Bethany ne conservait aucun souvenir de la naissance de ses propres enfants en dehors du – très, très – long et douloureux effort pour les mettre au monde, ce qui était probablement excusable vu qu'aussitôt délivrée des deux bambins, elle avait coulé comme une masse dans les eaux miséricordieusement noires et accueillantes de l'inconscience. D'aucuns auraient appelé ça un sommeil réparateur, mais la jeune femme soupçonnait le terme coma de s'appliquer bien mieux à la situation présente.
En temps normal, elle aurait bondi du lit une fois le plus vague effluve de petit-déjeuner parvenu à ses fosses nasales, ou du moins se serait éveillée. Là, elle n'avait même pas remué un cil alors que l'elfe venait lui apporter un plateau – et wow, Bethany était familière avec le concept de petit-déjeuner au lit, mais c'était toujours elle qui voulait faire plaisir à ses parents à des occasions spéciales, comme leur anniversaire de mariage ou la fête des Mères…
Ah oui, elle avait oublié. Maintenant, elle aussi aurait droit à se faire chouchouter le jour de la fête des Mères.
Elle n'avait pas intégré le nouvel état des choses, pas alors qu'elle passait la journée au lit pour récupérer – décadent comme pas permis, ce type de conduite, peut-être que la vie de quasi aristocrate ne sera pas si insupportable qu'elle l'imaginait, finalement. Et puis, la réalité s'était rappelé à elle, sous la forme de son mari venant lui présenter les deux têtards qu'elle a expulsé à grand-peine de son corps.
Ils étaient… et bien, c'étaient des bébés. Grassouillets, encore un peu rougeauds et bouffis de leur long séjour de neuf mois en milieu amniotique, bizarrement identiques d'une manière qui n'avait aucun rapport avec leur lien de parenté mais bien plutôt parce que leur extrême nouveauté gommait toute caractéristique distinctive.
Elle ne les reconnaissait pas. Elle ne se reconnaissait pas en eux, elle ne reconnaissait pas Maman ou Papa ou ses petits frères ou tante Amélia, elle ne reconnaissait même pas Reggie dans ces petits visages dodus.
« Bethany ? Respire. »
En parlant de Reggie, tiens. Il avait déposé les bébés dans le berceau posté juste à côté du lui, avant de venir s'asseoir à son chevet et lui masser l'épaule. La jeune femme éprouva une subite bouffée d'irritation mêlée à une reconnaissance sans bornes, un drôle de mixage qui lui procura un vertige vaguement écœurant.
« Je suis une mère horrible » parvint-elle à bredouiller.
Le massage réconfortant de son épaule persista.
« Pourquoi, selon toi ? »
« C'est… Regarde-les ! Ils sont tout petits, et moi, je veux me sauver. Quel genre de mère fait ça ? Ils n'ont même pas une semaine et je suis déjà en train de les bousiller. »
« Si ça peut te consoler, je ne sais pas non plus comment on va se débrouiller pour en faire des adultes à peu près fonctionnels. »
Bethany décocha à son interlocuteur un regard glacial.
« Avec la famille que tu traînes, tu crois que c'est vraiment possible ? »
« Tant que nous n'aurons pas au moins essayé, comment veux-tu que nous le sachions ? » répondit posément Regulus.
Bethany grogna et s'avachit en arrière, son oreiller laissant échapper un bref pet silencieux sous le poids subit de sa tête.
« Tu es sensé être un Serpentard » geignit-elle, « arrête de faire ton Serdaigle et de me présenter des arguments raisonnables ! »
« Tu sais » musa distraitement le jeune homme, « avant que j'aille à Poudlard, la majorité de ma famille pensait que je me retrouverais chez les aigles. Apparemment, je lisais trop pour ne pas devenir un des leurs. »
« Sauf que tu as fini par honorer la tradition » rappela la blonde.
« … En fait de maison alternative, le Choixpeau a sérieusement penché vers Poufsouffle. »
Elle tourna la tête vers lui, le détaillant avec une telle intensité qu'il s'empourpra, de la racine des cheveux jusqu'à la nuque et peut-être même en dessous, mais le col montant de sa chemise cachait le possible résultat. Finalement, elle sourit – une expression un peu incrédule, un peu indulgente, un peu triomphante.
« Maintenant, je comprends pourquoi tu n'es pas aussi imbuvable que tu en as l'air. »
Regulus renifla avant de détourner brusquement le sujet de la conversation, preuve parfaite que le compliment avait touché droit au cœur :
« Bref, puisque tu n'étais pas en état pour des présentations correctes, nous les faisons comme ça : le bébé de droite, c'est Talitha, et le bébé de gauche, c'est Astérion. »
Bethany fixa les deux petits paquets de chair rouge-rose et de langes blancs, dormant paisiblement comme s'ils méritaient ça après le calvaire qu'elle avait traversé à cause d'eux et l'angoisse qu'ils lui causaient à cet instant même.
« Les noms sont trop longs » proféra la jeune femme tout à trac.
Pour le coup, son mari lui adressa un regard torve.
« On s'était mis d'accord sur ceux-là, ou l'accouchement t'a fait perdre la boule ? » grinça-t-il.
« Et ça leur va ! Talitha et Astérion, c'est très Black, très distingué de la haute société et tout, mais quand tu colles des noms pareils sur des bébés, ça ne va pas. Ça fait ridicule. Les noms sont plus longs qu'eux ! »
Le regard gris persistait à rester torve, et il avait retiré sa main de son épaule, exposant celle-ci à une impression de froid.
« Pourquoi pas… pourquoi pas Tally et Terry ? Là, ça colle. »
Le regard gris se fit consterné.
« Tally et Terry ? » répéta-il, aussi assommé que si un dragon lui était tombé sur la tête.
« T'es pas Reggie, peut-être ? Et non seulement ça rime, ça sonne bien pour eux. Ça leur va bien. Regarde-les donc ! »
« L'accouchement t'a définitivement fait perdre la boule » décréta le jeune homme en guise de diagnostic, adoptant la voix d'outre-tombe qui s'imposait.
Elle lui renvoya un sourire un brin vicieux, qui devait lui être familier vu la façon dont il pinça la bouche – après tout, Regulus devait se traîner Bellatrix Lestrange en guise de cousine.
« Probable » lança-t-elle avec un entrain menaçant, « et c'est entièrement ta faute, puisque c'est ton sperme qui m'a fait tomber enceinte. Alors tu vas te montrer un amour de mari et accéder à la lubie de ta chère et tendre épouse, qui est de surnommer nos bébés avec des diminutifs aussi courts que pratiques et pas embarrassants. »
« C'est donc la conception que tu te fais du mariage ? Parce que je te fais tomber enceinte, je dois devenir ton esclave ? »
« Absolument ! Crois donc le témoignage d'une fille qui provient d'une union saine et heureuse, fondée sur un principe que mon propre père avait à cœur de répéter à ses rejetons, et c'est que Madame a toujours raison. »
Regulus ouvrit la bouche, puis la referma et se ratatina – oh, pas beaucoup mais néanmoins assez pour que cela se remarque.
« J'avais l'intention de protester » fit-il d'un ton vaincu, « mais comme c'était Maman l'autorité suprême dans la maison comparé à Papa... »
Bethany rayonna. Oui, elle pouvait définitivement s'habituer à être une femme mariée en fin de compte.
Pour ce qui était d'être mère… on verrait bien.
