Les jumeaux étaient nés vers la fin de janvier, et la date de leur baptême avait été fixée pour début avril : entre les deux, ça laissait une fenêtre de deux mois pendant laquelle endurer les félicitations d'usage, apprendre les derniers potins et se préparer pour un séjour d'une longueur indéterminée en France.
Parmi les nouvelles reçues, se trouvait l'annonce d'une naissance – une autre – dans la famille Bones, une jolie petite fille pour l'oncle Benjy qu'il avait décidé de prénommer Susan, arrivant dans le monde le 5 mars. Un mois d'écart entre cousins, ce n'était pratiquement rien du tout, et ça devrait faciliter les activités lors des réunions de famille – parce qu'il y en aura, Bethany roucoulait déjà sur des randonnées en campagne et des week-ends jeux de société. Aux oreilles de Regulus, ça sonnait pour le moins plébéien, mais il s'abstiendrait de formuler cette opinion à proximité des oreilles de sa femme.
Le côté Black aussi réservait un cousin à ses enfants, mais pour plus tard dans l'année si tout se passait bien : Narcissa avait la santé délicate, mais s'accrochait fermement à son optimisme et jurait que son bébé naîtrait on ne peut plus robuste pour la fin juin ou début juillet. En passant, il s'agissait d'un garçon – Lucius Malfoy devait être ravi d'avoir assuré la continuité de sa lignée.
Regulus enverrait probablement une carte pour féliciter Narcissa si l'accouchement se déroulait sans heurts, mais qu'on ne lui demande pas de congratuler Lucius, c'était au-dessus de ses forces.
En parlant de récupérer après un accouchement, Bethany était dans une forme éblouissante. Après une journée et demie à se prélasser sous les couettes, traitée comme une princesse, elle avait décidé qu'elle s'ennuyait et conclu que monter et descendre les escaliers pendant un quart d'heure constituait un excellent moyen de retrouver son tonus d'avant la grossesse. Et elle comptait pratiquer ça tous les jours.
Connaissant son tempérament sportif et énergétique, ce n'était pas si surprenant. Et ça donnait à Bethany quelque chose à faire, un moyen de se changer les idées. Bien sûr, Arcturus paraissait assez déconfit, marmottant que Lucretia s'entendrait à merveille avec sa nièce par alliance – ce dont Regulus n'était pas très convaincu. Lucretia avait eu un caractère bien trempé – elle était une Black, elle n'aurait pas pu être autrement – et assez énergétique avant que sa santé ne se dégrade, mais elle n'avait pas eu la vigueur de l'ancienne Poufsouffle.
Enfin, l'actuelle propriété de Lucretia en Côte d'Azur devrait plaire à Bethany : la mer pour nager, les montagnes pour se promener, du soleil à profusion et il pensait même qu'on pourrait y mettre des chevaux et des chiens. Au moins y aurait-il de l'espace pour les enfants.
Les enfants.
Tally et Terry, enfin là et il n'en revenait toujours pas. Était-ce l'état naturel d'un père, cette stupeur permanente ? En tout cas, c'était le sien – dès qu'il posait les yeux sur les bébés, l'irréversibilité et la nouveauté de leur existence le frappait de plein fouet.
« Attends un an ou deux » reniflait Cassiopeia, « ou mieux encore, attends leur crise d'adolescence et là, tu regretteras jusqu'à leur conception. »
Regulus attendrait de voir ça, mais pour l'instant, il ne pouvait même pas l'imaginer.
Arcturus avait entendu raconter qu'au sein de la communauté moldue et née-moldu, baptiser un enfant visait principalement à l'intégrer dans une communauté religieuse. C'était un pas dans la bonne direction, mais cela restait scandaleusement vague – comme de pousser dans la mer un individu incapable de nager. Comment vouliez-vous que ça se termine bien ?
Dans les lignées sorcières établies donc respectables, baptiser un enfant permettait de le lier à sa famille, de manière littérale. Au fur et à mesure du temps, cela modelait le pouvoir et permettait l'émergence et la préservation d'une signature magique spécifique, chaque génération apportant son expertise et renforçant cet héritage ancestral.
Une faction de plus en plus vocale au Ministère maintenait que les vieilles traditions ne servaient plus à rien, que les éliminer profiterait à la société. Blasphème – et Arcturus comptait bien combattre ces sots autant que possible.
