Si Regulus reconnaissait les nombreuses qualités de la Côte d'Azur, il soutenait fermement que le climat n'en faisait pas partie. Certes, c'était très agréable de pouvoir se promener dehors en bras de chemise alors que c'était fin novembre, mais plus l'été se faisait pressentir, plus la chaleur se faisait désagréablement oppressante, au point qu'il soupçonnait avec effroi qu'août tiendrait davantage de l'étuve que de la relaxation.

Ce à quoi Lucretia avait promptement éclaté de rire, avant de lui suggérer de visiter le Maroc ou la Palestine pour voir à quoi ressemblait une chaleur véritablement écrasante. Ou Rio de Janeiro – comment des gens pouvaient-ils supporter la température et l'humidité, ça dépassait l'entendement, et c'était sans prendre en compte les moustiques !

« Mais je croyais que le carnaval de là-bas t'avait plu, enfin ? »

« Oh, c'était certainement une expérience à vivre. Mais les moustiques ! Deux jours à peine, et j'étais déjà à moitié dévorée, je criais grâce comme tu n'imagines pas. Oublie donc les Détraqueurs, ce sont les moustiques qu'il faudrait exterminer de la surface du monde. »

« Puisque telle est ton opinion, je ne discute plus » soupira l'autre vieille dame installée sur la terrasse. « Mais tu me pardonneras si je te recommande mes crèmes à la citronnelle et à la menthe. »

« Toi et tes concoctions, Mère » renifla Lucretia. « Vraiment, tu devrais te faire apothicaire. »

Melania Black née Macmillan n'avait jamais été ce qu'on pourrait considérer comme une grande beauté, ni même particulièrement jolie : les portraits de sa jeunesse la révélant comme une sorcière assez trapue, aux cheveux châtains plus ou moins blonds, son visage beaucoup trop rose pour espérer atteindre la pâleur aristocratique si prisée par les anciennes lignées sang-pure.

Ajoutez à cela des compétences magiques plus centrées sur les potions et les plantes – compétences nécessaires mais néanmoins vulgaires – plutôt que sur l'usage d'une baguette, et cela sautait aux yeux que les noces d'Arcturus avec Melania avaient été un pur contrat d'affaires et de prestige. À peine leur deuxième enfant avait-il été en âge de fréquenter Poudlard que la dame s'était empressée de plier bagage pour s'établir en France, et la guerre contre Grindelwald s'était avérée incapable de la faire revenir.

Regulus ne lui en voulait guère : grand-maman n'avait jamais eu de goût pour le style de vie des Black ni pour leurs interminables et souvent destructrices prises de bec. Mieux valait pour sa paix et pour la paix générale qu'elle coule des jours paisibles dans sa petite maison de Lorraine, avec son chaudron, ses recettes et son jardin.

Ceci étant, il y avait quelque chose qui ne manquerait jamais de faire sortir la grand-mère de son antre, et c'était l'annonce de bébés devant lesquels s'extasier. Si au passage, Melania saisissait l'opportunité de visiter sa fille et son petit-fils, et bien, encore mieux, n'est-ce pas ?

Mieux n'était probablement pas le terme auquel songeait Lucretia, cependant. L'ancienne épouse de diplomate n'avait jamais pu comprendre ni pardonner le désir de sa génitrice de fuir l'excitation et le scandale des hautes sphères pour une existence désespérément plan-plan comme elle la qualifiait, si bien que leurs interactions ne manquaient pas de raideur ou d'embarras.

Enfin, Bethany compensait amplement là-dessus : ancienne Poufsouffle tout comme Melania, épouvantée par la façon de penser de sa belle-famille tout comme Melania, petite-fille et grand-mère par alliance semblaient avoir été faites l'une pour l'autre – bien que la sorcière plus âgée admette ne pas voir pourquoi une jeune fille bien élevée avait autant la bougeotte, et tout de suite après être devenue maman ! Était-ce bien raisonnable, ma chérie ? Qu'en pensait donc ton mari ?

