Bethany ne comprenait pas pourquoi tant de gens, Moldus comme sorciers, insistaient que la Côte d'Azur consistait en un fantastique lieu de villégiature pour l'été. En automne et en hiver, elle pouvait accepter le raisonnement, les températures douces du bord de mer permettant de s'adonner à des activités qui auraient été déconseillées pour un temps plus froid. Mais en été ?

Depuis la mi-juin, elle avait l'impression de vivre dans un four et c'était avec le bénéfice de sortilèges incrustés dans les murs de la villa pour rafraîchir l'air et garantir que le thermomètre ne monterait jamais plus haut que vingt-deux degrés à l'intérieur des pièces. Dès qu'elle sortait, elle se liquéfiait lentement à moins de s'immerger dans la piscine ou dans la mer pour y végéter jusqu'au soir, où il ne faisait pas moins chaud mais où le soleil s'abstenait de vous aveugler et de vous matraquer la peau partout où vous aviez le malheur d'en montrer.

Lorsqu'elle avait envoyé une carte postale – une très chouette représentation de la Promenade des Anglais – à oncle Benjy et tante Amélia pour se lamenter, ceux-ci lui avaient rétorqué dans leur lettre de retour qu'ils échangeraient volontiers le climat terroriste anglais contre le climat chaud méditerranéen. Et tante Lulu – elle avait fini par rendre les armes, autant faire plaisir à la vieille dame puisque ça ne coûtait rien – avait carrément éclaté de rire devant sa doléance.

« Mon chou, si c'est l'effet que te laisse le sud de la France, je te déconseille de visiter le Maroc ! Et ne parlons même pas de la Martinique ou de la Guyane ! »

En rétrospective, bien entendu que c'était stupide de comparer son expérience personnelle avec celle de l'épouse d'ambassadeur qui avait visité plus de pays que l'atlas moyen ne se souciait d'en répertorier.

La seule personne qui semblait un tant soit peu d'accord avec elle sur le sujet, c'était Regulus. Bon, il n'avait pas explicitement formulé son inconfort, mais vu comme il se calfeutrait dans sa chambre avec les rideaux tirés, la conclusion s'imposait d'elle-même.

Bethany ne s'était pas trop épanchée en présence de Casimir, mais l'elfe de maison aguerri n'en avait pas moins décidé d'intervenir en lui servant à boire de la citronnade à la menthe froide. Apparemment, la boisson faisait fureur au Proche-Orient, et l'ancienne Poufsouffle devait admettre que c'était plutôt délicieux malgré la couleur arsenic – pas étonnant de trouver la recette sous le toit d'une famille de Serpentards endurcis. Le truc, c'était de ne pas en ingurgiter deux carafes dans la journée sous peine de dents douloureuses – froid et sucre, le doublon diabolique.

Mais le pire, c'était ses cheveux. Ils s'entêtaient à lui coller à la nuque en longues mèches molles et détrempées de sueur, lui procurant des démangeaisons furieuses, jusqu'au jour où elle succomba à l'impulsion furieuse de se débarrasser à grands coups de ciseau de la source de son calvaire.

Quand elle se fut un peu calmée, de longues boucles blond cendré traînaient piteusement sur le sol et dans le miroir se reflétait un visage qui présentait une ressemblance très nette avec Eddie, le troisième de ses petits frères, le petit dernier de la famille. Un Eddie de presque vingt ans qu'elle n'aurait jamais l'opportunité de rencontrer dans la vie réelle.

Bethany fondit en larmes. Combien de temps cela dura, une heure ou deux, elle ne savait pas et ça ne l'intéressait pas de savoir.

Elle n'avait jamais été tellement proche de ses frères pour la simple raison qu'elle avait été la grande et la fille de la maison, deux titres des plus intimidants pour un enfant et qu'elle avait fièrement porté. Être la grande, c'était être la personne la plus importante à la maison après Papa et Maman. Être la fille de la maison, c'était détenir le privilège de la particularité au sein d'une fratrie où tous cherchaient à se démarquer. Bethany avait été importante et unique, et elle avait adoré ça.