Le combat commençait naturellement chez soi, et le matin du 13 avril, le patriarche de la Noble et Très Ancienne Maison des Black entreprit d'accueillir ses arrière-petit-enfants dans sa lignée et la magie de celle-ci.
C'était une cérémonie très intime, à laquelle seuls l'officiant, les initiés et les parents pouvaient participer. Bethany avait tout d'abord renâclé à permettre à sa progéniture de subir un rituel familial que beaucoup désavouaient, mais son mari était parvenu à la convaincre, si bien qu'elle avait accepté de se lever bien avant l'aube pour se rincer à l'eau froide, s'habiller d'une simple robe blanche et de sortir dans le parc, tenant sa fille dans ses bras.
Il était essentiel que la cérémonie s'effectue avec le moins d'interférence humaine possible, d'où la purification, les habits dépouillés et le cadre naturel. Le moment aussi était crucial : l'aube était signe de renouveau et de création, parfait pour un baptême.
Dans l'obscurité et la fraîcheur du petit matin, Arcturus sentait ses vieux os grincer et protester. Il ferma les yeux et se concentra, laissant le pouvoir et la magie s'éveiller et s'agiter, se diffuser en lui des pieds à la tête.
Ce fut beaucoup plus rapide que d'habitude : un signe prémonitoire pour un avenir où la famille ne serait pas juste préservée, mais portée à de nouveaux sommets de gloire ? La sombre énergie chantait insidieusement dans ses veines, et il faillit perdre du temps à l'écouter. Mais non, il avait une tâche cruciale à effectuer.
« Deux enfants sont nés à un de notre sang » intona-t-il solennellement, « et nous les reconnaîtrions comme enfants de notre sang et de notre magie. »
Frissonnante, Bethany s'avança pour lui remettre sa fille – toujours par ordre d'âge, le premier-né d'abord – et le patriarche reçut dans ses bras l'enfant qui lui renvoya un regard furibond, contrariée juvénilement d'avoir été rincée et empêchée de dormir.
« Talitha Isadora, fille aînée de Regulus » articula Arcturus, « la magie de la Maison Black te reconnaît, elle t'accepte et t'accueille en son sein. Sois aimée et bienvenue parmi les tiens. »
Alors qu'il tendait un filet de pouvoir vers la bambine, il s'attendait à ne trouver en elle qu'une flammèche d'énergie vitale, une humble étincelle comme c'était le cas chez les nouveau-nés – la puissance venait avec le temps et l'expérience, cela limitait forcément un bébé.
Ce qu'il trouva… ce n'était pas une flammèche, mais une torche bien établie, déjà radieuse, et il manqua perdre pied. Et pourtant, malgré son faux pas, le lien prit sans mal – avec une telle facilité que c'était aussi déconcertant qu'enrageant comparé à la prudence qu'il avait dû démontrer pour le père de l'enfant.
Il n'eût pas l'opportunité de s'attarder sur cette bizarrerie, car les alentours ne cessaient de s'éclaircir – bientôt l'aube serait passée, et il devait encore baptiser un autre enfant. Bethany s'empressa de récupérer sa fille, promptement remplacée par son frère cadet grâce à l'intervention de Regulus.
« Astérion Célestin, fils aîné de Regulus, la magie de la Maison Black te reconnaît, elle t'accepte et t'accueille en son sein. Sois aimé et bienvenu parmi les tiens. »
Les jumeaux pouvaient être synchrones ou complémentaires, mais ça restait toujours délicat de se connecter deux fois de suite, aussi le patriarche y alla-t-il avec circonspection, d'autant plus anxieux que c'était l'enfant appelé à lui succéder dont il allait toucher l'essence.
Mais tout comme sa sœur, le nourrisson était tout aussi robuste magiquement que disposé à accepter d'être intégré à sa lignée. Arcturus sentait la confusion bouillonner en lui, une sensation des plus désagréables que même la satisfaction et le soulagement procurés par une procédure bien faite ne parvenaient à dissiper.
Il n'en laissa rien voir, bien entendu : les parents étaient bien trop soulagés d'avoir mis tout cela derrière eux, et leur confesser ses soupçons ne les mèneraient qu'à sombrer dans une hystérie paniquée aussi grotesque qu'improductive. Non, c'était bien mieux qu'il garde cela pour lui.
Il n'en écrirait pas moins à sa fille, pour lui commander de garder l'œil sur les jumeaux. Mieux valait veiller à ce que ceux-ci se développent convenablement.
