Dans l'ensemble, songeait Cassiopeia, 1980 s'annonçait une année relativement bonne pour la Noble et Très Ancienne Maison des Black. Surtout comparée au véritable désastre qu'avait été l'an précédent : vous pouviez difficilement faire pire que de perdre votre Héritier direct en raison d'une querelle de famille étant allée trop loin, faillir perdre un autre héritier toujours à cause de ladite querelle et aussi à cause de sa propre sottise et culpabilité, apprendre que ladite querelle trouve sa source dans les opinions politiques d'un parvenu sorti du plus dégoûtant des caniveaux, et finalement découvrir que le parvenu susmentionné blasphème Mère Magie à droite et à gauche.
Non, 1979 n'avait pas du tout été une bonne année.
Par contraste, 1980 avait débuté par la naissance de deux nouveaux rejetons à modeler et qui perpétueraient la famille, avait permis à Cassiopeia d'administrer une bonne leçon à sa nièce dévoyée en l'obligeant à tomber enceinte d'un bambin qui contribuerait à la chute du si précieux Maître de Bellatrix, et venait de voir Arcturus enfin détruire l'abomination en laquelle avait été transformé le médaillon de Serpentard.
Pour accomplir ce dernier objectif, le patriarche Black n'avait reculé devant aucune précaution. Il ne s'agissait pas uniquement d'empêcher l'Horcruxe de se défendre, il s'agissait également de ne pas ravager dix kilomètres de campagne une fois le Feudeymon relâché.
En règle générale, invoquer et contrôler le feu n'était jamais aisé. Facile, oui, quand on se concentrait sur le jaillissement de la flamme : le feu était vitalité, permettre à cette vitalité de s'échapper et de croître était pratiquement un plaisir. Une jouissance qui suppliait qu'on ne la remette pas en cage.
C'était déjà difficile de ne pas céder à la tentation de laisser le feu se répandre lorsque la flamme était parfaitement ordinaire. Mais un feu ensorcelé, un renforcé par des maléfices affamés qui ne demandaient qu'à tout dévorer sur leur passage et cherchaient activement à se retourner contre quiconque voudrait leur barrer la route… Et bien.
Si l'usage du Feudeymon était si peu répandu parmi les plus grands experts en magie noire, c'était pour une excellente raison.
Et même quand le pratiquant réussissait à empêcher le brasier de se rebeller contre son joug, il n'en devait pas moins payer le prix, une portion de sa propre énergie vitale. Le feu doit brûler du combustible pour effectuer son œuvre purificatrice, après tout.
Chez un jeune briseur de maléfices fougueux, cela ne représentait pas une si grande menace. Pour un patriarche âgé et usé par une vie passée à employer plusieurs pratiques obscures déconseillées en raison de leur impact sur la santé, cela devenait nettement plus alarmant.
Les sorciers et sorcières de la famille Black ne vivaient jamais assez longtemps pour ce que le monde magique considérait comme une espérance de vie normale, mourant vers soixante-dix ans plutôt que cent vingt, mais Cassiopeia n'en éprouvait pas moins un pincement au cœur à la perspective de faire ses adieux à Artie. Qui embêterait-elle une fois qu'il ne serait plus là ? Qui viendrait récriminer sur son épaule que la jeune génération n'était qu'une bande d'imbéciles pas fichus de se moucher tout seuls ? Qui se rappellerait avec elle de Poudlard sous Armando Dippet ?
Elle ne pleurerait pas, bien sûr, elle était Cassiopeia Virgo Black et se jetterait plutôt en pâture à une horde d'Acromantules affamées, mais ses paupières traîtresses insistaient pour la picoter lorsqu'elle s'attardait sur la séparation imminente.
Mais ce ne serait pas pour cette année. Cette année, Cassiopeia assisterait Arcturus dans sa destruction du phylactère, en se tenant prête à intervenir en cas de possession ou de débordement des énergies néfastes.
Les choses n'en étaient pas venues là, Artie était bien trop compétent et prudent pour se laisser dépasser par deux si petites bêtises – et non, Cassiopeia n'avait pas du tout senti son ventre se nouer alors qu'elle l'observait à l'œuvre, pourquoi demandez-vous ?
