En tant qu'épouse de diplomate, tante Lulu avait fêté le solstice d'Hiver, Noël et Yule de toutes les manières possibles et imaginables, selon le pays où elle résidait pour cette période particulière. À l'en croire, l'unique exigence qui ne changeait jamais était de se réunir en famille, et comme ça tombait bien que lui et Bethany se trouvent sous son toit, ça lui épargnerait d'envoyer les invitations !

Melania viendrait également, elle habitait dans le même pays quoique ce fusse dans un département situé aux antipodes de la Côte d'Azur. Et Ignatius Prewett ne manquerait pas non plus de faire son apparition, il était tout de même marié à Lucretia en dépit de leurs vies désormais séparées qui ne se croisaient plus qu'à intermittence, lorsque vraiment les convenances l'exigeaient.

Ce n'était pas que tante Lulu détestât son conjoint, bien au contraire ; Regulus se rappelait quelques brèves occasions de tendresse qu'ils avaient eu l'un envers l'autre. Mais Lucretia s'était mariée principalement parce qu'elle voulait s'amuser et voir le monde, Ignatius s'était marié pour une partenaire capable de le seconder dans ses devoirs diplomatiques et qui ne lui reprocherait pas trop d'être un acharné du travail, et ce simple arrangement pour les convenances et le confort n'avait jamais évolué plus loin que l'affection envers un collègue de bureau.

De fait, lorsque la santé de sa femme avait sonné le glas de leur vie commune, Ignatius avait gracieusement laissé Lucretia s'installer à Nice avant de retourner au travail comme si de rien n'était. Il lui envoyait une lettre si le besoin lui prenait d'écrire, mais c'était tout.

« Ça me va tout à fait » avait affirmé tante Lulu sans gêne, « Iggy aurait été malheureux comme tout de rester à la maison pour s'occuper de moi. Même si j'avoue qu'il me manque un peu… Juste pour une présence dans la maison, tu sais ? Après quarante-trois ans de mariage, on s'habitue forcément l'un à l'autre et j'ai toujours détesté la solitude. »

Ignatius Prewett ne resterait pas longtemps : il fallait visiter son frère aîné plus très vaillant, l'actuel patriarche de la famille Prewett, assister à une réception donnée en l'honneur d'un ambassadeur chypriote et également passer visiter sa nièce, laquelle avait bien besoin de soutien, cette pauvre chérie, avec deux frères morts, un mari qui gagnait des clopinettes et une marmaille de gamins qui ne cessait de s'agrandir.

« Vraiment, je ne sais pas à quoi peut bien penser une femme qui épouse un Weasley » commentait Lucretia sur la famille de rouquins. « Sais-tu ce que m'a dit Cedrella, quand je lui ai posé la question après sa sottise avec Septimus Weasley ? Il me fait rire, voilà ce qu'elle m'a dit ! Enfin, les filles n'en ont jamais et n'en feront toujours qu'à leur tête, je suppose. Et au moins il n'avait pas besoin qu'on lui répète tout cinq fois, contrairement à ce pauvre Gustave Goyle. »

Personnellement, Regulus ne pensait pas grand-chose des Weasley. Ils aimaient apparemment un peu trop les Moldus pour qu'il se sente à l'aise, même s'ils n'étaient jamais allés jusqu'à en épouser, et vouaient une haine tenace aux Malefoy depuis des temps immémoriaux pour avoir contribué à leur pauvreté persistante mais ceci était davantage le problème de Cissy que celui de Regulus.

En parlant de Cissy, la benjamine des filles d'oncle Cygnus avait accouché d'un petit garçon début juin. Elle avait envoyé un faire-part – nullement porteur d'un maléfice quelconque ou d'un sort mouchard, autrement les protections entourant la villa de tante Lulu n'auraient jamais permis au courrier d'arriver – établissant que le bambin s'appelait Drago Lucius Malefoy, et exprimant le vœu qu'il grandisse en compagnie de ses cousins.

Regulus hésitait sur ce deuxième point. Il appréciait Cissy, vraiment, en dehors de toutes les indignités qu'elle lui avait fait subir dans leur enfance en l'obligeant à lui servir de poupée, mais s'exposer de nouveau à Lucius Malefoy ?

