Famille traditionnelle ou non-orthodoxe, moldue ou sorcière, une chose ne changeait pas et il s'agissait du déluge de félicitations qui ne manquait pas de pleuvoir sur toute jeune mère ayant contribué à fournir une descendance à la lignée, que ce fusse en personne ou par cartes.

Vu qu'elle séjournait sous leur toit, Bethany n'avait malheureusement pas pu échapper à la visite de Cassiopeia et Arcturus. La vieille sorcière lui avait irrésistiblement rappelé la méchante fée marraine dans le livre de contes moldu que lui avait offert son grand-père à l'occasion de ses sept ans, qui ne demandait qu'à infliger une malédiction sous prétexte d'offrir un cadeau au nouveau-né. Connaissant Cassiopeia avec son sens de l'humour tordu, son rire démoniaque et son amour pour les habits lugubres – c'était assez déroutant de la voir vêtue en veuve avec la voilette et tout quand on savait qu'elle avait fait fuir tout prétendant à sa main – elle aurait probablement jugé la comparaison flatteuse. Dans tous les cas, Bethany avait eu des sueurs froides de la voir penchée au dessus du berceau et failli s'évanouir de soulagement quand elle s'était enfin décidée à partir.

Le patriarche Black avait été moins traumatisant pour ses nerfs, mais sa visite n'avait pas été bien réjouissante non plus. Bethany s'était retrouvée à endurer… un discours ? Une élégie ? Sur la nécessité de préserver le sang et le nom de la famille, car la famille était tout ce que quelqu'un pouvait avoir en ce monde, et ce qu'elle avait fait constituait une œuvre charitable qui ne serait jamais oubliée par les patriarches Black qui succéderaient à Arcturus. Elle avait la certitude que l'homme avait sincèrement de bonnes intentions et l'envie très compréhensible de la remercier pour lui avoir donné des arrière-petit-enfants, mais sa façon de s'y prendre avait été si assommante et pompeuse qu'elle aurait franchement préféré qu'il s'en abstienne.

Tante Amélia et oncle Benjy avaient trouvé le temps de s'arracher à leur quête pour la justice afin de venir contempler les derniers ajouts à l'arbre généalogique Bones, même si les jumeaux ne porteraient jamais ce nom. Oncle Benjy avait carrément ri d'apprendre comment Bethany avait imposé des surnoms à ses bébés, et tante Amélia s'était autorisé un sourire et un baiser sur le front de ses trois neveux, la plus âgée comme les deux nouveaux.

La visite à laquelle personne ne s'attendait avait été Walburga Black. Suite à la mort d'Orion, sa veuve ne quittait plus le 12, square Grimmaurd, ce qui était tout aussi bien vu que son caractère explosif ne l'avait jamais rendue très populaire, même au sein de sa propre famille. Bethany appréciait, vu que son dernier souvenir de sa belle-mère avait été une furie essayant de l'étrangler, la tenant pour responsable de la mort de son mari.

La femme venue contempler ses petit-enfants rappelait davantage un spectre. Ou même pas ça, une image délavée par le soleil et la pluie, presque inexistante à force de transparence. Walburga Black offrait un portrait monochrome, le teint blanc, les habits noirs signifiant son deuil, le sévère chignon de sa chevelure désormais plus blanc que noir.

Elle avait posé une main gantée de noir sur le rebord du berceau, le faisant légèrement tanguer, et avait détaillé sans mot dire les deux poupons blottis à l'intérieur. Jeunesse en blanc contre vieillesse en noir, et au bout d'une minute, Bethany avait voulu dire quelque chose pour rompre le silence épais remplissant la chambre.

« … La fille, c'est Talitha. Et le garçon est Astérion. »

Walburga avait lentement tourné la tête dans sa direction, comme si elle n'avait pas eu conscience de la présence de sa belle-fille dans la même pièce.

« Regulus m'a dit ça, oui » avait-elle fait, et ce furent ses seules paroles avant qu'elle ne tourne les talons pour quitter la chambre.

Suite à cette visite, Bethany ne savait plus trop ce qu'elle pensait de sa belle-mère, mais c'était moins colère vertueuse et davantage pitié. En tout cas, elle se sentait moins hostile face à la perspective de laisser la femme visiter à l'avenir.

