En cinq mois, Cassiopeia Black n'avait pas franchement manqué à Bethany – malgré tous ses efforts et son affection envers la nouvelle belle-fille de la famille, la vieille dame avait un tempérament beaucoup trop Black pour que l'ancienne Poufsouffle la tolère longtemps. Elle lui préférait de loin Lucretia – qui en dépit d'être un brin étouffante et centrée sur elle-même était parfaitement inoffensive et même charmante – et Melania – un soutien inattendu pour ce qui était de se retrouver intégrée sans prévenir dans cette famille de tordus.
De fait, la blonde ne bondit pas de joie de voir débarquer la sorcière susnommée chez leur hôtesse, aussi souriante que le chat venant de compléter son plan pour ouvrir la cage et déguster le canari. Et toute habillée de noir avec un col montant et des manches longues alors que l'été méditerranéen battait son plein, elle cherchait donc à faire un malaise ?
Bon, connaissant Cassiopeia, elle avait sans doute intégré des charmes de climatisation dans le tissu, mais comme il s'agissait de Cassiopeia, elle n'aurait pas hésité à faire un malaise sous le toit de quelqu'un juste pour lui causer embarras et tracas à n'en plus finir.
Confrontée à ce raisonnement accusateur, la vieille dame avait éclaté d'un rire digne des pires méchantes reines de conte de fées.
« Tu commences à me saisir ! » s'écria-t-elle avec délice. « Rassure-toi un peu, je ne suis pas venue tester la patience de notre chère Lulu, mais apporter deux excellentes nouvelles. »
La méfiance de Bethany avait refusé de reculer – les bonnes nouvelles selon Cassiopeia étaient trop fréquemment considérées comme exécrables voire catastrophiques pour autrui.
« Dites donc, que j'en juge. »
« Narcissa vient d'accoucher ! Un garçon, et l'air bien portant. Bon, il ressemble à son père, malheureusement, mais que peut-on à cela ? Enfin, la mère insiste pour lui donner un prénom Black, avec un peu de chance, ça tempérera le désastre et le dissuadera de devenir aussi rustre et cupide que l'auteur de ses jours. Pourquoi Cygnus a-t-il jamais pensé que le rejeton Malefoy serait digne d'une de nos filles, ça me dépasse, mais ça va de soi qu'elle ne peut qu'améliorer cette souche lamentable... »
Bethany n'avait encore jamais eu l'opportunité de rencontrer Lucius Malefoy, mais vu tout ce que sa tante et ses parents lui avaient raconté sur le personnage, elle ne souhaitait pas précisément remédier à ce manque. En fait, elle se retrouvait presque d'accord avec les récriminations de sa visiteuse impromptue – ce qu'elle n'avouerait jamais.
« Vous parliez de deux nouvelles » rappela-t-elle à la place.
« Ah, oui. Mes efforts ont porté leur fruit, Bellatrix est enceinte. Elle en est à quatre mois, et complètement furieuse, bien entendu, vu qu'elle n'a jamais voulu se reproduire. Seulement, c'est bien trop tard pour qu'elle le fasse passer sans se ruiner la santé, et si Romulus Lestrange la surprenait à avorter de son petit-fils, il l'étranglerait à mains nues. Belle-fille ou pas. »
Là, Bethany ne put s'empêcher de tiquer, ce qui n'échappa guère au regard d'acier aiguisé de la sorcière plus vieille.
« Tu n'approuves pas. »
Pas de condamnation dans cette voix, rien qu'un constat aussi neutre que s'il était question de la météo.
La jeune femme blonde croisa les yeux, le regard plus noir que le fond d'un encrier pendant une nuit de nouvelle lune.
« Il s'agit du corps et de la vie de Bellatrix Lestrange. Pardonnez-moi si je pense qu'elle devrait conserver un brin d'autonomie quant à ça, au lieu de se voir imposer un bouleversement critique. »
Parce que s'il existait un changement plus bouleversant que la grossesse pour le corps et la vie d'une femme, l'ancienne Poufsouffle n'en avait pas entendu parler.
Cassiopeia renifla dédaigneusement.