Le Seigneur des Ténèbres était terrifiant, pas de doute à avoir là-dessus. Même lorsqu'il déployait sa rhétorique la plus persuasive, il vous courait toujours un frisson d'épouvante le long du dos, la certitude glaciale qu'il n'hésiterait pas à vous torturer ou vous assassiner si les résultats produits ou les arguments avancés n'étaient pas à son goût. Impossible de l'oublier, vous étiez en présence d'un prédateur.

Lucius Malefoy aussi était un prédateur, mais un qui se déguisait ; une araignée qui creusait une fosse pour que les insectes tombent dedans au lieu de se fatiguer à tisser une toile. Et vous saviez, dès qu'il ouvrait la bouche, que ce serait inévitablement lui qui profiterait de la situation tandis qu'il ne vous resterait plus que les yeux pour pleurer, mais il était le charme même…

On était presque tenté de croire les rumeurs proclamant que les Malefoy avaient du sang Fae dans les veines : intelligents, manipulateurs et dédaigneux envers tout ce qui ne les concernait pas et ne leur appartenait pas, il y avait certainement de quoi nourrir des soupçons. Personne n'osait répéter ces rumeurs là où il était possible de les entendre, ça n'aurait pas été poli… et sans doute pas prudent. Les Fae n'aimaient guère les gens trop curieux, après tout.

Alors non, Regulus ne savait pas s'il permettrait un jour à ses enfants de rencontrer leur cousin au second degré, surtout parce que Lucius risquerait de mal tolérer l'existence des enfants qui avaient ruiné la chance de Drago d'hériter un jour de la fortune Black.

Si Lucius essayait de s'en prendre à Tally et Terry… Regulus ne savait pas comment il réagirait exactement, mais il éprouvait cette conviction détachée que ce serait assez hideux. Il était sûr qu'il n'empêcherait pas Bethany de ne pas se changer en véritable monstre, pour commencer.

Côté Poufsouffle, les Bones ne pouvaient malheureusement pas se déplacer mais avaient envoyé un monceau de cadeaux : il y en avait au moins trois pour chaque membre de la famille, y compris la petite Susan qui portait encore des couches et ne comprenait même pas encore ce qu'était Yule. Celle-là, en revanche, ce serait une cousine qu'il laisserait les petits visiter sans hésitation, au moins pour qu'Amélia Bones n'aille pas l'accuser de séquestrer sa nièce et ses petit-neveux pour les couper de leurs racines. Plus il y pensait, plus il se disait qu'il s'était marié dans une famille presque aussi terrifiante que la sienne.

Ce qui le décevait le plus, dans ce futur réveillon, c'était l'absence de neige. Même le plus riquiqui des flocons n'avait pas daigné tomber sur Nice, de quoi verser des ruisseaux des larmes. Décembre sans son épaisse couette blanche sur les toits et les pavés, ça criait l'hérésie infâme. Presque pire qu'un livre dans lequel on avait gribouillé.

« Nous sommes sur la Côte d'Azur, mon pauvre trésor » avait compati tante Lulu en face de sa détresse, « le climat méditerranéen n'est pas favorable aux hivers blancs à moins de grimper suffisamment haut en montagne, et encore ! D'un autre côté, tu peux dîner sur la plage toute l'année... »

Comment osait-elle qualifier cela de consolation, cela dépassait Regulus. Il s'était mis dans un tel état qu'il avait quitté la villa pendant tout l'après-midi sous prétexte d'aller trouver une bûche adéquate à placer dans la cheminée.

Bethany n'avait pu contenir un mouvement nerveux à la vue de la bûche.

« … On va fêter ça à la mode traditionnelle, alors ? » avait-elle demandé, et sa voix vacillait.

Regulus avait dégluti, s'efforçant de chasser les souvenirs qui voulaient remonter à la surface.

« C'est juste une bûche qui va brûler pendant trois jours. Pas de magie là-dedans. Pas de rituel. »

Elle s'était détendue, mais il savait à quoi elle pensait – à quoi elle ne pouvait pas s'empêcher de penser, pas tant qu'elle vivrait.

Lui non plus ne pouvait pas s'en empêcher.