Pour ceux qui ne pouvaient pas visiter, ils compensaient via l'envoi d'une carte. Il y en avait pour tous les goûts : carte sobre couverte d'une calligraphie élégante venant de gens dont elle n'avait jamais entendu parler mais qui fréquentaient régulièrement les Black dans le cadre des affaires et des réceptions au Ministère, contrastant avec les cartes plus fantaisistes des camarades de classe, où baguenaudaient cigognes et angelots qui occasionnellement chantonnaient d'une voix criarde ou s'animaient pour disperser des paillettes sur la page.

Dans la pile de cartes était venu un paquet, une boîte légère couverte d'un papier cadeau blanc parsemé de ballons bleus et d'étoiles roses et vertes. La maisonnée avait brièvement paniqué, la perspective d'un attentat s'imposant à leurs esprits, mais les précautions d'Arcturus n'ayant rien dévoilé de dangereux ni de Noir, le contenu de la boîte avait été dévoilé à sa destinataire.

Le paquet contenait des peluches. Plus précisément, deux chiens noirs en peluche, différenciés par le ruban autour de leur cou, un rose et un bleu, mais à part cela complètement identiques, de leur long poil noir soyeux à leurs yeux en billes de verre marron. Et avec les peluches venait une carte sur laquelle avait été rédigé très proprement : A l'attention de M. et Mme Regulus Black, pour l'occasion de la naissance de leurs enfants, S.B.

Pas un attentat, donc, mais la maisonnée avait néanmoins plongé dans l'émoi. Ce Sirius Black, décidément, il trouvait toujours moyen de semer la pagaille et ce en dépit de ne pas être physiquement présent. À ce stade, ça confinait à l'admirable.

Bethany demeurait partagée sur la question de son beau-frère. Oh, il ne lui était pas inconnu, loin de là : en fait, elle avait eu sa dose de Sirius Black à l'école, lui et le reste de la bande à Potter tous plus turbulents et insupportables les uns que les autres. Mais en tant que beau-frère, il brillait par son absence, et pour une Poufsouffle centrée sur la famille, c'était aussi déroutant que vexant.

Ce retrait de la famille Black expliquait sans doute pourquoi tout le monde était aussi énervé par l'envoi du cadeau, vu la mentalité clanique de cette famille. En attendant, les bébés semblaient adorer leurs nouvelles peluches, s'empressant de leur baver dessus et de leur sucer les oreilles.

« On dirait que l'amour des chiens, c'est génétique chez les Black » commenta Regulus alors que Terry utilisait son propre toutou comme un oreiller.

« Oh ? »

« Hm-mh, mon grand-père Pollux a une propriété à la campagne où il en élève, et il n'a jamais cessé d'en être fier jusqu'à ce que sa santé tombe sur le déclin. Maman fait de son mieux pour le cacher, elle pense que ce n'est pas distingué, mais elle adorait quand on visitait son père surtout à cause des chiens, elle saisissait le moindre prétexte pour passer au chenil. Et moi… tu pourrais dire que j'ai eu un chien. »

Bethany haussa des sourcils curieux. Qu'est-ce que ça voulait dire, cette tournure de phrase ? Heureusement, son mari était disposé à expliquer.

« C'était à partir de ma quatrième année à l'école, il y avait cet énorme lévrier écossais noir… ou peut-être un barzoï, qui aimait rôder dans la Forêt Interdite. Je ne sais pas s'il s'agissait d'un chien errant, ou s'il avait déjà un maître à Pré-au-lard, mais quand j'étais hors du château, il venait souvent me voir. Bien sûr, je ne suis plus à Poudlard, maintenant, alors si ça se trouve, il a adopté un autre élève. Ou alors il est parti... »

Les parents de Bethany n'avaient autorisé à leurs enfants que des poissons et autres têtards, au prétexte que c'était plus facile à entretenir et souffrirait moins du manque d'intérêt, mais la jeune femme ne s'était pas moins attaché à ces créatures au point de leur organiser des funérailles chaque fois qu'ils mouraient. Aussi pouvait-elle compatir devant la grise mine arborée par Regulus.

« L'important, c'est qu'il soit avec quelqu'un qui l'aime. C'est ça qui compte pour les chiens, non ? »

Regulus sourit en entendant cette réponse, apaisé.