'à son dernier jour. « Et la mère, comment se porte-elle ? »

« Comme tant d'autres après la même épreuve » répondit la sage-femme. « Fatiguée, endolorie mais rien qui ne s'arrangera pas. Heureusement, l'autre jumeau ne devrait pas tarder à naître, alors l'attente ne sera pas aussi tortueuse. »

Effectivement, à peine vingt-et-une minutes plus tard, le patriarche se vit fièrement présenter son arrière-petit-fils qu'il s'empressa de proclamer un Black de pure souche avant de féliciter Regulus – comme si c'était lui qui avait effectué le plus gros du travail, tiens.

Néanmoins, vu que Bethany s'était endormie comme une brute – sous l'influence conjuguée de l'heure tardive, de l'épuisement et de la potion antalgique lui ayant été administrée après coup – les hommages à lui rendre se devraient d'avoir lieu le lendemain, et le berceau fut retiré de sa chambre afin de lui permettre un repos plus complet.

Alors que tous les autres s'étaient éclipsés, Regulus ne put s'empêcher de s'attarder, contemplant la jeune femme aux paupières closes dans son lit. Elle avait une mine épouvantable, avec ses traits tirés et les traces de larmes séchées sous ses paupières cernées. Où était le fameux rayonnement de la maternité ?

Il se sentait confusément coupable de lui avoir infligé pareille épreuve.

Presque craintif, il se pencha, effleurant de ses lèvres pâles le front de sa femme.

« A demain, je suppose. »

Sur cette promesse murmurée, il quitta la chambre pour rejoindre le reste de la maisonnée – non sans avoir appelé un elfe au préalable pour lui commander de veiller sur Bethany.

Elle avait mérité qu'on s'occupe d'elle.