« Et son avis, je m'en moque éperdument, après le rôle qu'elle a joué dans la mort de ton beau-père. Elle nous a coûté une vie, elle nous doit une vie. Et de toute façon, elle a épousé l'Héritier Lestrange, au bout d'un moment, elle aurait bien dû s'y mettre. Au moins comme ça, c'est fait, et elle n'aura pas besoin de remettre encore au lendemain. Vraiment, elle devrait me remercier. »
« Votre conception de ce qui mérite des remerciements m'échappe complètement » laissa tomber Bethany, partagée entre l'incrédulité et le dégoût.
« Tu y viendras, ma fille, tu finiras par y venir. Il te faudra un peu plus de bouteille, mais je sais que tu ne me décevras pas. »
Perspective terrifiante en plus d'être insultante au dernier degré : Bethany éprouvait tout à coup l'envie de courir chercher son balai afin de s'en servir contre l'intruse en noir de la même manière qu'une ménagère chasse un matou errant de sa maison à grand renfort de serpillière menaçante. Hélas, ce matou de mauvais augure précis n'hésiterait pas à sortir les griffes si elle tentait le coup : pour toute l'affection que Cassiopeia déclarait lui vouer, Bethany se doutait bien que ça ne l'empêcherait nullement de lui faire des coups vaches.
À la place, elle prit une longue inspiration, les yeux fermés.
« Et le bébé ? Est-ce qu'il vous remerciera, lui, pour avoir traîné sa mère dans une situation pareille ? »
« Vu qu'il me doit son existence, je pense bien, oui » rétorqua sans gêne Cassiopeia, « mais je me contenterais du titre de marraine, s'il le faut. »
Dans le folklore moldu existait l'idée de fée marraine – grotesque en soi, les fées se faisaient une conception du monde si différente de celle qu'en avaient les humains que s'acoquiner avec un sidhe trahissait une incommensurable bêtise ou une pulsion suicidaire. Alors donner à une fée tout pouvoir d'intervenir dans la vie d'un bambin innocent qui n'avait rien fait pour mériter pareil supplice, c'était indubitablement matière à vous infliger des cauchemars pour le restant de vos jours.
« Vous, comme marraine ?! »
Presque aussi cauchemardesque que la perspective de Cassiopeia Black dans le rôle de marraine, même si la mère était Bellatrix Lestrange.
« Pourquoi pas ? Le gamin ne grandirait pas sot, je ne le lui permettrais pas. Ou bien je pourrais le pousser à devenir un subordonné de ton fils. Hmm, en voilà une idée... »
« Mais vous ne pouvez pas jouer comme ça avec les vies d'enfants ! » explosa Bethany.
Cassiopeia fronça le nez, la bouche tordue dans une moue accablée.
« Ah, je vois ce que c'est, ma pauvre petite. La maternité t'a ramolli le raisonnement, c'est une affliction malheureusement courante, surtout pendant la première année de vie de ton petit. Mais ça devrait passer... »
Cette fois, c'en fut trop. Avant même d'en avoir conscience, Bethany dégaina sa baguette et un sort jaune virulent gicla de son extrémité, ratant la sorcière plus vieille lorsque celle-ci se baissa pour s'écraser sur le mur d'en face, grêlant le plâtre de verrues grisâtres à l'aspect vaguement décomposé.
Cassiopeia considéra les dégâts non sans un claquement de langue désapprobateur.
« Ma chérie, le maléfice promet, mais il faut vraiment travailler sur ta vitesse ! Avec tout le temps que tu mets pour te préparer, même une vieille gâteuse de mon espèce esquive sans mal, alors pense donc pour un adversaire dans la fleur de l'âge… ! »
Un second sort, violet fluorescent cette fois, fut esquivé aussi et s'abattit à la place sur une nature morte de galets qui explosa en une pluie de têtards gluants à souhait.
« Toujours trop lent ! Peut-être devrais-tu apprendre à utiliser une bague comme médium, ça te donnerait l'avantage de la surprise ? »
L'avantage des Black, songea confusément Bethany alors qu'elle rugissait et continuait de faire pleuvoir tous les mauvais sorts de son répertoire sur l'objet de son ire, c'était qu'ils acceptaient toujours gracieusement que les gens veuillent les tuer et tentent de passer à l'acte.
Le désavantage, c'était bien sûr leur refus de se laisser faire.