Et ses mains ne tremblaient pas du tout alors qu'elle allumait une cigarette.
« Continue à fumer autant et tu mourras avant moi » lui lança Artie, à demi effondré sur un fauteuil outrageusement rembourré tandis que l'elfe de maison remplissait son verre d'un philtre revigorant.
« Vu ce que tu viens d'accomplir, permets-moi de croire que je te survivrais de beaucoup » riposta la vieille dame avant de porter son fume-cigarette à ses lèvres et d'inspirer une longue bouffée. « … En passant, félicitations pour un travail bien fait. »
Le patriarche Black renifla dédaigneusement, sans même daigner couler un regard dans la direction de la petite table couverte d'une nappe de soie blanche, sur laquelle reposait un médaillon partiellement fondu, incrusté de pierres ternies et noircies.
Un gâchis abject, en vérité. Si seulement ils avaient été en mesure de purifier la relique de Serpentard de la présence corruptrice imprégnant son métal depuis plusieurs décennies… hélas, les mages blancs capables de pareil exploit avaient disparu de l'Europe, et s'il en existait ailleurs, ils se cachaient bien. Difficile de le leur reprocher, vu les réglementations de plus en plus sévères sur les anciennes pratiques arcanes.
Si Cassiopeia s'était vue demander son opinion – ce que personne n'avait fait, typique des idiots de ne pas écouter leurs aînés plus expérimentés et à même de décrier leur stupidité congénitale – ces réglementations ne pouvaient que compliquer la tâche à tous ceux cherchant à empêcher les mages réellement malsains de sévir. Après tout, les criminels ne suivaient pas les lois pour commencer, mais les agents de la loi y étaient contraints pour ne pas perdre en crédibilité. Le résultat était aussi désolant que lorsque un chevalier parfaitement moldu se mettait en tête de pourfendre un dragon sans rien d'autre qu'une lance et une armure très vulnérables à la chaleur.
C'était la faute des sang-de-bourbe, bien entendu, eux et leurs sensibilités effarouchées qui insistaient pour que tout le monde se plie à leurs règles, leurs opinions. Quel culot ! Ne s'arrêtaient-ils donc jamais pour penser que peut-être, il existait un raisonnement derrière les traditions et les coutumes, au lieu d'un attachement aveugle à des pratiques barbares d'un âge plus brutal ?
Enfin, la question du médaillon était pliée. Et si vraiment, un autre Horcruxe était caché dans le compte Lestrange à Gringotts, ils ne tarderaient pas à tirer la chose au clair.
L'accouchement de cette chère Bellatrix était prévue vers la fin novembre, autrement dit dans deux mois. Une fois l'Héritier Lestrange venu au monde, Artie disposerait d'un prétexte pour consulter les goblins – le contrat de mariage établi entre les lignées Black et Lestrange stipulant que la dot de Bellatrix ne lui serait pas remise tant qu'elle n'aurait pas eu d'enfant, mais entreposée dans le compte de son mari à la place. Une tentative par Cygnus d'inciter sa première-née rebelle à se conformer aux bons usages qui avait lamentablement échouée, Rodolphus étant trop fasciné par le caractère tempétueux de son épouse pour ne pas lui ouvrir sa propre bourse.
La mesquinerie de Cygnus n'en avait pas moins du bon, puisqu'elle permettrait à Arcturus de suggérer aux gobelins que quelqu'un avait interféré avec la dot. Tatillons sur leur honneur et leur réputation de banquiers incorruptibles, les créatures passeraient le compte des Lestrange au peigne fin. Si Horcruxe il se trouvait caché là-dedans, les gobelins ne manqueraient pas de le trouver.
Ce serait également l'opportunité de les interroger sur la possibilité d'utiliser un rituel ancestral afin de déterminer l'existence d'autres Horcruxes. Contrairement aux sorciers, les gobelins suivaient toujours religieusement leurs coutumes héréditaires, même s'ils le cachaient bien.
Peut-être même qu'il n'y aurait pas besoin d'y mettre le prix, mais Cassiopeia en doutait. La race gobeline naissait cupide, après tout.