Le mari en question pensait que du moment que Bethany était heureuse, elle pouvait escalader les montagnes les plus hautes ou faire trempette dans la mer à des heures tout à fait indécentes si ça lui chantait. Son devoir à lui, ce n'était pas de lui faire des misères – d'ailleurs, il n'en éprouvait aucune envie. Surtout car elle s'en vengerait sans pitié.

Alors il la laissait avec ses activités sportives, et elle le laissait avec ses livres – enfin, les livres de Lucretia, surtout. En plus de quarante années passées à visiter autant de pays différents, elle avait eu le temps et les opportunités de constituer une bibliothèque remarquablement polyglotte. Les langues étrangères n'avaient jamais été le point fort de Regulus, mais puisqu'il en avait l'occasion, autant essayer d'apprendre à parler plus que l'anglais et des bribes de latin et grec – plus de latin que de grec, un alphabet différent n'aidait pas du tout quand le cerveau peinait déjà sur des sons incompréhensibles, selon lui.

Dommage que les dictionnaires et grammaires brillent par leur absence, ça ne lui clarifiait pas la tâche. Et Lucretia tendait à préférer les romans de cape et d'épée ou à l'eau de rose aux historiographies et autres encyclopédies – oui, il avait l'esprit incurablement porté sur l'étude et les faits, où était le mal ? De toute façon, les auteurs de fiction vendaient bien assez de leurs ouvrages absurdes pour ne pas avoir besoin de sa participation. Riche ou pas, il n'était qu'un client parmi des milliers.

Sports et lettres, cela ne constituait qu'une partie de la journée : le reste se passait en famille, avec les enfants. Cinq mois déjà, et toujours aussi irréels à contempler.

Le frère comme la sœur présentaient incontestablement le type Black, leur teint s'apparentant déjà de la porcelaine délicate tandis que leurs fins cheveux noirs s'efforçaient de boucler. Les yeux de Tally avaient même délicatement tourné au gris ardoise, là où ceux de Terry semblaient vouloir adopter le brun foncé de Bethany.

Mais si les jumeaux se ressemblaient physiquement – ce à quoi Melania répondait qu'il fallait attendre la puberté, et là ce serait un pur miracle s'ils s'entêtaient à rester identiques – leurs caractères respectifs se manifestaient de manière bien tranchés, pour l'attendrissement de tout leur entourage.

Au premier abord, Terry était le jumeau problématique, pour la simple raison qu'il ne voulait pas tenir en place : faisant fi de son tonus musculaire inexistant, il ne cessait pas de remuer, qu'il fusse dans son berceau ou dans les bras de quelqu'un, ou bien tentait d'agripper tout ce qu'il voyait, jouet ou doigt curieux ou encore col de chemise. Et cela en babillant avec toute la constance d'un robinet d'eau chaude, ce qui enthousiasmait Lucretia qui faisait mine de tenir des conversations entières avec son petit-neveu.

Néanmoins, il ne s'agissait pas de sous-estimer Tally. Certes, la bambine n'était ni aussi remuante ni aussi bavarde que son frère, mais n'en était pas moins capable de brailler furieusement sans prévenir – soit parce que son frère l'agaçait, soit parce qu'elle nécessitait une couche propre ou de l'attention. Et toujours, elle promenait sur son environnement un regard étonnamment sévère, pratiquement scrutateur, comme si elle soupçonnait une entourloupe ou un mystère de se promener juste devant elle.

« C'est exactement leurs parents, mais inversés » avait proclamé Melania après se les être fait présentés, et c'était un peu dur d'aller contre cet argument.

« Il n'aurait plus manqué que ça, que nos enfants ressemblent à leurs oncles » avait aussitôt riposté Bethany. « Vous imaginez un peu le désastre ? »

Non, Regulus n'en avait vraiment pas envie. Si son frère et sa femme avaient tous deux une nette tendance à l'exubérance, il avouait sans remords préférer la version de Bethany à celle de Sirius.

Ceci dit, il était probablement partial, vu que l'enthousiasme de Bethany lui avait fourni une famille alors que celui de Sirius avait brisé la leur.