Bien sûr qu'elle avait aimé ses cadets malgré tout – elle vivait avec eux, elle mangeait avec eux, elle lisait les mêmes illustrés qu'eux, elle s'était même battue avec eux parfois, c'était impossible de ne pas aimer quelqu'un alors que vous partagiez tout cela. C'était pratiquement une obligation pour elle de les aimer en tant que grande sœur.

Mais en même temps, elle était la grande sœur. Quoi qu'il advienne, l'âge et le sexe avaient tracé une ligne de distinction indélébile entre elle et ses frères. Alors oui, il y avait eu distance au sein de la fratrie – une distance qui avait augmenté à une vitesse vertigineuse lorsqu'elle était entrée à Poudlard et avait reçu l'opportunité de se faire des amis rien qu'à elle, de pratiquer des activités qui ne plaisaient qu'à elle dans son propre coin. Elle ne s'en était pas souciée, sur le moment. Pourquoi l'aurait-elle fait ?

Les enfants s'imaginaient toujours avoir l'éternité devant eux, un éventail de futurs à leurs pieds. Bethany à Poudlard avait eu tout le temps du monde pour se coltiner ses frangins, elle avait seulement donné la priorité à son propre vécu scolaire parce que ceci ne durerait pas, alors qu'elle avait toute la vie pour parler à sa famille.

Sauf qu'elle s'était trompée, ou peut-être pas tant que ça. Elle avait eu toute une vie avec ses frères, mais pas la sienne, c'était la leur. Et cette vie avait pris fin.

Elle regrettait l'haleine de Peter au petit matin et ses jambes si velues qu'elle l'avait accusé en rigolant d'être un loup-garou qui ne s'assumait pas. Elle regrettait Charlie avec sa manie de remettre les bouteilles de lait au frais alors qu'il avait tout bu pour se préparer du chocolat chaud. Elle regrettait la tendance d'Eddie à accumuler bleus et bosses parce qu'il ne voulait pas arrêter de courir partout.

Elle regrettait de ne pas avoir pu leur annoncer qu'elle allait se marier et qu'ils allaient avoir des petits neveux.

Elle regrettait de ne pas avoir été là avec eux quand les Mangemorts étaient venus.

Avaient-ils espérés qu'elle rentrerait à temps pour appeler les secours ? Qu'elle les sauverait elle-même, en bonne grande sœur défendant ses cadets ? L'avaient-ils détestée dans leurs derniers moments pour n'être pas venue, en fin de compte ?

Ou avaient-ils priés pour qu'elle reste à l'écart, qu'elle échappe au carnage ?

Elle ne savait pas. Elle ne saurait jamais. Elle n'avait pas été là, et elle ne pouvait pas interroger les morts pour leur demander des éclaircissements. De un, la nécromancie était illégale, de deux, elle n'avait aucune idée de comment procéder. Et puis…

Et puis elle ignorait quelle réponse serait la pire.

Alors ça ne lui laissait que le regret, et la perspective d'avoir à expliquer un jour à ses enfants pourquoi leurs oncles et grand-parents du côté de Maman ne venaient jamais visiter. Tout à coup, elle détestait un peu Reggie.

Un reniement, ce n'était pas aussi grave. On pouvait encore se réconcilier du moment que votre frère n'était pas mort. Et Sirius Black avait beau être plus lourd qu'un dragon en surcharge pondérale, il était vivant et Reggie pouvait encore lui écrire et lui parler et peut-être même un jour lui présenter ses neveux. Sirius Black pouvait encore vivre tout ce que Peter et Charlie et Eddie n'auraient jamais.

Tout à coup, Bethany jalousait un peu Reggie. Peut-être plus qu'un peu. La faute à l'opportunité dont il disposait.

Une opportunité qu'elle regrettait d'avoir perdue. Vraiment beaucoup.